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L’attitude à l’égard de l’étranger d’après l’Ancien Testament

Chacun s’accordera, on l’espère, pour condamner la haine de l’étranger, le mépris pour un être humain à cause de sa race ou de son origine. Néanmoins on peut s’inquiéter de la montée, ou de la résurgence, d’une xénophobie populaire, viscérale, et du succès de mouvements politiques qui encouragent le mépris et la haine des étrangers.

La question envisagée est celle du « comment ». Comment lutter efficacement contre cette aversion croissante et inquiétante à l’égard des étrangers ? À en juger par les résultats, il ne semble pas qu’on ait trouvé de réponse satisfaisante à cette question. Et ceux-là mêmes qui luttent avec le plus de détermination et de passion pour les droits et l’accueil des étrangers ne font souvent qu’accroître l’exaspération de cette frange importante de notre population qui supporte de moins en moins la présence des étrangers, de certains d’entre eux.

L’Ancien Testament peut-il nous aider à trouver une réponse à cette question ? Il est souvent sollicité pour fournir une motivation religieuse à l’accueil de l’étranger. L’étranger accueilli dans le pays pour y résider bénéficie en effet d’une attention particulière dans la loi.

Dispositions en faveur des étrangers

Négativement, il est stipulé qu’il ne faut pas :

– Maltraiter l’étranger ou l’opprimer : « Tu ne maltraiteras point l’étranger, et tu ne l’opprimeras point ; car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. » (Ex 22.21 ; cf. aussi Ex 23.9 ; Lév 19.33 ; Deut 24.14)

– Porter atteinte à son droit : « Tu ne porteras pas atteinte au droit de l’étranger et de l’orphelin, et tu ne prendras point en gage le vêtement de la veuve. » (Deut 24.17)

Ces dispositions sont rappelées avec toute la solennité qui y est attachée dans les douze malédictions prononcées lors de la confirmation de l’alliance : « Maudit soit celui qui porte atteinte au droit de l’étranger, de l’orphelin et de la veuve. » (Deut 27.19)

En stricte équité, le principe est posé que la loi doit être la même pour l’étranger et l’autochtone : « Vous aurez le même droit, l’étranger ou l’autochtone ; car je suis l’Éternel, votre Dieu. » (Lév 24.22) Ce principe vaut pour les droits fondamentaux ; certains avantages sont cependant réservés aux Israélites.

Positivement, il est recommandé de témoigner de la bienveillance à l’égard de l’étranger, notamment :

– En le laissant glaner ou grappiller : « Tu ne cueilleras pas les grappes restées dans ta vigne et tu ne ramasseras pas les grains qui en seront tombés. Tu abandonneras cela au pauvre et à l’étranger. Je suis l’Éternel, votre Dieu. » (Lév 19.10 ; cf. aussi Lév 23.22 ; Dt 24.19-21)

– En lui prêtant assistance s’il est dans le besoin : « Si ton frère devient pauvre, et que sa main fléchisse près de toi, tu le soutiendras ; tu feras de même pour celui qui est étranger et qui demeure dans le pays afin qu’il vive avec toi. » (Lév 25.35) Deutéronome 15.2-3 distingue le prêt de secours à l’Israélite, qui doit être sans intérêt, et le prêt avec intérêt à l’étranger. Comme le terme employé dans ce dernier passage, nokrî, ne désigne pas l’étranger résident (gèr) mentionné en Lév 25.35, on doit comprendre que le prêt avec intérêt évoqué en Deut 15.3 est un prêt commercial consenti à un partenaire vivant à l’étranger et non un prêt de secours qui doit être sans intérêt et que l’Israélite doit accorder aussi à l’étranger résident.

