Accompagner les personnes en deuil
L’espérance chrétienne face à la mort ne supprime pas la douleur de la perte de nos proches. Comment mettre en pratique l’exhortation de Paul : « Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles » (1 Thes 4.18) ? En reliant l’analyse du parcours du deuil avec les vérités bibliques, cherchons comment devenir un interlocuteur à l’écoute des besoins des personnes endeuillées que nous rencontrons.
Cette étude relève donc de la théologie pratique plus que de la dogmatique.
L’accompagnement des personnes endeuillées fait partie de notre mission en tant que chrétiens ; et pourtant nous nous trouvons souvent démunis.
Les conséquences du deuil pour les chrétiens sont nombreuses. La foi n’empêche pas leur impact ; parfois même, la souffrance du deuil vient questionner la foi de nos frères et sœurs. Il nous faut donc nous armer pour pouvoir leur offrir un soutien fort et indéfectible !
1. La mort, un choc ! Et un questionnement…
Quand le souffle disparaît d’un corps pour ne laisser que de l’inerte, un temps de sidération est inévitable. Choc de l’irruption d’un changement définitif et total : la personne était vivante il y a quelques minutes et, d’un coup, elle n’est plus là, elle ne reviendra pas.
La Bible nous parle de ce choc de la mort qui surgit dans le monde créé par Dieu. En Romains 5.12, la mort est présentée comme la conséquence de la rupture avec Dieu. La réalité de la mort a impacté toutes les cultures. À travers l’Histoire et les continents, les rites funéraires ont pour objectif de créer un pont entre les vivants et les morts. Ils correspondent à un devoir à rendre à la personne décédée, en respectant ses dernières volontés et en facilitant son passage vers un au-delà ; les rites expriment aussi le besoin social d’entourer les proches.
Face à la mort d’un proche, chacun se questionne sur sa propre mort, inéluctable. À la douleur de perdre un être aimé, se mêle la conscience ravivée de sa propre finitude qui peut engendrer peur, tristesse, révolte…
Là aussi, on pourrait directement affirmer notre vie éternelle en Christ.
Mais n’oublions pas qu’avant notre résurrection, il y a aussi le passage par la mort, avec tout le dépouillement que cela suppose. L’enjeu est de pouvoir assimiler le fait inéluctable de devoir un jour traverser la mort, en donnant du sens à notre vie, du fait même de sa brièveté.
2. Le deuil, une épreuve de vie
Le deuil est un état douloureux provoqué par la perte d’un être humain. Le lien qui me mettait en relation avec l’autre est coupé.
Mais le deuil est aussi un parcours : le processus psychique par lequel une personne parvient progressivement à se détacher d’un être cher qui est mort.
Le deuil est un processus de guérison qui se fait dans la durée, naturellement. Chaque deuil est unique.
Néanmoins, on relève un certain nombre de constantes entre les histoires des uns et des autres.
Conséquences du deuil
• Psychologiques : ce sont les plus évidentes. 39 % des endeuillés disent avoir eu des effets psychologiques (allant dans 12 % des cas jusqu’aux pensées suicidaires) ;
• physiques : le corps parle et exprime la douleur par des symptômes très variés ;
• familiales et relationnelles : l’endeuillé doit recomposer son paysage relationnel pour faire face au manque ;
• professionnelles : plus d’un actif sur deux a eu besoin d’un arrêt de travail pour encaisser le choc d’un deuil ;
• financières : diminution des ressources ou questions autour de l’héritage (jalousies, conflits au sein des fratries) ;
• spirituelles : selon une enquête, 30 % des personnes ont connu des ébranlements de conviction spirituelle.
Pour les chrétiens aussi, il se peut que la brutalité ou l’injustice de certaines morts vienne heurter leur foi.
Si Dieu est tout-puissant, comment peut-il accepter cette mort si atroce ? Si Dieu est amour, comment peut-il vouloir nous séparer ? Si Dieu écoute ses enfants, pourquoi n’a-t-il pas répondu aux demandes de guérison ou de protection ? Ces questions ont leur place dans le deuil. Les appels au secours des Psalmistes disent assez l’importance d’oser exprimer oralement sa souffrance.
