Dossier: 2 Corinthiens
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2 Corinthiens : une lettre connue et inconnue

2 Corinthiens est une Épître paradoxale, car c’est une lettre à la fois bien connue et peu connue. Bien connue, car nous y trouvons nombre de versets familiers à beaucoup de lecteurs. En voici quelques-uns :
• « Notre capacité vient de Dieu. » (3.5)
• « Nous portons ce trésor dans des vases de terre. » (4.7)
• « L’amour de Christ nous presse. » (5.14)
• « Grâces soient rendues à Dieu pour son don merveilleux ! » (9.15)
• « Ma grâce te suffit. » (12.9)
• « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (12.10)
Et nous pourrions allonger la liste — jusqu’au dernier verset, bénédiction souvent prononcée ou chantée en fin de culte : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu, et la communion du Saint-Esprit, soient avec vous tous ! » (13.13).

Toutefois, la trame générale de la lettre reste souvent méconnue : Paul y traite d’abord et avant tout le sujet de la contestation de son ministère par les Corinthiens. Tout en poursuivant ce thème principal plutôt sombre, l’apôtre s’interrompt pour faire un développement annexe, ouvre une parenthèse, fait une application.
Cette trame est discernable y compris dans les parties les plus souvent lues.

Voici un exemple :
« C’est pourquoi, ayant ce ministère selon la miséricorde qui nous a été faite, nous ne perdons pas courage. Nous rejetons les choses honteuses qui se font en secret, nous ne nous comportons pas avec ruse, et nous n’altérons point la parole de Dieu. Mais en publiant la vérité, nous nous recommandons à toute conscience d’homme devant Dieu. Si notre Évangile est encore voilé, il est voilé pour ceux qui périssent, pour les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence, afin qu’ils ne voient pas briller la splendeur de l’Évangile de la gloire de Christ, qui est l’image de Dieu. Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes ; c’est Jésus-Christ le Seigneur que nous prêchons, et nous nous disons vos serviteurs à cause de Jésus. Car Dieu, qui a dit : La lumière brillera du sein des ténèbres ! a fait briller la lumière dans nos cœurs pour faire resplendir la connaissance de la gloire de Dieu sur la face de Christ. » (4.1-6)
Les portions mises en rouge paraissent a priori incongrues et difficiles à interpréter si elles ne sont pas rattachées au thème général de la lettre. En la lisant, il nous faut donc changer de perspective et la voir avant tout comme un plaidoyer de Paul pour son ministère face à ses accusateurs. C’est le seul moyen d’en percevoir la cohérence et de correctement interpréter dans leur contexte nos versets préférés.

La situation de l’église de Corinthe

Les échanges entre Paul et les Corinthiens furent nombreux et complexes, donnant lieu à au moins 5 lettres et 5 visites1. Le tableau page suivante tente de les résumer.

Les suites de la visite rapide de Paul

Lorsque Paul, depuis la Macédoine, rédige 2 Corinthiens, la situation de l’église s’est éclaircie.
Après lui avoir envoyé sa première lettre, Paul avait dû faire une visite rapide à Corinthe à partir d’Éphèse au cours de laquelle il avait fait face à une forte contestation. Qui s’était opposé à lui ? L’incestueux de 1 Corinthiens 5 ? Un des leaders de l’église ? En tout cas, Paul y fait allusion en affirmant qu’il lui a pardonné (2.5,10).
Après la réception d’une lettre sévère de Paul (7.8) et grâce au ministère de Tite, l’envoyé de l’apôtre, la réaction de l’église a été saine : elle a pris les mesures disciplinaires qui s’imposaient envers l’opposant de Paul : « Cette même tristesse selon Dieu, quel empressement n’a-t-elle pas produit en vous ! Quelle justification, quelle indignation, quelle crainte, quel désir ardent, quel zèle, quelle punition ! Vous avez montré à tous égards que vous étiez purs dans cette affaire. » (7.11)

Les super-apôtres2

Malheureusement, un grave problème subsistait : l’église de Corinthe accueillait des enseignants qui contestaient le ministère de Paul. Il n’est pas facile de cerner avec précision qui ils étaient ni ce qu’ils enseignaient. Dans un sens, ce flou nous profite car il donne à la lettre un caractère général et la rend applicable dans une grande variété de situations, ce qui serait sans doute moins le cas si Paul avait été plus spécifique. Quoi qu’il en soit, l’objectif majeur de l’apôtre est de contrer leur influence toxique et d’avertir l’église.
Notons que Paul ne s’adresse jamais à eux, mais à l’église qui les a accueillis. Chaque église est responsable du leadership qu’elle suit et c’est à elle de prendre les mesures nécessaires.