– En le faisant bénéficier de la dîme : « Au bout de trois ans, tu sortiras toute la dîme de tes produits pendant cette année et tu la déposeras là où tu résideras. Alors viendront le Lévite, qui n’a ni part ni héritage avec toi, l’étranger, l’orphelin et la veuve, qui résideront avec toi ; ils mangeront et se rassasieront, afin que l’Éternel ton Dieu te bénisse dans toute l’œuvre que tu entreprendras de tes mains. » (Deut 14.28-29)

– En l’associant aux repas de fête : « Tu te réjouiras à l’occasion de cette fête, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, et le Lévite, l’étranger, l’orphelin et la veuve qui résideront avec toi. » (Deut 16.14 ; cf. aussi v.11)

Plus fondamentalement, Dieu demande d’aimer l’étranger. Ce commandement figure dans le Lévitique et le Deutéronome, alors que le grand commandement de l’amour du prochain n’apparaît que dans le Lévitique : « Vous traiterez l’étranger en séjour parmi vous comme un autochtone du milieu de vous ; tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. Je suis l’Éternel, votre Dieu. » (Lév 19.33) « Vous aimerez l’étranger, car vous avez été des étrangers dans le pays d’Égypte. » (Deut 10.19) Cette reprise du précepte, avec la même motivation (« vous avez été étrangers »), souligne que l’étranger n’est pas exclu de cet amour du prochain qui est l’essence même de la loi.

L’ensemble de ces dispositions se trouve placé sous la haute autorité de Dieu lui-même, présenté comme celui qui « aime l’étranger et lui donne nourriture et vêtement » (Deut 10.18).

Ces textes sont souvent cités, on ne se lassera pas de les rappeler pour en mesurer la force et la pertinence. On se gardera pourtant de faire une lecture sélective de la loi en ne retenant que les dispositions favorables à l’étranger.

Nuances et contreparties

1. Les dispositions que l’on vient de signaler relèvent davantage de la morale que de la loi civile. Cela se voit à leur caractère général (ne pas opprimer, prêter sans intérêt), à l’absence de sanction pénale et à l’appel que l’on fait à la conscience du croyant1, à la crainte du châtiment de Dieu2 ou à l’attente de sa bénédiction3. Il ne faudrait pas en conclure que ces préceptes moraux, qui sont l’une des composantes essentielles de la loi du Sinaï, avec les lois civiles et pénales et les règles religieuses, aient été considérés comme moins importants ou moins contraignants que les dispositions assorties de sanctions ou de contraintes légales. Le respect de ces préceptes moraux dépendait du respect voué à Dieu. De plus, il n’est pas surprenant que, dans une société très peu étatisée, comme l’était l’Israël ancien, on ait laissé le soin à la morale de régir ce que dans d’autres sociétés on jugera nécessaire de sanctionner par la loi. On fera bien de tenir compte de ces deux différences de situation : la morale dans l’Ancien Testament n’est pas aussi privée et facultative qu’elle peut nous apparaître et la part de la loi proprement dite est restreinte.

2. D’après la loi, les étrangers ont aussi des obligations, dont certaines limitent sensiblement leur liberté. Le principe d’une même loi pour tous ne vaut pas seulement pour garantir aux étrangers un traitement égal aux autochtones en cas de procès (Lév 24.22), il vaut aussi pour le respect des règles du culte, qu’il s’agisse des sacrifices (Nom 15.15) ou des fêtes (Ex 12.49 pour la Pâque). En vertu de ce principe, les étrangers, qu’ils soient ou non admis à certains actes du culte4, sont tenus au respect du repos du sabbat (Ex 20.20), du Yom Kippour (Lév 16.29) et la peine de mort pour un sacrifice d’enfant s’applique aussi bien à eux qu’aux fils d’Israël (Lév 20.2).

3. Certains avantages sont réservés aux Israélites ; notamment la libération après six années de service comme esclave (Ex 21.2) ou le rachat par un membre de la famille des terres aliénées (Lév 25.25). Ce droit de rachat et le principe du partage de la terre entre les familles d’Israël, considérées comme gérantes de la terre appartenant à Dieu (Lév 25.23), ne devaient guère laisser à un étranger la possibilité de devenir propriétaire à titre définitif d’un bien foncier.

Ces diverses observations, qui montrent que l’intérêt dont devaient bénéficier les étrangers n’était pas sans contrepartie, introduisent à un problème bien plus aigu.

