Dossier: Vraie et fausse spiritualité
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Elisée, le prophète des signes

Les miracles fascinent. Certaines époques sont marquées par une multiplication d’interventions divines. C’est le cas en particulier des périodes de Moïse, d’Elisée et de Jésus.

Deux de ces époques sont des périodes de fondation de l’histoire de la Révélation: celle de Moïse pour l’Ancien Testament et celle de Jésus pour le Nouveau Testament. Dans les deux cas, Dieu a authentifié ces ministères clés par des signes et des prodiges variés. Jésus a attiré l’attention sur la valeur démonstrative de ses miracles: « les oeuvres que le Père m’a donné d’accomplir; ces oeuvres mêmes que je fais, témoignent de moi que c’est le Père qui m’a envoyé » (Jean 5.36), ou encore « Si je ne fais pas les oeuvres de mon Père, ne me croyez pas. Mais si je les fais, quand même vous ne me croyez point, croyez à ces oeuvres, afin que vous sachiez et reconnaissiez que le Père est en moi et que je suis dans le Père » (Jean 10.37-38). Lors d’une visite à Capernaüm, Jésus guérit un paralytique apporté par quatre hommes « afin que vous sachiez que le Fils de t’homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péché » (Marc 2.10). Les miracles jouent un rôle analogue pour Moïse. Au buisson ardent, l’Eternel promet à Moïse d’opérer des miracles pour convaincre le peuple de le suivre (Ex 4.1-9). Puisque tant de choses étaient nouvelles, une multiplication de signes était nécessaire pour authentifier ces ministères à la base de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Le troisième personnage dont le ministère est saturé de miraculeux n’a pas apporté, au contraire des deux autres, de changement fondamental. Elisée n’est pas une pièce maîtresse comme Moïse ou Jésus. Retirez Moïse ou Jésus de la révélation biblique et tout s’écroule; retirez Elisée et tout demeure. Elisée ressemble à un feu d’artifice qui impressionne et émerveille sur le moment, mais, une fois terminé, laisse le monde dans l’état où il était.

Cette constatation sur l’impact insignifiant du ministère d’Elisée concerne non seulement l’histoire générale de la Révélation, mais aussi l’époque particulière du prophète. Les miracles d’Elisée semblent souvent gratuits. Prenez Naaman (2 Rois 5). Certes, un lépreux est guéri, mais ce n’est qu’un lépreux parmi tant d’autres contemporains d’Elisée, Hébreux de surcroît, qui souffraient de la même maladie(2 Rois 7.3). De plus, la guérison du général syrien ne change en rien les relations tendues entre Israël et son voisin du nord. Après la guérison, le roi de Syrie continue à harasser les Juifs (2 Rois 6.8-9, 24). De même, la célèbre et miraculeuse capture de l’armée syrienne par Elisée suite au siège de Dothan (2 Rois 6.8-23) n’atténue pas l’agressivité des Syriens qui remettent l’ouvrage sur le métier, peut-être même avec les soldats gracieusement libérés par Elisée (2 Rois 6.24). Concernant ce siège de Dothan, on peut aussi s’interroger sur l’utilité de montrer au serviteur d’Elisée l’armée céleste (2 Rois 6.16-17), puisque celle-ci n’est jamais intervenue.

Dans un autre domaine, le miracle du fer de hache qui flotte (2 Rois 6.1-7) étonne non seulement parce qu’un tel miracle ne s’est jamais produit avant ni après, mais aussi par la démesure des moyens employés pour résoudre un problème mineur. Une simple collecte organisée auprès de la communauté des fidèles aurait suffi. Même remarque au sujet de la veuve incapable de payer ses créanciers (2 Rois 4.1-7). Pourquoi ne pas demander aux fils des prophètes de manifester leur solidarité envers la famille de leur camarade décédé? Elisée aurait aussi pu jouer de son influence auprès du roi (comme il le propose juste après à la femme de Sunem: « Que peut-on faire pour toi? Faut-il parler pour toi au roi ou au chef de l’armée » (2 Rois 4.13). En Israël, les créanciers n’avaient pas tous les droits et devaient respecter les pauvres (cf. Dt 24.10-13,17-22). Pourquoi Elisée utilise-t-il des moyens si exceptionnels? Pourquoi l’Eternel déploie-t-il une telle armada de signes pour de si maigres résultats?

