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Daniel et ses compagnons : des sages à la cour de Babylone

Placé dans le canon parmi les livres prophétiques, le livre de Daniel couvre une très large période qui débute avec le renversement de Jojakim par Nebucadnetsar en 606 av. J.-C., entraînant la première partie de la déportation de Juda à Babylone.

Riche en détails sur l’histoire des empires qui se succèdent en ce « temps des nations », le livre souligne la souveraineté de Dieu, y compris sur la scène politique nationale et internationale, alors qu’Israël, vaincu militairement, est mis de côté à cause de son infidélité.

La première partie (ch. 1 à 6) présente la manière dont un petit nombre de déportés de Juda demeurent fidèles à Dieu alors même qu’ils se trouvent à Babylone, lieu où siège le gouvernement des ennemis du peuple. Parmi ces quelques fidèles, quatre jeunes Hébreux : Hanania, Mishaël, Azaria et Daniel, membres de l’élite intellectuelle, que Nebucadnetsar et ses successeurs sur le trône cherchent à exploiter pour leurs propres desseins. Dans ces premiers chapitres, le livre de Daniel présente la situation et le caractère de ces étrangers en terre hostile.
Le fait que le livre soit placé dans le canon hébreu parmi les « Écrits » (« Ketubim ») au côté de textes sapientiaux comme l’Ecclésiaste, Job ou le livre des Proverbes nous invite d’ailleurs à porter une attention particulière à la manière dont la sagesse se traduit dans l’attitude de Daniel et de ses compagnons à la cour de Babylone. Le but de cet article est ainsi d’étudier la façon dont, face à un pouvoir autoritaire, quelques croyants demeurent fidèles à Dieu ; tout en œuvrant au bien de la cité et sans jamais manquer de respect envers les autorités, ils refusent de se compromettre, au prix de la persécution.

Un pouvoir autoritaire

Après le siège de Jérusalem et la défaite de Jojakim, Nebucadnetsar pille le temple et en transfère les ustensiles « dans la maison du trésor de son dieu » (Dan 1.2). Idolâtre, le roi de Babylone souhaite avoir une emprise spirituelle sur le peuple d’Israël soumis. Il cherche également à asseoir son pouvoir personnel en rassemblant à sa cour l’élite intellectuelle des nations conquises. Non seulement ces jeunes hommes devaient-ils être beaux, mais ils devaient posséder sagesse, connaissance et science (1.3-4). Toutefois, afin d’être rendus propres au service, les Hébreux devaient subir un processus d’acculturation et d’assimilation qui prenait trois formes : l’apprentissage des lettres et de la langue des Chaldéens (1.4), la consommation de mets et de vin provenant de la table du roi (1.5) et l’adoption de nouveaux noms (1.7). Ainsi, le pouvoir du roi s’exerçait-il sur les êtres tout entiers, corps, âmes et esprits.
En effet, en faisant apprendre les lettres et la langue de l’empire babylonien à ces jeunes, il s’agissait de modifier leur manière de penser pour leur faire adopter celle des conquérants idolâtres. De même, accepter de manger les mets du roi aurait signifié pour les Juifs se souiller en ne respectant pas les injonctions de la loi, alors que ces viandes étaient certainement sacrifiées aux idoles. Quant aux nouveaux noms que Daniel et ses compagnons reçoivent, ils altèrent l’identité des Hébreux pour leur faire porter le nom des dieux étrangers. Daniel, dont le nom signifie « Dieu est juge » ou « juge de Dieu », devient Belteshatsar, du nom du dieu babylonien Bel/Baal, et Hanania (« donné de Dieu en grâce »), Mishaël (« qui est comme Dieu ») et Azaria (« celui que Dieu aide ») sont appelés respectivement Schadrac, Méschac et Abed-Nego, également en référence à des divinités de Babylone.
Cette volonté de domination totale se retrouve au début du chapitre 3, lorsque Nebucadnetsar fait élever une statue d’or et réunit toutes les personnalités les plus importantes du royaume ainsi que les « peuples, nations, hommes de toutes langues » à l’occasion de sa dédicace (3.2-4). En faisant saluer la statue, le roi forçait ses sujets à adorer le dieu que, dans son orgueil, il s’était fait pour lui-même. À travers la statue, c’était lui-même que Nebucadnetsar désirait que les hommes adorent. De même Darius le Mède, sous l’influence de ses conseillers, se laisse déifier et être révéré (6.6-9), le culte idolâtre servant ainsi à conforter le pouvoir du tyran. Aujourd’hui encore, certains dirigeants cherchent à faire adorer leur personne et élèvent des statues à leur gloire (comme en Corée du Nord par exemple). Mais la liberté, en particulier celle de conscience, est bien souvent menacée de manière plus subtile, ce à quoi le croyant devrait être attentif.

