Autorité et soumission, une nécessaire vigilance
« Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu. » (Rom 13.1) « Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu. » (Rom 13.1)
« À cause du Seigneur, soumettez-vous à toutes les institutions établies parmi les hommes. » (1 Pi 2.13)
Dans la bouche de Paul et de Pierre, ces deux impératifs appellent la soumission à toutes les autorités, sans condition ni interprétation possible du texte.
Dans les temps troublés que traversent nos sociétés, un individualisme exacerbé se développe et refuse, parfois ouvertement, toute autorité contraignante. Alors la perte des repères traditionnels, la violence des relations et le sentiment d’insécurité peuvent conduire à souhaiter un pouvoir, voire un homme, fort, capable de faire respecter la loi et l’ordre. La tradition légitimiste des chrétiens et le soutien de l’Église historique aux pouvoirs en place peuvent nous amener à manquer de discernement en donnant un caractère absolu et sans nuance à ces textes. Plusieurs raisons liées notamment à l’approche biblique du sujet de l’autorité invitent toutefois à la vigilance et à l’équilibre dans les choix éthiques liés à la soumission.
Afin d’éclairer la proposition d’une approche vigilante et peut-être moins inconditionnelle de la soumission, nous nous livrerons à un parcours très sommaire dans l’histoire de la royauté en Israël. Nous chercherons ensuite, dans la vie et les paroles de Jésus, quelques leçons sur l’autorité. L’exercice de celle-ci n’étant ni arbitraire ni absolu, nous essaierons d’en dégager le cadre biblique.
Un rapide parcours biblique
• L’origine
L’autorité souveraine et absolue est toujours la prérogative de Dieu et de lui seul (Job 33.12,13 ; Act 1.7 ; 1 Tim.6.15 ). L’homme n’a de liberté d’agir ou d’exercer une autorité sur d’autres que dans le cadre d’une délégation et dans la dépendance de Dieu (Gen 1.26, 28 ; 2.15-17 ; Jean 19.10,11). Le refus de la créature de dépendre de Dieu son créateur provoque en l’humain un esprit de convoitise et de toute-puissance, une volonté de domination de l’autre jamais satisfaite (Gen 3.16 ; 4.23) et la tentation d’usurper arbitrairement une autorité vite transformée en pouvoir autoritaire.
• La faillite de la royauté en Israël
La royauté en Israël est une initiative du peuple qui ne correspond pas au plan de Dieu. Le peuple manifeste le rejet de l’autorité divine et la volonté de se conformer aux nations voisines, même au risque d’y perdre sa liberté. Dieu accepte mais avertit le peuple et prévoit des contre-pouvoirs (la loi et le prophète) : le roi n’est pas au-dessus de la loi (dix commandements, Torah) et la présence des prophètes et des sacrificateurs évoque déjà une séparation des pouvoirs (Lire Deut 17.8-20 ; 28.36 et 1 Sam 8).
Le livre des Juges donne une illustration saisissante avec la demande des hommes d’Israël à Gédéon : « Domine sur nous […] et Gédéon leur dit : Je ne dominerai point sur vous […] l’Éternel dominera sur vous » (8.22,23). Malgré la prophétie de Jotham et la belle parabole des arbres et de l’épine, le peuple qui oublie son Dieu (8.34) n’hésite pas à confier son avenir à Abimélec, usurpateur sanguinaire. Le premier roi en Israël, autoritaire et violent, termine son règne dans les massacres de la première guerre civile.
Le long règne de Salomon, si bien commencé, se termine mal. Son fils Roboam ne comprend pas l’appel du peuple et le conseil des vieillards : 1 Rois 12 : « ton père a exercé une dure domination sur nous […] toi allège le dur service […] deviens serviteur de ce peuple ». Il n’écoute pas son peuple et préfère imposer une royauté plus autoritaire que son père. Ce sera l’origine de la division du peuple.
À la fin de l’histoire de la royauté en Juda, les prophètes Jérémie (22 et 23) et Ézéchiel (34) avertissent les souverains et les invitent à régner en justice, comme des serviteurs et des bergers de leur peuple.
Jésus et l’autorité, la vraie nature de l’autorité
La vie et la condamnation du Seigneur Jésus illustrent remarquablement la question de l’autorité
• La vie de Jésus met en évidence les deux points d’appui d’une vraie autorité
– Une légitimité conférée par la loi ou une autorité supérieure : Jésus est reconnu par Dieu lui-même publiquement : « Celui-ci est mon Fils bien aimé, en qui j’ai trouvé mon plaisir : Écoutez-le » (Mat 3.17 ; 17.5). Il montre sa puissance sur les esprits (Luc 4.36) et sur les éléments (Mat 8.27),
– Une qualité morale qui donne sa crédibilité à l’autorité : Jésus n’a jamais revendiqué l’autorité ou le pouvoir pour lui-même ni agi de manière autoritaire. L’autorité de Jésus repose sur une qualité morale irréprochable et une cohérence sans faille entre ses actes et sa parole ; elle se révèle dans le service, l’enseignement (Act 1.1 ; Mat 7.29) ; les paroles (Luc 4.32) ; l’attention et le respect des plus petits Elle s’impose sans autoritarisme comme une évidence (cf. appel des disciples Mat 9.9). Jésus montre ainsi que l’autorité véritable n’a besoin ni d’attitude de persuasion, ni d’une position hiérarchique, ni de manipulation, ni de menace ou de recours à la force pour être reconnue et respectée.
