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Elisée et la Sunamite: deçu… en bien !

(2 Rois 4.8-37)

Votre équipe favorite vient de perdre le match qu’elle ne devait pas perdre. Des mois de travail ruinés en 90 minutes. La déception vous envahit et vous paralyse. On revit comme un cauchemar le but encaissé ou l’échec de son attaquant de pointe. Pourquoi ont-ils si mal joué? Si seulement ils pouvaient rejouer le match, mais chacun sait qu’on ne peut refaire l’histoire!

On peut être déçu par son équipe favorite, mais on peut aussi être déçu de Dieu. Un accident de circulation, la maladie d’un proche, un échec dans la vie professionnelle, et voilà que les questions et les doutes vous envahissent. Pourquoi Dieu a-t-il permis ce drame? Pourquoi n’est-il pas intervenu? Pourquoi a-t-il fait si mal les choses? Sur le moment, on est déçu de Dieu et certains en restent là, bloqués dans leurs désillusions. D’autres, avec le temps, comprennent la vie et Dieu autrement. La parole qui affirme que « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rom 8.28) devient une réalité. Dieu est plus grand et meilleur que ce qu’ils avaient imaginé. Il est vraiment le Père et le Souverain.

Le récit de la rencontre entre Elisée et la Sunamite (2 Rois 4.8-37) peut être lu de deux manières. On peut être sur- pris et déçu d’Elisée, comme on peut être surpris et déçu en bien d’Elisée!

Elisée étonne. Le prophète ne semble pas agir avec la même facilité que dans les autres récits. Pour une fois, Elisée rencontre l’échec. Le bâton qu’il fait porter d’urgence sur l’enfant décédé ne produit aucun résultat: « Guéhazi les avait devancés, et il avait mis le bâton sur le visage de l’enfant; mais il n y eut ni voix ni signe d’attention. Il s’en retourna à la rencontre d’Elisée, et lui rapporta la chose, en disant: L’enfant ne s’est pas réveillé » (v.31). Ce revers n’est que le plus manifeste du récit. Il n’est que la pointe de l’iceberg. Derrière l’échec du bâton, se cache un ensemble de difficultés.

En reprenant le récit depuis le début, on constate qu’Elisée est incapable de connaître le besoin manifeste de la Sunamite. Pour la récompenser de son hospitalité, il offre de parler pour elle « au roi ou au chef de l’armé » (v.13), mais cela ne correspond à aucune nécessité chez la femme. C’est Guéhazi, serviteur d’Elisée, qui doit rappeler à son maître ce que tout voyageur aurait rapidement découvert: « Elle n’a point de fils et son mari est vieux » (v.14). Elisée a pourtant mangé régulièrement à sa table. Il a profité d’une demeure permanente construite spécialement à son intention. Malgré cela, il semble ignorer le besoin le plus manifeste de la Sunamite.

Cette ignorance des besoins de la femme est confessée ouvertement lorsque la Sunamite vient implorer le prophète suite au décès de son fils. Elle s’est jetée aux pieds d’Elisée, mais celui-ci ne connaît pas son besoin: « Son âme est dans l’amertume, et l’Eternel me l’a caché et ne me l’a point fait connaître » (v.27).

Elisée, qui voit tout et sait tout d’habitude, semble ici limité, rigide même. Non seulement, il ignore les besoins de la femme, mais la communication avec la Sunamite semble difficile. Le premier dialogue entre les deux étonne tout particulièrement. Elisée demande à Guéhazi d’appeler la Sunamite, et quand celle-ci se tient devant lui, le prophète demande à son serviteur de transmettre sa demande: « Elle se présenta devant lui. Et Elisée dit à Guéhazi: Dis-lui. » (v.12-13). Elisée utilise Guéhazi comme on utilise un interprète. Le prophète ne parlait-il pas la même langue que la femme? A trois reprises, alors que la femme est tout près de lui, dans la pièce voisine, Elisée se sert de Guéhazi comme d’un courrier ou d’un huissier pour appeler la femme et lui parler (v.12, 15,36). Lorsqu’Elisée voit la femme venir à sa rencontre au Carmel, il envoie son serviteur au devant d’elle pour prendre de ses nouvelles au lieu d’attendre simplement son arrivée. Systématiquement, Guéhazi se tient entre le prophète et la femme.