Quelques fidèles

Face à l’oppression politique et spirituelle d’un pouvoir idolâtre qui, après les avoir privés de leur liberté, cherche à leur ôter leur identité, Daniel et ses compagnons choisissent de rester fidèles à Dieu. Parmi les caractéristiques de ces quatre serviteurs, notons tout d’abord qu’ils prient régulièrement, seuls, comme Daniel après la publication du décret de Darius (6.10), ou bien collectivement, comme lorsqu’il s’agit d’intercéder pour connaître la vision de Nebucadnetsar et son interprétation (2.17-18).
Ces prières sont également nourries par la lecture de la Parole (« les livres » mentionnés en 9.2), principalement des prophéties de Jérémie concernant Jérusalem et la durée de l’exil de Juda à Babylone, ce qui conduit Daniel à confesser les péchés du peuple et à intercéder pour lui.
Enfin, la fidélité de Daniel et ses compagnons se remarque dans leur volonté de s’abstenir de participer de près ou de loin au culte des idoles. C’est pourquoi Daniel résout « de ne pas se souiller par les mets du roi et par le vin dont le roi buvait » (1.8) et obtient du chef des eunuques une dispense pour lui et ses trois compagnons. Plus tard, ces derniers font preuve de la même résolution lorsqu’ils déclarent à Nebucadnetsar leur refus de participer au culte des dieux de Babylone et d’adorer la statue d’or (3.18).
Aujourd’hui encore, la prière et la lecture de la Parole aident le croyant à chercher la volonté de Dieu et à s’orienter dans un monde qui le rejette. Il convient également d’être prudent pour ne pas aveuglément adopter le langage ou la manière de penser de ceux dont les valeurs pourraient être contraires à l’Évangile. Néanmoins, le livre de Daniel montre également que le refus de la compromission morale ne passe pas nécessairement par un retrait complet des affaires de la cité.

Œuvrer au bien de la cité

Étant donnés la situation d’esclavage dans laquelle se trouvaient Daniel et ses compagnons, mais aussi les valeurs et le comportement des dirigeants qu’ils étaient contraints de servir, l’on pourrait s’attendre à ce qu’ils ne souhaitent pas particulièrement s’appliquer dans les tâches qui leur étaient confiées. Toutefois, il est dit que Dieu leur accorda « de la science, de l’intelligence dans toutes les lettres, et de la sagesse » (1.17) au point qu’ils surpassèrent les magiciens et les astrologues du royaume (1.19-20). Lorsque Babylone est conquise par les Mèdes et les Perses, Daniel est même établi comme l’un des trois chefs des satrapes et est distingué comme surpassant « les chefs et les satrapes, parce qu’il y avait en lui un esprit supérieur ; et le roi pensait à l’établir sur tout le royaume » (6.3). Bien qu’au service de dirigeants impies, Daniel s’efforce d’utiliser au mieux les talents intellectuels qu’il a reçus de Dieu. En œuvrant ainsi au bien de la cité, Daniel témoignait déjà de ce que l’apôtre Paul a plus tard enseigné : « Tout ce que vous faites, faites-le de bon cœur, comme pour le Seigneur » (Col 3.23). Pour Daniel, le fait qu’il soit au service d’un roi étranger n’enlevait rien au fait qu’il rendait gloire à Dieu en travaillant excellemment.
Ainsi Daniel ne s’est pas isolé avec ses compagnons d’exil, mais, tout en refusant tout compromis, il a cherché à tisser des liens qui lui furent souvent utiles. Il put demander à être autorisé à s’abstenir des mets et des vins de la table royale grâce à la faveur qu’il avait trouvée auprès d’Aschpenaz, le chef des eunuques (Dan 1.9). De même, il est peu probable que Daniel eût pu s’entretenir avec Arioc, le chef des gardes, au moment, où Nebucadnetsar lui avait ordonné de tuer les sages, si une relation n’avait pas existé auparavant (2.14).
Mais malgré sa capacité unique à connaître et interpréter les songes, Daniel sollicite ses compagnons et les associe à la prière qu’il adresse au « Dieu des cieux » (2.17-18). Et lorsque, après que son rêve eût été révélé et interprété, le roi souhaite récompenser Daniel en lui donnant « le commandement de toute la province de Babylone » et en le faisant « chef suprême de tous les sages de Babylone » (2.48), ce dernier demande que le roi promeuve également ses compagnons (2.49).
Les chrétiens impliqués en politique et dont l’appel est d’œuvrer au bien de la cité doivent pouvoir s’appuyer sur une église et sur la prière de compagnons fidèles. De plus, la construction de relations positives et un travail réalisé avec l’exigence de l’excellence seront un témoignage dans le monde. L’histoire de Daniel souligne néanmoins que la fidélité à Dieu, lorsqu’elle s’oppose à la volonté du souverain, devient un motif de persécution. Comment dès lors concilier respect envers les autorités et obéissance à Dieu ?