• Jésus et les autorités de son temps
Les responsables religieux et civils de son temps se sont constamment confrontés à Jésus. Un homme dont l’autorité vraie et désintéressée mettait en évidence les dérives de l’autorité devenue un pouvoir au service de ceux qui le détiennent (Mat 23).
Très tôt les « autorités » religieuses ont cherché à se débarrasser de lui, n’hésitant pas pour cela à se compromettre avec des autorités civiles et militaires honnies, pour faire aboutir leur projet. Les unes et les autres se montrent alors capables d’agir au mépris de toute justice.
Devant les prétentions et l’opposition des autorités, religieuses en particulier, Jésus fait preuve de dignité, de courage et d’une résistance à tout ce qui entrave son ministère. Contrairement à ce qui a trop souvent été le cas de l’Église professante et des institutions religieuses, Jésus se place du côté des humbles et non du pouvoir en place et des puissants.
Les paroles et l’exemple du Seigneur nous invitent alors à une réflexion sur l’exercice de l’autorité et sur les conditions et limites de la soumission.
Autorité et soumission dans les différents types de relations
Dans chaque type de relation, l’invitation claire à la soumission est toujours accompagnée d’avertissements qui limitent l’exercice de l’autorité pour prévenir les dérives autoritaires et leur cortège d’injustices, d’abus et de maltraitance :
• Dans le couple, la domination de l’homme sur la femme est le résultat du péché (Gen 3.16). L’homme et la femme sont chacun au service de l’autre dans un respect libre et réciproque (1 Cor 7.3-4) ; l’invitation faite aux femmes de se soumettre à leur mari est très soigneusement encadrée par le rappel de la soumission réciproque de chacun des conjoints et l’invitation insistante à un amour sans faille à l’image du Christ pour l’Église (Éph 5.21-33).
• Dans la famille, l’autorité du père est pleinement reconnue ; elle est indispensable au développement harmonieux de la personnalité de l’enfant et à son éducation dans le Seigneur. La Bible lui fixe des limites avec l’invitation à la douceur (1 Tim 3.3), à ne pas décourager, provoquer ou exaspérer la fragilité de l’enfant (Éph 6.4 et Col 3.21).
• Dans l’Église, le Seigneur Jésus, chef de l’Église, appelle des pasteurs / bergers, des anciens / surveillants ; il leur confère une autorité pour prendre soin de son troupeau et le protéger des doctrines erronées ou perverses (Act 20.28-31), de désordres moraux, des querelles vaines, des verbeux et des cupides (Tite 1.10,11) et de ceux qui veulent être les premiers (3 Jean 9). Les textes sont nombreux pour montrer l’importance de ce service et inviter les fidèles à la reconnaissance et à la soumission aux anciens (1 Tim 3-5 ; Tite). En même temps, les responsables sont mis en garde contre tout autoritarisme : l’édification est le seul but de l’autorité dans l’Église (2 Cor 10.8 ; 13.10) ; la délicatesse et la douceur caractérisent les responsables (1 Tim 5.1-3) ; ils ont des comptes à rendre (Héb 13.17) et ne doivent pas être dominants (1 Pi 5.3). L’exercice collégial des responsabilités devrait éviter le pouvoir personnel abusif.
• Dans les relations professionnelles, les conditions de chaque époque ne permettent pas d’appliquer sans contextualisation aux employés d’aujourd’hui les exhortations adressées aux esclaves de l’antiquité gréco-romaine. Il est toutefois possible de retenir trois points significatifs :
-l’encouragement à la soumission et au respect du maitre,
-l’invitation à assurer tout service ou activité comme serviteur du Seigneur, dans la liberté intérieure d’un cœur dont Dieu demeure le motif premier,
-la réciprocité demandée aux employeurs avec l’interdiction de toute menace et injustice dans leur management (lire Éph 6.5-9 ; Col 3.22-4.1 ; Jac 5.4)
• Dans les institutions civiles, tout en commandant la soumission à toutes les institutions établies, l’apôtre Pierre invite les croyants à se comporter en hommes libres. La liberté est ici mise en avant comme premier caractère des serviteurs de Dieu et non comme prétexte à un laxisme immoral (1 Pi 2.13-17). Cette attitude est le fruit d’un engagement devant Dieu dans la dignité de la personne et non dans la peur d’une autorité contraignante dont il est à craindre qu’elle ne devienne de plus en plus liberticide.
