Dossier: 1-2 Samuel
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David, un modèle de patience

Une lecture, même superficielle, des récits de la vie de David fait apparaître une réalité étonnante qu’il convient de méditer. David a certes régné 40 ans sur Israël, mais a dû attendre une quinzaine d’années entre le moment où il a été désigné, oint pour être roi par Samuel (1 Sam 16.1-13) et le moment où il est monté sur le trône (2 Sam 2.1-11). Et encore, sa première accession au trône reste incomplète dans la mesure où, pendant sept ans et demi, il ne règnera que sur une partie du peuple, Juda, et non sur tout Israël.
David a donc dû attendre environ 22 ans avant d’entrer véritablement en fonction. Comment comprendre cette longue attente, et qu’a fait David de tout ce temps ?

Une longue préparation

Lorsque David est oint par Samuel, il n’est selon toute vraisemblance qu’un adolescent d’une quinzaine d’années. Dieu réitère un procédé déjà utilisé au temps des patriarches, le choix du cadet au détriment de l’aîné, sauf qu’ici, « le principe est poussé jusqu’à ses dernières limites »1 . En effet, Dieu fait appel au cadet d’une famille de huit garçons comme s’il voulait manifester sa pleine souveraineté et indiquer que le choix se faisait selon ses propres critères et non ceux des hommes — David n’est ni connu, ni remarquable comme c’était le cas de Saül (1 Sam 10.24). C’est précisément ce qu’il dit à Samuel qui croyait que l’aîné ferait l’affaire : « Ne prends point garde à son apparence et à la hauteur de sa taille, car je l’ai rejeté. L’Éternel ne considère pas ce que l’homme considère ; l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Éternel regarde au cœur » (1 Sam 16.7).
En faisant appel à un adolescent, Dieu sait que David est sans expérience pour gouverner. Il n’a jamais manié les armes comme le démontrera l’épisode de Goliath, il n’a jamais dirigé d’hommes et sait encore moins administrer un territoire. On peut donc, sans se tromper, conclure que la longue attente qui sépare son onction de son accession au trône est un temps de préparation. Et tous les éléments d’une longue et patiente formation sont là :

a) L’accès à la cour royale

Par le biais du service musical rendu à Saül (1 Sam 16.14-23), David aura accès à la cour royale. Ce sera l’occasion pour lui d’observer de près le fonctionnement de la cour. Il aura d’autant plus loisir d’apprendre que son amitié avec Jonathan et son mariage avec Mikal le feront pénétrer au cœur même du pouvoir en Israël.

b) L’apprentissage des armes et de la guerre

Suite à son éclat contre Goliath, David prendra, avec succès, la tête d’une partie des armées de Saül (1 Sam 18.5). Il apprendra le maniement des armes, s’initiera au commandement des hommes, remportera ses premiers succès militaires et populaires — « Saül a frappé ses mille et David ses dix mille », 1 Sam 18.7 — et découvrira aussi la jalousie qui règne dans les allées du pouvoir (1 Sam 18.8).

c) La patience dans l’adversité

La jalousie de Saül l’éloignera de la cour et le conduira à mener une vie rude pendant plusieurs années.
 Il devra prendre la tête d’une bande de marginaux de 400, puis de 600 hommes (22.2; 23.13) à qui il doit tout apprendre — la foi et la discipline. C’est avec eux qu’il apprendra vraiment à diriger les hommes, à canaliser leur ardeur et à les mener à la victoire malgré les difficultés.
 Il devra quitter son pays et se mettre au service des Philistins. Il se mettra d’ailleurs dans une situation impossible quand, à force d’avoir fait croire qu’il mettait à sac son propre pays, il est enrôlé par Akisch pour combattre ses frères d’Israël. Le Seigneur lui fera grâce par l’intermédiaire des princes des Philistins qui, suspicieux, exigeront son retrait des forces armées philistines (1 Sam 29). Cet épisode a probablement dû lui apprendre qu’il ne servait à rien de jouer de dissimulation pour se tirer d’affaire, car c’est Dieu, et Dieu seul, qui délivre le juste de ses ennemis.
 Il essuiera les sarcasmes des notables (25.10-11), l’acharnement des délateurs (23.19 ; 24.2 ; 26.1) et la lâcheté des hommes secourus à Keïla (23.5-12).
 Il sera l’objet d’une traque meurtrière par Saül (23.26 ; 24.1).
 Il manquera enfin de se faire lyncher par ses propres hommes lorsque, revenant de l’enrôlement forcé dans les armées philistines, ils découvriront que leurs femmes ont été enlevées et leurs biens volés au camp de base, à Tsiklag, par les Amalécites pendant leur absence (1 Sam 30.1-20).
Autant dire que David, véritable type du sauveur, a appris dans la douleur les leçons qui feront de lui un homme préparé pour le service que Dieu va lui confier. Et il ne faudrait pas croire que, parce qu’il est un homme selon le cœur de Dieu, il ait subi l’épreuve sans états d’âme. Les Psaumes, qu’il a écrits, rendent abondamment témoignage à la détresse qui l’a souvent saisi devant tant de méchanceté (voir par exemple Ps 55.1-8).
Je tire de cette longue et douloureuse préparation, plusieurs leçons pour la préparation au ministère :