Le rapport difficile entre Elisée et la Sunamite se manifeste aussi du côté de la femme qui semble douter du prophète. Quand Elisée lui annonce la naissance d’un fils, elle répond: « Non! mon seigneur, homme de Dieu, ne trompe pas ta servante » (v .16). Des années plus tard, lorsque le malheur frappe son enfant, elle rejette le blâme sur Elisée: « Ai-je demandé un fils à mon seigneur? N’ai-je pas dit: Ne me trompe pas » (v. 28). Quand Elisée demande à Guéhazi de placer le bâton du prophète le plus rapidement possible sur le visage de l’enfant, la femme reste insatisfaite, doutant de l’efficacité d’une telle mesure. Elle insiste pour que le prophète se déplace en personne: « La mère de l’enfant dit: L’Eternel est vivant et ton âme est vivante! je ne te quitterai point. Et il se leva et la suivit » (v.30). La femme semble d’ailleurs douter de tout le monde, car elle ne fait confiance ni à son mari ni à Guéhazi, leur mentant froidement pour cacher le décès de son enfant (v.23, 26).

Une dernière difficulté éprouvée par Elisée transparaît dans la résurrection de l’enfant puisque le prophète doit s’y reprendre à deux reprises pour guérir totalement l’enfant. Dans tout ce récit sur la Sunamite, Elisée semble peiner contrairement aux autres épisodes de sa vie où difficultés et épreuves sont mâtées sans peine. Mais on aurait tort de s’arrêter à cette lecture négative du texte, car une étude plus attentive jette une lumière toute différente.

Une femme remarquable

Avant de le faire, un arrêt sur la femme est nécessaire. Le comportement de la Sunamite peut, lui aussi, être lu de manière négative ou positive. Négativement, nous l’avons dit, la femme ne fait confiance à personne. Mais cette conclusion est hâtive.

Pour commencer, on aurait tort de critiquer la femme pour son manque de confiance à l’égard de son mari. L’homme manque totalement de sensibilité et d’intérêt pour son fils. Lorsque l’enfant est mourant, le père se contente de le remettre à un serviteur pour que celui-ci le porte à sa mère. Lui-même ne daigne même pas interrompre son travail. Quand la Sunamite lui demande un moyen de transport, le mari a déjà oublié la maladie de son fils: « Pourquoi veux-tu aller aujourd ‘hui vers l’homme de Dieu? Ce n’est ni nouvelle lune ni sabbat » (v.23). Aucune question sur la santé de l’enfant. Le père n’aurait-il pas d’amour pour son fils ou a-t-il sous-estimé la gravité des maux de tête (v.19). Dans le meilleur des cas, son comportement n’encourage pas la confiance. Quand la Sunamite répond « tout va bien » (v.23), son mensonge a pour seul but de gagner du temps. Puisque le mari ne s’intéresse pas à l’enfant ou a tant de peine à comprendre la gravité d’une situation, pourquoi perdre du temps avec quelqu’un qui ne sera de toute façon d’aucune utilité?

Le manque de confiance envers Guéhazi ne doit pas non plus être vu trop négativement. La femme veut voir Elisée le plus rapidement possible et tous les moyens sont bons pour contourner les obstacles dressés sur son chemin. La Sunamite traite Guéhazi comme elle a traité son mari. D’un « tout va bien » (v.26), elle l’écarte de son chemin pour se hâter vers le prophète.

Concernant le rapport avec Elisée, il n’est pas correct de dire que la Sunamite ne fait pas confiance au prophète. Rarement attachement plus grand n’a été observé. Non seulement elle l’invite régulièrement à sa table, mais elle fait construire pour lui une chambre permanente. Comme signe d’accueil et d’hospitalité, il est difficile de faire mieux. Plus tard, lorsqu’elle est confrontée au décès de son fils, elle fait tout pour rejoindre le prophète et implorer son aide. Lorsque Elisée envoie Guéhazi avec son bâton, elle insiste pour que le prophète se déplace personnellement. La suite de l’histoire montre que la femme avait raison de presser le prophète, puisque le bâton n’a pu redonner la vie à l’enfant. De plus, Elisée n’a jamais promis que le bâton redonnerait la vie (nous reviendrons sur ce détail ultérieurement). Certes, Guéhazi a interprété l’ordre de son maître dans ce sens (v.31), mais Guéhaz manque souvent de discernement comme le montre l’histoire de Naaman (2 Rois 5.20-27). Il interprète mal aussi le geste de la Sunamite lorsqu’elle s’est jetée aux pieds d’Elisée (v.27): s’étant arrêté sur les paroles de la femme qui lui avait dit que tout allait bien, il ne discerne pas l’amertume qui remplit son cour.

