BIBLE ET LIBERALISME THEOLOGIQUE
Après avoir présenté «La Bible et ses versions» (No 101/1992) nous résumons dans les lignes qui suivent la question du libéralisme théologique, souvent appelé la haute critique. Celle-ci essaie de remonter aux sources et aux origines de la Bible et de ses livres.
Manifestation à Lausanne
En 1992, la Ligue pour la lecture de la Bible a fêté son 125e anniversaire. Voulant marquer cet événement, la Ligue suisse a conçu le projet de présenter en Suisse le modèle grandeur nature du Tabernacle de Moïse, créé il y a quelque temps en Allemagne par le Bibel-Center de Breckerfeld. Ce modèle, dressé dans le quartier général de la Ligue à Vennes-Lausanne, a été enrichi d’une excellente exposition sur la Bible, ainsi que de montages audio-visuels du CEP A. Pour compléter l’ensemble, des ateliers de fabrication (poterie, cuivre, tissage, etc.) ont été créés, ainsi qu’un «chemin dans le désert» où l’on voit de l’eau couler d’une roche, le tout parsemé de versets bibliques appropriés, peints sur pierre. Il y a même, en cage, quelques cailles, et, dans un enclos, un chameau – un vrai, à deux bosses !
La manifestation se préparait bien et le grand public commençait à recevoir la «pub» à ce sujet. C’est à ce moment-là que des protestations protestantes s’élevèrent alors que les rabbins se montraient plutôt favorables! Des articles apparurent, dénigrant l’action de la Ligue. Le journal «le Protestant» publia un article: «La vérité du Tabernacle» (1); le magazine de la Société Biblique ne parla que de la «Spiritualité du Tabernacle» en refusant son historicité (2)!
Libéralisme théologique
L’argument avancé par les auteurs de ces articles est tout simplement celui du libéralisme théologique: les textes concernant le Tabernacle dans les livres de l’Exode, du Lévitique et des Nombres, ne seraient ni de la plume de Moïse, ni de son époque. Tous les textes seraient plutôt une fiction pieuse, écrite au temps de l’exil babylonien, voire après, et attribué et (faussement) à Moïse.
Les écrivains de ces textes bibliques (intéressants mais frauduleux) seraient, selon cette thèse, de la classe sacerdotale – ce qu’on appelle techniquement la source P. Nécessairement, bien d’autres textes de la Bible auraient d’autres «sources», que les auteurs traditionnellement reconnus (on parle des sources J, E, D, H) (3). Les auteurs véritables, tel Moïse, ont été tout simplement… «licenciés». Ainsi, Moïse ne serait nullement l’auteur du Pentateuque; les Psaumes seraient plutôt le livre des cantiques du 2e temple, (très peu proviendraient de David); la prophétie d’Esaïe aurait au moins trois auteurs. Michée et Zacharie seraient «cousus» pareillement et des fragments de leur oeuvre sont attribués à d’autres écrivains. Les livres de Ruth et de Jonas ne seraient que des histoires pour apprendre à Israël à ne pas se montrer sectaire. Le livre de Daniel ne serait pas de l’époque de son héros, il viendrait du temps des Macchabées, environ 165 avant J.-C. Voilà quelques thèses de la haute critique, dite libérale.
Si nos lecteurs désirent de plus amples informations à ce sujet, qu’ils se renseignent en étudiant les introductions aux livres bibliques présentées dans certaines versions: TOR, Jérusalem, et autres. Même les annotations dans la version en «Français courant» ne sont pas complètement libres de ce modernisme. Que le public évangélique en soit averti!
Origine de ces thèses
La théologie libérale est un enfant du rationalisme des encyclopédistes français du 18e siècle, le siècle dit des Lumières. Ces philosophes, déistes pour la plupart, avaient rejeté la notion d’un Dieu personnel qui se révèle aux hommes. Tout phénomène naturel s’explique, croyaient-ils, et «l’hypothèse» d’un Dieu qui intervient dans l’histoire humaine n’est pas nécessaire. Le fruit de leurs labeurs se trouve dans les 35 volumes de leur Encyclopédie, travail d’érudition remarquable, mais devenu aussi une tribune pour attaquer la religion en général.
Cet esprit de recherche et d’explication du 18e siècle est allé trouver «gîte et couvert» de l’autre côté du Rhin chez les théologiens allemands protestants du 19e siècle, eux-mêmes déjà influencés par l’Aufklärung (4). Selon eux, le judaïsme et le christianisme ne seraient pas des religions divinement révélées; les miracles, interventions de Dieu, n’auraient jamais eu lieu; les prophéties bibliques ne pouvaient pas avoir été prononcées des siècles avant l’accomplissement des événements prédits! Tout cela, au nom du rationalisme.
Deux livres, «Principes de géologie» (5), et «De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle» (6), parus vers le milieu de ce même siècle, ont apporté beaucoup d’eau à ce moulin libéral. La thèse évolutionniste de la planète Terre et de la vie animale, lancée par les auteurs de ces livres, a été appliquée à la religion, qui aurait tout simplement évolué de l’animisme, en passant par le démonisme, le polythéisme, la monolâtrie, jusqu’au monothéisme de l’Ancien Testament, puis à celui du Nouveau Testament.
