Série: Chronique de livre - Livres
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Ces mystérieux héros de la foi (Daniel ARNOLD)

CHRONIQUE DE LIVRES

Une approche globale du livre des Juges

Editeur: Editions Emmaüs, CH-1806 St-Légier, 377 pages, 1995

Ce livre est un commentaire évangélique du livre des Juges. L’analyse du texte est minutieuse et détaillée (43 pages d’introduction, 303 pages de commentaire), mais l’intérêt principal de l’ouvrage réside dans son originalité, qui brille dans trois applications:
– la mise en évidence de la dimension spirituelle du ministère des juges;
– la prise en compte du cadre rédactionnel du livre des Juges;
– l’approche herméneutique du commentaire.

Le ministère des juges

L’interprétation du ministère des juges forme sans doute la partie la plus intéressante et la plus surprenante du commentaire. La conviction de l’auteur est que le livre des Juges contient une série d’indices pour interpréter favorablement les actions des juges. Ainsi, ce commentaire interprète positivement toutes les actions des juges: l’assassinat d’Eglon par Ehud, la demande des signes de la toison, ainsi que l’éphod fabriqué par Gédéon, le vou de Jephté, le mariage de Samson avec une Philistine et sa visite chez une prostituée de Gaza. La seule exception concerne l’engagement de Samson avec Dalila; dans ce cas précis, l’auteur des Juges signale explicitement l’erreur de Samson. Les juges sont des hommes spirituels et consacrés à Dieu, des héros de la foi, comme l’indique l’épître aux Hébreux (Héb 11.32).

Cette interprétation positive du ministère des juges se situe donc aux antipodes de la plupart des commentaires et études sur ce livre. Cela est particulièrement manifeste pour Samson, l’un des personnages bibliques les moins bien compris de la littérature contemporaine. Samson y est décrit comme un homme charnel qui n’aurait utilisé les dons divins qu’à des fins personnelles… Cette lecture ignore différentes données importantes fournies par l’auteur des Juges: (1) l’interprétation globale positive des juges donnée dans l’introduction du livre (Jug 2); (2) l’absence de toute repentance du peuple avant l’envoi de Samson (une phase fondamentale dans le cycle rédempteur); (3) la particularité du ministère de Samson (l’ange annonce à la mère que Samson ne va que commencer à libérer Israël); (4) la quadruple référence à l’Esprit de l’Eternel qui vient sur Samson, ainsi que le sens général de ces références à l’Esprit de l’Eternel; (5) la force prodigieuse du juge pendant la plus grande partie de son ministère (toute la théologie du livre des Juges souligne le lien entre la consécration et la force, ou entre l’infidélité et la faiblesse); (6) l’incompréhension des parents qui ne croyaient pas que l’action venait de l’Eternel (Jug 14.4). L’interprétation positive de la vie de Samson n’est pas simplement une vue de l’esprit, qui aiderait à accepter la bonne évaluation qu’en fait le Nouveau Testament (Héb 11.32). Elle ressort de l’ensemble du livre des Juges.

Le cadre rédactionnel du livre des Juges

La thèse défendue dans le commentaire est que Samuel aurait écrit le livre des Juges pour mettre ses contemporains en garde contre la royauté de Saül. Si le livre présente une certaine ambiguïté (le ministère des juges peut être lu positivement ou négativement), c’est parce que l’auteur (Samuel) a voulu voiler une critique trop manifeste du règne de Saül. Le comportement des juges se situe, en effet, à l’opposé de celui de Saül. Et le seul «juge» qui ressemble au premier roi est Abimélek, l’usurpateur, qui, loin de libérer le peuple, n’a fait que l’opprimer. Le livre des Juges est une sorte de pamphlet qui, pour critiquer Saül tout en échappant à la censure, présente les vrais héros (les juges) avec une certaine ambiguïté. Le roi Saül – jaloux de son pouvoir et prêt à persécuter tout rival potentiel (comme le montre sa hargne à poursuivre David) – laissera le livre des Juges circuler librement, ne discernant pas l’idéologie anti royaliste véhiculée par l’ouvrage.

