Fin de vie et euthanasie
Expériences et réflexions d’un médecin
Il y a un an, ma grand-mère nous a quittés
C’était une grand-mère géniale et j’étais très proche d’elle. Dans ma jeunesse, je passais toutes mes vacances scolaires avec elle ; quand j’étais une jeune adulte, sa maison dans le Limousin était mon havre de paix.
Nous regardions des matchs de foot en mangeant des biscuits. Rien qu’en écrivant cet article, je sens des larmes me monter aux yeux. Elle est décédée d’un cancer généralisé… et franchement, ce n’était pas beau à voir. Dans les derniers mois, elle souffrait atrocement et nous – ses proches – le voyions bien, même si elle était très digne. Mon sentiment d’impuissance (je suis en médecine en plus !) était à son paroxysme. Voir ma « Maminette » changée par la douleur me brisait le cœur. À la fin, elle était perfusée en morphine 24h/24h… Bref, à l’époque, je n’aurais pas écrit un article sur l’euthanasie… car ce que j’aurais dit aurait sûrement été dicté par mon ressenti du moment ! La douleur et la souffrance que peut connaître un proche en fin de vie nous bouleversent et obscurcissent passablement notre jugement. On risque alors de perdre un peu de notre capacité à raisonner et de notre objectivité quand on aborde la question de l’euthanasie.
Qu’entendons-nous par « euthanasie » ?
S’agit-il de refuser d’accorder un traitement de survie qui est pesant ou inutile ? De refuser d’accorder un traitement de survie quelle qu’en soit la raison ? D’obtenir d’un médecin qu’il vous tue à votre demande ?
On évoque souvent l’euthanasie comme un acte de compassion. On parle d’ « abréger les souffrances » d’un être aimé, de le laisser partir avec dignité…
Euthanasie veut littéralement dire « belle mort ».
La pratique n’est pas nouvelle. Dans la Bible, nous voyons le récit de l’euthanasie d’Abimélec. Une tierce personne est chargée de le tuer pour lui donner « une mort digne » (Jug 9.52-54). Mais même si l’argument est souvent bien présenté (on remplace les termes « suicide assisté » ou « meurtre » par des termes plus flatteurs), rappelons-nous ce que nous dit la Parole de Dieu. En Genèse 9.1-7, Dieu régule la vie des humains dans le monde de l’après-déluge. Puis il établit un droit pénal (ou punitif) qui reflète la valeur de la vie : si quelqu’un met à mort, il devra être mis à mort par d’autres êtres humains. Ce qui est souligné ici, c’est que tuer un être humain porte atteinte à l’image même de Dieu. Nul ne peut impunément verser le sang d’un autre être humain (voir aussi Exode 20.13).
Le débat soulève d’autres problématiques
1. L’erreur diagnostique et/ou la possibilité de guérison
L’erreur de diagnostic est beaucoup plus fréquente qu’on ne l’imagine. En médecine (et je suis bien placée pour le savoir), le diagnostic comme le pronostic d’un patient sont sujets à erreur. Le Scaphandre et le Papillon est une autobiographie de Jean-Dominique Bauby (ex-rédacteur en chef du magazine féminin Elle). En 1995, il est victime d’un accident cardio-vasculaire qui le plonge dans un coma dont il sort affecté du syndrome d’enfermement. Conservant la plénitude de ses capacités intellectuelles, il ne peut plus mouvoir que l’une de ses paupières, ce qui lui permet d’établir une communication avec d’autres personnes. Dans le livre (écrit en dictant chaque lettre par le clignement de son œil gauche) il raconte son expérience du « locked-in syndrome » qui l’a enfermé dans un corps ne répondant plus à son esprit. Au moment où Jean-Dominique Bauby a été transporté à l’hôpital, tous croyaient qu’il était dans un état végétatif chronique et on voulait lui ôter les respirateurs et les sondes qui le nourrissaient. Mais cet état végétatif chronique était un mauvais diagnostic. Voici un extrait de son livre :
Je reçois des lettres remarquables. On les ouvre, les déplie et les expose sous mes yeux selon un rituel qui s’est fixé avec le temps et donne à cette arrivée du courrier le caractère d’une cérémonie silencieuse et sacrée. Je lis chaque lettre moi-même scrupuleusement.
Certaines ne manquent pas de gravité. Elles me parlent du sens de la vie, de la suprématie de l’âme, du mystère de chaque existence et, par un curieux phénomène de renversement des apparences, ce sont ceux avec lesquels j’avais établi les rapports les plus futiles qui serrent au plus près ces questions essentielles. Leur légèreté masquait des profondeurs. Étais-je aveugle et sourd ou bien faut-il nécessairement la lumière d’un malheur pour éclairer un homme sous son vrai jour ?
Cet homme, que d’autres ont considéré comme un légume, était pleinement « présent ». De même, dans d’autres situations, on risque de proposer l’euthanasie à des personnes pour qui la guérison reste parfois possible… Je pense par exemple à des personnes tétraplégiques qui se croient sans espoir de remarcher un jour, alors qu’ils y parviennent au bout de quelques années !