D’où venaient les super-apôtres ?

• Ils étaient, semble-t-il, originaires de Palestine et non de Corinthe. Ils revendiquaient avec fierté leur judaïté : « Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils Israélites ? Moi aussi. Sont-ils de la postérité d’Abraham ? Moi aussi. » (11.22)
• Sans doute plusieurs avaient-ils vu le Christ ressuscité et s’en glorifiaient-ils (cf. 5.16).
• Ils disposaient de lettres de recommandation plus ou moins authentiques (cf. 3.1 ; 10.12).
• Leur ministère n’était cependant pas validé par les vrais apôtres : la lettre circulaire rédigée en conclusion du concile de Jérusalem environ 7 ans auparavant précisait : « Ayant appris que quelques hommes partis de chez nous, et auxquels nous n’avions donné aucun ordre, vous ont troublés par leurs discours et ont ébranlé vos âmes… » (Act 15.24). Cette remise en cause ne les avait pas empêchés de sévir à Corinthe.
• Ils prétendaient être à Christ de manière spéciale (cf. 10.7). Peut-être étaient-ils les leaders du « parti de Christ » auquel Paul avait fait allusion en 1 Corinthiens 1.12.

Sous quelles influences étaient les super-apôtres ?

• Des influences juives : ils prônaient un retour vers la loi, méconnaissant le changement introduit par la nouvelle alliance (cf. 3.7-18).
• Des influences grecques : ils accordaient une grande importance à la forme et à la puissance rhétorique et ils méprisaient Paul dont ils jugeaient la présence faible et la parole méprisable (10.10).
• Des influences mystiques : ils se glorifiaient de révélations directes du Seigneur qu’ils auraient reçues (cf. 12.1).

Quelle était la conduite des super-apôtres ?

• Elle était intrusive : ils avaient subrepticement pénétré dans la sphère d’activité de Paul pour la récupérer à leur profit (cf. 10.15).
• Elle était dominatrice  : Paul constate  : «  Si quelqu’un vous asservit, si quelqu’un vous dévore, si quelqu’un s’empare de vous, si quelqu’un est arrogant, si quelqu’un vous frappe au visage, vous le supportez. » (11.20)
• Elle était cupide : dans l’Antiquité, plus un maître faisait payer ses élèves, plus son enseignement était jugé de qualité. Les exigences financières des super-apôtres étaient élevées, face à Paul qui avait annoncé gratuitement l’Évangile (11.7).

Quelle est l’opinion de Paul sur les super-apôtres ?

Le jugement de l’apôtre est très sévère : pour lui, ils sont de faux docteurs qui enseignent un évangile frelaté (cf. 2.17 ; 11.4). Il va même jusqu’à dire que de tels hommes sont « de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, déguisés en apôtres de Christ », des ministres de Satan déguisés en ministres de la justice dont la « fin sera selon leurs œuvres » (11.13-15). À la lumière de ce texte, on peut se demander si, pour Paul, ces hommes ont vraiment la vie de Dieu…

