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Elisée et le siège de Dothan: un regard d’aigle ou de taupe?

(2 Rois 6.8-23)

Maigret, Colombo, Derrick ont l’oil pour découvrir l’indice qui dévoile le coupable. Tenaces, méticuleux, attentifs aux détails et doués de psychologie, ils voient ce qui échappe aux autres. Au niveau des enquêtes policières, ils n’ont pas leur pareil. Dans d’autres domaines, d’autres personnes se distinguent par un sens de l’observation hors du commun. Professionnels ou amateurs, ils repèrent les fautes d’orthographe, l’erreur de raisonnement, la fausse note dans un concert, la copie de l’original dans une galerie de tableaux, la plus légère flexion d’un genou chez les meilleurs gymnastes. Experts dans les domaines les plus divers, ils percent les mystères et les énigmes, discernent le vrai du faux, repèrent l’aiguille dans la meule de foin.

Le champion de la vue

Tous ces hommes sont experts. Ils ont un don de discernement manifeste, mais leur compétence reste limitée à un domaine particulier. Le récit du siège de Dothan nous présente cependant un homme dont le discernement n’est pas seulement remarquable, mais exceptionnel, surhumain même. Elisée est le champion des champions dans le domaine de la vue.

Premièrement, Elisée est capable de voir les choses les mieux cachées sur le plan humain. Ainsi, tous les secrets militaires de l’ennemi, même les plus confidentiels, lui sont connus. Il entend directement toutes les paroles du roi de Syrie, y compris celles prononcées dans la chambre à coucher royale, l’endroit le mieux protégé du camp ennemi. Sa connaissance est totale, instantanée et, semble-t-il, illimitée dans le temps ( «Cela arriva non pas une fois ni deux fois» v.l0).

Deuxièmement, Elisée est capable de faire voir à un proche collaborateur les réalités matérielles fondamentales cachées au commun des mortels. Entouré par l’ennemi syrien qui a porté son siège sur Dothan, Elisée ne manifeste aucune crainte, car il sait que l’armée de l’Eternel veille sur lui. Il encourage son serviteur d’abord par sa foi ( «Ne crains point, car ceux qui sont avec nous sont en plus grand nombre que ceux qui sont avec eux» v.16), puis par sa prière («Elisée pria, et dit: Eternel, ouvre ses yeux, pour qu’il voie. Et l’Eternel ouvrit les yeux du serviteur, qui vit la montagne pleine de chevaux et de chars de feu autour d’Elisée» v.17). Le serviteur peut voir de ses yeux, distinctement, en plein jour (v.15), une armée étincelante. Ce n’est pas une erreur d’optique (comme dans le cas des Moabites qui avaient interprété les reflets du soleil levant sur de l’eau pour du sang: 2 Rois 3.22-23). L’armée entoure Elisée, donc la ville de Dothan. Que le soleil soit de face, de dos ou de côté, le résultat est le même. Ce n’est pas non plus un simple rêve, car le serviteur voit ce qui est matériellement là.

Troisièmement, Elisée est capable de troubler la vue d’une armée entière. Ce qui est manifeste pour tous les hommes devient opaque pour les soldats. Ainsi, lorsqu’Elisée se présente aux Syriens, il prie l’Eternel de troubler la vue des soldats («Daigne frapper d’aveuglement cette nation! Et l’Eternel les frappa d’aveuglement, selon la parole d’Elisée» v.18), puis il leur promet de les conduire vers l’homme recherché et les emmène à Samarie. Ainsi, en l’espace de deux prières – une pour son serviteur (v .17) et une pour les Syriens (v.18) -, on passe de la lumière aux ténèbres, d’une révélation exceptionnelle à la confusion la plus totale. Les soldats deviennent le jouet d’Elisée qui les conduit dans la capitale israélite, située à 14 kilomètres au sud de Dothan. Notons que les soldats ne sont pas totalement aveugles puisqu’ils peuvent marcher et suivre Elisée. Ils voient le prophète, mais sont incapables de l’identifier. Avec naïveté, ils croient aux paroles du premier venu: « Elisée leur dit: Ce n’est pas ici le chemin, et ce n’est pas ici la ville; suivez-moi, et je vous conduirai vers l’homme que vous cherchez. Et il les conduisit à Samarie » (v.19). Leur enquête leur avait pourtant révélé que le prophète se trouvait à Dothan (v.13). En entrant à Samarie, les Syriens ne voient pas les troupes de soldats israélites qui les encerclent. Ce n’est que suite à une nouvelle prière d’Elisée qu’une vue normale leur est rendue: « Lorsqu’ils furent entrés dans Samarie, Elisée dit: Eternel, ouvre les yeux de ces gens, pour qu’ils voient! Et l’Eternel ouvrit leurs yeux, et ils virent qu’ils étaient au milieu de Samarie » (v.20). Ainsi, de la sortie de Dothan à l’entrée de Samarie, les Syriens sont dans le trouble et la confusion la plus totale, sans être aveugles pour autant.

