Comment discerner les doctrines les plus importantes de la Bible ?
Voici une question souvent posée au sein des églises locales ou entre chrétiens : tous les points de « doctrine » [Nous prenons ici le mot « doctrine » au sens le plus large de « point d’enseignement biblique », qui couvre, au-delà des thèmes proprement doctrinaux, les sujets d’éthique et de comportement.] de la Bible sont-ils également importants pour les chrétiens ? Et si la réponse est négative, comment, alors, déterminer quelles sont les doctrines les plus importantes ? Sur quel(s) critère(s) baser cette hiérarchisation ? Y aurait-il des principes herméneutiques pour nous guider ?
1. Tous les points de doctrine de la Bible sont-ils également importants ?
Des textes bibliques en faveur du « oui »
Un certain nombre de textes semblent conduire à penser que toute la Bible revêt une égale importance :
• La Bible affirme sa propre inspiration dans sa totalité et ses parties : « Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile… » (2 Tim 3.16).
• Jésus insiste sur l’accomplissement total de toute l’Écriture, à la lettre près : « Je vous le dis en vérité : tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé. » (Mat 5.18 ; cf. 24.35)
• Les raisonnements des auteurs bibliques s’appuient parfois sur des détails « infimes » du texte : par exemple, Paul base son argumentation concernant la réalisation en Christ de la promesse faite à Abraham sur un mot au singulier (Gal 3.16).
• Plusieurs textes insistent sur l’unité des chrétiens qui partagent « une seule foi » (Éph 4.5), ou nous exhortent à avoir « une même pensée » (Phil 2.2).
Des arguments en faveur du « oui »
D’autres arguments peuvent être avancés pour considérer toutes les doctrines au même niveau : • « Sélectionner » les doctrines importantes est difficile.
• On peut facilement craindre des dérives qui conduiraient à trier dans la Bible ce qui nous convient.
• Cela risque de remettre en cause l’inspiration plénière de la Bible.
Des textes bibliques en faveur du « non »
D’autres textes bibliques orientent vers une différenciation entre les textes :
• Jésus lui-même, dans sa controverse avec les pharisiens qui lui demandaient quel est le plus grand commandement de la loi, ne se défausse pas en répondant que tous sont également importants, mais il donne les deux premiers selon lui (Mat 22.35-40).
• Paul exhorte à accueillir les personnes d’opinions différentes sur certains points, comme les prescriptions alimentaires, sans discuter leurs opinions (Rom 14.1) — même si lui-même ne s’estime pas lié par des interdits alimentaires.
• Nous trouvons des marqueurs explicites dans les textes bibliques comme : « premièrement », « avant tout », « d’abord »…
Des arguments en faveur du « non »
• La Bible reconnaît que des péchés sont plus importants que d’autres. Par analogie, les textes qui condamnent les plus sérieux ont forcément plus de poids que ceux qui relèvent les moins graves.
• Selon Jean Calvin, « tous les articles de la doctrine de Dieu n’ont pas la même valeur. Certains sont tellement nécessaires à connaître que personne ne doit en douter. D’autres sont en débat parmi les Églises, sans rompre, cependant, leur unité. » (Institution de la religion chrétienne, IV.1.12)
• Selon Henri Blocher, « lorsque des hommes de Dieu scientifiquement compétents, et qui se veulent tout à fait dociles devant l’Écriture, se trouvent en grand nombre dans les deux camps d’une controverse, nous pouvons présumer que l’objet du débat n’appartient pas au cœur absolument vital du christianisme. » (« L’unité chrétienne selon la Bible », Théologie évangélique, 9)
Conclusion
Un « non » nuancé nous semble s’imposer. S’il est fondamental de tenir ferme à l’inspiration totale et entière de toute l’Écriture, il est nécessaire de prendre en compte la hiérarchisation présente dans les textes eux-mêmes.
2. Quels principes herméneutiques permettent de hiérarchiser les doctrines ?
Des expressions explicites
Comme indiqué, les auteurs bibliques (ou Jésus qu’ils citent) n’hésitent pas à préciser les points les plus importants à leurs yeux par des formules explicites.
Relevons quelques exemples :
• « Avant tout » : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » (1 Cor 15.3) « Jésus se mit à dire à ses disciples : Avant tout, gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie. » (Luc 12.1) « Avant tout, ayez les uns pour les autres un ardent amour. » (1 Pi 4.8)
• « Premièrement » : « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu. » (Mat 6.33) « La sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite… » (Jac 3.17)• « Plus important » : « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la fidélité. » (Mat 23.23)
• « Mieux » : « L’obéissance vaut mieux que les sacrifices. » (1 Sam 15.22) « Il vaut mieux se marier que de brûler. » (1 Cor 7.9)
• « Meilleur » : « [Christ] a obtenu un ministère d’autant supérieur qu’il est le médiateur d’une alliance plus excellente, qui a été établie sur de meilleures promesses. » (Héb 8.6)
Les fréquences
Un mot qui revient à une grande fréquence dans un livre biblique donné — et plus encore dans toute la Bible — a toutes les chances de concerner un sujet majeur pour notre foi. Par exemple, Dieu (ou l’Éternel) et Jésus (ou Christ) sont, de très loin, les mots les plus fréquents de chaque Testament ; or l’Écriture révèle avant tout qui est Dieu et qui est Jésus.