Quelques changements malgré tout

Avant de répondre à la question, il convient d’atténuer légèrement nos propos sur l’impact laissé par Elisée. En effet, tous les actes d’Elisée sont marqués par des renversements de situations. Nous avons déjà relevé la différence radicale entre Elie et Elisée (voir Promesses 118 « Elie, le prophète solitaire » et Promesses 119 « Elisée, le prophète du peuple »). Nous avons aussi vu comment l’assainissement des eaux de Jéricho annulait la malédiction de Josué, et comment la malédiction des enfants de Béthel prenait le contre-pied de la bénédiction de Jéricho (voir Promesses 120 « Les eaux de Jéricho purifiées… et les enfants de Béthel maudits »).

La liste des renversements ne s’arrête pas là. L’histoire de Naaman est en deux parties. Tout le monde se rappelle la guérison du général syrien (2 Rois 5.1-19), mais peu se souviennent de la malédiction de Guéhazi à qui s’attache la lèpre de Naaman (2 Rois 5.20-27). Ainsi, le général de l’armée ennemie d’Israël est totalement purifié de son mal, alors que le plus proche collaborateur d’Elisée est puni pour toujours (2 Rois 5.27)!

Renversements et confusions marquent aussi les guerres dans lesquelles Elisée est impliqué. Les trois conflits sont caractérisés par le trouble des organes de perception (vue et ouïe) de l’ennemi.

(1) Les Moabites prennent l’eau rougie par les rayons du soleil levant pour du sang et supposent, à tort, que les soldats de la troupe coalisée se sont entre-tués (2 Rois 3.22-23).

(2) L’armée syrienne qui est venue arrêter Elisée à Dothan est aveuglée par celui-ci (2 Rois 6.18-20), alors qu’Elisée et son serviteur voient l’invisible: le prophète discerne chaque mouvement de troupes de l’ennemi (2 Rois 6.8-9) et le serviteur peut apercevoir l’armée céleste qui campe sur les hauteurs de la ville (2 Rois 6.16- 17).

(3) Lors du siège de Samarie, l’armée syrienne est terrorisée par un bruit qu’aucun Hébreu n’a entendu attribuant ensuite, à tort, ce bruit à l’arrivée simultanée des armées hittite et égyptienne (2 Rois 7.6).

Un autre étonnement concerne le nombre et le genre de victimes. Les narrations des trois conflits armés sont marquées par l’absence de blessés de guerre. Dans la dispute avec Moab, on relève exclusivement la destruction des fortifications des villes et le saccage des campagnes (« Ils renversèrent les villes, ils jetèrent chacun sa pierre dans tous les meilleurs champs et les en remplirent, ils bouchèrent toutes les sources d’eau, et ils abattirent tous les bons arbre » 2 Rois 3.25). Lors du siège de Dothan, Elisée capture toute l’armée syrienne, mais la relâche après l’avoir restaurée, et lors du siège de Samarie, les Syriens repartent sans tuer le moindre Hébreu, nourrissant même à leur tour les Israélites par leurs biens abandonnés. Dans ces récits, les seules victimes mentionnées sont celles qui ont été tuées par des concitoyens. Le roi de Moab sacrifie son fils (2 Rois 3.27), une mère juive tue et mange son fils (2 Rois 6.26-29), et le peuple de Samarie écrase le gardien incrédule à la porte de la ville dans sa précipitation à chercher la nourriture abandonnée par les Syriens (2 Rois 7.17-20). Difficile d’imaginer des récits de guerre plus étranges que ceux-ci. C’est le monde à l’envers.

Objets impliqués dans les miracles

Elisée étonne aussi par la nature des miracles. Si jamais des miracles de l’Ecriture nous font penser à de la magie, c’est bien avec Elisée. Il utilise les éléments les plus divers pour réaliser ses prodiges: du sel pour assainir une source d’eau, de la farine pour neutraliser les ingrédients vénéneux d’un potage, un morceau de bois pour faire surnager une hache, une harpe pour sauver trois armées, son corps allongé sur un enfant (bouche sur bouche, yeux sur yeux, mains sur mains) pour le ressusciter, un manteau pour écarter les eaux du Jourdain, les eaux du Jourdain pour purifier un lépreux. Presque chaque miracle est marqué par un objet. Notons que les objets ne sont jamais les mêmes, ce qui enlève partiellement l’idée de magie.

