Dossier: Proverbes: le livre de la vie quotidienne
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Dieu sur la place publique

Quelques réflexions sur les chapitres 8 et 9 des Proverbes

« La sagesse ne crie-t-elle pas ?
L’intelligence n’élève-t-elle pas sa voix ?
C’est au sommet des hauteurs près de la route,
C’est à la croisée des chemins qu’elle se place ;
À côté des portes, à l’entrée de la ville,
À l’intérieur des portes, elle fait entendre ses cris :
Hommes, c’est à vous que je crie,
Et ma voix s’adresse aux fils de l’homme.
L’Éternel m’a acquise au commencement de ses voies,
Avant ses œuvres les plus anciennes.
J’ai été établie depuis l’éternité,
Dès le commencement, avant l’origine de la terre.
La sagesse a bâti sa maison,
Elle a taillé ses sept colonnes.
Elle a égorgé ses victimes, mêlé son vin,
Et dressé sa table.
Elle a envoyé ses servantes, elle crie
Sur le sommet des hauteurs de la ville :
Que celui qui est stupide entre ici !
Elle dit à ceux qui sont dépourvus de sens :
Venez, mangez de mon pain,
Et buvez du vin que j’ai mêlé ;
Quittez la stupidité, et vous vivrez,
Et marchez dans la voie de l’intelligence ! »

(Prov 8.1-4,22-23 ; 9.1-6)

Pendant le siècle qui vient de prendre fin, plusieurs ont accusé Dieu de mutisme, d’indifférence ou d’incohérence. Chaque nouvelle catastrophe humaine semblait les renforcer dans leur protestation. Mais comme on ne fait pas le procès de Dieu sans dresser un acte d’accusation au-dessus de tout soupçon, ces dénonciateurs ont juré que leur démarche présentait toutes les garanties d’honnêteté, d’objectivité, et d’humanisme désintéressé. Dans leur foulée, les courants anti-chrétiens, qui ont porté la mentalité contemporaine vers l’athéisme pratique qu’on lui connaît, ont régulièrement affiché une sincérité, une « authenticité » qui ont fait croire que notre époque était sur le point de s’ouvrir à de nouvelles formes de sagesse.

Or, les nouvelles sagesses, à l’examen, n’ont rien de révolutionnaire en elles-mêmes. Qu’elles viennent d’Orient ou d’Occident, elles se proposent comme toujours de rendre notre vie plus raisonnable, plus riche de sens, plus harmonieuse, ou plus épanouie. Bref, elles se présentent comme des perches de salut qu’il suffit de saisir — ou de repousser, personne n’y étant astreint. Elles comportent, comme toutes les sagesses antiques, une vision du monde (les anciens parlaient de cosmogonie, les modernes se contentent d’une analyse historique, anthropologique, ou sociologique) ; elles en tirent quelques principes directeurs, une éthique, et parfois, une orientation politique (« verte », « rose », « rouge », etc.). Elles sont souvent tentées par les généralisations métaphysiques (nouvelles formes d’ascèses, nouvelle religiosité ; sectes, tendances alternatives, Nouvel Âge). Forts de ces éléments, les nouveaux sages tentent d’extérioriser leur philosophie aussi fidèlement que possible, car leur crédibilité et leur réalisation personnelle en dépendent.

Il est vrai que les masses populaires, imprégnées de l’ambiance post-moderne ultra-permissive, se contentent d’un minimum de contraintes et de valeurs. Toutefois, hier comme aujourd’hui, la sagesse (ou son apparence) reste admirée, même au sein des mouvances les plus débridées. Comme toujours, elle se veut théoriquement fiable et pratiquement efficace. Elle a ses maîtres, ses prêtres, ses experts, ses gourous, ses lamas ; elle recherche des disciples.

Quant au présent article, il s’efforcera de dépeindre, en se fondant sur les chapitres 8 et 9 (jusqu’au v. 12) du livre des Proverbes, un tout autre visage de la sagesse : celui de la Sagesse divine, radicalement distincte de celle des hommes réputés sages.

1. Allégorie ou réalité ?

Ces versets mettent en scène la Sagesse (ou l’Intelligence) personnifiée : la Sagesse parle, invite, exprime divers avis, proclame, promet, raconte ses œuvres, met en garde, exhorte. Faut-il n’y voir qu’un procédé littéraire propre à rendre le sujet plus concret ? Ne s’agit-il que d’une allégorie destinée à réveiller les égarés et les simples ?

Le lecteur de l’Ancien Testament aurait pu le comprendre ainsi. Mais pour le croyant familier de l’Évangile, ces versets sont clairement prophétiques de la personne et de l’œuvre de Christ. Si cette interprétation se justifie, nous verrons que la notion biblique de « sagesse » renverse de fond en comble nos conceptions générales sur Dieu, sur nos relations avec lui, sur nos moyens de salut et sur les fondements d’un comportement dit de « bonne moralité ».

