Série: Le fardeau de la dépression
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Le fardeau de la dépression (2)

Dans la 1ère partie de cet article parue dans le numéro 106 de Promesses, Peter Masters, pasteur à Londres, a défini les différentes formes que peut prendre la dépression. Il nous montre maintenant comment dépister la maladie et l’affronter.

Déceler la dépression

La première étape, c’est d’apprendre aux gens à démasquer leur dépression. Les chrétiens touchés doivent absolument la découvrir eux-mêmes, en prendre conscience et c’est parfois au pasteur qu’il incombe de signaler cet état. Il ne s’agit pas, bien évidemment, d’encourager une préoccupation excessive au sujet de la santé, mais de détecter l’inconfort, le mal-être, afin de mieux le soigner. C’est en reconnaissant nos points faibles que nous pouvons le mieux résister, prendre les mesures nécessaires pour maîtriser l’autodépréciation.

Il faut bien sûr de très bonnes raisons pour oser suggérer à quelqu’un qu’il pourrait être atteint de dépression. On évitera en particulier de le confondre avec une personne mal en point à cause de son indiscipline. Le spécialiste en relation d’aide doit en effet distinguer entre un état dépressionnaire et un problème non réglé dû au péché. Nous rappelons ici que des croyants peuvent se sentir très abattus par une vie non sanctifiée et par la désapprobation de leurs amis quant à ce relâchement. Mais il y a des moments où les croyants sont envahis par une étrange angoisse et ils ont besoin de comprendre ce qui leur arrive. ils doivent savoir que ce n’est pas un problème spirituel qui les trouble, mais une faiblesse constitutionnelle. S’ils estiment que la question est spirituelle, ils en déduisent à tort que Dieu les punit pour quelque péché et ils en viennent à mettre leur conversion en doute.

La dépression conduit parfois dans une direction tout à fait inverse: le blâme sur soi est alors remplacé par une haine farouche envers les circonstances et les événements, ou bien par un agacement permanent contre les autres et l’Eglise au point de créer la discorde. Tout y passe: la famille, les chrétiens et même le Seigneur. On ne peut pas tellement aider dans ce type de dépression, sinon en signalant à la personne concernée qu’il s’agit d’une crise intérieure irrationnelle et destructrice où seul le secours des Ecritures saintes est efficace et permet de maîtriser la situation.

Expliquer la dépression

La seconde question à élucider, c’est de comprendre la nature de la dépression, car le fait même de savoir qu’on souffre d’une prédisposition naturelle à ce fléau provoque une réaction néfaste. On peut s’imaginer toutes sortes de choses, en passant d’une profonde angoisse à la peur de devenir à moitié fou. Il est clair que nous ne pouvons pas tout expliquer et que bien des phénomènes nous échappent, comme ils échappent au corps médical… mais il nous faut admettre que la dépression est une affliction que le Seigneur permet, dans sa sagesse, dans la vie de plusieurs de ses enfants. Il connaît tout à notre sujet; bien que tout-puissant et plein d’amour, il ne nous évite pas toutes les épreuves. En outre, la dépression est souvent la contrepartie de certains dons ou d’une sensibilité affûtée. Une bonne proportion de gens doués d’aptitudes exceptionnelles pour la poésie ou la musique, les arts en général, manifestent cette tendance. Il semble qu’une sorte d’étiquette négative soit attachée aux traits les plus positifs de nos dons personnels.

Les gens énergiques et entreprenants paient souvent le prix de cet avantage par une frustration continuelle au vu de leurs performances, alors que les gens studieux, prudents et rangés souffrent d’un manque d’en-train tel qu’ils sont obligés de pédaler deux fois plus vite que les autres pour arriver à faire face aux exigences de la vie! Ces considérations sont des généralités mais elles illustrent le fait qu’à chaque mouvement de force correspond un mouvement de faiblesse et le penchant à l’humeur chagrine, dans beaucoup de cas, est la contre-partie de quelque don. C’est presque comme si nos compétences les plus remarquables étaient trop fragiles pour ce monde de péché.

La disposition à la souffrance morale ne doit par conséquent pas être regardée uniquement comme un handicap et encore moins comme le symptôme d’une infirmité mentale. Il est essentiel d’expliquer tout cela aux personnes atteintes et de leur souligner avec compassion et franchise que leurs souffrances intérieures ne vont pas disparaître d’un jour à l’autre, et que leur prédisposition les accompagnera longtemps encore. La dépression doit suivre son cours. S’il est possible de calmer la crise de découragement par quelque diversion afin d’atténuer le paroxysme, rien ou presque ne peut anesthésier la détresse fondamentale de la dépression. Les remèdes soulagent la souffrance un moment, mais les inconvénients sont bien trop nombreux pour en justifier l’emploi continu, j’en parlerai plus tard.

