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Elie, le prophète solitaire

Le prophète Elie a exercé son ministère prophétique sous le règne de deux rois d’Israël, Achab et Ahazia, entre 873 et 852 av. J.-C.. Cette période était marquée par une grande infidélité envers l’Eternel. Achab, à la suite de son mariage avec la fille du roi des Sidoniens, avait établi officiellement le culte de Baal dans le royaume du nord et l’auteur de 1-2 Rois nous dit que ce roi fit plus encore que tous les rois d’Israël qui avaient été avant lui, pour irriter l’Eternel, le Dieu d’Israël (I Rois 16:33). Quant à Jézabel, sa femme, elle s’efforçait d’éliminer tous les prophètes de l’Eternel. Dans un tel contexte, le ministère d’un prophète devenait extrêmement difficile. Pourchassé par le pouvoir politique rebelle au message divin, Elie a dû sans cesse fuir et vivre en exil. Ainsi, son ministère est marqué par une grande solitude.

Cependant, il serait faux de croire que l’isolement d’Elie tient seulement aux circonstances. Son ministère particulier, sa place dans le plan rédempteur divin, même certains aspects littéraires des textes, tout souligne le destin solitaire d’Elie.

Seul du début à la fin

Dès les premières paroles de jugement prononcées contre Achab, Dieu conseille à Elie de s’éloigner du monarque et d’aller se réfugier à l’est du pays, de l’autre côté du Jourdain (région administrative plus éloignée de la capitale), pour vivre dans le torrent de Kerith où ses seuls compagnons sont des corbeaux qui viennent lui apporter sa subsistance quotidienne matin et soir (1 Rois 17.1-6). Quand l’eau du torrent tarit, Dieu le dirige à l’étranger, au nord d’Israël. Pour la première et la seule fois de son ministère, Elie peut séjourner avec des êtres humains, mais sa famille d’accueil est limitée à deux personnes: une veuve et son fils. La femme semble elle-même isolée de la société puisque, sans ressources, elle ne peut compter sur l’aide de personne. Par la suite, l’intervention divine, rendant farine et huile inépuisables, permet aux trois personnes de vivre en autarcie (1 Rois 17.13-16).

Après trois ans de sécheresse et de fuite, Abdias, le serviteur d’Achab, reconnaît le caractère insaisissable d’Elie: Lorsque je t’aurai quitté, l’ esprit de l’Eternel te transportera je ne sais où (1 Rois 18:12). Sur le mont Carmel, quand Elie se présente enfin en public, ce n’est que pour souligner son isolement: Elie dit au peuple: Je suis resté seul des prophètes de l’Eternel, et il y a quatre cent cinquante prophètes de Baal (1 Rois 18:22). Tout de suite après la confrontation victorieuse contre les faux prophètes, Elie se retire au sommet du Carmel pour prier l’Eternel d’envoyer la pluie. Un seul homme est autorisé à l’accompagner, son serviteur, non pour être associé à l’intercession, mais pour servir d’observateur. A sept reprises, Elie le renvoie loin de lui et lui demande de regagner son poste. Comme pour mieux souligner le thème de la solitude, le dialogue se limite aux expressions les plus réduites: le serviteur adresse seulement deux mots à Elie pour lui dire que rien n’a changé dans le ciel (littéralement il dit: non rien) et Elie lui répond par un seul mot: retourne (1 Rois 18.41-44).

Quand il faut accompagner Achab à Jizreél (sans doute pour encourager ou contrôle des réformes du roi), Elie refuse de monter sur le char d’Achab et préfère courir devant le roi du Carmel à Jizreél (20 à 40 kilomètres) sous une pluie torrentielle. Puisque le roi n’a pas encore manifesté de repentir, le prophète évite tout signe de rapprochement avec lui (1 Rois 18.44-46).

Le séjour dans la cité d’Achab est des plus courts (moins de vingt-quatre heures). Devant les menaces de la reine Jézabel, Elie doit fuir, une fois de plus, pour sauver sa vie ( 1 Rois 19.1-3). Découragé par la passivité d’Achab à mener des réformes et l’inefficacité de l’ouvre du Carmel, Elie se retire à l’extrémité sud du pays, dans le désert. Son unique compagnon de voyage est renvoyé et Elie, déprimé et plus seul que jamais, demande la mort.

L’ange de l’Eternel fait deux courtes apparitions pour nourrir le prophète et lui indiquer la suite des opérations (1 Rois 19.5-8). La nourriture divine rappelle la farine et l’huile de la veuve, non dans son caractère inépuisable, mais par les forces illimitées données au prophète le rendant à nouveau autonome et indépendant de toute aide humaine.

