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Des lacunes dans la théorie néo-darwinienne

A l’usage des étudiants et élèves des classes supérieures.

« D’assez larges divergences se manifestent au sujet de ce qui avait été considéré comme théorie établie de l’évolution dans le monde anglo-saxon, la théorie néo-darwinienne ».

Ainsi s’exprimait Sir Peter Medawar en tant que président, à l’ouverture d’un congrès sur « les problèmes mathématiques de l’interprétation néo-darwinienne de l’évolution », tenu en avril 1966 à l’Institut WISTAR d’anatomie et de biologie de Philadelphie.

Sir P. Medawar montra que ce désaccord provient de trois domaines principaux (religieux, philosophique et scientifique) et qu’il ne s’agit pas de critiques d’ordre seulement scientifique, mais d’un malaise siégeant dans d’autres domaines.

« Domaine religieux, d’abord ; là où le reproche portait sur le principe même de l’évolution, il porte maintenant sur l’idée qu’elle se serait produite sans aucune intervention divine. Beaucoup d’entre vous auront lu avec une incrédule horreur la sorte de pieux charabia écrit par Teilhard de Chardin sur ce sujet… ».

Sir P. Medawar continua en montrant qu’au-dessus et au-delà y des objections religieuses à la théorie, il y a celles d’ordre philosophique et méthodologique ; elles ont été dégagées par le professeur Karl Popper ; ce dernier estime que tout épisode évolutif, réel ou même imaginaire, peut être expliqué par l’hypothèse née-darwinienne. Cela démontre que la théorie est trop large et trop générale pour être d’une utilisation pratique pour guider la pensée et la recherche scientifique.

DES LACUNES

Concluant ses remarques, Sir P. Medawar nota justement que les seules objections à la théorie de l’évolution auxquelles les savants prêtent attention sont celles d’ordre vraiment scientifique. Ces objections scientifiques réelles ont été la raison de la convocation de ce congrès. Le leitmotiv qui s’en dégage est qu’il y a des « facteurs manquants », des lacunes dans la théorie évolutionniste actuelle. De toute évidence, si des facteurs essentiels manquent dans une théorie quelconque, l’utilité de cette dernière en est réduite. La théorie devient trop générale et inconsistante pour guider une pensée et inspirer des expériences constructives permettant des progrès. Certains des savants présents exprimèrent leur conviction que les facteurs manquant dans la pensée née-darwinienne étaient vraiment de ceux qui sont essentiels.

Cependant, il apparut avec netteté durant le cours des débats que certains autres savants, notamment des biologistes âgés, étaient bien décidés à traiter avec impatience, mépris et ridicule, certains de leurs confrères plus jeunes dont les vues étaient en conflit avec celles de la biologie traditionnelle. Cela fut particulièrement le cas lorsque furent citées certaines nouvelles connaissances, fruits de la cybernétique dans : le but de mettre en lumière les lacunes de la théorie neo-darwinienne. Vraiment, tout au long de ces débats, un courant sous-jacent d’irritation et d’impatience fut ressenti envers ceux qui étaient désireux d’examiner à nouveau les fondements, prétendument bien établis, sur lesquels repose la théorie biologique moderne.

LA SELECTION NATURELLE IMPARFAITE

Au cours du congrès, M.Schützenberger souligna qu’une cause importante de la contestation réside dans la conception darwinienne de l’intervention du hasard. Il estima qu’il y a là « une brèche sérieuse dans la théorie classique de l’évolution ». M.Schützenberger croit que si cette brèche pouvait être comblée, la théorie née-darwinienne serait moins dépendante des postulats de la mutation et de la sélection naturelle dans ses efforts pour expliquer les faits de la biologie. Il est dit qu’il est fondamentalement et mathématiquement faux d’essayer d’expliquer les systèmes incroyablement structurés du monde vivant seulement en termes de mutations dues au hasard et de sélection naturelle. Ces deux derniers principes peuvent jouer quelque rôle secondaire, mais ils ne devraient pas être surfaits comme ils le sont aujourd’hui en ayant à jouer le rôle principal dans la théorie de l’évolution. Ils ont besoin de l’appui de nouveaux principes pour placer la doctrine de l’évolution sur une base mathématiquement saine.

De plus, M. Schützenberger montra que de récents développements de la science des ordinateurs ont établi que l’évolution spontanée d’un être capable de se reproduire par lui-même est un phénomène qui n’a jamais été copié ou simulé avec succès, même avec les ordinateurs actuels les plus grands et les plus rapides.