Le temps de Dieu n’est pas le nôtre

Saül, roi selon le cœur des hommes, a accédé quasiment sans délai au trône d’Israël tandis que David, roi selon le cœur de Dieu, a dû patienter des années avant de monter sur le trône. N’y avait-il pourtant pas urgence puisque Saül avait été rejeté et entraînait Israël sur la voie de la désobéissance ? Certainement, mais ce n’est pas ainsi que Dieu agit. Il a préparé Moïse pendant 80 ans et Jésus pendant 30 ans avant de les « utiliser » vraiment. Dans une société pressée, nous devons réapprendre à patienter et à dire avec David : « Garde le silence devant l’Éternel, et espère en lui ; ne t’irrite pas contre celui qui réussit dans ses voies, contre l’homme qui vient à bout de ses mauvais desseins. Laisse la colère, abandonne la fureur, ne t’irrite pas, ce serait mal faire. Car les méchants seront retranchés, et ceux qui espèrent en l’Éternel posséderont le pays » (Ps 37.7-9).

La certitude de la vocation ne dispense pas d’une solide formation

 L’onction de David ne pouvait-elle pas conduire le Seigneur à l’utiliser sans délai et à l’équiper miraculeusement des qualités nécessaires à l’exercice du pouvoir ? Sans doute, le Seigneur pouvait-il agir ainsi, mais il n’a pas jugé utile de le faire et a préféré former patiemment son serviteur. Une formation « technique », mais aussi et surtout « personnelle » dans le sens où l’acquisition de compétences s’est accompagnée d’une transformation du caractère — d’où la volonté d’une dimension communautaire dans la formation des pasteurs. Chose significative, le fils de David, notre Sauveur, a dû aussi passer par cette école car, comme le dit l’Écriture : « Bien qu’il fût le Fils de Dieu, il a appris l’obéissance par tout ce qu’il a souffert » (Héb 5.8, BFC). Est-il bien raisonnable de faire fi de la sagesse divine et d’entrer dans le ministère sans avoir pris le temps d’une formation personnelle et « technique » suffisante ? Conduire le peuple de Dieu reste un défi et mérite, à cause de celui qui a versé son sang pour rassembler ce peuple, tous nos efforts.

La persévérance est un aspect essentiel du ministère (1 Tim 4.16)

David n’a pas encore pris ses fonctions qu’il fait face à une opposition violente, sournoise, incessante. De quoi décourager le plus déterminé des hommes. Il y a, certes, la dimension proprement humaine de la jalousie et des convoitises que suscite le pouvoir. Mais s’y rajoute une dimension spirituelle qu’il convient de prendre en compte. David est l’oint de l’Éternel, et l’adversaire met tout en œuvre pour ruiner sa préparation et son ministère — comme il le fera aussi avec le Fils de David bien plus tard. Et comme le Fils a souffert, il est promis, aux disciples que nous sommes, que nous souffrirons aussi. Comme le dit Pierre dans 1 Pierre 4.12 : « Mes bien-aimés, ne trouvez pas étrange d’être dans la fournaise de l’épreuve, comme s’il vous arrivait quelque chose d’extraordinaire. Réjouissez-vous, au contraire, de la part que vous avez aux souffrances de Christ, afin que vous soyez aussi dans la joie et dans l’allégresse lorsque sa gloire apparaîtra. »
Il nous faut probablement redécouvrir ce que prendre sa croix pour suivre le Christ veut dire si nous voulons servir sans faiblir, ni reculer.
Un mot encore sur la longue préparation de David. Ce qui fait de David un modèle, ce n’est ni son stoïcisme, ni même sa parfaite obéissance dans la difficulté, mais son recours à Dieu dans la détresse. Alors que Saül, aux abois à Guilboa face aux Philistins, s’enfonce dans le péché en consultant un défunt, Samuel, au moyen d’une nécromancienne (1 Sam 28.7-25), David, à la même époque, menacé de lynchage par ses hommes, s’est fortifié et a consulté l’Éternel (30.6).