Seul sur le mont Horeb ( appelé aussi mont Sinaï), Elie rencontre Dieu un peu comme Moïse l’avait fait quelque six cents ans plus tôt. Le grand législateur s’était aussi trouvé tout seul pour un face à face avec l’Eternel (le peuple était resté en bas de la montagne et n’osait même pas s’en approcher sous peine de mort: Ex 19.12). Elie exprime, à deux reprises, son désespoir et sa solitude: Les enfants d’Israël ont tué par l’épée tes prophètes; je suis resté, moi seul, et ils cherchent à m’ôter la vie (I Rois 19:10, 14). Bien que Dieu encourage le prophète en lui annonçant la mission de trois hommes qui poursuivront son ministère de jugement, il faut noter que deux d’entre eux seront des rois et non des compagnons (l’un étant non seulement étranger, mais encore monarque d’un pays en guerre contre Israël). Quant à Elisée, il est présenté comme successeur d’Elie plutôt que compagnon (1 Rois 19.16). De plus dès l’onction reçue, Elisée demande l’autorisation de se retirer pour rejoindre une dernière fois sa famille, laissant Elie seul une fois de plus (1 Rois 19.20).

Elie est absent des deux chapitres qui concernent des conflits militaires avec les Syriens (1 Rois 20; 22) comme pour mieux souligner que le prophète de la solitude ne pouvait s’engager avec le peuple et l’armée. En lieu et place, interviennent des prophètes anonymes (1 Rois 20) et Michée, fils de Yimla (1 Rois 22.8; à ne pas confondre avec Michée de Morécheth contemporain d’Ezéchias et auteur du livre canonique). Lorsue Josaphat, roi de Juda, désire consulter l’Eternel avant de partir en campagne militaire, Achab semble avoir oublié jusqu’à l’existence d’Elie, puisqu’il répond que le seul prophète disponible est Michée (1 Rois 22.8).

Avant son ascension au ciel, Elie fait encore deux courtes apparitions pour annoncer une parole de jugement à Achab (1 Rois 21.17-29), puis, après la mort de ce dernier, à Joram, son fils et successeur (2 Rois 1.3-4). Dans les deux cas, le contact avec le roi et les hommes est limité au minimum. Achab est rencontré à l’improviste, en privé, dans le champ de Naboth. Quant à Joram, il ne voit même pas le prophète, mais reçoit une simple parole de condamnation par l’intermédiaire de ses serviteurs. Elie les rencontre à l’extérieur de la ville (ils sont en chemin pour consulter le dieu d’Ekron) sans même se donner la peine de s’identifier et ce n’est que grâce à ses habits (et peut-être aussi à la nature du message) que le roi peut reconnaître l’auteur de la déclaration (2 Rois 1.7-8).

Quand Joram veut arrêter Elie, celui-ci peut, pour une fois, être trouvé (à trois reprises même: 2 Rois 1.9-15). Cependant, le prophète reste plus inabordable que jamais. Les deux premiers groupes de soldats ne peuvent s’approcher qu’à portée de voix, puis devant leurs intentions meurtrières (c’est la seule manière de comprendre les paroles de malédiction prononcées par le prophète acculé vraisemblablement à la légitime défense ), ils sont tués. Le troisième groupe échappe au jugement, car son chef aborde le prophète avec crainte et respect. Encouragé par l’Eternel, Elie accepte, alors, d’accompagner ce responsable, mais le voyage en commun est conté en quelques mots comme pour mieux souligner la brièveté du contact (Elie se leva et descendit avec lui vers le roi). Arrivé sur place, Elie se contente de répéter simplement son message de condamnation.

Dans le dernier récit, quand Elie va être enlevé au ciel, le prophète exprime immédiatement son désir d’être laissé seul (2 Rois 2.1-6). A trois reprises, il renvoie Elisée loin de lui, mais à trois reprises ce dernier reste attaché à son maître. Les fils des prophètes de Béthel et de Jéricho, bien que connaissant le départ imminent d’Elie, ne lui adressent aucune parole. Par contre, ils dialoguent avec Elisée au sujet d’Elie. Après l’ascension de ce dernier, ces mêmes hommes cherchent en vain son corps. Ainsi Elie, mal connu dans ses origines (l’auteur n’a jamais indiqué le nom de son père), insaisissable pendant son ministère, disparaît sans laisser la moindre trace.

Finalement, à la vie solitaire d’Elie, s’ajoute la vie insolite du prophète. Elie n’est pas seulement un homme isolé de ses contemporains, mais aussi un être hors du commun. La résurrection du fils de la veuve (1 Rois 17.21-22) n’est répétée qu’une fois sous l’ancienne alliance (résurrection du fils de la Sunamite par Elisée: 2 Rois 4.34-35). Le châtiment divin frappant par le feu céleste les ennemis du prophète (2 Rois 1.10,12) est exceptionnel, voire unique; seuls la terre qui avale les ennemis de Moïse (Nomb 16.28-32) ou les ours qui déchirent les adolescents méprisant Elisée (2 Rois 2.24) s’en rapprochent. La démonstration publique du mont Carmel soulignant la puissance de l’Eternel et l’incompétence totale de l’idole Baal est incomparable. Finalement, l’expérience de l’ascension n’est partagée que par un autre homme dont on ne sait pratiquement rien (Hénoc: Gen 5.24). Elie est vraiment un homme à part qui a vécu en marge de la société.