Le discernement limité des hommes

Le récit du siège de Dothan ne sou- ligne pas seulement les dons exceptionnels d’Elisée dans le domaine de la vue, mais illustre aussi le discernement limité des autres hommes. La confusion des troupes syriennes n’est que l’aspect le plus manifeste de l’égarement et des limitations humaines.

Avant de nous étendre sur la cécité humaine, notons cependant que dans la première partie du récit, qui culmine avec la vision du serviteur qui voit l’armée de l’Eternel (v.8-17), chacun semble tout voir. Ainsi, le roi d’Israël reçoit les informations nécessaires pour se protéger des guets-apens de l’ennemi. Désirant être sûr des informations reçues, il prend la peine de vérifier les dires du prophète et constate de visu l’exactitude des informations transmises («Le roi d’Israël envoya des gens, pour s’y tenir en observation, vers le lieu que lui avait mentionné et signalé l’homme de Dieu» v.l0). Quand les Syriens découvrent l’inefficacité de leur stratégie, leur roi est rapidement informé de l’origine des fuites: «Elisée, le prophète, qui est en Israël, rapporte au roi d’Israël les paroles que tu prononces dans ta chambre à coucher» v.12). Le texte est succinct. Rien n’est dit sur la manière dont les Syriens sont arrivés à cette conclusion. Le narrateur souligne simplement le fait qu’ils savent. Les Syriens peuvent ensuite trouver Elisée: « Le roi dit: Allez et voyez où il est, et je le ferai prendre. On vint lui dire: Voici, il est à Dothan » (v.13). A nouveau, le récit est concis. Les difficultés d’une telle recherche sont ignorées. Les Syriens savent, c’est tout ce qui importe.

Cette première lecture ignore cependant les limites des protagonistes. Le roi d’Israël n’est pas informé de toutes les paroles prononcées par le roi de Syrie dans sa chambre, mais seulement de celles qui ont trait à sa sécurité. Elisée ne dévoile pas au roi d’Israël où se trouvent stationnées l’ensemble des troupes syriennes, ce qui lui aurait permis de mener l’offensive. Elisée est le prophète de la vie et non de la mort. Il protège les hommes (Juifs et païens), mais n’encourage jamais l’agression. D’autre part, le roi d’Israël manifeste une limitation dans sa connaissance par son incrédulité. Le roi ne semble satisfait des paroles d’Elisée que dans la mesure où il peut les vérifier (v. 10). Une telle personne sera nécessairement limitée dans sa connaissance, car beaucoup d’informations révélées par Dieu ne peuvent être vérifiées dans cette vie.

Dans l’autre camp, le roi de Syrie est limité, lui aussi, dans sa connaissance. Dans un premier temps, il se trompe royalement lorsqu’il attribue les fuites à un traître (« Le roi de Syrie appela ses serviteurs, et leur dit: Ne voulez-vous pas me déclarer lequel de nous est pour le roi d’Israël? » v.ll). Dans un deuxième temps, le roi témoigne d’une grande naïveté quand il croit pouvoir capturer Elisée. Comment le roi de Syrie pouvait-il simplement envisager d’attraper le prophète qui avait déjoué tous ses plans? Certes, il réussit à identifier la source des fuites, puis à localiser le lieu de résidence du prophète. Il réussit même à encercler la ville de Dothan avant le départ du prophète. Mais cela ne signifie pas que le roi réussit dans son entreprise. La suite de l’histoire montre le contraire. Ce ne sont pas les envoyés syriens qui capturent Elisée, mais Elisée qui capture les envoyés. Le prophète domine tout le récit. Il ne manifeste aucune intention de fuir, ni avant l’arrivée des Syriens ni après. La logique permet de penser qu’Elisée n’ignorait rien des projets revanchards du roi à son égard, mais qu’il attendait simplement à Dothan l’arrivée des troupes pour leur jouer un tour à sa manière. Les aurait-il même aidés à le trouver qu’on n’en serait pas surpris.

A la fin du récit, le roi d’Israël témoigne une nouvelle fois de ses limites quand les troupes syriennes pénètrent dans Samarie. « Le roi d’Israël, en les voyant, dit à Elisée: Frapperai-je, frapperai-je, mon père? » (v.21). Le roi d’Israël veut tuer les soldats, ce qui s’oppose à tout bon sens comme le lui fait sentir le prophète: « Tu ne frapperas point, répondit Elisée; est-ce que tu frappes ceux que tu fais prisonniers avec ton épée et avec ton arc? » (v.22). Pour un stratège militaire, les prisonniers de guerre sont souvent plus utiles vivants que morts. Vivants, ils peuvent être astreints à des corvées difficiles ou être négociés dans l’échange de prisonniers (la jeune servante de Naaman n’était certaine-ment pas la seule prisonnière juive des Syriens: 2 Rois 5.2). Elisée oppose un non ferme au roi. Les prisonniers ne seront pas tués. Cela ne s’opposerait pas seulement à une saine logique militaire, mais Elisée n’est tout simplement pas le prophète de la mort. Mieux, il est le prophète de la vie, et va donc relâcher les captifs, après les avoir restaurés (« Donne-leur du pain et de l’eau, afin qu’ils mangent et boivent, et qu’ils s’en aillent ensuite vers leur maître » v,22), Elisée ne demande rien en contrepartie de son geste généreux, L’amour du prophète est manifeste.

