Série: Chronique de livre - Livres
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Calvin et la France (Jean-Marc BERTOUD)°

CHRONIQUE DE LIVRES

Genève et le déploiement de la Réforme au 16e siècle

Aux Editions L’Age d’Homme, série Mobiles historiques, Lausanne (123 p.)

Un très bel et court ouvrage vient de sortir de presse sur Calvin, son oeuvre et son influence immense sur son époque qui a marqué l’Eglise et la société jusqu’à nos jours. Le livre a l’avantage d’être facile à lire dans la présentation de l’essentiel sur la Réforme à Genève avec son influence aux niveaux spirituel, culturel, social et politique. Une fois de plus, l’auteur par sa remarquable analyse a su faire vibrer nos cœurs et stimuler notre réflexion pour une application actuelle de ces mêmes principes bibliques, fondement de la Réforme. Il nous semble utile de donner un aperçu détaillé de l’ouvrage.

L’ouvrage contient deux parties principales, précédées d’une introduction. Dans sa première partie, l’auteur brosse le tableau d’une Europe occidentale marquée par le christianisme, mais aussi imprégnée de différentes cultures païennes. La Réforme s’inscrit dans ce contexte pour rayonner depuis Genève dans ces pays, en particulier la France. La seconde partie traite de la Réforme à Genève, avec la formation des pasteurs à Genève, partie des plus instructives pour ce qui concerne le concept biblique d’une vision chrétienne du monde englobant tous les domaines de la réalité de la vie. Dans ce cadre s’insèrent également la souveraineté de Dieu et la responsabilité de l’homme. Le but ultime du travail énorme de Calvin était toujours la gloire de Dieu.

L’Introduction prend le contre-pied de l’idée répandue parmi les Evangéliques que la doctrine de l’élection produit une indifférence au salut des âmes. En effet, entre 1555 et 1562, la Réforme de Genève a donné lieu à la fondation de 2150 «Eglises dressées » (Eglises avec structure et discipline ecclésiales), et cela là où les persécutions sévissaient. Quel rôle Calvin et la ville de Genève ont-ils joué dans tout cela? Comment expliquer que l’enseignement de ces doctrines (« la prédestination, l’entière souveraineté de Dieu et la dépravation totale de l’homme ») considérées souvent de nos temps comme «apparemment débilitantes-, ait amené des milliers d’âmes au Sauveur, établi des centaines d’églises et exercé une telle influence sur la société ? Comment expliquer un des plus grands Réveils de l’histoire de l’Eglise? «Comment se fait-il qu’un tel renouveau de la foi ait été le fruit d’un style de prédication et d’un genre de vie ecclésiastique en si grande contradiction a vec nos stratégies modernes de l’évangélisation du monde..? L’intention de l’auteur est précisément de démontrer combien l’histoire dément ces critiques infondées.

Première partie

Elle contient d’abord un bref aperçu de la vie de jean Calvin, suivi par l’arrière plan politique, culturel et réligieux du ministère de Calvin avec les trois sous-divisions la paganisation de la politique, la paganisation de la culture et la paganisation du christianisme. L’auteur analyse les conditions dans lesquelles la Réforme est née. Toute une série d’éléments jouerait un rôle important dans la paganisation de l’avant-Réforme: l’influence des cultures gréco-romaine, celtique et germanique, et l’introduction de ces éléments païens dans l’Eglise médiévale, dans le domaine de la philosophie et du droit, puis dans ceux de la littérature et des beaux-arts. On lira avec intérêt le développement de cette paganisation dans ces trois domaines de la politique, de la culture et du christianisme en Europe occidentale. Le chapitre sur les origines de la Réforme française est une analyse des racines du grand réveil au Royaume de France au 16e siècle. L’influence de Luther fut immense dans ce retour à la foi biblique. La structure de la première édition de l’Institution de la Religion chrétienne de Calvin (1536) correspond à celle du Petit Catéchisme de Luther (1529). Une autre source d’influence venait de Jacques Lefèvre d’Etaples, pionnier en France du nouvel «évangélisme ». Connaisseur des écrits d’Aristote et de la mystique naturaliste de l’Antiquité il se tourna finalement vers les Ecritures pour y découvrir la vérité et la vie. En approfondissant l’étude de la Bible, il découvrit également le «double sens de l’exégèse littérale », c’est à dire de faire ressortir «le sens naturel » -celui qu’entendaient les auteurs divins et humains -ce qu’il nomma le sens littéral «prophétique » -et le sens littéral «historique » nu, accompli en la personne et l’œuvre du Christ. Il publia en 1509 son premier ouvrage de critique et d’exégèse biblique, Le quintuple psautier; "où nous trouvons solidement établis les principes herméneutiques qui allaient caractériser l’exégèse et la prédication des Réformateurs". Guillaume Farel vint à la foi par le témoignage de Lefèvre et joua un rôle important dans la Réforme en Suisse romande. C’est lui qui introduisit la première imprimerie dans la région de Neuchâtel, où était imprimée et diffusée la première traduction française de la Bible de Louis Olivétan, qui servit de base à la diffusion des Ecritures et de la littérature biblique en France. Dans le dernier chapitre de la première partie, J .-M. Berthoud développe la venue et le combat de Calvin à Genève pour faire triompher l’Evangile. En résumé, «les années entre 1541 et 1555 virent à Genève une lutte spirituelle, doctrinale, morale et politique intense pour obtenir la transformation d’une Eglise plantée. ..en une Eglise dressée. .. une Eglise disciplinée, fidèle et obéissante. à la Parole de Dieu. Toute la structure de l’Eglise selon le concept de Calvin, influencé par Martin Bucer à Strasbourg, fut mise en place. Ce concept s’insérait dans le cadre d’une Eglise institutionnelle et soutenue par l’Etat, tout en gardant son indépendance en matière de foi et de discipline de l’église. On peut ne pas partager ce concept de l’église institutionnelle et certains procédés d’alors, mais il reste néanmoins vrai que le projet était séduisant et l’œuvre de Calvin grandiose pour arriver à une telle Réforme, où finalement l’Evangile avait transformé hommes et mœurs. C’est à cette époque que se situe l’affaire de Michel Servet, hérétique et gnostique, qui combattait les doctrines centrales de la foi chrétienne et fut finalement envoyé au bûcher par le gouvernement genevois. On reproche à Calvin d’avoir été «le dictateur de Genève», ce qui est démenti par les faits de l’histoire réelle, car le pouvoir direct fut exercé par le Conseil de la ville. L’influence de Calvin se fit plutôt par la prédication, et sa capacité de persuasion -donc de manière indirecte -par la seule force de son autorité morale. Calvin avait une vision avant tout ecclésiastique et voulait d’abord rétablir une structure dans l’Eglise avec une doctrine et une discipline selon les Ecritures, capable ensuite de préparer et d’en- voyer des missionnaires prêcher l’Evangile.