La triple occasion de la lettre

En écrivant à l’église de Corinthe, Paul visait un triple but :
• Tout d’abord, il devait régler le problème lié à sa visite rapide et à sa lettre sévère : il devait affirmer qu’il n’avait pas de ressentiment, faire part de sa joie à l’écoute du témoignage de Tite lui rapportant que la situation avait été réglée et défendre son ministère face aux attaques.
• Ensuite, dans le cadre de la préparation de la collecte que Paul voulait ramener à Jérusalem, il devait stimuler les Corinthiens à être généreux, en instaurant une saine émulation entre les églises de Grèce, d’Achaïe et de Macédoine. Il devait également les rassurer sur la bonne gestion de la collecte.
• Enfin, il devait avertir fermement les Corinthiens par rapport aux super-apôtres. Il va ainsi se trouver dans la situation paradoxale d’être obligé de se défendre, sinon il sera accusé de faiblesse. Mais Paul est peu désireux de se mettre en avant, sinon il sera accusé de se vanter. Il est donc sur une crête très étroite et il s’en sort en disant en substance : « Vous voyez, je suis obligé de parler comme un insensé ; vous m’y contraignez parce que je suis obligé de me défendre mais je n’ai pas envie de me mettre en avant. » Grâce à cette astuce rhétorique, Paul met au jour le danger que représentent ces super-apôtres tout en préparant sa venue future, en demandant aux Corinthiens de prendre les mesures nécessaires contre eux.
Cette triple occasion de la lettre permet d’y distinguer trois grandes parties : ch. 1 à 7, 8 et 9 puis 10 à 13 (cf. plan en annexe).

Deux thèmes majeurs de la lettre

La Seconde Épître aux Corinthiens couvre moins de thèmes que la Première. Deux thèmes se détachent néanmoins particulièrement.

Des aspects uniques de Christ

2 Corinthiens présente de façon touchante et parfois unique des aspects de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ :
1. Christ est unique dans son sacrifice  :
• Il est la substitution pour nos péchés, comme l’affirme un des textes les plus profonds de toute la Bible : « Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » (5.21)
• En lui, nous trouvons ce que John Stott appelle à juste titre « l’auto-substitution de Dieu 3  » : « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même, en n’imputant point aux hommes leurs offenses. » (5.19)
2. Christ est unique dans son abaissement volontaire pour nous :
• Il s’est fait volontairement pauvre : « Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin que par sa pauvreté vous soyez enrichis. » (8.9)
• Il s’est fait volontairement faible : « Il a été crucifié dans la faiblesse. » (13.4, NBS)
3. Christ est unique, mais il peut être vu dans les siens :
• Les chrétiens sont transformés par la contemplation de sa personne : « Nous tous dont le visage découvert reflète la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, par l’Esprit du Seigneur. » (3.18)
• Les chrétiens, à la suite de Paul, peuvent suivre son exemple : « Moi Paul, je vous prie, par la douceur et la bonté de Christ » … (10.1).

Le ministère chrétien

Le second thème, trame principale de la lettre, est l’apologie du vrai ministère chrétien. Le vrai serviteur de Christ :
• Imite Jésus Christ en acceptant paradoxes et souffrances sans chercher son intérêt personnel : « Moi, très-volontiers je dépenserai et je serai entièrement dépensé pour vos âmes, si même, vous aimant beaucoup plus, je devais être moins aimé. » (12.15, Darby) ;
• Prêche la pure Parole de Dieu — ce qui, aujourd’hui, signifie rester fidèle à la Parole apostolique (cf. 2.17) ;
• Accepte les responsabilités pour combattre quand cela est nécessaire (10.4-6) ;
• Développe un cœur de berger en s’intéressant au collectif comme à l’individuel : « Je suis assiégé chaque jour par les soucis que me donnent toutes les Églises. Qui est faible, que je ne sois faible ? Qui vient à tomber, que je ne brûle ? » (11.28-29) ;
• Est équilibré en tout  : humble sans être servile, doux sans être faible, flexible sans être influençable (cf. 4.8-10 ; 6.3-10 ; 10.17).

L’impact de la lettre

Quels furent les effets de la lettre ? Ils sont peu explicites à la lecture du livre des Actes. À tout le moins, la collecte a dû être suffisante pour que Paul la porte à Jérusalem et le climat a dû être suffisamment paisible pour que Paul puisse rédiger l’Épître aux Romains pendant son séjour. Et puis Paul n’a pas jugé nécessaire, semble-t-il, de rédiger un « 3 Corinthiens » !
Au-delà de cet impact historique, 2 Corinthiens aura un impact aujourd’hui si la lecture de cette lettre nous conduit à nous engager hardiment dans le service du Seigneur, en imitant Paul qui lui-même imitait si bien son Maître.

