Gendarme ou voleur ?
Lorsqu’on m’a demandé de rédiger un article sur l’injustice, j’ai tout de suite été partant car le sujet me touche particulièrement. Cependant, passer de l’idée à la réalisation s’est révélé plus compliqué. Cette démarche m’a demandé une remise en question sur ma façon de ressentir l’injustice, de la vivre et de la pratiquer parfois… Pour amorcer cette réflexion, je me propose de vous partager un témoignage qui remonte à deux décennies.
À l’époque, je venais tout juste d’être embauché en tant que gendarme adjoint.
Après un an de travail environ, une accusation de vol a été portée contre moi par écrit auprès de mes supérieurs. L’accusation portait sur le déplacement de pneus entreposés dans la cave d’un appartement mis à ma disposition par mon employeur. Je ne savais pas à qui appartenaient ces pneus et les avais déplacés en emménageant dans l’appartement. Lorsque j’ai appris que leur propriétaire les cherchait, je les ai immédiatement rapportés.
Malgré la restitution, une procédure à mon encontre a été enclenchée.
Mon supérieur direct a fait témoigner des collègues qui étaient avec moi en colocation, affirmant que j’étais le coupable. Il s’ensuivit une série de mesures que j’ai trouvées profondément injustes et qui m’ont mis dans une situation inconfortable. En effet, en attendant que l’affaire soit traitée, j’ai été affecté à des tâches éloignées de mes missions habituelles. Mon arme m’a été retirée, mes missions de surveillance annulées, mes fonctions se sont résumées à des tâches ménagères et au nettoyage de la voiture de service.
Heureusement, j’ai pu trouver du soutien dans les discussions avec ma fiancée et dans un groupe de prière auquel nous appartenions. Ce contexte nous a incités à prier pour la résolution du conflit. Au bout de deux mois, j’ai été convoqué par le colonel commandant la caserne.
Face à lui, un épais dossier. Après m’avoir écouté, il a pris le dossier d’une main et l’a jeté à la poubelle. L’affaire était close. Cette issue a été une source de soulagement et de paix, une occasion de me réjouir de la réponse aux prières. J’ai réalisé à quel point l’intervention de l’autorité peut faire disparaître des accusations d’un simple geste, évoquant le pouvoir du pardon et de la grâce lorsque nous plaçons notre confiance en Dieu.
Avec le recul et d’autres expériences accumulées, je me questionne sur la nature même de l’injustice que j’ai vécue. Était-ce vraiment une injustice aussi grave que je le croyais ? Ou bien était-ce davantage lié à mon caractère et à ma manière de me comporter avec es autres ?
L’injustice à la lumière de la foi
Notre rapport à l’injustice peut revêtir quatre aspects :
Pratiquer l’injustice dans nos vies
Paul décrit l’homme comme « étant rempli de toute espèce d’injustice » (Rom 1.29). En conséquence, il est naturel de rencontrer des manifestations d’injustice dans notre société et dans notre quotidien. Ce verset nous montre que l’injustice est inhérente à la nature humaine déchue. L’homme ne pratique pas seulement l’injustice, il en est rempli !
Posons-nous la question : suis-je moi-même injuste avec ceux qui m’entourent ?
Nous trouvons en Éphésiens un impératif passif « soyez remplis de l’Esprit saint ». Voilà de quoi devrait être rempli l’homme qui désire marcher avec Dieu. Laissons-nous remplir par l’Esprit de Dieu. Ne nous conformons pas au monde, au risque d’en subir les conséquences. Au contraire, nous sommes appelés à être une lumière dans ce monde, à manifester l’amour du Christ et la vérité en étant justes. Nous devons apprendre à discerner l’injustice, voire à la dénoncer. Cela implique un travail continu et une transformation par l’Esprit saint, qui nous pousse à ressembler toujours davantage à notre modèle, Jésus-Christ.
