Descendez de la montagne ! Un témoignage d’engagement personnel pour la justice sociale
Le défi
Dans nos vies bien classiques et bien réglées, il y a parfois un « caillou dans la chaussure » qui nous pousse à nous arrêter. C’est une allusion aux petits cailloux qui mettaient les légionnaires romains face à un choix : souffrir ou s’arrêter ; elle a donné en français l’expression « avoir des scrupules12 ».
Arrêtons-nous donc pour nous poser la question du royaume de Dieu et de sa visibilité, de la spécificité et de la particularité de ce sel de la terre qui, comme le dit si bien John Piper, « a du mal à sortir de la salière ».
« Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes. » (Mat 5.13)
Avoir des scrupules, c’est avoir le cœur touché par l’immense besoin de justice sociale et orienter nos actions pour une vie juste et généreuse.
Nous nous sommes souvent contentés d’un petit arrangement « à la Gédéon » : dans un monde en chaos, nous avions réussi à construire un petit écosystème parallèle avec des gens sympas, où le fait de ne faire de mal à personne contentait notre anonymat.
Gédéon souffrait, comme le reste du peuple, des attaques de Madian ; il avait, comme les autres, entendu le message du prophète :« Ainsi parle l’Eternel […] je vous ai fait sortir de la maison de servitude. […] Mais vous n’avez point écouté ma voix. » (Jug 6.8-10)
Mais lui « battait du froment au pressoir » pour le mettre à l’abri et minimiser les effets du pillage de Madian, tout en laissant en place et sous ses yeux l’autel de Baal de son père.
La rencontre avec l’ange de l’Éternel bouleverse sa vie ; sa décision d’écouter, de croire et d’obéir lui fait bâtir un autel nommé « Le Seigneur donne la paix » (Jug 6.24, version BFC).
« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. » (Mat 5.14)
Ces paroles du sermon sur la montagne nous ont touchés. Jésus nous y montre combien la pauvreté spirituelle et la crainte nous privent du bonheur.
Pour nous, c’était comme un appel à nous arrêter pour considérer nos voies.
Et, pourquoi pas, oser la contre-culture chrétienne qui nomme « heureux » ceux qui :
• reconnaissent ne pas atteindre, par leurs propres forces, le niveau spirituel attendu par Dieu,
• pleurent en confessant leurs péchés et sont consolés par Dieu ;
• ont faim et soif de justice et savent, avec miséricorde et douceur, procurer la paix.
Un pas en avant
Cette capacité à ne pas faire de vague et à être invisibles dans la vie politique et sociale de notre cité a été bousculée par l’arrivée de Roms 2 à Grenoble, puis de réfugiés de tous pays. Ceci nous a poussés à prendre contact avec les autorités. Par l’intermédiaire de la pastorale évangélique, nous avons proposé un service de maraude 34 chaque dimanche en répartissant la charge entre toutes les églises. En parallèle, une animation chrétienne régulière a été mise en place pour les enfants. Une association a même été créée pour l’occasion, afin de coordonner l’action sur chacun des squats 45 de la ville. Depuis, le maintien de contacts nous a permis de suivre plusieurs familles, d’envoyer des enfants en colonie de vacances et d’apporter un soutien matériel et spirituel à beaucoup d’entre eux. Ces actions sont conduites depuis dix ans et sont aujourd’hui reconnues par les pouvoirs publics.
Un pas de plus
« Faire la charité ne suffit pas, il faut lutter pour plus de justice ! » Ces paroles de Louis Schweitzer nous ont interrogés sur les politiques publiques à mener en tant que maire et conseiller communautaire, pour que le souci du bien commun et l’attention portée aux petits et aux pauvres (que l’on trouve sans cesse dans l’Évangile) puissent être mis en pratique.
Le soutien aux projets de l’économie sociale et solidaire est une façon efficace de mobiliser la puissance publique sur les aspects d’égalité des droits, d’autonomie et de création de valeur.
