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Emu de compassion

« Pour moi, ici, à Ban Vinai, Thaïlande, la compassion revêt des formes particulières. Hier, il a fallu très rapidement enlever à des parents leur jeune enfant qui se mourait et pour lequel ils accomplissaient des rites animistes. J’ai pris le bébé et je l’ai conduit au dispensaire le plus proche, afin qu’on puisse le soigner et le sauver. Aujourd’hui, les choses paraissent moins urgentes, mais n’en sont pas moins importantes. Pendant que je donne mon cours, je m’aperçois que l’un de mes élèves a du mal à assimiler mon enseignement; il faut que je prenne du temps pour répéter, et répéter encore, alors que je suis si fatiguée. J’aurais envie de remettre tout cela à demain. Dans ce camp de réfugiés cambodgiens, il y a tant de problèmes, et je me sens souvent dépassée par les événements. Je me dis qu’il faudrait davantage de moyens, davantage de personnes pour répondre à tant de besoins et en même temps. Je veux faire confiance à Dieu, croyant qu’il veillera à ce que la tâche commencée viendra un jour à son terme; qu’à la place des ténèbres de ce camp, la lumière de l’Evangile resplendira.» Ainsi témoigne Ruth Neckerson.

Face à tant de besoins et de misères, aucune personne de bonne volonté ne peut rester insensible. Il y a certainement beaucoup à faire. Mais comment s’y prendre? Etre plus solidaires? Soutenir les grandes actions humanitaires? Nos interrogations se mêlent et se compliquent au fur et à mesure que nous y réfléchissons. Les lignes qui suivent voudraient tenter de mettre un peu d’ordre dans les pensées, afin de discerner quelle doit être le comportement du chrétien aujourd’hui face aux im­menses besoins des hommes.

La première démarche qui s’impose consiste à examiner ce que l’Ecriture nous enseigne quant à la compassion.

Au commencement

Lorsque l’oeuvre de la création s’achève, le Créateur affirme que tout est très bon. Les relations humaines sont parfaites, et l’homme trouve en Eden tout ce qui lui est nécessaire, matériellement, spirituellement et socialement. Cette réalité sera complètement défigurée par le péché. Dès lors, l’injustice et l’égoïsme vont prendre le dessus. Les récits de l’Ancien Testament et notre propre expérience en donnent de trop nombreuses preuves.

Cependant, nous voyons aussi se déployer une autre ligne de force déjà dans l’Ancien Testament: Dieu n’abandonne pas l’homme à sa situation misérable; il se révèle à lui et lui fait connaître sa propre compassion. Il prend plaisir à la miséricorde (Mich 7.18). Cette compassion divine pourra faire naître la compassion humaine, l’amour pour le prochain. La loi que Dieu donne à son peuple contient de nombreuses précisions sur la manière dont cet amour pourra s’exercer. Une attention toute particulière est portée au plus faible, au pauvre, à la veuve et l’orphelin. La fonction de la loi a un double but: elle est à la fois une barrière qui limite les effets du mal et une voie dans laquelle l’amour pourra s’épanouir. Contrairement à ce que beaucoup de nos contemporains imaginent, loi et amour ne s’opposent pas, mais au contraire se complètent.

Ce que l’Ancien Testament ébauche et prépare va trouver son plein épanouissement en la personne de Jésus, qui incarnera de manière parfaite la compassion de Dieu pour les hommes. L’expression «il fut ému de compassion» revient souvent dans les écrits évangéliques et nous montre que c’est là le moteur qui le pousse très souvent à agir. Sa prédication, ses miracles, sa mort sur la croix, voire sa venue dans notre monde, n’avaient pas d’autre raison: manifester son amour pour les hommes. Les disciples du Christ ne s’y sont pas trompés; dès les premiers temps de l’Eglise, l’amour fraternel a été une des caractéristiques de l’Eglise naissante et persécutée. Justin Martyr écrivait: «Avant, nous estimions par dessus tout l’argent et les biens: maintenant, nous apportons tout ce que nous avons et nous le partageons avec ceux qui sont dans le besoin.» De son côté, Julien l’Apostat, un ennemi de l’Eglise primitive, écrivait: «Ces Galiléens sans Dieu nourrissent non seulement leurs pauvres, mais aussi les nôtres; quant à nous, nous n’accordons aucun soin à nos pauvres.» L’église de Rome pourvoyait aux besoins de 1500 veuves et personnes dans la misère; beaucoup d’autres exemples pourraient être extraits de l’histoire de l’Eglise.

Mais quelle doit être notre attitude aujourd’hui?