Une accession progressive au trône

La longue et difficile préparation subie ne conduit pas David à se précipiter quand enfin il touche au but. La patience, lentement apprise, va lui être très utile.
Quand David devient roi à Hébron (2 Sam 2.1-3), il se heurte, lui homme du sud, à la résistance du nord du pays. Abner, général du défunt roi Saül, s’assure la maîtrise des régions du nord d’Israël et met sur le trône le seul fils survivant de Saül, Isch-Boscheth (2 Sam 2.10). Le règne de ce dernier durera deux ans dont on ne sait pas s’il faut les situer au début ou à la fin du règne de David à Hébron. Devant cette situation embrouillée, David ne fait pas de forcing comme il aurait légitimement pu s’y employer, mais il consulte l’Éternel avant d’aller à Hébron (1 Sam 2.1), puis attend patiemment que Dieu guide les événements. Il ne reste néanmoins pas inactif, mais avec une grande habileté conquiert le cœur des hommes du nord :
a) Il fait exécuter l’Amalécite qui prétend avoir achevé Saül (1.13-16) et fait de même avec les hommes qui lui apportent la tête d’Isch-Boscheth (4.9-12). Contrairement aux pratiques de l’époque, il ne construit pas son règne sur l’extermination de la dynastie précédente. Il évite ainsi de bâtir sur le sang et de se faire exécrer par les gens du nord (contrairement à Roboam, fils de Salomon qui, par sa dureté, provoquera le schisme du royaume).
b) Il remercie les hommes de Jabès de Galaad qui ont pris soin de la dépouille de Saül (2.4b-7). Il fait à la fois preuve de reconnaissance et de sens de la diplomatie.
c) Il refuse de négocier secrètement avec Abner (3.12-13) et ne se réjouit pas de son assassinat qui lui ouvrait pourtant le chemin au trône d’Israël (3.28-36). David travaille à la réconciliation de la nation et ne peut admettre que le sang coule pour obtenir le pouvoir.

Une qualité ambiguë

Je suis édifié par la patience dont a fait preuve David et je l’admire pour cette qualité. Mais l’expérience m’a appris que toute qualité humaine, en raison du péché qui nous environne et qui nous colle à la peau, a aussi son revers. Et David n’échappe pas à la règle, sa patience n’est pas dénuée d’ambiguïté. Elle va servir admirablement son dessein de réconciliateur de la nation divisée, mais elle va desservir sa famille agitée. Sa patience est ainsi parfois devenue faiblesse.
Soyons donc plus réalistes avec nous-mêmes et avec ceux qui collaborent avec nous  : aussi grandes soient-elles, nos qualités ne font pas de nous des anges. Nous avons les défauts de nos qualités et nous pouvons céder à la tentation quand bien même nous sommes loués et admirés pour notre piété. Le Seigneur donne des Barnabas à l’Église qui sont doués pour encourager les Saul de Tarse, mais le fonceur acceptera difficilement qu’il fasse de même avec Jean-Marc un peu plus tard (Act 15.36-40). Il faut pourtant dans le service de Dieu des fils d’encouragement qui prennent le temps de remettre en selle les jeunes découragés ;  des hommes au caractère entier qui osent défricher des terres nouvelles ; des frères burettes qui mettent de l’huile dans les rouages. Mais, de grâce, ne demandez pas aux personnes de jouer à contre-emploi. Le patient pourra vous paraître faible, le fonceur cassant et le réconciliateur trop arrangeant, mais Dieu les a appelés ainsi et agit avec leurs qualités et malgré leurs faiblesses. Et c’est plutôt une bonne nouvelle, parce que cela veut dire que le Seigneur vous utilise et vous sanctifie sans attendre votre perfection.
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  1. Brian Tidimann, « Histoire biblique d’Israël » ; Excelsis, p.223.
Lhermenault Etienne
Étienne Lhermenault est le président du Conseil National des Évangélique de France (CNEF) et enseignant à l’Institut Biblique de Nogent. Le texte que nous publions est une partie d’une étude intitulée « David, berger exemplaire, mais pas impeccable » donnée dans le cadre d’une rencontre pastorale à Cussac.