2. Où la rencontre-t-on ?

Il n’est pas nécessaire d’être un philosophe né, de s’user de longues années sur des bancs d’université ou de couvent, de se livrer à des rites initiatiques, de participer à des voyages intersidéraux, ou d’accéder à des états de conscience modifiée pour la rencontrer. Elle vient à nous, se tient à la croisée des chemins, bien en évidence sur les hauteurs de la ville, près des portes et des foules (8.2,3 ; 9.3).

Ces détails du texte des Proverbes annoncent le ministère spécifique du Messie, de l’Envoyé de Dieu, d’Emmanuel – Dieu parmi nous (Jean 1.1-18). « Je suis le pain de vie. » (Jean 6.35) « Je suis la lumière du monde. » (Jean 8.12a) «Je suis la résurrection et la vie. » (Jean 11.25a) « Le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus, se tenant debout, s’écria : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive… » (Jean 7.37) « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14.6) « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Mat 11.28) Ce ministère se poursuit actuellement par l’action de la Parole écrite et du Saint-Esprit (Jean 16.12-15), et par le témoignage de l’Église (peut-être préfigurée dans le ch. 9 des Proverbes sous la forme des « servantes » de la Sagesse, v. 3a).

Du reste, la Sagesse incarnée ne se lasse pas de se faire entendre et comprendre ; elle élève la voix jusqu’à crier, de peur que les passants ne lui accordent aucun crédit (8.3,4 ; 9.3). Pour qui ne ferme pas volontairement ses oreilles, la voix de Dieu retentit de manière explicite, sans ambiguïté. À travers la Création, bien sûr (Ps 19.2-5), mais surtout par le Fils révélé dans l’Écriture : « Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils … Le Fils est le reflet de sa gloire et l’empreinte de sa personne… » (Héb 1.2a et 3a) Alors que se multiplient les voix mensongères, les contrefaçons de la vérité, les séductions de tous ordres (Mat 24.4,5,11,23,24), la voix puissante et unique de la Sagesse divine continue d’affirmer sa différence, et le temps est proche où l’on pourra constater que la « bonne nouvelle du royaume » a été « prêchée dans le monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations » (Mat 24.14a ; cf. Rom 10.16-18).

3. Qui peut la rencontrer ?

Tous les hommes qui se laissent interpeller et qualifier de « stupides », d’« insensés » (8.5 ; 9.4,6). L’entrée en matière est fort rude, mais Christ n’a jamais flatté l’homme. Sa compassion et son amour infinis l’ont au contraire amené à déclarer sans ambages qu’il était venu pour sauver des hommes en danger de mort éternelle, des pécheurs, des êtres profondément malades et corrompus. Se mettre à l’écoute de la Sagesse divine implique que l’on se reconnaisse en complet déficit de sagesse et de ressources pour l’accomplissement de notre salut : « Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a point connu Dieu, il a plu à Dieu dans sa sagesse de sauver les croyants par la folie de la prédication » (1 Cor 1.21). Le paradoxe doit aller jusque là !

Dans notre texte des Proverbes, tous les auditeurs de la Sagesse ne sont pas naturellement prédisposés à se reconnaître comme perdus, car certains semblent s’être entourés de toutes sortes de choses précieuses à leurs yeux (8.11), et il se peut qu’ils se soient accoutumés à rejeter ce qui provient de la source divine (8.33), ou même à s’en moquer (9.12). Mais la Sagesse plaide, et plaide encore pour les arrêter dans leur course folle, sachant qu’aucun retournement d’âme et de conscience n’est exclu.

4. Les prérogatives de la Sagesse

Parmi ses qualités, nous retenons que la Sagesse :

– est droite, juste et vraie absolument (8.6-8) ;
– est limpide pour ceux qui la reçoivent (8.9) ;
– est la science, le discernement, et l’intelligence à l’état pur (8.10-12) ;
– hait le mal et la perversité (8.13) ;
– possède la force qui mène au succès véritable et durable (8.14) ;
– est souveraine sur toute forme d’autorité humaine (8.14-16) ;
– est infiniment riche et généreuse envers ceux qui lui font confiance (8.18-21) ;
– existe de toute éternité en présence de Dieu (8.22-25), ou, comme le formulaient les Pères de l’Église, est éternellement engendrée et consubstantielle au Père ;
– a été l’instrument de la Création divine (8.27-31) ;
– est source de vie (8.35 ; 9.11) et conduit le croyant jusque dans la présence de Dieu (8.35).