Venons-en maintenant à la réponse de la femme face à l’offre d’une descendance: « Non! mon seigneur, homme de Dieu, ne trompe pas ta servante! » (v.16). Sa réaction mitigée est souvent mal comprise, car on imagine que la femme doute de l’accomplissement d’une telle parole. Selon cette interprétation, la femme serait stérile et douterait pouvoir engendrer un enfant. Mais jamais le mot « stérile » n’est mentionné dans le texte. Guéhazi dit simplement: « Elle n’a point de fils, et son mari est vieux » (v.14).

Le problème de la femme est probablement d’ordre génétique. La femme ne peut pas garder les enfants qu’elle engendre, car ceux-ci, affectés d’une maladie génétique, dépérissent rapidement.

Cette hypothèse éclaire tout le texte. A l’annonce d’une nouvelle naissance, la femme exprime ses craintes: « Non! mon seigneur… ne trompe pas ta servante! » (v.16). Elle ne veut pas encore une fois avoir un enfant pour le perdre ensuite. La douleur est trop grande. Mieux vaut ne pas engendrer d’enfant dans ces conditions. Plus tard, lorsque l’enfant meurt, les premières paroles de la Sunamite à Elisée confirment ce point de vue: « Ai-je demandé un fils à mon seigneur? N’ai-je pas dit: Ne me trompe pas? » (v.28). La femme ne voulait plus d’enfant pour ne plus être déçue.

Cette analyse de la situation explique aussi pourquoi Elisée ne mentionne pas l’absence d’un enfant quand il évoque les besoins de la femme (v.13). Il sait que la femme n’a pas un problème de stérilité, car il la connaît bien. Guéhazi, par contre, l’homme au discernement limité, s’arrête aux apparences. La femme n’a pas d’enfant et son mari est vieux. Un enfant résoudrait donc le problème. Manifestement, ce n’est pas l’avis de la Sunamite.

Elisée, un homme remarquable

Elisée n’est pas dépassé par les événements, mais manifeste, au contraire, une maîtrise remarquable. Relevons pour commencer que le miracle de ce récit est l’un des plus grands accomplis sur terre. La mort est l’ennemi le plus tenace, le dernier à être détruit (1 Cor 15.26). Seuls quatre personnes, en dehors de Jésus, ont ressuscité un homme: Elie, Elisée, Pierre et Paul. La résurrection du fils de la Sunamite est une page des plus lumineuses de l’histoire de la révélation.

L’échec du bâton n’est un échec que pour ceux qui ont mal écouté le prophète. Elisée n’a jamais affirmé que le bâton redonnerait la vie à l’enfant. Certes, souvent le prophète utilise un objet pour accomplir un miracle (son manteau, du sel sur un plat neuf, de la farine, l’eau du Jourdain), mais à chaque fois, le geste est accompagné d’une parole prophétique. Rien de tel ici. Un simple ordre à placer le bâton sur le visage de l’enfant. Elisée voulait peut être simplement indiquer par ce geste que tout n’était pas terminé. Que le prophète avait encore un mot à dire. L’intervention rapide de Guéhazi était nécessaire pour éviter que le mari, alerté par l’odeur du cadavre, n’enterre prématurément le corps.

La double intervention sur le corps de l’enfant n’est pas à mettre sur le compte d’un échec partiel. Si le corps ne fait que se réchauffer la première fois, ce n’est pas parce qu’Elisée est incapable de guérir immédiatement l’enfant. Le prophète veut montrer que le problème de l’enfant est double. Il y a la mort, mais aussi la maladie génétique. Redonner vie à l’enfant sans le guérir de sa maladie, ce n’est que retarder la mort de quelques mois. Elisée redonne la chaleur au corps, mais aussi le souffle de vie. Il redonne la vie au corps, mais le débarrasse aussi de son mal héréditaire.

Parmi différentes déficiences génétiques susceptibles d’entraîner la mort, il est possible que l’enfant ait été atteint de mucoviscidose, maladie caractérisée par des troubles respiratoires chroniques. En effet, « le petit garçon éternua sept fois » (v.35) au moment de reprendre vie, ce qui pourrait indiquer la guérison définitive de son mal.