A partir d’une telle hypothèse, F.C. Baur (1762-1860), J. Wellhausen, (1844-1918) et bien d’autres ont commencé à redater les textes bibliques. Les textes trop «évolués», selon l’échelle évolutionniste établie, ont été remis «à leur place chronologique». Force était alors d’inventer de nouveaux auteurs, d’où les «sources»: J,E,D,P, etc. Toute cette théorie semblait être confirmée, pour le Tabernacle, par le fait que nous ne trouvons que peu de références à celui-ci et au culte mosaïque dans les livres historiques qui suivent le Pentateuque: Josué, Juges et 1 Samuel.
Comment réfuter?
Ce que les libéraux ont oublié en cherchant confirmation dans les récits historiques rédigés après les cinq livres de la Loi de Moïse, est tout simplement l’infidélité des Israélites. Le syncrétisme qu’ils ont pratiqué pendant la période des Juges les avait éloignés du culte mosaïque. On ne retrouve le Tabernacle qu’au début du livre de 1 Samuel et bien vite il disparaît de nouveau de la page biblique. Les péchés d’Hophni et de Phinées, fils du souverain sacrificateur et juge Eli, avec la prise de l’arche par les Philistins, ont pour ainsi dire forcé l’Eternel à abandonner Silo (7).
Nous devons aussi comprendre que toutes les lois et les règles sur les sacrifices données à Moïse par Dieu, n’ont pas pu être mises en pratique et appliquées à la lettre, même pendant la marche dans le désert (8). D’ailleurs, c’est bien évident que beaucoup d’entre elles avaient été écrites dans la perspective de l’entrée dans le pays promis, (voir Nom 15.2). Cependant, qu’elles aient été données à Israël par Moïse et que le Tabernacle ait été dressé au pied du Sinaï, voilà ce que nous acceptons comme historique.
L’apport de l’archéologie
Nous pouvons encore évoquer certaines découvertes archéologiques qui viennent contrecarrer la pensée libérale qu’un tel culte fut impossible à l’époque de Moïse.
Si d’autres peuples, tels les Egyptiens, transportaient des tentes démontables et des coffrets religieux par des barres passées dans les anneaux fixés au coffret, pourquoi les Israélites vivant plus ou moins à la même époque, en auraient-ils été incapables? Si les Cananéens de Ras Shamra (Ougarit) au 14e siècle pratiquaient un culte avec un sacrificateur en chef, offrant des holocaustes et des sacrifices pour le péché, pourquoi refuser cette possibilité au peuple d’Israël qui vivait à la même période? (9) Non pas que Moïse ait «copié» sur les autres peuples: il a été, comme la Bible le précise, «divinement averti», Dieu lui ayant montré le modèle sur la montagne (voir Héb 8.5; Act 7.44; Ex 25.9, 40; etc.).
L’archéologie aidant, un examen plus approfondi des thèses libérales révèle les incompatibi1ités qui jaillissent partout dans leurs propos.
Libéralisme: une échelle de valeurs changeante
L’un des grands problèmes que présente le libéralisme est que ses théories évoluent continuellement. Par exemple, les introductions des premières éditions de la TOB (voir ci-dessus) ont déjà dû être modifiées dans une édition plus récente.
Pour ce qui concerne le Tabernacle, même un commentaire moderniste, tel que Peake (édition de 1967), est contraint d’avouer que le récit de la construction du Tabernacle dans le désert «ne peut plus être regardé comme une fiction de la source P. D’ailleurs, est-il ajouté, il est de plus en plus reconnu que beaucoup d’éléments de P ont pour base d’anciennes traditions historiques sérieuses». Tout en maintenant l’hypothèse des sources pour le Pentateuque, les éditeurs du commentaire Peake ont dû, au moins en partie, reconnaître le bien-fondé des indications historiques évoquées dans ces livres.
Malheureusement, force est de constater que les sources du libéralisme théologique jaillissent de coeurs incrédules. La question du serpent dans le jardin d’Eden résonne encore dans les oreilles: «Dieu a-t-il réellement dit?»
Conclusion
Cependant le fait de «croire en Jésus comme Sauveur personnel» (vérité fondamentale, essentielle, et ô combien précieuse), ne nous protège pas nécessairement des doutes concernant l’authenticité de la parole de Dieu. Bien plus, nous qui aimons la Parole avons besoin d’examiner toutes choses afin de retenir ce qui est bon (1 Thess 5.21). Les promoteurs des thèses modernistes sont, et ont été, très souvent des exégètes d’une rare intelligence et d’une grande érudition. Nous ne mettons pas en doute leur culture biblique et générale. D’ailleurs tous leurs travaux n’ont pas été vains (10). Mais leurs conclusions qui relèvent d’abord d’idées «a priori» (11), puis de la philosophie et d’un certain type d’exégèse (12), les ont amenés à emprunter des déviations tortueuses plutôt que de rester sur, les routes nationales spirituelles et bien tracées de la Bible. Sur ces bases, le diable ne pouvait que rapidement entamer leur confiance personnelle dans la Parole écrite (la Bible), et dans la Parole vivante (le Christ).
