Etude biblique
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Hésitation et entêtement d’un homme charnel

1 Samuel 14.16-46

Le dicton tel père tel fils ne s’applique certainement pas à Saül et Jonathan. Alors que Jonathan a témoigné de courage, d’intelligence, de détermination et de foi (14.1-15)1, Saül se trouve dépourvu de toutes ces qualités. L’exploit du fils est suivi par une scène où le père multiplie les fautes dans les domaines les plus divers. On le voit hésiter là où il faut s’engager rapidement, et s’entêter là où il faudrait se remettre en question.

L’arche méprisée

Devant la nouvelle de la déroute des Philistins, Saül hésite à engager ses troupes (14.16-18). L’ennemi avait tellement resserré son étau sur Israël, que sa fuite soudaine laisse Saül perplexe, d’autant plus que seul Jonathan et son écuyer manquent à l’appel, dans le camp israélite. Le roi doute que deux hommes (si vaillants soient-ils) aient pu mettre l’adversaire en déroute.

Le roi fait chercher l’arche pour consulter Dieu. La démarche peut paraître sage, mais c’est oublier d’une part que la situation de Saül était tellement désespérée que tout recul de l’ennemi devait être exploité immédiatement, et d’autre part que l’arche ne devait jamais être déplacée pour être consultée. C’est aux hommes de venir devant Dieu et non l’inverse. Puisque l’arche était dans le camp, c’était à Saül de s’en approcher. Des années plus tard, David s’opposera à ce que l’arche le suive en exil dans sa fuite devant Absalom (2 Sam 15.24-25). La légèreté avec laquelle Saül traite l’arche (et Dieu par la même occasion) est encore plus manifeste, lorsque quelques instants plus tard, le roi interrompt le sacrificateur en pleine séance de consultation. On l’entend dire: «Maintenant que la fuite des Philistins se confirme, je n’ai plus besoin de toi. Tu peux disposer ». Saül traite le sacrificateur et l’arche comme on traite un valet. Pour Saül, l’arche n’est qu’un objet utilitaire; Dieu n’est là que pour répondre à ses besoins.

Un vœu stupide

Le combat tourne rapidement à l’avantage des Israélites. Les Hébreux craintifs qui étaient passés dans les rangs philistins sont revigorés par le coup d’éclat de Jonathan et tournent casaque une fois de plus (14.21). De l’intérieur du camp philistin où ils avaient trouvé refuge, ils attaquent l’ennemi et accroissent sa confusion. Les maquisards sortent eux aussi de leur retraite et assaillent l’ennemi de partout (14.22).

Au moment où la victoire semble certaine, le narrateur mentionne un vœu solennel de Saül: «Maudit soit l’homme qui prendra de la nourriture avant le soir, avant que je me sois vengé de mes ennemis! » (14.24). Le roi impose un jeûne pour s’assurer une victoire imposante. Désire-t-il que ses soldats ne perdent pas de temps à se ravitailler? C’est peu probable, car une armée sait se restaurer en quelques minutes. Plus vraisemblablement, Saül impose un jeûne pour des raisons religieuses. Tout comme le roi pensait, avant le combat, qu’un sacrifice était indispensable à une victoire militaire (13.8-12), maintenant, il espère accroître sa victoire en décrétant un jeûne généralisé. Saül est le type même d’un homme religieux, mais charnel. Un homme qui veut contraindre Dieu par ses pratiques religieuses.

Le calcul de Saül s’avère néfaste. Jonathan qui a déjà fait preuve d’un excellent discernement spirituel et militaire critique son père: «Mon père trouble le peuple; voyez donc comme mes yeux se sont éclaircis, parce que j’ai goûté un peu de ce miel. Certes, si le peuple avait aujourd’hui mangé du butin qu’il a trouvé chez ses ennemis, la défaite des Philistins n’aurait-elle pas été plus grande?» (14.29-30). Au lieu d’accroître la victoire, le vœu de Saül la diminue, car le peuple manque de force physique et de lucidité.

Sur le plan spirituel, la conséquence du vœu est tout aussi négative. Privé de lucidité, le peuple tiraillé par la faim se rue sur la première nourriture disponible et la dévore sans respecter les lois divines sur les aliments. Saül, qui avait demandé au peuple un signe extérieur de consécration (le jeûne), le conduit à transgresser ouvertement la loi divine.

Le premier autel construit par Saül

A l’annonce du comportement du peuple, Saül est scandalisé. Il critique sans ménagement ses soldats qui l’avaient suivi à la lettre pendant toute la journée («Vous êtes des traîtres» 14.33).

La réaction du roi peut paraître saine. Elle ne dénote, cependant, pas un discernement exceptionnel. D’une part, le péché était manifeste, et d’autre part, le roi a été rendu attentif à la faute du peuple par des tiers (14.33). On peut se demander si de lui-même, le roi aurait découvert le péché. On notera aussi que Saül critique le peuple sans se remettre personnellement en question: aucune parole de regret au sujet de son vœu.

La suite du récit est encore moins favorable à Saül. Le roi érige une pierre pour y égorger les animaux. Un lecteur peu familier avec les prescriptions mosaïques pourrait approuver la démarche du roi, mais c’est oublier que Dieu avait expressément défendu de répandre du sang sur une pierre lorsqu’un Juif devait saigner une viande pour un simple repas. Le sang devait être répandu «sur la terre comme de l’eau» (Deut 12.15-16, 20-24), pour éviter d’assimiler ce geste à un sacrifice et transformer n’importe quelle pierre en autel.