 

Annexe : un plan pour 2 Corinthiens

Sans rentrer dans tous les détails du plan, il est nécessaire d’indiquer que la première partie des ch. 1 à 7 comporte une grande parenthèse courant de 2.14 à 7.4. En effet, 7.5 semble continuer directement le thème couvert jusqu’en 2.13 :

La défense de la conduite de Paul (1. 11 – 2. 13)

Paul ne trouve pas Tite à Troas et part en Macédoine
2. 12-13 : Or , étant arrivé dans la Troade pour l’Evangile de Christ, et une porte m’y étant ouverte dans le Seigneur, je n’ai point eu de repos dans mon esprit, parce que je n’ai pas trouvé Tite, mon frère ; mais, ayant pris congé d’eux, je suis parti pour la Macédoine.

Parenthèse : La nature du ministère (2. 14 – 7. 4)

La défense de la lettre écrite par Paul (7.5-16)

Paul lutte en Macédoine en attendant Tite qui arrive finalement 7. 5-6 : Car aussi, lorsque nous arrivâmes en Macédoine, notre chair n’eut aucun repos, mais nous fûmes affligés en toute manière : au dehors, des combats ; au-dedans, des craintes.
Mais celui qui console ceux qui sont abaissés, Dieu, nous a consolés par la venue de Tite.

Salutation et bénédiction  1.1-11
Adresse  1.1-2
Bénédiction  1.3-11

A. La défense du ministère 1.11-7.16
1. La défense de la conduite de Paul  1.12-2.13
L’explication du changement des plans de Paul  1.12-2.4
Le pardon du frère offenseur 2.5-11
L’absence de Tite à Troas  2.12-13
2. La nature du ministère  2.14-7.4
La gloire du ministère  2.14-4.6
La fragilité du ministre 4.7-5.10
Le message du ministre  5.11-6.10
L’appel du ministre à l’amour et à la sainteté  6.11-7.4
3. La défense de la lettre écrite par Paul 7.5-16
La rencontre avec Tite en Macédoine  7.5-7
La lettre sévère et la tristesse positive produite  7.8-16

B. La collecte pour les chrétiens de Jérusalem  8.1-9.15
1. La nécessité de la collecte 8.1-15
L’exemple stimulant des Macédoniens  8.1-5
L’exhortation motivée aux Corinthiens  8.6-15
2. La mission de Tite et des deux frères à Corinthe 8.16-9.5
La recommandation de Tite et des deux frères par Paul 8.16-24
L’attente de Paul 9.1-5
3. Les principes de la générosité chrétienne 9.6-15
Le bénéfice pour le donateur  9.6-11
La louange à Dieu par les bénéficiaires  9.12-15

C. L’autorité de Paul face à ses adversaires 10.1-13.10
1. L’autorité de Paul face à ses adversaires .. 10.1-18
Les armes utilisées par Paul  10.1-6
L’attitude cohérente de Paul  10.7-11
L’ampleur du champ d’activité de Paul 10.12-18
2. La supériorité de Paul face à ses adversaires  11.1-12.13
La supériorité de Paul dans sa prédication et sa conduite  11.1-15
La glorification forcée de Paul  11.16-12.13
3. La prochaine visite de Paul  12.14-13.10
Le désintéressement de Paul 12.14-18
Les craintes de Paul sur la situation des Corinthiens lors de sa visite  12.19-21
Les avertissements de Paul sur l’exercice possible de sa discipline apostolique  13.1-10

Exhortations finales, salutations et vœux .. 13.11-13

 

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  1. L’hypothèse d’une première lettre (« 0 » Corinthiens) et d’une troisième (« 1,5 » Corinthiens) est soutenue par de nombreux commentateurs. Cf. Craig Blomberg,  1 Corinthians, NIVAC, p. 22 ; Thomas Schreiner, 1 Corinthiens, MB, p. 38 ; David Garland, 2 Corinthians, NAC, p. 25-27. »
  2. C’est ainsi que les versions NBS, S21, BFC, Semeur, etc., traduisent l’expression « les apôtres par excellence » de la NEG (11.5).
  3. John Stott, La croix de Jésus-Christ , EBV, 1988, p. 127-155.
Prohin Joël
Joël Prohin est marié et père de deux filles. Il travaille dans la finance en région parisienne, tout en s'impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église locale, par internet, dans des conférences ou à travers des revues chrétiennes.