LA SITUATION DANS LA PHYSIQUE NUCLEAIRE

M. V. F. Weisskopf, professeur de physique nucléaire à l’Institut de technologie du Massachusetts fit les remarques suivantes à propos du même sujet :

« Je sens que la situation concernant l’évolution doit être comparée à celle de la physique nucléaire, en l’envisageant sous tous les angles ; il existe quelque soupçon qu’un point essentiel manque encore… Si je voulais être désagréable vis-à-vis des évolutionnistes, je dirais qu’ils sont plus sûrs d’eux-mêmes que nous, physiciens nucléaires, et ce n’est pas peu dire ».

LES RAISONS INSUFFISANTES DU HASARD

Tout comme M. Schützenberger, M. Eden, professeur de mécanique électrique, M. I. T., nota le problème soulevé par le rôle attribué au hasard dans la conception darwinienne ; comment peut-il être à la source de l’ordre que révèle la biologie ? M . Eden écrit à ce sujet :

« Ce que nous affirmons, c’est que si l’on donne du « hasard » une interpellation sérieuse du point de vue de la probabilité, c’est que le postulat de l’intervention du hasard est très improbable : une théorie scientifique adéquate de l’évolution doit encore attendre la découverte et l’éclaircissement de nouvelles lois naturelles – physiques, physico-chimiques et biologiques. Jusqu’à ce jour, l’évolution née-darwinienne n’est qu’une réaffirmation des vues fécondes de Darwin, à savoir que l’origine des espèces a peut-être une explication naturelle ».

Ces doutes, exprimés récemment à propos du fondement théorique de la théorie de l’évolution, concernent spécialement le rôle joué, selon Darwin, par l’intervention du hasard dans l’établissement de l’ordre des choses. Or, de telles interventions sont essentielles pour l’idée originelle : l’explication de l’établissement d’un ordre à partir de processus de hasards sur un fondement naturel. Cependant, ce ne sont pas seulement les processus fondamentaux du hasard qui ont été remis en question. D’autres principes darwiniens ont été critiqués ces dernières années.

LA PORTÉE DES LONGUES PERIODES DU TEMPS

Il a été habituel d’essayer de triompher de quelques-uns des problèmes fondamentaux de l’établissement de l’ordre au travers du hasard en faisant intervenir la possibilité d’immenses durées de temps au cours desquelles les processus de hasard auraient pu leurrer suivant une direction et établir de l’ordre.

Une citation de Jean Kendrew démontre comment cette idée des immenses durées est utilisée pour venir à bout de l’objection d’improbabilité.

« Il peut paraître étonnant qu’un processus de hasard comme celui-ci puisse améliorer une espèce, produire de nouvelles espèces et même conduire éventuellement à toute la vaste diversité de la vie animale et végétale que nous voyons autour de nous. Mais il faut rappeler que ces processus ont opéré sur une énorme durée de temps, plus de cinq cents millions d’années ».

Des affirmations comme celles du Dr Kendrew sont typiques des positions daltoniennes et néo-darwiniennes sur le rôle-clé des grandes durées dans l’établissement d’un ordre à partir de systèmes fondés sur le hasard.

Cependant, cette deuxième pierre fondamentale de la pensée darwinienne a été, à son tour, mise en question, notamment par M. H. Blum, lequel quoique peu suspect d’être un antidarwinien, prend une position qui contraste avec celle de Kendrew et de la majorité des darwinismes, sur la portée des grandes durées et de leur rôle dans les processus évolutifs. M. Blum a montré que le facteur temps peut être absolument sans rapport avec l’évolution des systèmes biologiques du type envisagé par M. Kendrew et par les autres évolutionnistes. Voici ce qu’il dit :

« Je pense que si je devais réécrire complètement ce chapitre (sur l’archéobiopoïèse ou néobiogénèse 1) , j’aimerais attirer votre attention dans une autre direction. Je voudrais attacher encore moins d’importance à la longue période nécessaire pour permettre à des événements hautement improbables de se produire. On devrait envisager que, plus long est le temps qui s’écoule. plus on devrait s’approcher de l’équilibre, c’est-à-dire de l’état le plus probable ; et il semble que, dans notre pensée cela devrait prendre le pas sur l’idée que le temps permet la possibilité d’arriver à l’événement le plus hautement improbable ».