Or, la pierre érigée par Saül devient rapidement un autel («Saül bâtit un autel à l’Éternel: ce fut le premier autel qu’il bâtit à l’Éternel»14.35). Par conséquent, en imposant à chaque soldat de faire saigner son animal sur cette pierre, Saül contraint chaque homme à transgresser une nouvelle fois la loi mosaïque, les sacrificateurs étant seuls autorisés à égorger les animaux sacrifiés.

Finalement, il convient de noter que si des sacrifices ont été offerts, ce sont uniquement des sacrifices de communion. Les sacrifices pour le péché et les holocaustes2, indispensables dans une telle situation, sont ignorés. Saül témoigne ainsi d’une grande insouciance par rapport au péché. Pour lui, une faute ne demande pas réparation.

Quand Saül veut écouter, Dieu ne veut plus parler

Après avoir «corrigé» le comportement du peuple, Saül s’apprête, sans la moindre hésitation, à poursuivre les Philistins. Ses soldats n’émettent aucune objection (« Fais tout ce qui te semblera bon»14.36). Comment oseraient-ils contester après avoir été repris si sévèrement par leur roi? Par contre, le sacrificateur suggère de consulter Dieu. Réalise-t-il que Saül a péché, mais hésite-t-il à le lui dire, ou a-t-il simplement la conscience troublée par rapport à ce qui vient de se passer?

Saül accepte le conseil, car la situation est moins pressante qu’au début du conflit. Les Philistins ont pu s’éloigner et les Israélites eux-mêmes se sont arrêtés pour manger. Maintenant, Saül peut prendre le temps de consulter Dieu. Les questions sont précises, mais Dieu ne donne aucune réponse (14.37).

Ce silence est immédiatement perçu comme un signe réprobateur de l’Éternel. (On connaît mal les détails des consultations divines, mais cela importe peu pour comprendre ce récit). Saül est convaincu que quelqu’un a péché. Il s’efforce donc de découvrir le coupable. Il jette le sort et demande à Dieu de désigner le coupable : «Dieu d’Israël! fais connaître la vérité» (14.41).

Saül témoigne d’une forte myopie. Il interprète correctement le silence de Dieu, mais se méprend sur la nature du péché. Quelqu’un a péché, cela est manifeste, mais pas besoin d’être devin ou de jeter le sort pour connaître le coupable. Une connaissance élémentaire des lois divines suffit à désigner Saül et le peuple comme coupables. En jetant le sort, Saül ne témoigne pas de la volonté de connaître la pensée divine, mais d’un refus de reconnaître son propre péché.

Saül s’enhardit à menacer de mort le coupable: «Car l’Éternel est vivant, le libérateur d’Israël! Même si Jonathan, mon fils, en est l’auteur, il sera puni de mort» (14.39). Sans connaître la nature du péché, Saül énonce la sentence. Manifestement, Saül se laisse dominer par sa colère plutôt que par la justice. En effet, si un pécheur doit être puni, la punition doit toujours être en rapport direct avec la gravité du méfait: ni plus ni moins. Et comme Saül prétend ignorer le coupable et le péché, toute sentence ne peut être que prématurée.

Jonathan désigné par le sort

Plus d’un lecteur est étonné que le sort tombe sur Jonathan. Pourquoi Dieu (qui dirige toute chose) fait-il tomber le sort sur Jonathan? Le fils de Saül serait-il réellement le coupable? Bien sûr que non. Jonathan est le seul innocent. Il a témoigné de foi, de courage et de discernement, et c’est par lui que la victoire est venue. Certes, il a mangé du miel, mais dans l’ignorance du jeûne imposé par son père. Et même s’il avait transgressé l’ordre de Saül, cela ne serait qu’une désobéissance à un ordre humain, alors que Saül et le peuple ont transgressé les commandements divins.

Certains objecteront à cette lecture du texte à cause des paroles de Jonathan qui, interrogé par son père, répond: «J’ai goûté un peu de miel, avec le bout du bâton que j’avais à la main: me voici, je mourrai » (14.43). Croire que Jonathan accepte sereinement la sentence du père, c’est ignorer la réplique qui suit: «Saül dit: Que Dieu me traite dans toute sa rigueur, si tu ne meurs pas, Jonathan!» (14.44). Saül réitère sa menace de mort, car il perçoit l’ironie de son fils. Jonathan trouve la sentence de son père tellement absurde (son père sait qu’il ignorait tout du jeûne imposé: 14.17) qu’il ne peut répondre que par l’ironie. Face à la folie, toute protestation rationnelle est vouée à l’échec. L’ironie, par contre, peut parfois encore ouvrir les yeux. «Réponds à l’insensé selon sa folie» conseille le sage (Pr 26.5).

L’intervention divine va d’ailleurs dans le même sens. En désignant Jonathan, c’est-à-dire l’innocent, par le sort, Dieu répond à Saül par l’ironie. Lorsqu’on prétend chercher la volonté divine, alors qu’on la contourne sciemment, et lorsqu’on veut contraindre Dieu à répondre (en jetant le sort), alors qu’il a refusé de le faire, on ne doit pas s’attendre à un miracle du Seigneur. Dieu désigne l’innocent pour sortir, si c’est possible, le roi de son égarement. Le peuple, jusquelà très soumis à Saül, comprend la leçon et s’oppose à l’exécution de Jonathan. L’injustice est vraiment trop flagrante.

Notes :
1 Voir précédent article : L’exploit de Jonathan, 1 Sam 14.1-15.
2 Pour ces deux sacrifices, le pécheur ne peut rien manger de l’offrande.

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Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.