Les gens qui souffrent d’une plaie morale profonde ne doivent pas s’attendre à un grand soulagement à la suite d’une entrevue avec le pasteur ou le confident. Ces derniers doivent disposer de temps pour chercher à comprendre leur langueur, à la contenir de sorte qu’elle ne dégénère pas, à en limiter la durée, et si possible, à en arriver à bout, de sorte que les composantes les plus nocives et les plus destructrices soient neutralisées. Ainsi nous pouvons communiquer l’espérance et la confiance, chez les plus jeunes surtout, en leur faisant comprendre que leur vulnérabilité va disparaître au bout de quelques années. Si bien des adolescents ont connu ces crises de désarroi entre 15 et 25 ans, ils les ont vues s’espacer puis complètement cesser. Il est très encourageant de savoir que ceux qui ont connu les pires tempêtes naviguent en eaux calmes aujourd’hui. Mais je ne cache pas que plusieurs auront à combattre avec opiniâtreté tout retour de manivelle jusqu’à ce que les passages scabreux s’éloignent. Il y aurait beaucoup à dire sur le contrôle des pensées qui nous rongent. Plus nous localisons le point faible, plus nous sommes en mesure de combler le vide intérieur et de combattre la torpeur.

Relativiser la dépression

Il est utile de signaler aux dépressifs que leur condition n’a rien d’exceptionnel et que leur maladie atteint des chrétiens consacrés aussi bien que des personnes notoires de ce monde. Un grand nombre de serviteurs de Dieu ont connu ce déferlement de souffrances et parmi eux on trouve des hommes éminents comme Luther, Calvin, Richard Baxter, Whitefield et Spurgeon pour ne nommer que ceux-là. Plusieurs compositeurs de cantiques ont aussi leur place parmi les mélancoliques, dont deux hommes sévèrement touchés, William Cowper et James Montgomery. De nombreux poètes chrétiens ont présenté cette même tendance à la tristesse.

Par contre, et c’est très encourageant de le savoir, les Réformateurs et les instruments du réveil qui ont souffert de dépression étaient parfaitement conscients de la puissance de Dieu en dépit de leurs afflictions émotionnelles. Il y a donc moyen de contenir et maîtriser la dépression et d’affirmer que rien n’empêche Dieu de bénir et de faire éclater sa gloire au moment voulu.

C.H. Spurgeon a laissé plusieurs descriptions de moments d’anxiété et d’émotion soudains et violents qui le paralysaient, particulièrement à l’âge de 45 ans. Il eut fréquemment à combattre des crises de découragement, spécialement le dimanche soir. Alors sa femme, Mrs Susannah Spurgeon, lui lisait des poésies, ou quelques pages du livre de Bayter «Le pasteur réformé»; elle percevait la peine de son mari, le fortifiait, l’encourageait et compatissait jusqu’à ce que la paix soit revenue. Quelquefois le grand prédicateur était en proie à un accablement tel qu’il se rendait dans un chalet loué dans les «South Downs» avec son ami et confident William Upton afin de surmonter les pires moments. Pouvons-nous en déduire que l’Esprit de Dieu abandonnait Spurgeon et le privait de capacité spirituelle? Bien sûr que non, car les eaux profondes de la mélancolie n’indiquent pas nécessairement une vie de péché ou un abandon du Seigneur. Les dépressifs sont souvent rassurés lorsqu’ils découvrent que l’abattement a été le lot de plusieurs hommes de Dieu.

Passer à travers la dépression

Dans notre lutte contre la dépression, nous établissons une ligne de conduite au sujet des médicaments que les croyants souffrants vont devoir absorber. Nous les encourageons à venir à bout de leur crise sans le recours systématique à la chimie. Bien entendu, je ne suis pas contre les médicaments lorsqu’il s’agit de cas graves, de souffrances intolérables, de pensées suicidaires ou de chute dans l’irrationnel, mais la grande majorité des déprimés ne vont pas jusque-là et peuvent affronter cette étape difficile sans le support des remèdes. En vérité, il est largement reconnu parmi les pasteurs, et les médecins aussi, que l’usage abusif et précoce des antidépresseurs place les patients sur la pente glissante de la dépendance quasi permanente des drogues. Les médicaments détruisent et affaiblissent inévitablement la capacité individuelle à composer avec la dépression. Dans la plupart des cas, l’esprit et l’émotions ressemblent à un membre sévèrement endolori , rudement meurtri, mais pas complètement brisé, et la médication joue le rôle de plâtre sur ce membre au point de l’insensibiliser; lorsqu’il émerge quelques semaines plus tard, ses muscles sont affaiblis, diminués et plus incapables que jamais de résister, de gagner la bataille. La «béquille» antidépressive utilisée trop vite provoque des résultats spectaculaires au début, c’est vrai, mais le prix en est trop élevé. Non seulement les drogues amoindrissent la capacité de lutte, mais elles changent et dégradent tragiquement la personnalité. Une personne aux idées précises devient vague et terne, une autre intelligente et énergique ne se concentre plus et s’épuise en permanence, enfin quelqu’un de vif et entreprenant se déconsidère sans cesse par des promesses non tenues.