L’intervention d’Elisée annonce l’ouvre de Christ qui est venu guérir les hommes, non seulement de leurs maladies physiques, mais de leur nature pécheresse héritée en Adam. Chaque geste d’Elisée a sa raison d’être, ce qui est vrai aussi de Jésus. Quand ce dernier guérit un aveugle en deux étapes à Bethsaïda, c’est pour illustrer les deux étapes fondamentales de son ministère (Marc 8.22-26)1. Les miracles physiques qui ont suscité la foi et l’admiration des disciples (Pierre confesse pour la première fois que Jésus est le Christ: Marc 8.29) ne sont pas le mot de la fin, car c’est la passion du Christ qui est la pierre angulaire de son ministère (Marc 8.31). C’est par sa mort que Christ sauve les hommes de la perdition éternelle. Jésus, comme Elisée, guérit les hommes d’une maladie héréditaire. Le corps d’Elisée étendu sur le corps de l’enfant (bouche sur bouche, yeux sur yeux, mains sur mains) donne la vie totale, tout comme le corps de Jésus a été offert pour nous donner la vraie vie. En Christ nous avons reçu une nouvelle humanité, tout comme le fils de la Sunamite est délivré de son hérédité mauvaise.

Dans ce récit, Elisée domine la situation comme à son habitude. Il n’est pas un surhomme, mais son aisance est liée à son appel d’annoncer le ministère du Christ. La seule limite au pouvoir d’Elisée est l’ignorance des besoins de la Sunamite lorsque celle-ci vient lui annoncer la mort de son fils: « Son âme est dans l’amertume, et l’Eternel me l’a caché et ne me l’a point fait connaître » (v.27). Notons que l’ignorance d’Elisée n’est pas totale. Quand la femme se jette à ses pieds, il comprend que son geste trahit l’amertume. Contrairement à Guéhazi qui n’a rien saisi à la souffrance de la femme, le prophète discerne dans la posture de la Sunamite la désolation. Tout ce qu’il ignore est l’origine du problème, mais dès que la femme mentionne son fils (« Elle dit: Ai-je demandé un fils à mon seigneur?N’ai- je pas dit: Ne me trompe pas? » v.28), Elisée comprend qu’elle fait allusion à la mort de ce dernier. Quelques mots suffisent au prophète pour tout comprendre, car Elisée n’est pas borné comme Guéhazi. Néanmoins, le prophète, malgré sa sensibilité, ne sait pas tout.

Cette limite à son pouvoir n’handicape pas son ministère. Elisée sait que l’Eternel est avec lui. De plus au travers de cette légère limitation de sa connaissance, Elisée annonce Christ une fois de plus. Jésus est omniscient excepté pour la date de son avènement (Mat 24.36).

Le thème des intermédiaires

Avant de clore cette étude, il convient d’attirer l’attention sur le thème des intermédiaires. La femme rejette tout intermédiaire entre elle et l’Eternel à l’exception d’Elisée. Elle écarte tour à tour son mari, le serviteur d’Elisée, le bâton d’Elisée. Elle n’a d’intérêt que pour le prophète. Son attachement est total du début à la fin. Il y a d’abord accueil du prophète (une demeure permanente lui est construite), puis refus de le quitter (v.30).

Elisée est apprécié non parce qu’il pourrait servir d’intermédiaire entre la femme et les plus hautes instances politiques et militaires du pays (« Faut- il parler pour toi au roi ou au chef de l’armée? » v.13), mais parce qu’il est le représentant de Dieu. Notons en passant que si Elisée n’a pas directement parlé à la femme lorsqu’il lui propose d’intervenir en sa faveur auprès du roi ou du chef de l’armée (v.12-13), ce n’était que pour mieux souligner le thème des intermédiaires.
L’attachement de la femme pour Elisée est remarquable et doit nous stimuler à nous attacher au Messie qu’Elisée annonce. On ne peut échapper à la perdition éternelle qu’en s’attachant sans restriction à Jésus-Christ. Il est l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin de toutes choses (Apoc 22.13). Avec Jésus, on ne peut être que déçu en bien.

D.A.
1D. Arnold, « Une guérison en deux étapes », in Ichthus 135, pp. 21-24.

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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.