Subir l’injustice à cause de sa foi
Paul dira « Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous ; et ce qui manque aux souffrances de Christ, je l’achève en ma chair, pour son corps, qui est l’Eglise. » (Col 1.24) Christ a subi l’injustice à cause de l’œuvre qu’il avait à accomplir. Malgré son emprisonnement, Paul se réjouit dans ses souffrances à cause de sa foi qui l’a poussé à partager l’Évangile. Son exemple est certainement difficile à suivre. Cependant, en prenant du recul sur notre situation, une certaine joie de partager quelque chose de Jésus est accessible.
Subir l’injustice par discrimination
Nous pouvons être victimes de racisme, d’une injustice sociale, de harcèlement. Ces situations ne sont pas forcément directement liées à notre foi. La Bible nous rappelle que, même si nous vivons dans un monde profondément marqué par l’injustice, nous ne sommes pas démunis. Dieu n’est pas insensible aux injustices que nous subissons et sa colère se révélera tôt ou tard.
D’autre part, s’il y a la colère pour les uns, les autres peuvent expérimenter la paix donnée par Dieu dans ces circonstances. La cuirasse de la justice donnée en Éphésiens ne serait-elle pas un moyen de tenir bon face aux injustices du monde ? Méditons la justice que Dieu opère pour nous afin qu’elle nous fortifie.
Subir l’injustice dans le cadre de l’Église
Le Nouveau Testament nous donne un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés. »
D’autre part, « L’amour […] ne soupçonne point le mal, il ne se réjouit point de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité » (1 Cor 13.4-6). Ici, nous retrouvons une opposition entre l’injustice et la vérité. Autrement dit, il y a un lien entre l’amour, la justice et la vérité. La Bible nous enseigne que Jésus incarne la vérité, il dit lui-même « Je suis […] la vérité » (Jean 14.6). Nous disons aussi qu’il est notre justice et qu’il est amour.
Si nous aspirons à être les disciples de Jésus, apprenons de lui. Jésus lui-même a subi l’injustice de manière exemplaire, acceptant de porter les péchés pour ses frères. Sa réponse à l’injustice est éloquente : il a gardé le silence, a pardonné à ceux qui le persécutaient, il n’a pas cherché à se défendre, s’est laissé voler et frapper… Certes, nous ne sommes pas appelés à porter le péché des hommes. Mais pour des questions qui ne relèvent pas de la justice humaine ou de la morale biblique, nous pourrions éviter de nous disputer et de nous faire des procès et accepter de subir quelques injustices de notre point de vue (1 Cor 6).
Espérance et confiance face à l’injustice
Pour revenir au témoignage introductif, il est certain qu’à la lumière des réflexions précédentes, d’une expérience grandissante de la transformation de l’Esprit, et, j’espère, d’un peu plus de sagesse, j’agirais différemment aujourd’hui. Je ne déplacerais peut-être pas les pneus sans chercher leur propriétaire, j’irais voir directement la personne qui s’était plainte, j’exprimerais mes sentiments, je pardonnerais à mes colocataires…
Jacques rappelle que « La prière agissante du juste a une grande efficacité » (Jac 5.16). Cela est particulièrement vrai lorsque nous subissons une injustice. Prions les uns pour les autres, partageons ensemble, soutenons-nous, attendons-nous à Dieu.
Encourageons-nous avec ces paroles de David, qui a lui-même subi beaucoup d’injustices :« Ne t’irrite pas contre les méchants, n’envie pas ceux qui font le mal. Car ils sont fauchés aussi vite que l’herbe, et ils se flétrissent comme le gazon vert. Confie-toi en l’Éternel, et pratique le bien ; aie le pays pour demeure et la fidélité pour pâture. Fais de l’Éternel tes délices, et il te donnera ce que ton cœur désire. Recommande ton sort à l’Éternel, mets en lui ta confiance, et il agira. » (Ps 37.1-5)