Introduction à l’Épître de Jacques
Une Epître à part… Pourquoi ? À cause peut-être d’un style rugueux, coupé, énergique, marqué par beaucoup d’impératifs (60 sur 108 versets), beaucoup de questions (une vingtaine), des thèmes multiples… Un livre donc difficile à résumer, souvent critique, peu systématique, rare en mentions de Jésus (seulement deux, en 1.1 et 2.1, et encore, sans référence directe ni à son incarnation, ni à sa crucifixion, ni à sa résurrection). De quoi indisposer le lecteur qui veut lire tranquillement une portion de la Parole de Dieu sans se sentir obligé à l’engagement personnel. Mais puisque l’Epître existe, tout lecteur convaincu de l’inspiration divine de chaque livre de l’Écriture se doit d’y plonger ses regards, dans un esprit de prière, afin d’en retirer le plus grand profit possible (cf. 2 Tim 3.16,17).
Qui en est l’auteur ?
Il s’agit probablement de Jacques (1.1) le demi-frère de Jésus (Mat 13.55 ; Marc 6.3 ; Gal 1.19 ; 2.7,9,12), qui se serait converti après la résurrection de Jésus (1 Cor 15.7 ; Act 1.14) et qui jouait un rôle de premier ordre dans l’église de Jérusalem (Act 12.17 ; 15.13 ; 21.18 ; Gal 2.12).
Sa réputation fut telle que Juifs et non Juifs l’ont appelé « Jacques le Juste » (Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, 2.23) à cause de sa piété et de sa vie de prière ; on lui aurait accolé le sobriquet de « genoux de chameaux », parce qu’il fut souvent trouvé à genoux dans le Temple, implorant Dieu de pardonner à la nation juive. La tradition rapporte qu’en 62 apr. J.-C. Jacques fut convoqué devant le sanhédrin, qui le somma de déclarer dans le Temple que Jésus n’était pas le Messie. Jacques répondit en clamant que Jésus était le Fils de Dieu et le Juge du monde ! Là-dessus, il fut amené en haut du Temple et jeté en bas, puis frappé avec un gourdin jusqu’à la mort. Au dernier moment, il pria encore : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (cf. Luc 23.34) Il vaut vraiment la peine de découvrir le livre d’un homme aussi exemplaire de fidélité jusqu’à la fin !
Pourquoi croyons-nous que Jacques, frère de Jésus, fut l’auteur de ce texte, alors que d’autres Jacques pourraient être pressentis ? Par exemple, Jacques fils de Zébédée et frère de Jean (Mat 4.21 ; Act 12.2), Jacques fils d’Alphée (Mat 10.3 ; Act 1.13), ou Jacques le père de Jude (mais pas de Jude l’Iscariote, cf. Luc 6.16). Voici nos raisons : (1) La simplicité de l’adresse (1.1) : il fallait un Jacques bien connu pour écrire ce type de lettre sans donner plus d’explications sur son identité, et la faire accepter par les chrétiens.
(2) L’histoire du canon : quoique le livre ait eu des difficultés à « percer » pendant les premiers siècles, Origène le théologien, Eusèbe l’historien et Jérôme le traducteur (auteur de la Vulgate au IIIe s.), ont reconnu comme auteur Jacques le demi-frère de Jésus. De plus, le Concile de Carthage a proclamé sa canonicité en 397.
(3) L’attribution traditionnelle de ce texte au demi-frère du Seigneur, même si certains commentateurs en doutent.
(4) Des ressemblances entre le « Jacques » de cette Epître (2.7 ; 2.5 ; 1.27 ; 5.19-20 ; 1.27 ; 1.16,19 ; 2.5) et celui qui intervient en Actes 15 (15.17 ; 15.13,14 ; 15.19,20 ; 15.29 ; 15.25). 1
Qui sont les destinataires ?
Jacques s’adresse aux Juifs convertis à Christ dispersés partout dans le monde connu à cette époque (cf. les références « juives » : synagogue (2.2) ; Seigneur des Armées, le Jahvé Sabaoth de l’AT (5.4) ; Seigneur de gloire (2.1) ; frères (5.7,10,12), comme dans les Actes). Il est fort probable que les destinataires étaient des Juifs convertis au christianisme — nous dirions aujourd’hui des Juifs messianiques ; ils auraient été dispersés partout après le martyre d’Étienne (Act 7.59-8.4 ; 11.19). Jacques, occupant une place importante à Jérusalem, aurait eu de la sympathie pour tous ses frères dispersés, désirant les instruire dans les domaines de la vie chrétienne pratique. En effet, il souffrait de trouver chez ses frères chrétiens d’origine juive des tares dangereuses : par exemple, l’amour des richesses (5.1-6), le formalisme légaliste 1.22-27 ; 2.14-26), le manque d’amour pratique (2.1-13), le mauvais usage de la langue (3.1-12), les disputes et toutes sortes de passions (3.14-4.6). Il voulait que leurs vies soient d’une exemplarité incontestable à cause du « beau Nom » invoqué sur eux. Mais Paul avait le même souci pour les croyants d’origine païenne. Il ne faudrait donc pas en déduire que le message de Jacques est réservé aux chrétiens juifs.
Quand Jacques a-t-il rédigé ce livre ?
Nous proposons une date entre 45 et 50 apr. J.-C. Pour quelles raisons (1) L’Épître a une orientation juive, parce que la « voie » chrétienne (cf. Act 19.9) était au début essentiellement composée de Juifs convertis. Les païens convertis étaient minoritaires dans l’Église.