Craindre Dieu, honorer le roi

La succession des empires telle qu’elle est décrite dans le livre de Daniel invite le lecteur à considérer la souveraineté de Dieu, qui nomme et dépose les rois : « le Très-Haut domine sur le règne des hommes et […] le donne à qui il lui plaît » (4.25). Cette affirmation concorde avec ce que, s’adressant à d’autres croyants également soumis à un pouvoir despotique, l’apôtre Paul déclare : « il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu » (Rom 13.1). Dès lors, l’apôtre Paul insiste sur la nécessité d’être soumis à ces autorités (Rom 13.5). De même, l’apôtre Pierre stipule : « Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité établie parmi les hommes, soit au roi comme souverain, soit aux gouverneurs comme envoyés par lui pour punir les malfaiteurs et pour approuver les gens de bien » (1 Pi 2.13-14). Ainsi, quelle que soit la nature du gouvernement d’un pays, les croyants sont appelés à y être soumis pour la raison que c’est Dieu qui en est la source, et qu’un gouvernement, même mauvais ou corrompu, vaut mieux que l’anarchie.
Néanmoins, nous avons vu précédemment que Daniel et ses compagnons avaient à plusieurs reprises désobéi aux ordres du roi. Lorsque Schadrac, Méschac et Abed-Nego refusent de s’incliner devant la statue dressée par Nebucadnetsar, la menace est claire : ils seront jetés dans une fournaise ardente. Mais les trois Hébreux savent qu’en obéissant au roi ils violeraient l’un des dix commandements, et ils usent de la liberté qu’a tout croyant de désobéir aux lois qui contredisent explicitement la Parole. Alors ils répondent avec foi : « Voici, notre Dieu que nous servons peut nous délivrer de la fournaise ardente, et il nous délivrera de ta main, ô roi » (Dan 3.17). Dans le Nouveau Testament, l’on trouve une attitude similaire de la part de Pierre et Jean qui, lorsqu’on leur ordonne de ne plus « parler et d’enseigner au nom de Jésus », répondent aux autorités religieuses qui les ont convoqués : « Jugez s’il est juste, devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu » (Act 4.18-19).
Il n’est jamais attendu du croyant qu’il se soumette à un ordre qui irait à l’encontre de ce que lui dictent sa conscience et les principes éthiques de la Parole. Notons cependant qu’à aucun moment Daniel ou ses compagnons ne manquent de déférence envers le roi ; la désobéissance ne doit pas mener au mépris, à l’insulte voire à la violence, le croyant étant plutôt appelé à « [honorer] tout le monde », en particulier le roi (1 Pi 2.17).
Mais lorsque, ayant osé dire la vérité et rester droits devant Dieu, les jeunes Hébreux sont en butte à la persécution, alors le livre de Daniel montre comment la présence de Dieu se manifeste au cœur d’une opposition à laquelle ces serviteurs s’étaient préparés. Nebucadnetsar est lui-même étonné de constater qu’un quatrième homme, dont la figure « est semblable à celle d’un fils des dieux » (Dan 3.25) est présent dans la fournaise ardente. Plus tard, Daniel est lui-même en mesure de déclarer à Darius que « Dieu a envoyé son ange et fermé la gueule des lions » (6.22). Ainsi Dieu lui-même accompagne-t-il ceux qui sont à lui et les aide-t-il au cours des épreuves qu’ils rencontrent dans le service auquel il les a appelés. Mais nous avons également vu que Dieu pouvait récompenser la fidélité de ses serviteurs en leur faisant trouver faveur à la cour et gagner en responsabilité, la première partie du livre se concluant d’ailleurs sur cette note puisqu’il est dit que « Daniel prospéra sous le règne de Darius, et sous le règne de Cyrus, le Perse » (6.28).

Conclusion

Bien qu’exilés, soumis à un pouvoir tyrannique qui veut les priver de leur liberté, de leur culture voire de leur identité, et confrontés à l’utilisation politique d’un culte idolâtre, Daniel et ses compagnons ne sont pas découragés. Au contraire, ils saisissent chacune des occasions qui leur sont données de glorifier le Seigneur par un service fidèle. S’ils refusent toute forme de compromission, allant jusqu’à désobéir aux ordres royaux au prix de la persécution, ils n’en demeurent pas moins soumis aux autorités instituées par Dieu. En ce sens, ils constituent un modèle de sagesse pour le croyant engagé en politique, et plus généralement pour tout citoyen chrétien. L’influence de croyants comme Daniel et ses compagnons sur les dirigeants peut même les conduire à découvrir la vérité divine, à l’instar de Nebucadnetsar. Et si l’on ne peut attendre d’un État qu’il conforme ses lois à l’éthique biblique, du moins les chrétiens engagés en politiques peuvent-il œuvrer pour le bien, par exemple en cherchant à garantir la liberté de conscience.

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Harrois Thibaud
Thibaud Harrois, 31 ans, est maître de conférences en politique britannique dans une université à Paris. Il est très impliqué dans son église locale. Il est marié et père d’un petit garçon.