Aucun homme de l’Ancien Testament, aussi sage ait-il été, n’a réuni en lui-même autant de perfections, loin s’en faut. Cette fiche signalétique de la sagesse personnifiée ne peut désigner que Jésus-Christ . En effet, toutes les qualités énumérées ci-dessus montrent à l’évidence que la Sagesse issue de Dieu est unique, incomparable, inégalable, comme ne peut l’être que le Fils unique de Dieu. Mais ce qui devrait nous bouleverser par dessus tout, c’est que toute son activité est prioritairement orientée vers l’homme misérable, et qu’elle semble brûler du désir d’attirer cet homme à Dieu, en lui conférant ses qualités mêmes avec la plus entière bonté et générosité. Comme si Dieu, à travers son Fils, n’avait pas de plus grande passion que de créer la vie (physique et spirituelle), ou de la recréer lorsque le péché la met en péril. N’est-ce pas, en condensé, toute l’œuvre de la grâce de Dieu qui apparaît ici, et tout le contraire d’une philosophie fondée sur l’autosuffisance ou sur le mérite humains ?

En explorant le texte des Proverbes plus avant, on peut même discerner que l’œuvre de la Croix et de la mort expiatoire de Christ apparaissent comme en filigrane. Le début du chapitre 9 (v. 2-5) fait allusion à des « victimes » qui ont été rendues nécessaires en vue du grand banquet de la Sagesse. Le « pain » et le « vin » ont également été préparés. Ce langage renvoie au récit de la Pâque et au culte lévitique, dont la signification ultime culmine dans l’offrande du corps de notre Seigneur et dans l’aspersion de son sang. Ces actes fondateurs de notre salut inaugurent non une nouvelle philosophie, mais une nouvelle relation entre l’homme et Dieu.

5. Réalité nouvelle

Pour qui répond favorablement à l’invitation de la Sagesse, une nouvelle sphère spirituelle devient accessible. Ayant désormais l’assurance de l’approbation de Dieu (8.35), se sachant aimé de Dieu (8.17), recevant quotidiennement les instructions justes, droites et bonnes de son Père céleste (8.6-10) ainsi que ses bénédictions (8.21 ; 9.11), le « fils de la Sagesse » peut se dire heureux et comblé (8.32,34). Le voilà rendu capable de vivre de manière réellement sage, et de tirer parti des préceptes, des conseils, des trésors de la Parole du Père.

À moins que son ancienne mentalité et manière de vivre ne le rattrapent… Car pour être juste, il faut admettre que les enfants de Dieu, censés vivre de Christ et selon sa Parole, ne se comportent pas automatiquement en enfants sages. Notre texte des Proverbes en laisse transparaître quelque chose, lorsqu’il signale que le sage a parfois besoin d’être repris (9.8b), et que la sagesse reçue ne dispense pas de l’écoute soigneuse et quotidienne de la voix de notre divin maître (8.32-34).

Quel est le plus grand danger de dérapage sur notre route de chrétiens ? Chaque lecteur le sait sûrement, comme je le sais : c’est le retour de notre très naturelle, instinctive et détestable « arrogance », de notre « orgueil » et de nos faux raisonnements (cf. 8.13), car alors nous nous croyons sages et supérieurs en nous-mêmes. Le triste exemple de Satan devrait nous revenir beaucoup plus vite en mémoire.

Et quelle est notre plus grande sécurité sur cette route ? N’est-ce pas d’expérimenter que notre Sauveur s’occupe de notre progression, et se réjouit de nos progrès (cf. 9.9) ? Si nous nous égarons, ou si nous nous targuons d’une sagesse personnelle au-dessus de la moyenne, le Seigneur est contraint de nous rappeler notre « stupidité » originelle. Mais si nous nous repentons, il se plaît ensuite à nous pardonner, à nous relever, à nous assister dans notre marche, que nous voulons conforme à sa parfaite volonté.

Deux encouragements de l’Écriture termineront ce bref commentaire :

– « Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il la demande à Dieu, qui donne à tous simplement et sans reproche, et elle lui sera donnée. » (Jac 1.5)
– « À celui qui peut vous affermir selon mon Évangile et la prédication de Jésus-Christ, conformément à la révélation du mystère caché pendant des siècles, … à Dieu seul sage soit la gloire aux siècles des siècles, par Jésus-Christ ! Amen ! » (Rom 16.25,27)

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Pfenniger Claude-Alain
Claude-Alain Pfenniger, marié, père de trois (grands) enfants, est professeur de langues retraité. Il a exercé des fonctions pastorales en Suisse et a collaboré à la rédaction de diverses revues chrétiennes. Il est membre du comité de rédaction de Promesses depuis 1990.