En fait, Elisée n’utilise ni formule magique ni objet magique. Les objets utilisés ont un but pédagogique. Le manteau est signe d’autorité, le plat neuf pour le sel représente la nouvelle orientation du ministère d’Elisée (voir Promesses 120), les eaux du Jourdain symbolisent la terre promise et surtout l’alliance divine avec son peuple, les coups frappés avec une flèche indiquent l’ampleur d’une victoire militaire (2 Rois 13.15-19). Il ne convient pas, ici, de donner le sens de chaque objet, mais seulement d’attirer l’attention sur ce sens symbolique.

Le ministère christocentrique d’Elisée

Elisée est un prophète qui enseigne. Il utilise l’image et le symbole. Mais pour comprendre toute la portée de son message, il faut se rappeler qu’une des caractéristiques d’Elisée est de voir dans l’avenir. Elisée est le prophète du futur. Ainsi, il peut prédire l’arrivée de la pluie et la dévastation des territoires de l’ennemi (2 Rois 3.16-19), entrevoir la multiplication de l’huile (2 Rois 4.4), promettre la naissance prochaine d’un enfant (2 Rois 4.16), informer de l’assainissement d’un potage (2 Rois 4.41), annoncer la multiplication de la nourriture (2 Rois 4.43), garantir la guérison à un lépreux (2 Rois 5.10), divulguer les mouvements secrets de l’armée syrienne (2 Rois 6.8-9), proclamer la fin soudaine d’une famine (2 Rois 7.1), avertir un incrédule de sa mort imminente ( 2 Rois 7.2). Mais Elisée n’annonce pas seulement l’avenir immédiat. Il n’est pas seulement un prophète pour ses contemporains, mais un prophète pour les générations futures.

Pour comprendre pleinement le ministère d’Elisée, il faut réaliser que fondamentalement Elisée annonce Jésus-Christ. Ses gestes et ses actes respirent l’Evangile. La multiplication des pains est le récit christologique le plus manifeste (2 Rois 4.42-44). Elisée demande à son assistant de nourrir une grande foule avec quelques pains. « Impossible », lui répond celui-ci, sur quoi Elisée réplique que non seulement chacun sera rassasié, mais qu’il y aura un excédent de nourriture. Qu’il y ait cent hommes au lieu de cinq mille, vingt pains au lieu de cinq pains et deux poissons est secondaire (Mt 24.25-21). Elisée précède Jésus. Le Christ fait plus, bien sûr, car lui est le maître et Elisée, le serviteur. Ainsi, Jésus avec moins de pains nourrit plus d’hommes. Avec un pain, il ne nourrit pas seulement cinq hommes, mais mille familles (Mt 14.21).

Cette supériorité du Fils de Dieu sur le prophète se retrouve dans d’autres récits. Elisée ressuscite le fils unique d’une femme à Sunem (2 Rois 4.8-37), alors que Jésus ressuscite plusieurs personnes, dont le fils unique d’une femme à Naïn (Lc 7.11-17). Certains pensent que les deux localités n’en forment qu’une seule, Naïn étant la forme abrégée de Sunem (The New Bible Dictionary, p. 861). Dans le cas d’Elisée, le prophète doit s’étendre de tout son long à deux reprises pour pouvoir redonner la vie, alors que Jésus se contente de toucher le cercueil pour que l’enfant soit guéri. Le miracle d’Elisée est exceptionnel (il n’y a que deux résurrections dans l’Ancien Testament), mais celui de Jésus est encore plus exceptionnel. Concernant la résurrection des morts, notons aussi que le corps d’Elisée dans sa tombe redonne vie à un homme (« On jeta un homme dans le sépulcre d’Elisée. L’homme alla toucher les os d’Elisée, et il reprit vie et se leva sur ses pieds » 2 Rois 13.20-21), mais lorsque Jésus meurt « les sépulcres s’ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent » (Mt 27.50-53). Jésus redonne aussi par sa mort la vie à tous ceux qui placent leur confiance en lui.