La même loi qui développe une morale si élevée, si bienveillante à l’égard des étrangers, exclut d’autre part certains étrangers (Deut 23.3-6) et ordonne de la part de Dieu l’élimination des habitants du pays de Canaan dont Israël prend possession (Deut 20.1 6-18). Comment concevoir la coexistence dans le même livre d’attitudes aussi opposées que l’exclusion et l’amour de l’étranger ? Sans parler de l’extermination qu’on ne peut évoquer sans frémir.

Cohérence du message biblique

Certains préféreront éviter le problème en pratiquant de manière naïve ou délibérée une lecture sélective. Ils retiendront de la Bible ce qui va dans le sens de la compréhension, de l’accueil, de l’amour, en oubliant le reste. Mais ce reste incommodant, même si l’on parvenait à le censurer dans la lecture de la Bible, l’actualité ne manquerait pas de nous le rappeler, parfois de manière terrifiante. Le monde où nous vivons et où les gens bien intentionnés parlent d’accueil et de fraternité, est un monde où l’on s’exclut et se déchire.

D’autres proposeront d’ordonner ces attitudes selon une progression logique et, on l’espère, chronologique, allant du pire vers le meilleur. Après avoir commencé par vider leurs querelles, en s’exterminant les uns les autres, les hommes en sont venus à s’exclure, ce qui reste inadmissible tout en étant moins tragique, et l’on peut espérer que, de plus en plus, ils s’acceptent et s’accueillent les uns les autres, suivant en cela les bons préceptes de la loi d’Israël, qui prône la bienveillance envers l’étranger. Mais cette vision rassurante, il faut, à la vérité, beaucoup de foi pour y croire. Elle est journellement démentie par les faits. Non seulement la situation globalement ne s’améliore pas, mais par endroits elle s’aggrave. On sent monter la haine et parfois tout bascule dans l’horreur absolue. Le visage inquiétant que nous offre l’Europe est celui d’une situation qui s’aggrave. L’Européen moyen, encore civilisé lorsqu’il a du pain, un emploi, un toit dans un quartier relativement sûr, sent monter en lui la haine lorsqu’il perd ses repères rassurants et voit se dégrader dangereusement son environnement (on ne parle pas ici d’écologie, on l’aura bien compris).

Si nous sommes prêts à écouter tout son message, l’Ancien Testament nous invite à une forme de réalisme dont on peut relever deux traits :

1. La question de l’accueil des étrangers est inséparable de celle des conditions d’existence qui permettent cet accueil

Le peuple d’Israël, pressé avec tant d’insistance à montrer de l’humanité et de la bienveillance à l’égard des étrangers résidant sur son sol, a dû préalablement acquérir sa liberté et prendre possession d’une terre occupée par d’autres. Il avait la consigne de ne pas se mêler aux Cananéens, mais de constituer sa propre identité sur sa terre. C’est sur cet acquis qu’est envisagée l’attitude bienveillante envers les étrangers.

Certes, le précepte n’est pas conditionné. Il n’est pas dit « quand tu seras assez bien établi, assez riche, quand tu auras assez de place… ». Le précepte est général et sans condition, mais les conditions ont été prévues pour que la mise en pratique soit possible.

Lorsque la situation se dégrade sérieusement, le précepte risque de perdre de sa pertinence. L’une des malédictions qu’encourt le peuple infidèle à l’alliance est de voir les étrangers établis au milieu de lui l’emporter sur lui : « L’étranger qui sera au milieu de toi s’élèvera toujours plus au-dessus de toi et tu descendras toujours plus bas. » (Deut 28.43) Quand on en arrive à un tel renversement, la bienveillance à l’égard de l’étranger, conçue dans la loi comme bienveillance à l’égard d’un plus faible, n’a plus guère de sens.

Dans la situation particulière des exilés rentrés à Jérusalem et qui parviennent avec peine à se maintenir au milieu des populations plus ou moins hostiles établies le pays, on comprendra que l’étranger soit vu avec plus de méfiance ou de crainte que de sympathie par ceux qui ont à cœur le maintien de l’identité du peuple de Dieu.