Voici un exemple biblique :
« Quand tu moissonneras ton champ, et que tu auras oublié une gerbe dans le champ, tu ne retourneras point la prendre : elle sera pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve, afin que l’Éternel, ton Dieu, te bénisse dans tout le travail de tes mains. Quand tu secoueras tes oliviers, tu ne cueilleras point ensuite les fruits restés aux branches : ils seront pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve. Quand tu vendangeras ta vigne, tu ne cueilleras point ensuite les grappes qui y seront
restées : elles seront pour l’étranger, pour l’orphelin et pour la veuve. » (Deut 24.19-21)
L’idée du glanage, c’est de laisser la possibilité à l’étranger, la veuve et l’orphelin de cueillir pour eux-mêmes les surplus de l’abondance. Comment réussir à reproduire cette manière de se comporter avec les délaissés de notre société ?
Un exemple : l’association Les Mijotées propose de collecter chez les particuliers tous les fruits et produits de la terre que l’activité, l’âge ou la non-disponibilité les empêchent de récolter. Tout ceci est transformé en bocaux de conserves, en confitures ou en plats cuisinés et trouve un juste retour en distribution de repas à domicile.
Un pas ensemble
Créer du lien et lutter contre la précarité alimentaire sont des sujets importants où les églises peuvent avoir un rôle à jouer en s’appuyant sur des structures déjà existantes, comme les banques alimentaires.
Ainsi, une église évangélique de l’agglomération grenobloise accueille actuellement 900 bénéficiaires de l’aide alimentaire chaque jour. L’accueil de ces personnes est assuré par des bénévoles chrétiens et une équipe pastorale se tient à disposition pendant la distribution, pour favoriser des échanges plus personnels. Les maraudes du dimanche, citées plus haut, permettent actuellement, grâce à la mobilisation des chrétiens de l’agglomération grenobloise et aux dons de la banque alimentaire locale, de distribuer une centaine de sacs-repas chaque dimanche. Toutes ces occasions de servir permettent également de créer du lien entre les chrétiens du bassin grenoblois et au sein même de nos églises puisque chaque membre peut y être associé par une action concrète — cuisiner, acheter des denrées, préparer les sacs-repas, aller sur le terrain.
Un pas vers l’autonomie
L’accès au logement est également une problématique très présente. Comment arriver à se reposer, se laver, accéder à des toilettes lorsque l’on vit dans la rue ? Si ces besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, comment trouver du travail, suivre des études, s’occuper de ses enfants ?
Plusieurs associations chrétiennes mettent des appartements à disposition et assurent le suivi de leurs bénéficiaires. Nous citerons ici deux exemples.
Le diaconat protestant a établi un réseau de familles d’accueil pour de jeunes migrants mineurs isolés qui suivent des études et n’ont aucune ressource financière. L’église baptiste d’Échirolles gère un appartement autonome de co-hébergement. Ce logement, baptisé « l’Envol », permet aux personnes de poser leurs valises et de reprendre des forces, le temps de préparer leur nouvel envol en France ou ailleurs.
Un comité de soutien, porté par des chrétiens, suit chaque personne hébergée, tant sur le plan administratif que sur le plan financier.
Le développement des logements sociaux, la lutte contre l’augmentation du nombre des résidences secondaires et le contrôle des locations réservées à l’accueil touristique — qui empêchent les plus modestes d’accéder au logement — sont des actions politiques structurantes qui améliorent l’accès au logement et qui vont dans le sens de plus de justice sociale.
Les sujets ne manquent pas, et il faut éviter le piège du découragement (« à quoi bon ? ») et celui de l’étouffement (trop en faire). Un chemin juste où le chrétien a sa place, comme le disait Jacques Ellul : « C’est la mission prophétique du chrétien d’essayer de penser avant que l’événement ne soit devenu critique 56 »
- Du mot latin crupulus
, petit caillou, anxiété. - Population non sédentarisée, qui se déplace de campement en campement.
- Tournée de personnel humanitaire dans une ville pour porter assistance à des personnes sans domicile fixe.
- Logement occupé illégalement.
- Jacques Ellul,À temps et à contretemps, Éditions R & N.