Le slogan à la fin du livre des Juges («En ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon»: Jug 21.25) est compris par la majorité des commentateurs comme un encouragement à la royauté humaine. Selon ce point de vue, l’anarchie reflétée dans les derniers chapitres des Juges (Jug 17-21) aurait été évitée si un roi avait gouverné le pays. Le régime de la monarchie serait donc présenté comme supérieur au régime décentralisé du temps des juges… Cependant, une étude du contexte de Jug 17-21 montre qu’un roi humain n’aurait rien changé. C’est le rejet de l’Eternel comme roi qui est à la base de la dérive morale et spirituelle du pays ! Le slogan répété quatre fois dans la dernière partie du livre (Jug 17.6; 18.1; 19.1; 21.25) présente donc, comme d’autres parties du livre, une certaine ambiguïté pour échapper à la censure royale.

Cette dimension «voilée» du livre des Juges rend son interprétation plus difficile. Elle explique aussi pourquoi certains textes peuvent être compris si différemment. Cependant, il ne faudrait pas conclure que le sens des récits est imprécis. L’auteur du livre des Juges est un maître pédagogue qui sait transmettre son message avec finesse. Ce commentaire s’efforce de relever les indices que l’auteur laisse à ses lecteurs pour comprendre le fond de sa pensée. Avec une telle approche, la fascination du livre des Juges n’en devient que plus grande.

La démarche herméneutique du commentaire

La troisième originalité du commentaire concerne l’approche exégétique. Un souci herméneutique majeur a été d’interpréter systématiquement chaque récit à la lumière des thèmes généraux du livre, ce qui explique le sous-titre du livre («une approche globale du livre des Juges»). Chaque juge et chaque section sont introduits par certaines remarques générales pour permettre au lecteur de saisir la spécificité de ce récit par rapport à l’ensemble. La progression du récit est soigneusement notée. En effet, pour la compréhension et l’appréciation du livre des Juges (comme pour d’autres livres bibliques), il est important de bien saisir comment chaque récit poursuit et complète le développement que l’auteur a mené jusqu’à ce point.

L’introduction générale au commentaire (pp. 13-53) est essentielle, car elle informe les lecteurs sur les éléments de base indispensables pour faire une lecture globale du livre des Juges. Le premier chapitre traite des thèmes principaux du livre. Le second se penche sur les mystères du livre: pourquoi, par exemple, présente-t-il si souvent une lecture ambiguë ? Le troisième chapitre développe sa structure et ses progressions. Le quatrième chapitre cherche à déterminer la date de rédaction.

En ce qui concerne les originalités du commentaire, il faudrait encore signaler: (1) la mise en lumière du sens symbolique de beaucoup d’actes des juges, (2) le développement détaillé de la structure en chiasme de nombreuses portions du livre, ainsi que de l’ensemble de l’ouvrage (cf. les 29 diagrammes dans le commentaire), (3) le développement des liens (parallélismes synonymiques et antithétiques) avec d’autres livres canoniques antérieurs au livre des Juges (en particulier avec la Genèse et le livre de Josué).

En raison de ses nombreuses spécificités, ce commentaire ne fait double emploi avec aucun autre commentaire sur le livre des Juges publié à ce jour. (La recherche s’est limitée aux contributions disponibles en français, anglais et allemand. La bibliographie [150 ouvrages et articles] ne contient qu’une partie des documents consultés).

De très nombreuses notices explicatives au bas de chaque page enrichissent encore l’ouvrage. C’est, à notre avis, le seul commentaire en français sur les Juges qui aborde le livre d’une telle façon. Il apporte ainsi une défense puissante à la doctrine de l’inspiration plénière, de l’infaillibilité, de l’inerrance de l’Ecriture et de son autorité absolue. Le Dieu de l’Ancien Testament est bien le même que celui du Nouveau. Il est immuable.

Daniel Arnold a mentionné, dans la bibliographie, les onze articles consacrés aux Juges parus dans PROMESSES au cours des années 1992-1994. Ce commentaire est un développement de ceuxci. Ceux qui ont apprécié ces articles, savoureront donc avec d’autant plus de plaisir cet ouvrage remarquable. Nous le recommandons chaleureusement à tous nos lecteurs. Il deviendra un classique qui gardera toujours son actualité.

Promesses

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Série : Chronique de livre
Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.