Deuxième partie

Au premier chapitre, Calvin et la vigne de Dieu en France, sont développées les convictions de Calvin sur les autorités, la justice et le rôle de l’Eglise dans la société. Sa .prédication impliquait toujours application précise et concrète». Ses enseignements et son influence grandissante allaient forcément à l’encontre du pouvoir des derniers Valois et de l’Eglise de Rome caractérisé par un .absolutisme machiavélique». Cette réforme ne pouvait finalement qu’aboutir à la haine contre la Réforme et à la persécution des Evangéliques en France, car Calvin ne tolérait aucun compromis avec Rome.

Le second chapitre traite de Genève qui forme et délègue des pasteurs aux Eglises réformées en France. Genève se voua dès lors à la formation des futurs pasteurs. Il y avait plus de 300 étudiants en théologie dans l’Académie de Genève fondée en 1559. Cet- te formation théologique était rigoureuse: étude philologique et grammaticale de la Bible, maîtrise du latin, de l’hébreu et du grec, préparation pour la tâche la plus importante: l’étude et l’exégèse de la Bible. A part les examens sur la doctrine, les candidats devaient faire preuve de probité morale et idéologique. Ces disciplines s’exerçaient «en classe», ce qui allait à l’encontre de «l’individualisme exacerbé du protestantisme moderne». Calvin n’était pas pour la violence, et il exhortait les missionnaires en terre de France à la patience dans le combat de la foi au milieu des souffrances et de la persécution. Calvin exigeait une fidélité absolue à la foi chrétienne selon la Parole de Dieu.

Le chapitre trois sur la formation des pasteurs et la prédication de Calvin nous présente le concept et le plan d’une formation pastorale complète selon Calvin. A "l’Académie de Genève», on trouve les deux grands domaines dans lesquels Dieu manifeste sa révélation: d’abord par sa création, puis par sa Parole écrite. Pour Calvin, les «sciences physiques» faisaient partie du programme d’enseignement, étudiées à la lumière de la Parole de Dieu, car la nature aide à comprendre le Créateur, alors que les scolastiques négligeaient cette discipline comme inférieure. L’analyse pertinente de J.-M. Berthoud nous paraît fondamentale pour revenir à une vue biblique du monde, base du grand réformateur. La pensée de Viret et de Calvin s’oppose totalement au dualisme, qui est à la racine de la pensée scientifique moderne, où les sens et la science sont dissociés. Ce dualisme devint dominant au 18e siècle dans l’enseignement de la théologie, qui de ce fait fut totalement dénaturé. Les «outils linguistiques» développés par les humanistes de la Renaissance furent utilisés par l’Académie pour mieux interpréter les Ecritures, afin d’obtenir une exégèse continue de la Bible dans son sens littéral.