On ne sera pas surpris qu’en période de crise la xénophobie grandisse et gagne surtout ceux qui se sentent faibles et menacés.

2. La loi d’Israël vise à créer une entité religieuse homogène

Les étrangers résidant sur le sol d’Israël ne sont pas obligés de pratiquer la religion d’Israël — ils en sont même en partie exclus — mais le pluralisme religieux est hors de question.

Le chrétien ne manquera pas de signaler la perspective nouvelle ouverte par la venue du Messie. Le peuple de Dieu n’est plus restreint à une nation.

Dieu appelle à lui des êtres de toutes nations et de toutes cultures, et les unit à lui par la foi. La force et la dignité du message de l’Évangile sont cet appel à un engagement libre, personnel. Le chrétien qui a compris le message de Jésus-Christ ne cherchera pas à imposer aux autres sa religion ; il témoignera, cherchera à persuader, à convaincre, mais s’abstiendra de tout recours à la contrainte.5 Sans liberté religieuse il ne peut y avoir de foi chrétienne digne de ce nom.

Cette perspective ne doit pourtant pas être confondue avec l’opinion souvent entendue que toutes les religions se valent et que la diversité religieuse serait une richesse pour la société. Le fait est que les différences de religion ne favorisent pas la cohésion et l’harmonie sociale. Lorsque des étrangers, en plus de leurs autres différences, de langue, de culture, d’apparence physique, affichent une différence de religion, la cohabitation se révèle d’autant plus difficile.

Plutôt que de céder à l’idée utopique que toutes les religions se valent et contribuent à l’harmonie universelle, le chrétien transmettra le message du Christ, cherchant à convaincre tout homme.

Conclusion

L’afflux en Europe de populations d’origines, de cultures et de religions diverses est un formidable défi pour l’humanisme tolérant, qui est l’idéologie dominante de nos sociétés.

Force est de constater que jusqu’à présent ce défi est mal relevé. L’humanisme prétend avoir la réponse : toutes les religions se valent, il faut être tolérant, accepter les différences.

Mais cette solution se révèle inefficace.

L’écoute confiante du message biblique avec ses aspérités, et même les chocs qu’il peut provoquer, peut nous préserver des idéologies généreuses mais illusoires qui finalement suscitent plus de haine et d’exaspération que d’harmonie.

L’harmonie, c’est d’abord de la relation vivante avec Dieu que nous la recevons pour être dans ce monde des témoins de son amour, rendus capables de respecter et d’aimer l’étranger, ce qui n’est pas nécessairement facile.

1 Par exemple : « Vous savez ce qu’éprouve l’étranger. » (Deut 23.9)
2
« Ma colère s’enflammera, et je vous détruirai par l’épée » (Ex 22.23), concerne spécifiquement les torts faits aux veuves et aux orphelins, mais suit de près le v. 21 où il est question des étrangers.
3
« Afin que le Seigneur ton Dieu te bénisse dans tous les travaux que tu entreprendras de tes mains. » (Deut 14.29 ; cf. aussi Deut 24.19)
4
En Ex 12.48 il est précisé que pour pouvoir participer au repas de la Pâque l’étranger (gèr) doit être préalablement circoncis. Précédemment (v. 43), il a été stipulé qu’aucun étranger (bèn-nékâr) n’était admis à en manger.
5
Cela n’a malheureusement pas été toujours compris dans l’histoire de la chrétienté.

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Nicole Émile
Émile Nicole est docteur en théologie et professeur émérite de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine, titulaire de la chaire d’Ancien Testament. Cet article a été publié dans Fac-Réflexion en 1996 et il a été repris récemment dans un recueil qui regroupe divers articles d’Émile Nicole, intitulé Croquis de randonnées bibliques, éditions Édifac, diffuseur Excelsis. Nous le remercions pour l’aimable autorisation de reprendre cet article et nous encourageons les lecteurs à se procurer et à savourer cet ouvrage.