Le temps du deuil
Une des découvertes de l’enquête du CRÉDOC 1 est de montrer combien les processus de deuil sont plus longs qu’il n’y paraît. 42 % des français sont en deuil ! 24 % sont dans ce processus depuis moins d’un an, 34 % depuis 1-5 ans, 31 % depuis 5-20 ans, 12 % depuis plus de 20 ans. Dire que certains parlent d’un deuil à clore en quelques mois !
Comme dirait l’Ecclésiaste, il y a un temps pour tout.
Un temps pour rire et un temps pour pleurer (3.4). Le temps des larmes est utile pour vider son chagrin.
3. Les étapes du deuil
Elisabeth Kubler-Ross (médecin, pédiatre et psychiatre, 1926-2004) a défini des étapes du processus de deuil.
Chaque individu reste plus ou moins longtemps sur chaque étape. Dans les cas difficiles, certains endeuillés restent bloqués à une étape.
• Le choc et le déni : juste après le décès, la personne est coupée de la réalité par une sidération qui met à distance le stress. Même si le cerveau intellectuel a intégré le décès, l’information n’a pas encore atteint les niveaux plus intérieurs. Les émotions sont alors comme anesthésiées. Le déni s’apparente au refus de croire à la réalité.
• La colère : la colère est normale dans un processus de deuil. On est en colère contre les médecins, la famille, soi-même, la vie ou Dieu. Il y a aussi des colères contre le défunt : il nous a abandonnés, il n’a pas rempli son contrat relationnel.
• La négociation ou marchandage : c’est une volonté de remonter le temps, pour changer le cours des choses. Elle naît souvent de la culpabilité ; « si seulement j’avais fait ou pas fait… » On essaie ainsi d’échapper à son propre sentiment d’impuissance.
• La dépression ou tristesse : l’endeuillé ressent un grand vide intérieur. Il se replie sur lui et la dépression vient engourdir le système nerveux. La tristesse est légitime.
• L’acceptation : quand la vie reprend le dessus, une lente remontée a lieu ; l’endeuillé redéfinit son identité, sa relation aux autres, ses objectifs de vie… Celle-ci entraînera une période de reprise de la vie par petites touches. Puis on reprend progressivement la capacité à décider et choisir (Cf. David en 2 Sam 12.20,24).
Il y a dans la courbe des étapes du deuil un mouvement descendant puis un mouvement remontant. La phase la plus basse, au milieu, est celle de la tristesse ; elle peut surprendre l’entourage à un moment où l’on pense que, le deuil ayant déjà commencé depuis un certain temps, il serait possible de déjà remonter.
Or, le découragement et le vide se font souvent plus fortement ressentir au bout de quelques mois.
Concluons cette présentation des étapes du deuil en précisant que ce parcours mène à la vie : en sortant du deuil, on s’aperçoit que l’on peut non seulement survivre mais savourer la vie !
4. Accompagner le deuil
L’endeuillé peut croire que personne ne peut vraiment comprendre sa douleur. Accompagner le deuil, c’est rejoindre la personne pour briser le cercle de sa solitude, par sa présence. La consolation se nourrit de l’affection.
Écouter
Un des aspects de l’écoute est de reconnaître la légitimité du deuil et de toutes les émotions qui y sont liées. Cela demande une sensibilité pour faire preuve d’empathie, alliée à une solidité intérieure. Écouter est l’attitude première et essentielle.
L’écoute se fait d’abord autour de trois espaces de questionnements à développer :
• Qui ? Parlez-moi de lui… Il s’agit de faire parler du défunt. En faisant le récit de sa vie, de son caractère, avec quelques anecdotes, pour quelques minutes, on le fait revivre, on honore sa mémoire.
• Quoi ? Que s’est-il passé ? Qu’avez- vous vécu au moment du décès ? Les endeuillés ont besoin de raconter. C’est une façon de sortir du traumatisme et aussi d’accepter ce réel.