2. La valeur de la vie
Nous avons déjà parlé de ce grand principe à maintes reprises, mais je vais le marteler une fois de plus : la valeur de la vie se mesure à l’aune de Dieu ! Une vie reflète sa gloire, même dans la maladie, même dans la souffrance. Elle interpelle la compassion des autres et invite à partager ces fardeaux. Rappelons-nous que l’euthanasie est souvent motivée par la souffrance ou la peur : une personne qui souffre énormément ou qui a peur de souffrir, peur d’être dépendante, peur d’être indigne… ou une personne qui se sent inutile ou qui craint de le devenir. Il est pathétique et tragique que des personnes âgées ou handicapées fassent l’objet d’une pression silencieuse, où l’on évoque le coût de leurs soins par exemple. Combien de gens ressentent dans leur vie même une forme de culpabilité inacceptable ?
3. Le dérapage de la généralisation
Sans vouloir être alarmiste, je tiens à faire remarquer qu’en toute logique à partir du moment où le confort devient le critère retenu d’une vie qui mérite d’être vécue, même les déprimés pourront un jour demander l’euthanasie 1 .
Une fois que l’Allemagne nazie s’est emparée du livre Destruction des vies qui ne valent pas la peine d’être vécues 2 , elle a créé la notion d’« homicide légitime aux malades incurables ». Le droit à la vie devait se justifier.
On se mit alors à calculer en cours de mathématiques le coût que représentaient les vieillards malades.
Un programme d’extermination se mit en place. À Hartheim, 70 273 individus ont été tués, réalisant une économie de 245 955 Reichsmarks. Lors des procès de Nuremberg, un psychiatre américain tenta de comprendre comment des hommes cultivés avaient pu en arriver là. Son constat : tout découlait de l’idée que la vie n’est pas digne, en elle-même, d’être vécue et que la valeur d’une vie se mesurait à son mérite.
4. Le rôle du médecin
Le serment d’Hippocrate (que doivent prêter tous les nouveaux médecins) décrète que le médecin ne s’occupe que du pouvoir de la vie (et non de la mort) :
« Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j’écarterai d’eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible. Jamais je ne remettrai du poison, même si on me le demande, et je ne conseillerai pas d’y recourir. Je ne remettrai pas d’ovules abortifs aux femmes. 3 »
Un médecin qui tue ? C’est un retour tragique d’au moins 2 500 ans en arrière dans la morale.
En revanche, je dirais que s’il est bibliquement défendable de ne pas attenter à la vie, il n’est pas bibliquement défendable de chercher à la prolonger à tout prix.
Selon la médecine actuelle, la mort est un échec.
J’ai souvent vu lors de mes stages des médecins s’acharner sur des patients, ne pouvant admettre qu’ils avaient « échoué » à sauver un patient !
Mais la perspective biblique est que la mort n’est pas un échec. C’est l’aboutissement de la vie et une réalité inéluctable… alors non à l’acharnement thérapeutique ! Il faut reconnaître la différence entre nourrir un corps inconscient (fonctions normales et vitales) et imposer aux corps des traitements très lourds, pénalisants, douloureux, pour prolonger une agonie dont l’issue est certaine. Alors doit-on juste se croiser les bras en regardant l’agonie de nos proches ? Non ! Heureusement la médecine a fait des progrès incroyables et propose une alternative : les soins palliatifs. On estime qu’un spécialiste est capable d’abolir totalement la douleur physique dans environ 95% des cas. Et il reste alors la douleur spirituelle et émotionnelle, qu’il faut combler par la compassion, le dialogue et la présence. La Bible n’est pas opposée à l’idée d’alléger la souffrance du mourant. Par exemple Proverbes 31.6 nous dit : « Donnez des boissons fortes à celui qui périt et du vin à celui qui a l’amertume dans l’âme. »
Voici mon appel pour la médecine en France : je rêve qu’un jour, au lieu de dépenser des millions dans le développement de la chirurgie esthétique on investisse dans la recherche sur le traitement de la douleur. Aujourd’hui, beaucoup de médecins et de politiciens sont pro-euthanasie, car c’est une solution de facilité ! On ne veut pas voir la mort, la souffrance et on ne veut surtout pas avoir à s’en occuper… alors on élimine le problème. Mais cela revient à s’amputer la main, parce qu’on s’est cassé un ongle. Au lieu de considérer l’euthanasie comme la solution miracle, ne peut-on pas se retrousser les manches et améliorer la prise en charge physique, psychologique et morale des mourants avec des pôles multidisciplinaires (médecins, infirmières, assistance sociale et pasteurs/prêtres) ?
https://www.larebellution.com/2013/04/14/du-caractere-sacre-de-la-vie-fin-de-vie-euthanasie-12/
https://www.larebellution.com/2013/04/21/du-caractere-sacre-de-la-vie-fin-de-vie-euthanasie-22/
- La législation a nettement évolué dans ce sens depuis la rédaction de l’article, notamment en Belgique.
- Karl Binding et Alfred Hoche, Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens (=Libéralisation de la destruction de vies qui ne valent pas d’être vécues),1920.
- Extraits du texte antique. Les versions actualisées sont plus évasives sur ces points. [NDLR]