Il faut se rendre compte que les pays occidentaux, qui constituent le quart de la population mondiale, possèdent les 4/5 des ressources de la planète, alors que le reste ne possède qu’1/5 du revenu mondial. A ces chiffres sans âme il faut ajouter toute la misère que cette situation entraîne: mortalité infantile importante, absence de soins, analphabétisme, chômage élevé…

Réactions possibles

Il n’est pas rare d’entendre dire: «Ces problèmes sont trop vastes, ils nous dépassent, il nous est impossible de répondre aux besoins.» Il faut reconnaître que lorsqu’on réfléchit à ces questions, on se trouve effectivement rapidement dépassé.

Il est vrai que les questions sont complexes et poussent à intervenir: la politique intérieure des états, la politique internationale, le commerce, mais aussi les idéologies et l’écologie. Le non-spécialiste a l’impression désagréable d’être complètement perdu et de ne pas savoir par quel bout prendre les choses. Cette complexité constitue un encouragement à baisser les bras.

Cependant, ne convient-il pas d’essayer, malgré la difficulté, de voir comment des réponses même partielles peuvent être apportées? Il serait trop commode de retirer son épingle du jeu et prétendre que ce sont les états ou les grand organismes inter­nationaux qui doivent trouver des solutions. Nous ne pouvons rien exiger d’autrui si nous ne sommes pas prêts nous-mêmes à nous engager d’une manière ou d’une autre pour une plus juste répartition des richesses, à refuser l’exploitation et à examiner sérieusement comment nous pourrions jouer un rôle. Nous verrons plus loin com­ment pratiquement des actions peuvent être menées.

Deuxième réaction: «Les oeuvres humanitaires gaspillent souvent énormément, et l’aide qui est envoyée ne parvient pas à ceux qui en auraient le plus grand besoin.» Il faut reconnaître que dans le domaine de l’aide au développement, de nombreuses erreurs ont été commises. Mais il faut ici faire une distinction entre les erreurs involontaires et celles qui ont été consciemment organisées. Dans ce domaine, les pays occidentaux ne sont souvent pas responsables, car souvent les autorités des pays en voie de développement jouent un rôle néfaste. Les détournements soigneusement organisés sont fréquents. Combien d’envois ou d’aides ne sont jamais parvenus à ceux qui en avaient véritablement besoin. Mais l’association dans laquelle je travaille, malgré sa petite expérience, s’est très vite rendu compte que dans l’aide au développement, même lorsque tout est soigneusement préparé et réfléchi, des erreurs de parcours sont commises, de sorte qu’il est plus difficile qu’il n’y paraît d’aider de manière vraiment utile. Mais les erreurs commises ne constituent pas des arguments suffisants pour ne rien faire. Sans doute, d’ailleurs, apprend-t-on davantage par les erreurs reconnues que par les succès remportés.

Un troisième argument que l’on oppose parfois à l’aide au développement est d’ordre théologique et concerne très directement le chrétien. La tâche de l’Eglise aujourd’hui, n’est-elle pas avant tout l’annonce de l’Evangile de Jésus-Christ? Les textes bibliques à l’appui de cette thèse sont bien connus, tels que ceux-ci: Faites de toutes les nations des disciples. – Comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler? Si nous n’annonçons pas l’Evangile, des hommes et des femmes seront perdus pour l’éternité, car qui le fera à notre place?

Il est très certain que la volonté de Dieu pour son peuple aujourd’hui comporte cette responsabilité de transmettre le message de l’Evangile. Mais en rester là serait commettre une grave infidélité quant au plan général de Dieu pour le monde. J’ai très rapidement esquissé l’enseignement de l’Ancien et du Nouveau Testament quant à l’amour du prochain. Il importe de se souvenir que celui qui a été créé comme nous à l’image de Dieu n’est pas qu’une âme. S’il a des besoins d’ordre spirituel, ce dont nous sommes bien convaincus, il a aussi des besoins d’ordre matériel et social. Il convient donc de répondre aux besoins de l’homme tout entier. La motivation profonde doit être la compassion. Si mon prochain a faim, il est de mon devoir de lui donner à manger. Si je rencontre un homme qui souffre de solitude ou d’incompréhension, j’ai à répondre à ce besoin précis. Si je rencontre un homme qui a des besoins d’ordre spirituel, je dois répondre à ses besoins d’ordre spirituel. Aimer son prochain comme soi-même, c’est se soucier de tous ses besoins, comme Jésus, qui allait de lieu en lieu, faisant le bien.

Dans nos pays occidentaux, les états ont pris en charge une partie non négligeable des besoins matériels des hommes. La situation est toute différente dans beaucoup de pays du monde. Les missions qui ont tant travaillé dans ces pays l’ont d’ailleurs bien compris et ont ouvert des écoles et des hôpitaux, participant ainsi au développement des régions dans lesquelles ils se trouvaient. Il nous semble donc qu’aujourd’hui comme hier, les chrétiens ont à prendre leurs responsabilités et à voir comment ils peuvent répondre aux besoins des hommes selon la vocation, et les moyens qui sont les leurs.