Autorité et soumission se vivent dans un cadre donné par Dieu
Les observations qui précèdent permettent de dégager quelques points de cadrage bibliques pour l’exercice de l’autorité :
• Dieu est souverain, unique source de l’autorité et objet premier et dernier de toute soumission. L’attitude du croyant est toujours devant Dieu d’abord (Deut 6.4,5 ; Act 4.18-20) et à l’écoute de sa volonté.
• L’autorité n’est pas arbitraire mais soumise à un cadre légal : Dans l’Israël de l’Ancien Testament, la loi s’impose au roi comme à ses sujets (Deut 17.18-20). Aujourd’hui encore, de façon plus ou moins réussie, les États non tyranniques se présentent comme des États de droit.
• L’autorité est toujours au service de l’être humain pour son bien (Rom 13.4). Elle protège le plus faible de la loi du plus fort et permet le « vivre ensemble ». Elle n’est jamais au service d’une institution. Elle n’est pas une fin en soi, mais offre un cadre protecteur qui permet la croissance et vise à établir chacun dans sa liberté jusqu’à la maturité. Ainsi l’enfant mineur est soumis à l’autorité de ses parents ou d’un tuteur jusqu’à sa majorité (Gal 4.2).
• L’autorité et la justice sont indispensables à la vie collective (Ecc 8.11). Mais l’histoire biblique et l’histoire profane alertent continuellement sur le danger de dérive autoritaire vers le népotisme et le pouvoir personnel corrompu. L’utilisation de la force marque alors plutôt l’échec de l’éducation et de la transmission.
• Les paroles et l’exemple du Seigneur Jésus donnent l’antidote à cette tentation de la toute-puissance en montrant la vraie nature de l’autorité selon Dieu : que celui qui commande soit comme celui qui sert (Luc 22.26).
Le croyant et l’autorité, l’invitation à la soumission n’exclut pas la vigilance
• Le croyant est encouragé à ne pas se conformer à la pensée dominante formatée par des « influenceurs » et des média omniprésents, puis souvent traduite dans le Droit. Son intelligence est renouvelée en permanence pour discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. Le paragraphe introductif des chapitres 12 à 16 de la lettre aux Romains montre les caractères de la vie nouvelle dans l’Évangile et la puissance de l’Esprit. La soumission aux autorités (13.1-7) ne peut donc être inconditionnelle mais doit se vivre dans la vigilance et l’éclairage de ces textes.
• Le Seigneur Jésus enseigne aux disciples, d’une part la primauté de la liberté de conscience devant Dieu (n’appelez personne votre père, un seul est votre chef, c’est le Christ) et d’autre part la vraie nature de toute autorité qui renonce à toute domination pour le service de l’autre dans l’humilité (Mat 23.8-12). Comme toujours il est important de ne pas esquiver la radicalité des paroles du Seigneur.
• Après la guérison de l’homme boiteux et la progression fulgurante de l’Évangile, les autorités religieuses interdisent aux disciples de parler ou d’enseigner au nom de Jésus. La réponse de Pierre et Jean établit d’abord un principe général : « Est-il juste, devant Dieu, de vous écouter, vous, plutôt que Dieu » avant de le décliner pour la situation du moment (Act 4.18-20). Tous nos choix, notre éthique de vie (pas seulement la liberté d’annoncer l’Évangile) sont donc devant Dieu éclairés par sa Parole, avant toute soumission aux autorités.
• « Rendez à l’empereur ce qui est à l’empereur et à Dieu ce qui est à Dieu. » La réponse de Jésus au piège des religieux concerne le paiement de l’impôt (Marc 12.17). Il n’est pas du tout anodin que la première application que Paul tire du commandement de se soumettre aux autorités concerne le consentement à l’impôt et à son paiement (Rom 13.6,7). En particulier à une époque où évasion et fraude fiscales mettent en péril le budget des États, en appelons-nous à l’autorité seulement pour lutter contre les incivilités et l’insécurité ? La réponse de Jésus invite certainement d’abord à rendre à Dieu tout ce qui est à Dieu, manifestant là encore la primauté de la soumission à Dieu avant les autorités dans tous les aspects de la vie.
L’une des dernières paroles du Seigneur aux disciples nous servira de conclusion. Juste après le partage du repas et avant son arrestation, alors que déjà s’élevait entre eux le poison de la rivalité et de l’ambition : « Les rois des nations les dominent et ceux qui exercent le pouvoir se font appeler bienfaiteurs. Que cela ne soit pas votre cas […] que celui qui commande soit comme celui qui sert ? MOI, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Luc 22.24-30 – Colombe).