L’influence de tout ce mouvement libéral et moderniste a été néfaste. Il a engendré, et engendre encore, un protestantisme souvent sans foi et sans convictions bibliques (13). Ce qui est encore plus malheureux, c’est que les théologiens catholiques, qui avaient cependant combattu ce modernisme, même par des encycliques papales (14), ont été eux aussi entraînés dans ce sillage d’ incrédulité.
Le libéralisme théologique ne fait que museler la Bible, tandis que la proclamation de tout le conseil de Dieu, l’Evangile de la vérité biblique, est le sine qua non de l’accession au salut. Seule la voix de Dieu peut donner la vie à nos contemporains, car… Toi seul, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle.
«Toutes les chances des Eglises résident dans la Bible, si elles réussissent à la laisser parler dans lemonde actuel» Karl Jaspers, philosophe (1883-1969).
NOTES:
1 Le Protestant, No 4, avril 1992. P 5. «La vérité sur le Tabernacle». Samuel Amsler.2 Société Biblique Suisse. Bible Actualité 1/1992 (plusieurs articles).
3 L ‘hypothèse de plusieurs auteurs pour le Pentateuque a une longue histoire. Jean Astruc, 1684-1766, en est le premier promoteur officiel. Elle a été élaborée sur le postulat qui affirme que les auteurs proposés dans les livres bibliques ne sont pas nécessairement les vrais auteurs. Les textes bibliques sont donc attribués à des «sources», selon leur contenu, leur vocabulaire, leurs figures de rhétorique, sujets préférés, etc. L’hypothèse ne reconnaît pas l’unité de la structure des livres et des parties des livres. C’est cette structure qui milite contre de tels découpages.
4 Die Aufklärung: mouvement de recherche rationaliste allemand, dû principalement aux travaux de Christian Wolff ( 1679-1754), et de H.S. Remarius (1694-1768).
5 Les «Principes de géologie» de Charles Lyell préconisent «l’étude des phénomènes en action», (Larousse). Lyell prône «L’évolution lente de la formation des couches géologiques» et s’élève contre le catastrophisme. Bien des chrétiens reconnaissent la valeur de ces propositions tout en n’excluant pas le catastrophisme, telle déluge de la Genèse.
6 Charles Darwin (1809-1882), publia son livre en 1859, suite à un voyage autour de l’Amérique du Sud, pendant lequel il a pu étudier certaines formes de la vie animale sur des îles au large du continent. Ces formes de vie, isolées géographiquement de leurs espèces semblables, auraient, pour Darwin, évolué autrement que celles d’ailleurs.
7 Voir Ps 78.60; Jér 7.12, 14; 26.6,9.
8 Les sacrifices de la fleur de farine seraient difficilement réalisables au cours du voyage dans le désert puisqu’Israël, nourri de la manne, ne pratiquait que très rarement le labourage (voir Nom 20.5).
9 Les articles du Nouveau Dictionnaire Biblique ( 1992, Emmaüs) éclairent ces points. Voir: Arche, Ras-Shamra.
10 Un bon exemple du travail accompli par la haute critique serait l’antériorité de l’Evangile selon Marc, au lieu de celle de Matthieu, qui avait généralement été acceptée à travers les siècles. Un autre exemple serait la datation de l’épître aux Galates. Actuellement, grâce à la haute critique, elle est en principe reconnue comme la toute première lettre de Paul, écrite peu de temps après son premier voyage missionnaire.
11 Voir ci-dessus, dans le paragraphe: «Origine de ces thèses». 1l y a surtout trois à priori: 1. Le christianisme n’est pas une révélation divine. 2. Le miracle n’existe pas. 3. Les prophéties n’ont jamais été prononcées des siècles avant l’événement.
12 Dans l’exégèse faite par les théologiens libéraux, il y a souvent d’abord un essai d’amélioration du texte original. On soupçonne des erreurs de copistes dans le texte biblique dès qu’il présente des problèmes de compréhension. Aussi essaient-ils de le changer en proposant d’autres termes et/ou lettres. Par exemple, E. Heaton dans son commentaire sur Daniel (1967. SCM Press Ltd), déclare d’emblée que les versets 24-27 de Daniel 9 sont «extrêmement corrompus au point de vue du texte», alors que E.J. Young, dans le Nouveau Commentaire Biblique parle de «ce paragraphe remarquable», malgré des difficultés de traduction.
13 Bien évidemment ce fait n’exclut pas qu’un reste fidèle de pasteurs et d’ouailles évangéliques existe toujours au sein du protestantisme multitudiniste, agissant toujours pour la gloire de Dieu.
14 Le Syllabus de Pie IX et les encycliques de Pie X, Lamentabili et Pascendi étaient particulièrement anti-modernistes.