Encouragés par des chrétiens de diverses églises en France, notre association, le Service d’Entraide et de Liaison (SEL), a commencé à apporter son aide dans plusieurs pays en voie de développement, principalement francophones.

Nous nous sommes surtout attachés à soutenir des projets qui, à plus ou moins long terme, permettent à des hommes de connaître des conditions de vie décentes (ce qui ne signifie pas luxueuses).

Lorsque dans un village la population est assurée d’avoir à sa disposition de l’eau potable durant toute l’année et que les femmes ne doivent plus parcourir de longues distances pour subvenir aux besoins quotidiens, un progrès réel et important a été réalisé. Imaginez un peu que vous deviez chercher votre eau potable à 5 ou 10 km à pied! L’eau potable chez soi signifie une moins grande fatigue, et l’absorption d’eau pure va diminuer les maladies et redonner des forces aux habitants. On va aussi pouvoir planter des arbres et pratiquer des cultures maraîchères.

Dans d’autres régions, le chômage est tellement important que ce n’est que par la création de petites unités de production qu’il est possible d’assurer un minimum vital aux familles. Encore faut-il pour cela écouler la production. C’est une des raisons pour lesquelles, depuis quatre ans maintenant, nous importons des objets réalisés dans une dizaine de pays que nous revendons dans nos pays.

Les besoins ne manquent pas. On peut y répondre de différentes manières. Il nous parait cependant nécessaire de veiller au respect de quelques principes essentiels.

Comment faire?

Lorsque nous envisageons d’intervenir sur le terrain, nous ne commençons pas par établir des plans précis et nous doter de moyens pour les mener à bien. La première démarche vient de la base, des habitants d’un village ou d’une région. C’est eux qui seront amenés à prendre en charge leur destinée. C’est eux qui savent ce dont ils ont le plus urgent besoin. Ceci ne signifie nullement que nous puissions toujours accepter tout ce qui nous est demandé. Mais l’initiative doit leur appartenir. C’est de plus une des conditions de la réussite finale du projet. Si la population est impliquée dès le départ, chacun s’y intéressera. Lorsque la période d’intervention proprement dite s’achèvera, on sait que chacun veillera au respect et au bon fonctionnement de l’ensemble du projet. Cette concertation prend parfois du temps, mais elle nous paraît indispensable.

Il nous paraît aussi impératif de veiller soigneusement à ce que le projet réussisse. Nous avons eu l’occasion de participer à la construction de banques de céréales. Ce sont en fait des locaux construits en dur avec l’aide des habitants du village. Au moment des récoltes, les céréales sont achetées à un prix raisonnable et sont ensuite stockées et soigneusement gardées jusqu’à la période de soudure qui s’avère souvent difficile, les prix grimpant considérablement. Si les habitants d’un village savent qu’ils vont trouver leur «mil quoditien» sur place, à un prix raisonnable, ils n’iront pas courir à la ville pour acheter à prix d’or ce qui leur est indispensable. Ceci réclame une mise de fond au départ, mais permet à la structure villageoise de se maintenir et de s’organiser. Evidemment, lorsqu’une telle expérience a donné de bons résultats, d’autres voudront aussi créer de telles structures. Ainsi le processus de changements pour le mieux s’amorce durablement.

Si des associations purement humanitaires mettent en oeuvre les principes que nous venons de souligner, nous croyons que nous avons, en tant que chrétiens, la responsabilité d’apporter non seulement l’aide matérielle, mais aussi le pain de vie qu’est l’Evangile. C’est pourquoi tous nos projets, qu’ils soient d’ordre agricole, éducatif, médical, ou artisanal, sont menés en collaboration étroite avec les églises. Dans beaucoup de pays en voie de développement, l’Eglise de Jésus-Christ progresse. Des pasteurs et des évangélistes, dans des conditions souvent difficiles, accomplissent un travail remarquable. Des hommes et des femmes se tournent vers le Christ. Mais ces églises n’ont souvent que peu ou pas de moyens. Les pasteurs ne touchent aucun traitement et cultivent comme chacun leur lopin de terre. Nous croyons donc que nous avons à nous associer à ces églises dans leurs projets de telle sorte que beaucoup trouvent une réponse à tous leurs besoins.

Cette oeuvre immense ne peut être menée que grâce à notre générosité, à notre compassion envers ceux qui se trouvent si démunis. Si nous sommes disciples du Christ, si nous voulons suivre ses pas, il convient que nous réfléchissions à ce que nous avons et comment nous pouvons partager avec ceux qui n’ont rien. Nous avons des techniques, des qualifications, du temps, de l’argent. A nous de voir les besoins et ensuite d’ouvrir notre coeur.

Gauthier de Smidt
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