La conclusion de M. Blum est bien amenée. Les néo-darwinistes ont souvent ignoré totalement cette conception de I’équilibre. Prolonger le facteur temps pour des réactions réversibles ne fait qu’accroître les chances que l’équilibre soit atteint et non que l’état improbable se réalise. Des structures biochimiques vivantes sont infiniment peu probables. Ainsi, en accroissant le temps accordé à une réaction réversible, cela apportera un équilibre croissant, mais non la complexité croissante qui conduit à la vie. M. Blum fait soigneusement ressortir que l’énergie (plus grande) qui atteignait la surface de la terre avant l’apparition de la vie, n’aurait pas, pour autant que nous puissions le dire aujourd’hui, changé cet état de choses.

DE LA NÉCESSITÉ DE SOURCES D’ENERGIE

M. Sidney Fox, dans son étude « Les origines des systèmes prébiotiques » s’efforce de résoudre le problème des sources d’énergie prébiotiques, sources qui auraient pu permettre des réactions chimiques de synthèses, de façon à expliquer la complexité moléculaire et biologique. L’argument de M. Blum concernant les systèmes qui atteignent un équilibre avec le temps, serait alors à modifier s’il était prouvé qu’une énergie utilisable pouvait être trouvée dans un tel système (une diminution de l’entropie étant payée par cette énergie). Evidemment, an oeuf humain n’atteint pas normalement un équilibre avec le temps. Sa complexité va croissant. Il peut croître car il est associé à une énergie utilisable qui le nourrit, surmontant sa tendance normale à se désagréger, ce qui se produirait si les moteurs métabolismes de l’oeuf, ses systèmes enzymatiques n’entraient pas en action.

Cependant, le fait demeure, à présent, qu’il est probable que, dans le monde prébiotique, de tels systèmes (comme ceux proposés par M. Fox et par d’autres savants) aient pu apporter l’énergie couplée nécessaire pour renverser les processus qui conduisent à l’équilibre. Il est de plus en plus probable que des molécules organiques déjà complexes peuvent apparaître par le jeu de hasards dans des systèmes s’ils reçoivent de l’énergie (sous diverses formes) . Par contre, il est bien moins évident que des molécules de la complexité des protéines vivantes et des enzymes aient pu se former (ce problème sera repris en détail plus loin).

DE LA SELECTION NATURELLE

Finalement, un troisième principe de la pensée darwinienne a été anéanti ces dernières années. Considéré comme ayant donné une orientation à l’évolution, c’est cependant celui qui est regardé comme un des apports féconds de Darwin au monde scientifique. M. Eden en parle ainsi :

«Des concepts tels que la sélection naturelle par la survivance du plus apte sont des tautologies (répétitions oiseuses) : cela revient simplement à constater que seuls les organismes qui survivent produisent une descendance ou ont une descendance plus nombreuse que leurs concurrents, ce qui se manifestera dans les générations ultérieures ».

Outre que le concept de la survivance du plus apte doit être considéré comme une tautologie, une critique bien plus sérieuse se dresse aujourd’hui contre l’importance du principe de la sélection sexuelle naturelle. M. Eden prend comme exemple le travail de M. J. Brun sur le nématode Caenorhabditis élégans ; ce dernier arrive à vivre à des températures de plus en plus élevées si, à chaque élévation de 1/2 degré, on lui laisse de huit à dix générations pour s’adapter. Puisque ce nématode s’autoféconde, aucune sélection sexuelle ne peut être invoquée pour expliquer cette adaptation progressive. Ce fait jette un doute sur la nécessité de la sélection sexuelle naturelle dans l’accomplissement de l’adaptation, l’orientation et la formation des espèces lors de l’évolution.

Il est inutile, pour les critiques, de dire que la sexualité accélère simplement la sélection génétique et que l’adaptation, dans des conditions asexuelles sera simplement plus lente que celle qui se réalise dans les conditions de la sélection sexuelle. Darwin, lui-même, attribuait à la sélection sexuelle naturelle un rôle majeur et non un rôle mineur. Aussi la tentative actuelle des néo-darwiniens de considérer la sélection sexuelle comme un processus accélérateur donne l’impression qu’ils se retranchent ou se rétractent en face des données nouvelles qui les contredisent.

Le résultat de tous ces faits et de toutes ces critiques est que certaines doctrines à la base de la théorie darwinienne sont anéanties et qu’elles le sont pleinement.


note 1) L’origine ou la formation de la vie.
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