Au chapitre des guérisons, signalons encore que si Elisée guérit un lépreux (c’est le seul récit de guérison d’un lépreux dans l’Ancien Testament), Jésus en guérit beaucoup, et même dix lors d’une seule rencontre (Lc 17.12). A cette occasion, Jésus envoie aussi les lépreux loin de lui (non vers le Jourdain comme pour Naaman, mais vers les sacrificateurs: Lc 17.14) et c’est en chemin qu’ils sont guéris. Le seul qui revient vers Jésus pour le remercier est un Samaritain, c’est-à-dire un étranger comme Naaman. La région géographique est la même: Elisée séjourne à Samarie et « Jésus passait entre la Samarie et la Galilée » (Lc 17.11). D’une manière plus générale, Elisée annonce la miséricorde du Christ. La guérison gratuite de Naaman, général en chef des armées ennemies ou la libération des soldats syriens capturés par Elisée préfigurent l’ouverture de la grâce aux hommes de toutes nations.

Dans le domaine des miracles sur la nature, le fer de hache qui flotte sur l’eau annonce, d’une certaine manière, la marche de Jésus sur l’eau. Les deux hommes sont capables de surmonter la loi de la gravitation, mais Jésus peut le faire plus longtemps (il a marché cinq à six kilomètres sur l’eau: Jn 6.19), et répète l’opération une deuxième fois, en permettant à Pierre de venir le rejoindre hors de la barque (Mt 14.28-29). Le fer de hache reste en contact étroit avec l’eau (il flotte: 2 Rois 6.6), alors que Jésus est debout sur l’eau.

Comme points communs entre les deux hommes signalons-en encore trois. Ils concernent le savoir immense des deux hommes, la protection divine et les prophètes qui les ont précédés.

(1) Le savoir immense. Elisée semble tout savoir à une exception près: il confesse ne pas connaître le besoin de la Sunamite (« Son âme est dans l’amertume, et l’Eternel me l’a caché et ne me l’a point fait connaître » 2 Rois 4.27). Jésus, de même, sait tout à une exception près: il admet ignorer le jour de son avènement (« Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul » Mt 24.36).

(2) La protection divine. Jésus, comme Elisée, passe à travers des foules hostiles qui veulent l’arrêter (Lc 4.28-30 et Jn 7.30; 2 Rois 6.18-20). Jésus, comme Elisée, parle d’une armée céleste prête à prendre sa défense. D’un côté, plus de douze légions d’anges (Mt 26.53), de l’autre, une montagne pleine de chevaux et de chars de feu (2 Rois 6.16-17).

(3) Les précurseurs. Le lien entre Elie (précurseur d’Elisée) et Jean-Baptiste (précurseur de Jésus) est étroit: « c’est lui (Jean-Baptiste) qui est l’Elie qui devait venir, (Mt 11:14). Chaque précurseur est suivi par un successeur plus puissant (2 Rois 2.9-10; Jn 3.27- 31), et la passation des pouvoirs se déroule au Jourdain.

Un ministère exceptionnel

Elisée est beaucoup plus qu’un feu d’artifice passager. Il laisse, au travers de ses actes, le témoignage le plus manifeste du ministère de Christ. Si le ministère d’Elisée présente tant de contrastes et de renversements de si- mations, c’est parce que la venue de Jésus a révolutionné le rapport entre Dieu et les hommes. Si le ministère d’Elisée semble inefficace, c’est parce qu’Elisée illustre la grâce totale. Naaman n’est pas guéri pour amadouer les Syriens. Le salut est vraiment gratuit. Si Elisée fait tant de miracles, c’est pour annoncer le ministère puissant de Jésus. Si Elisée utilise tant d’objets dans ses miracles, c’est par souci pédagogique. Il veut montrer qu’il ne faut pas s’arrêter au résultat du miracle, mais chercher à en comprendre le sens. Elisée illustre et annonce le Messie pour qui chaque miracle, chaque détail même, est riche de signification.

Peut-on souhaiter faire quelque chose de plus beau dans sa vie que d’annoncer celui par qui et pour qui sont toutes choses (cf. Col 1.15-16)? Jean-Baptiste précurseur immédiat de Jésus est considéré comme le plus grand des hommes (Mt 11.11). Elisée est grand lui aussi, non pas d’abord par ses signes, mais à cause de celui que ses signes annoncent.

Elisée éclaire Christ, mais Christ éclaire aussi Elisée. Lire le ministère de ce prophète à la lumière de l’Evangile est un régal. Quand on commence, on ne sait plus où s’arrêter. Les actes mystérieux d’Elisée s’éclairent. Sens et unité apparaissent. Jésus jette la vraie lumière sur l’Ancien Testament.

D.A.
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Dossier : Vraie et fausse spiritualité
 

Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.