• Où en êtes-vous ? Après avoir parlé de celui qui est mort, il est bon de donner à la personne en deuil toute notre attention. Cela lui permet aussi de se recentrer et de reprendre contact avec la vie.
Le silence peut aussi avoir sa place : il ne s’agit pas là de remplir l’espace ou d’avoir le dernier mot. Voir pleurer quelqu’un peut mettre mal à l’aise. Mais permettre à la personne de pleurer, c’est lui offrir une épaule sur laquelle s’épancher pendant quelques minutes ; c’est prendre soin d’elle.
Soutenir
L’endeuillé est celui qui fait le parcours du travail de deuil. Il n’y a pas lieu de le faire à sa place. Cependant, l’accompagnement consiste à le soutenir. Ce soutien n’est à envisager d’une façon ni autoritaire (ne rien faire sans son accord), ni paternaliste (« vous devriez … »), ni lénifiante (« ça va passer »). Il s’agit plutôt de, pas à pas, nommer les avancées, chercher ensemble les appuis. En tant que chrétiens évangéliques, nous pouvons offrir une « constance sereine » : l’endeuillé peut exprimer sa douleur de façon paradoxale en alternant hyperactivité et abattement. Accepter ces variations avec calme fait partie de la mission de l’accompagnant. Soutenir, c’est aussi prier : assurer la personne de ma prière lui donne un appui affectif et spirituel. L’aider à retrouver elle-même le chemin de la prière est un soutien utile.
Parfois, le soutien le plus utile sera une aide matérielle (rangements) ou administrative (formalités). Le soutien sera particulièrement fort au moment des dates importantes : Noël, l’anniversaire du défunt et le premier anniversaire de sa mort. Le maître mot : accompagner la personne à son rythme et selon ses besoins !
Témoigner
C’est une tâche spécifique du chrétien : être témoin de l’Évangile, la bonne nouvelle du Salut. L’annonce de l’amour de Dieu est un des piliers de notre témoignage.
L’injonction de Paul que nous citions pour commencer : « Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles » (1 Thes 4.18) vient souligner le fait que les promesses de Jésus concernant la vie après la mort changent radicalement la perspective de la mort. Pour un chrétien, la certitude de la sérénité dans laquelle reposent nos bien-aimés disparus apaise la souffrance du deuil 2 Quand cette certitude est absente, l’apaisement demande une difficile prise de recul :Cf. John Piper, How do I find peace when unsaved loved ones die?The Gospel Coalition [NDLR] .
Pour conclure
Le prophète Ésaïe proclamait : « Consolez, consolez mon peuple ! » (40.1). Cet ordre prophétique est-il encore d’actualité ? Il semble bien si on écoute l’apôtre Paul : « Il nous console dans toutes nos détresses, pour nous rendre capables de consoler tous ceux qui sont en détresse, par la consolation que nous recevons nous-mêmes de Dieu » (2 Cor 1.3,4 ; trad TOB). Le mot grec est paraklesis pour consolation et parakaleo pour le verbe consoler. La racine « para-kaleo » revient 9 fois en 6 versets. Elle se traduit littéralement par « appeler auprès de… ». La consolation est bien une présence aux côtés de celui qui souffre.
Sachant que le parakletos est aussi le mot désignant le Saint-Esprit (Jean 15.26), on fera le rapprochement entre consolation et action du Saint- Esprit. La consolation est au cœur de la mission de Dieu envers chaque être humain et il veut nous employer à cela !
En conclusion, la consolation s’appuie sur la conscience de la douleur de l’autre, et la force d’une conviction chrétienne intérieure. La consolation se joue dans la vérité de cette relation d’affection. La consolation oblige donc son auteur à tenir ensemble la douleur de l’autre (sans l’occulter) et la force intérieure de sa propre foi.
Passer des larmes au sourire, sera ensuite son chemin de deuil, sur lequel nous l’accompagnerons, pas à pas, dans la confiance en Celui qui est la Vie.
Version condensée par la Rédaction de Promesses de : Nicole Deheuvels, « Accompagner le deuil », l’IBphile, n°194, avril 2022
https://www.ibnogent.org/ibphile-de-linstitut-biblique/