De même, une idée répétée dans plusieurs textes, plus encore sous la plume de différents auteurs, présente vraisemblablement une importance plus grande qu’un point traité par un seul verset. Par exemple, le « baptême pour les morts » (1 Cor 15.29), quel que soit le sens qu’on lui donne, n’aura jamais la même importance que le baptême chrétien que les Évangiles, les Actes et les Épîtres mentionnent à de multiples reprises. Soyons donc particulièrement prudents sur les doctrines évoquées dans un seul texte et qui sont parfois source inutile de tensions, voire de divisions (il suffirait de citer la couverture des femmes en 1 Cor 11 pour faire saisir l’acuité du sujet !).
Le fait que la mort de Jésus soit décrite quatre fois et que chaque évangéliste y consacre une part disproportionnée de sa biographie inspirée suffit à en indiquer l’importance cruciale. De même pour sa résurrection.
La reprise presque mot pour mot des « Dix commandements » au début de la loi de Sinaï (Ex 20) et en tête du développement des lois du Deutéronome (Deut 5) justifie l’intérêt accordé à ce texte.
Le placement des textes
Les auteurs bibliques, sous la conduite de l’Esprit, ont agencé leurs textes avec grand soin, en particulier en utilisant la forme hébraïque importante du chiasme [ Un chiasme est une figure littéraire qui consiste à reprendre des idées de façon concentrique : A B C D C’ B’ A’. A’ correspond à A, B’ à B, etc. En général, lorsque la symétrie est impaire, la section centrale est la plus importante (D dans cet exemple), suivie des sections A et A’.] . Un texte placé au centre d’un chiasme revêtira ainsi un poids plus important.
Par exemple, 1 Timothée peut être structuré sous forme d’un chiasme qui fait ressortir comme centre les v. 14 à 16 du ch. 3. On peut donc penser que ces versets sont au cœur du message de Paul à Timothée.
D’autres structures sont également éclairantes : entre ses salutations et le début de son développement, Paul résume le message de sa lettre aux Romains dans les v. 16 et 17 du ch. 1. Les points évoqués par ces deux courts versets sont donc fondamentaux à ses yeux.
Les résumés
Les auteurs bibliques donnent parfois des « résumés » de leur doctrine. Par exemple, Paul aborde le sujet de la résurrection en indiquant : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l’avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures… » En quelques versets, il va donner aux Corinthiens une synthèse de l’Évangile (1 Cor 15.1-11). Toute doctrine y figurant aura donc un poids majeur.
Les thèmes transversaux
Certains thèmes bibliques sont comme des trames qui courent du début à la fin de la révélation divine.
Ils ont comme particularité de ne pas être circonscrits à un livre ou un auteur particulier. Le développement de ces thèmes est cohérent avec l’orientation historico-rédemptrice de l’Écriture et ils trouvent leur résolution et leur finalité en Jésus-Christ.
En voici quelques exemples : les alliances, la gloire, l’expiation, le temple, l’amour, etc.
Le contenu même des textes
Certains textes contiennent dans leur formulation même l’accent de leur importance. C’est particulièrement le cas des versets qui avertissent que, si nous n’y obéissons pas, nous ne pourrons pas être sauvés. Citons, entre autres :
• Confesser Jésus Christ, Fils de Dieu venu comme homme (1 Jean 4.1-3)
• Croire en la résurrection personnelle corporelle de Jésus Christ (1 Cor 15.12-19)
• Croire en la suffisance de l’œuvre de Christ pour le salut (Col 2.4-21)
• Accepter le salut par la foi, sans les œuvres (Act 15.8-11 ; Gal 1.6-9)
• Pardonner aux autres (Mat 18.35)
• S’engager résolument à la suite de Jésus (Mat 10.38-39)
• Renoncer aux œuvres de la chair (Gal 5.19-21)
• Etc. !
Les prédications des apôtres dans le livre des Actes sont aussi un guide intéressant : elles nous indiquent ce qui était, à leurs yeux, essentiel à la foi — en premier lieu la résurrection de Jésus, la repentance ou l’accomplissement en Christ des prophéties de l’A.T.
Conclusion
Sur les points importants, la Bible est claire : nous disposons de plusieurs textes sur le même sujet, sous la plume de différents auteurs ; le sens du texte original n’offre pas d’ambiguïté d’interprétation ; les marqueurs littéraires convergent pour souligner leur entralité.
Sur d’autres points, la Bible semble « volontairement » moins claire. Nous serons donc plus prudents et moins affirmatifs les concernant et nous éviterons d’en faire des sujets de division.
Enfin, n’oublions pas que de nombreux chrétiens ont réfléchi à ce sujet de la hiérarchisation des doctrines au cours des siècles, ont cherché à appliquer soigneusement les meilleurs principes herméneutiques pour discerner les points fondamentaux et ont rédigé des confessions de foi. Quelque imparfaites que restent ces œuvres humaines, elles peuvent aussi nous aider à clarifier les points les plus importants de la doctrine chrétienne.