Une influence considérable

Paradoxalement à l’isolement d:Elie, le prophète a marqué profondément l’histoire des hommes. Peu d’individus ont eu un tel impact. L’auteur des Rois consacre une section importante à son ministère (un huitième de 1-2 Rois) et trois livres du Nouveau Testament le mentionnent en rapport avec l’aide accordée à une étrangère (Luc 4.25-26), la persévérance dans la prière (Jac 5.17) et la solitude du prophète (Rom 11.2- 4). Bien qu’étant unique en son genre, Elie laisse un exemple valable pour tous les hommes, car il était un homme de la même nature que nous (Jac 5.17). Sa ténacité dans l’intercession doit servir d’exemple à tous les fidèles. Même son départ unique de ce monde n’est sans doute qu’un avant goût de l’enlèvement de l’Eglise (1 Thes 4.13-17).

Mais c’est surtout l’annonce de son retour (prophétisé par Mal 3.23 ou 4.5) qui a marqué le plus les hommes, alimentant les conversations des foules et nourrissant l’espoir des âmes pieuses. Ainsi, à l’époque néo-testamentaire, malgré les siècles écoulés, l’attente restait vive. Jésus a été pris (à tort Jean 1.21) pour Elie (Marc 6.15; 8.28) et lors de la crucifixion, le retour d’Elie est même évoqué par des moqueurs (Marc 15.35-36).

Même après la rédaction du Nouveau Testament, le retour d’Elie stimule encore des débats théologiques. Jean-Baptiste a-t-il accompli la prophétie de Malachie ? Partiellement (c.-à.-d. de manière non littérale ), cela est indéniable (Luc 1.17; Mat 11.14; 17.10-12). Faut-il s’en contenter ou attendre un retour en chair et en os avant l’avènement du Messie (cf. Apoc 11.3-6)? Les avis sont partagés. Comme il sied au prophète insaisissable, le mystère risque fort de planer jusqu’aux temps de la fin.

Si Elie a laissé une marque que les siècles n’ont pu effacer, ses contemporains ont aussi pu voir directement les fruits de son ministère, non durant sa vie, mais juste après son départ. L’enlèvement d’Elie suit de peu un changement de règne en Israël. Joram succède à son frère Ahazia dont la mort avait été prophétisée par Elie (2 Rois 1.17). Le nouveau monarque se distance rapidement de la politique de son frère et de son père. Il purifie le pays du culte de Baal (2 Rois 3.1) et, sans retourner totalement vers l’Eternel, il réforme néanmoins sensiblement le pays, accueillant notamment les prophètes de l’Eternel. Ainsi, durant son règne et celui de ses successeurs immédiats, les prophètes (et Elisée en particulier) se promènent librement dans le pays. Ils ne doivent plus vivre dans la crainte perpétuelle d’une arrestation (voire d’une exécution) arbitraire. Cette attitude favorable des rois à l’égard des prophètes peut certainement être attribuée au ministère d’exhortation et de jugement exercé par Elie. Bien que tardivement, ce dernier a fini par être écouté.

Finalement, la présence d’Elie aux côtés de Moïse sur le mont de la Transfiguration est sans doute la marque la plus claire de son rôle fondamental (Mat 17.3-4). Les deux parties du canon hébreu sont représentées: la loi et les prophètes. Moïse est, bien sûr, le grand législateur qui a posé le fondement de tout le judaïsme, alors qu’Elie représente tous les prophètes. Ce choix d’Elie comme représentant des prophètes peut surprendre au premier abord, car il n’est ni le premier prophète, ni le dernier, ni celui qui a fait le plus de miracles ou formulé les prophéties les plus remarquables. A-t-il été choisi parce qu’il a été enlevé au ciel? Ne serait-ce pas plutôt dans son caractère de prophète solitaire (si intimement lié à sa personne) que se trouve la raison du choix? Un prophète doit représenter Dieu auprès des hommes. Sa fonction première consiste à reprendre et exhorter des pécheurs. Ce ministère, par sa nature même, est souvent impopulaire et la liste des prophètes rejetés par leurs contemporains est longue et inclut des hommes aussi renommés que Jérémie et Ezéchiel. Elie, par son ministère fidèle vécu dans la solitude et dans le rejet de ses contemporains, est le type même du prophète de l’Eternel. Son choix à côté de Moïse pour honorer le Messie marquerait, alors, la récompense divine pour un ministère des plus ingrats.

Celui qui cherchera à sauver sa vie la perdra, et celui qui la perdra la retrouvera (Luc 17:33). La vie d’Elie et les paroles du Christ nous exhortent à chercher d’abord l’honneur de Dieu plutôt que celui des hommes. Pour plaire à son Seigneur, le fidèle doit être prêt à tout. Le rejet de la société, la solitude, l’isolement total sont difficiles à vivre. Comme des voyageurs et des étrangers sur terre, parfois victorieux, parfois incompris des plus proches, moqués, fouettés, enchaînés, torturés, isolés, oubliés, rejetés, excommuniés, errants dans leur pays ou dans les déserts (cf. Héb 11.35-38), le fidèle ne cherche pas son bonheur dans cette vie, mais attend la résurrection des morts et le royaume de Dieu pour vivre dans la félicité et le bonheur éternel.

D.A
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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.