Bien que très souvent malade, Calvin prêchait pratiquement tous les jours en plus de son enseignement à l’Académie. En 1561, plus de 1000 personnes fréquentaient régulièrement ses cours. Parfois il était si peu bien qu’il devait se faire porter sur une chaise à l’ endroit où il enseignait. Tous les cours étaient donnés en latin. Il prêchait «sans notes, expliquant la Bible directement à partir du texte hébreu ou grec dont il donnait sur place sa propre traduction». Mais il se préparait toujours soigneusement. L’application du texte biblique à sa propre vie était primordiale pour lui. La nature de la prédication résidait en trois points: D’abord, sa prédication consistait en une exposition suivie du texte biblique. Ensuite, il se servait de tous les outils linguistiques pour serrer le texte sacré de près, tout en les soumettant à son autorité souveraine. Le dernier point consistait en une prédication de caractère rigoureusement antithétique. Tout ce qui était contraire à la Vérité devait être forcément faux. La vraie doctrine était ainsi systématiquement opposée à l’hérésie et entre les deux existait une guerre sans répit. La base du contenu de son enseignement consistait en trois points: la corruption totale de l’homme, la grâce souveraine de Dieu et la justification par la foi seule. La prédication devait avoir des implications pratiques pour la vie du chrétien. La prédestination, la certitude du salut, le combat spirituel et la sanctification, l’édification de l’Eglise et la restauration de la société, formaient le corps des doctrines primordiales. L’activité sanctifiée d’une vie véritablement chrétienne devait s’exprimer par le service, l’amour et la justice, dans la soumission à la Parole et la dépendance du Saint-Esprit.

Dans le chapitre quatre sur la souveraineté de Dieu et la prédication souveraine de l’Evangile, l’auteur démontre qu’il n’y a pas incompatibilité entre la doctrine enseignée par Calvin et la prédication efficace de l’Evangile, et que cette doctrine a pour but ultime la gloire de Dieu. Face à la souveraineté absolue de Dieu, la responsabilité de l’homme serait pour certains une affirmation antithétique. Cette souveraineté ne dispense en aucune façon l’homme de prier et d’agir «comme si l’avenir dépendait de sa seule volonté, comme si son action était susceptible de modeler le monde et l’histoire», C’est le contraire d’une attitude fataliste et passiviste. Cette piété calviniste contient à la fois le zèle missionnaire et la dimension de notre responsabilité face à la création: la foi chrétienne vécue dans tous les domaines de la vie.

L’auteur, dans sa conclusion, nous laisse encore quelques tableaux touchants du caractère et de la piété de Calvin. Dans sa vie, tout est constamment axé sur Dieu et sa Parole. Malgré tous ses dons et toutes ses activités, Calvin est resté humble. Il était d’une grande sensibilité. Tout en ayant été un homme d’action, il nous a légué une oeuvre écrite remarquable et gigantesque. Sa correspondance était immense, donnant des conseils, démêlant des problèmes difficiles et consolant les affligés avec douceur. Son caractère était loin d’être «épouvantable», comme certains l’affirment. Il disait de lui-même à la fin de sa vie: «J’ai eu bien des infirmités que vous avez dû supporter et, en plus, tout ce que j’ai fait n’était d’aucune valeur», Le livre se termine avec deux magnifiques prières de Calvin faites à la fin de ses deux prédications sur 2 Samuel 13.

Nous apprécions la bibliographie étendue et utile pour qui désire approfondir les différents sujets. Les notes en bas des pages facilitent la lecture, évitant au lecteur d’aller les chercher à la fin du livre.

Si nous nous sommes longuement arrêtés sur cet ouvrage, c’est qu’il nous semble résumer deux choses: D’abord, l’héritage important que ce grand Réformateur nous a laissé. Ensuite, les quelques principes et mécanismes qui s’en dégagent pour tirer des leçons. Il peut y avoir des divergences sur certains points dans l’ecclésio1ogie ou le ministère pastoral, mais le but de cet ouvrage n’est-il pas de relever l’essentiel: nous stimuler à une étude sérieuse et approfondie de la Parole de Dieu et porter une plus grande attention à une formation plus poussée de la relève des responsables de nos églises? Il ne s’agit pas de favoriser l’intellectualisme, mais de former une nouvelle génération d’hommes de Dieu capables d’enseigner et d’édifier nos Eglises par des prédications et des études bibliques solidement ancrées dans les Ecritures. Dieu nous a donné un cœur et un cerveau, servons-nous des deux. Tout cela demande du temps, de la réflexion, de la volonté et de la persévérance. Ce n’est pas du «fast food» à la Mc Donald’s dont l’Eglise au 21e siècle a besoin, mais d’hommes de Dieu équipés avec soin: et sérieux. Le livre m’a sensibilisé profondément quant à la question: que faisons-nous dans nos communautés pour former nos responsables? Comment le faisons-nous? Nous recommandons vivement cet ouvrage, ne fût-ce que pour cette raison-là, et demandons à Dieu de richement bénir ceux qui le liront.

H. Lüscher

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Série : Chronique de livre
Lüscher Henri
Cofondateur de la revue, il y a 48 ans, Henri Lüscher se consacre encore à plusieurs tâches administratives et rédactionnelles en faveur de Promesses.