L’auteur souligne que beaucoup de dépressifs sont parvenus à un état d’indécision tel après quelques années de traitement, qu’il ne leur est plus possible de réagir et de combattre leur épuisement moral. Il faut savoir qu’un psychiatre qui déclenche un peu trop vite la spirale abominable des tranquillisants d’abord, puis des puissants antidépresseurs, oblige les pasteurs à remonter des sujets qui ignorent que les remèdes sont parfois pires que le mal! Il y a 30 ans environ, j’ai rencontré un jeune homme hospitalisé depuis des mois, à tel point ébranlé par une série d’électrochocs qu’il en était venu à l’idée du suicide. A la suite de cette expérience, il n’était plus que l’ombre de lui-même, assailli de craintes et complètement dépendant des drogues. Ceux qui l’ont connu avant sont persuadés qu’il a été détruit par les traitements psychiatriques. Heureusement pour la société, beaucoup de psychiatres réagissent contre ces traitements, mais il reste encore, hélas, quelques praticiens ultra-rationalistes. Les pasteurs se doivent de faire barrage à l’assistance chimique facile et abusive.

Affronter sa dépression

Le grand avantage de la victoire non-chimique sur la dépression consiste dans la part active que la personne prend dans sa guérison: elle observe sa remontée. La diminution de la souffrance et l’espacement des crises qui ne se réduisent bientôt plus qu’à des malaises exceptionnels encouragent et motivent sérieusement. Le principe biblique de 1 Cor 10,13: Aucune tentation ne vous est survenue qui n’ait été humaine, et Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces; mais avec la tentation il préparera aussi le moyen d’en sortir, afin que vous puissiez la supporter, s’applique particulièrement au croyant qui porte en lui le penchant à l’amour de soi, aux doutes, aux ressentiments et aux assauts de toutes sortes. Il ne faut rien de moins que toutes les promesses de Dieu pour sortir du mal-être qui sape la vie intérieure. Des textes vitaux seront mentionnés et il est primordial d’offrir un solide fondement biblique pour chasser les pensées folles. Grâce à une telle approche, l’emprise émotionnelle va se déserrer et pourra être maîtrisée, ainsi que tout le cortège des pensées négatives. La possibilité de baser ses progrès sur les promesses de la Parole de Dieu encourage vivement les dépressifs, même s’ils ne goûtent pas immédiatement une entière délivrance; une telle démarche est difficilement envisageable chez des sujets abrutis par les médicaments et sans réactions depuis plusieurs années.

Définir le rapport avec la dépression

On épaissit l’angoisse en voulant établir à tout prix la cause d’une dépression. Malgré les respectables exceptions que je nommerai plus loin, les prétextes au désespoir n’ont pas une signification très profonde. Je m’explique: une difficulté rencontrée dans le traitement de la dépression réside dans le fait que chacun semble avoir assimilé une manière freudienne de voir les choses et s’imagine qu’elle aidera à surmonter la maladie. Est-ce un traumatisme de l’enfance? Un choc? Un rejet? Est-ce un péché inavoué, retenu, oublié? Qui ne serait tenté de disséquer son passé pour mettre en lumière «la» cause secrète de son tourment? Il n’est en tout cas pas surprenant que des patients à l’imagination fertile, supposant qu’ils ont enfin découvert l’origine de ce qui les tenaille, avec l’aide d’un guérisseur charismatique vaniteux, ressentent un soulagement immédiat. Malheureusement, l’amélioration ne sera ni profonde ni durable.