Que voyons-nous?

Cette évaluation du discernement des différents personnages du récit nous conduit à nous poser la question de notre propre discernement: d’une manière générale, mais aussi par rapport à ce texte. Que comprenons-nous en lisant ce récit du siège de Dothan? En particulier, quel sens donner aux interventions d’Elisée?

Elisée voit loin, très loin, mais jusqu’où voit-il? Elisée révèle des choses cachées, mais avons-nous saisi tout son message? Comme nous l’avons souligné dans un précédent article («Elisée, le prophète des signes» Promesses 122), Elisée annonce le ministère de Jésus-Christ. Dans le récit consacré au siège de Dothan, Elisée se joue d’une armée hostile qui l’entoure tout comme Jésus passe aux travers de foules hostiles (Lc 4.28-30; Jn 7.30; 8.20). Elisée parle de la protection de l’armée de l’Eternel (équipée de chevaux et de chars de feu) tout comme Jésus fait allusion à douze légions d’anges qui pourraient intervenir au moindre signe de sa part (Mt 26.53). Elisée ouvre les yeux de son serviteur pour qu’il puisse voir l’aspect glorieux, mais caché de Dieu, tout comme Jésus emmène ses disciples sur le mont de la Transfiguration pour qu’ils puissent voir la face cachée de sa gloire (Mt 17.1-13). Elisée témoigne de l’amour pour son prochain tout comme le Christ. Le prophète sauve les hommes de la mort. Il avertit le roi d’Israël des guets-apens syriens et empêche la colère du roi d’Israël de frapper les troupes syriennes vaincues. Juifs et païens sont l’objet de son amour tout comme Jésus a aimé les hommes de toutes nations en mourant sur la croix pour eux.

Elisée est le prophète de la vue. Il ouvre une fenêtre sur l’avenir. Il annonce Jésus-Christ. La vision des chevaux et des chars de feu attirent l’attention des Israélites sur des ressources divines insoupçonnées, mais extraordinaires. Pour les chrétiens, la vision des armées de l’Eternel est là pour nous encourager à persévérer dans les difficultés. Beaucoup de choses nous échappent, mais nous n’avons pas besoin de tout voir pour croire. La parole du Seigneur suffit, car ce qu’il dit est toujours vrai.

A ce sujet, certains esprits sont gênés par le « mensonge » d’Elisée lorsqu’il dit aux Syriens: «Ce n’est pas ici le chemin, et ce n’est pas ici la ville; suivez-moi, et je vous conduirai vers l’homme que vous cherchez. Et il les conduisit à Samarie» (v.19). Mais s’agit-il vraiment d’un mensonge? Elisée a tenu parole et ne s’est pas dérobé devant les Syriens. Il serait plus correct de dire qu’Elisée a égaré ses agresseurs par une parole ambiguë. L’égarement est manifeste, mais il faut souligner qu’Elisée est dans une situation de légitime défense. Il ne trompe pas son prochain pour lui faire du mal, mais pour l’empêcher de faire du mal. La différence est de taille.

Dieu ne trompe jamais ceux qui se confient en lui. L’Ecriture est lumière et vérité. Elle n’induit jamais en erreur ni ne contient la moindre erreur. Ne nous lassons pas de l’étudier, car c’est par elle que Dieu a choisi de se révéler. Un esprit d’humilité doit nécessairement accompagner cette étude, car Dieu résiste aux orgueilleux, mais il donne son Saint- Esprit à ceux qui le lui demandent.

L’existence est faite d’interrogation. L’Ecriture nous paraît parfois obscure. Elisée nous intrigue par ses actes. Les circonstances semblaient catastrophiques au serviteur d’Elisée. Mais quand Dieu intervient, ouvre les yeux et se révèle, quand il illumine l’Ecriture, alors tout change. Le serviteur d’Elisée avait reçu l’assurance que les armées de l’Eternel campaient autour de Dothan. Le chrétien a reçu la promesse de la présence quotidienne du Seigneur. A ses disciples, Jésus a dit: «Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde» (Mt 28.20). Sa présence est plus réconfortante que toutes les armées célestes. Car lui peut non seulement nous protéger, mais nous consoler.

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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.