En vérité, et nous l’avons déjà observé précédemment, celui qui est affecté par le syndrome de la dépression a accumulé déception, fatigue, ressentiments, désunion avec autrui et dégoût de soi au point de craquer un jour, sans raison clairement apparente. Il nous incombe donc d’instruire celui que nous voulons aider et de le convaincre que la «cause» de sa dépression n’est pas l’élément déterminant d’une solution. Il ne faut jamais perdre de vue que la thérapie biblique a pour objectif d’apprendre à sortir de la dépression et non de perdre du temps à chercher ce qui la provoque. Pour la plupart des gens, la dépression ressemble à un rapace qui plane en rond dans le ciel pour fondre brutalement sur sa proie, qui s’écroule sous un poids jusque là ignoré.

Bien des malades décèlent, à l’origine de leur état un péché ignoble, qui les discrédite et les place sous le jugement de Dieu. Ces pensées sont renforcées par le freudisme latent de la société; il doit y avoir une bonne raison, et s’il y en a une, c’est le jugement de Dieu… Dans de tels cas, une liste interminable de vieux péchés se fait jour. Nous avons pour tâche de répéter inlassablement que Dieu est fidèle et juste pour pardonner tous nos péchés (cf l Jean 1.9) et souligner que la souffrance actuelle n’a rien à voir avec le passé.

Traquer la dépression

Au point où nous sommes parvenus, je veux citer quelques pièges qui peuvent nous entraîner dans l’uni vers de la dépression.
– Le premier de ces pièges est un état de révolte permanent contre le Seigneur, une désobéissance volontaire et persistante à sa loi; Un croyant obstiné dans son opposition va tôt ou tard au-devant de l’abattement ( cf Héb 12.5) et s’il s’entête sur une voie de non-sanctification, s’il refuse de faire mourir ce qui est terrestre (Col 3.5), il est un candidat à l’angoisse et aux tourments. Comment faire la différence entre l’affolement d’une conscience qui perd le nord et un dérèglement délibéré? Voici la réponse: si après un sincère repentir et une consécration entière au Seigneur l’abattement demeure, il faut en déduire que cet état n’est pas d’ordre spirituel.
– Un autre piège est celui de l’énervement et de la colère. Attention, nous n’avons pas ici l’explication complète de la dépression comme plusieurs aimeraient l’entendre; ces sentiments ne sont jamais la seule cause! La colère et l’amertume se donnent la main (cf Eph 4.31) et nombreux sont les jeunes gens déprimés par des ressentiments. Qui n’a jamais été désavantagé? Qui ne connaît pas la déception suscitée par la façon dont les autres estiment notre travail? L’incompréhension et la frustration sont certainement les composantes de la dépression chez les adolescents. L’amertume conduit à la haine de l’autre et à l’amour de soi, elle met les nerfs à vif et conduit à un comportement tel que les meilleurs amis en sont surpris. La forme de dépression engendrée par l’agacement et la contrariété n’aboutit qu’à l’égoïsme et il est vital de savoir que le ferment de haine sape les capacités morales. Le travail pastoral s’exerce alors par la mention et l’application quotidienne de textes bibliques appropriés.
– On peut aussi mentionner le piège du blocage secret causé par la rupture d’une promesse faite à Dieu. Il convient au spécialiste en relation d’aide de découvrir dans quelles circonstances la promesse a été faite et d’amener la personne à comprendre que Dieu ne demandait pas un tel engagement. On aidera ensuite la personne à se dégager du poids de cette promesse, spécialement dans le domaine intime et privé du célibat. Le désengagement d’une promesse à ce sujet conduit un hypersensible à des conflits et il se sent dévalorisé.
– Enfin, il faut encore déjouer le piège de l’autodépréciation, qui menace des gens enclins à manipuler un entourage réceptif. Ce type de dépression commence par la frustration, l’amour de soi poussé à l’extrême. A l’origine, le sujet est contrarié parce que les choses ne se déroulent pas comme il le souhaiterait. Il découvre alors que sa condition de malade psychique lui assure une plus grande attention de la part des autres. La maladie devient un instrument de chantage pour en exiger davantage. Si, en tant que pasteur, ou aide, vous percevez que quelqu’un essaye de vous amener à faire ce qu’il veut en jouant de sa prétendue dépression, il vous appartient d’être très ferme et de lui montrer que ses manoeuvres et ses intrigues sont purement charnelles, et qu’elles caractérisent même une tendance à la convoitise antérieure à la conversion. La cause directe de l’autodépréciation est l’entretien volontaire de griefs, de problèmes personnels liés à l’amour de soi. Lorsque nous sommes sûrs que nous sommes en face de ce type de de dépression, nous devons citer les passages de l’Ecriture qui aident à prendre conscience du problème et conduisent à la guérison.

P.M.

Dans le prochain numéro de Promesses, pour la troisième et dernière partie, le pasteur Peter Masters encouragera les dépressifs à exercer leur foi malgré l’épreuve.

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