(2) Est absente, dans l’épître, toute référence à la controverse entre certains judaïsants, qui insistaient pour que les païens qui se convertissaient soient circoncis (Act 15.1-12), et les apôtres (Act 15.13-29). Si le livre avait été écrit après la conférence de Jérusalem en 50 apr. J.-C., cette dispute aurait mérité une mention.
(3) Il existe plus d’affinités entre Jacques et Jésus qu’entre Jacques et Paul, en ce qui concerne leur enseignement. Si l’Épître avait été écrite après les événements d’Actes 15, « l’angle d’attaque » des problèmes aurait sûrement davantage ressemblé à celui de Paul, à l’exemple des analogies entre les Épîtres de Pierre et celles de Paul.
(4) La simplicité de ton quand il est fait référence aux responsables de l’église locale (« docteurs », 3.1 et « anciens », 5.14) favorise une date antérieure à l’an 50 (moment de la conférence d’Actes 15).
(5) L’utilisation du terme « synagogue » (2.2) plutôt que d’ « église » met en évidence que le christianisme était surtout confiné aux Juifs convertis à Christ au moment de la composition du livre.
Quels sont les points saillants de l’Épître ?
• Toutes les références à l’A.T. : Jacques évoque Abraham, Rahab, Job, Élie, la loi et les dix commandements ; de plus, il fait allusion à 21 livres de l’A.T. (de Genèse à Deutéronome, Josué, 1 Rois, Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel, et 7 des 12 petits prophètes).
• L’absence d’un développement systématique des doctrines centrales exposées par l’apôtre Paul (le salut par grâce fondé sur la Croix et la résurrection).
• Une fine appréciation de la création et de la nature (30 fois !) : Jacques en parle plus que Paul dans toutes ses Épîtres !
• 29 mentions directes ou allusives à la langue : les Juifs n’avaient pas bonne réputation dans ce domaine…
• La ressemblance entre l’enseignement de Jésus et celui de Jacques.
• L’emploi de phrases courtes et percutantes, de figures de style : o métaphores (comparaisons implicites) : « la langue est un feu » (3.6) ; « vous êtes une vapeur » (4.14 )
o comparaisons : « celui qui doute est semblable au flot de la mer, que le vent agite et soulève » (1.6) ; « le riche…passera comme la fleur de l’herbe » (1.10) ; celui qui écoute la Parole et ne la pratique pas « est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel et qui, après s’être regardé, s’en va et oublie aussitôt comment il est » (1.23,24). • L’âme de ce livre le rapproche de la littérature de « sagesse » de l’A.T. (Proverbes, Ecclésiaste).
• Ce livre est immédiatement et précisément praticable, car la vie chrétienne doit être pure, morale, éthique, juste, réelle.
• Les exhortations de Jacques s’ancrent dans des doctrines chrétiennes majeures : (1) La doctrine de Dieu : 1.5,13,17 ; 2.19 ; 3.9 ; 4.15 ; 5.4,11.
(2) La doctrine du péché : 3.2 ; 1.14,15,20,21 ; 2.7,9-11 ; 4.1-4,6 ; 5.4.
(3) La doctrine de l’eschatologie : 1.12 ; 2.5,12 ; 3.1 ; 5.7-8.
(4) La doctrine de l’Esprit : 4.5.
(5) La doctrine du salut : 1.18,21 ; 2.14-26,21-25 ; 5.15.
(6) La doctrine de l’église locale : 5.13-16.
Nous avons dans ce livre un aperçu de la nature du vrai christianisme biblique vécu par des Juifs convertis au Messie, mais vivant encore sous une très forte influence de l’A.T. Ce livre n’a pas reçu l’empreinte des Épîtres de Paul. Mais attention ! L’Épître de Jacques et l’Épître de Paul aux Romains (pour citer la plus fameuse) ne se contredisent pas. Jacques et Paul se complètent. Paul appréciait Jacques (Act 15.13 ; 21.8) et le reconnaissait (Gal 1.19 ; 2.9,12). Paul a écrit au sujet de la foi salvatrice du point de vue de Dieu, tandis que Jacques a décrit l’expression de la foi dans le service actif de l’homme. La preuve de la foi salvatrice en Christ est donnée par la foi mise au service des autres, et cela au nom de Christ. Jacques dit en fin de compte que la vraie foi pense aux autres et se met au travail pour eux.
Quel est le plan de l’Épître ?
Le caractère informel du livre en rend la structuration un peu aléatoire. J’ai compté jusqu’à 26 essais de schématisation de l’Épître. J’en propose un 27e !
Chapitres 1 et 2 : Les rapports entre la foi et les œuvres
1.1-15 : La foi affronte les épreuves et la tentation – la foi associée à la sagesse permet de surmonter les épreuves et d’acquérir la patience (1.1-12)
– la foi doublée d’une juste connaissance de Dieu et du cœur humain permet d’affronter la tentation (1.13-15) 1.16-27 : La foi reconnaît l’activité de la Parole de vérité dans… – la régénération (1.16-21)
– le passage de l’écoute à la pratique (1.22-25)
– une conduite en société qui soit utile aux autres alliée à la recherche d’une pureté morale qui honore Dieu (1.26-27) 2.1-13 : La foi discerne et combat l’esprit de partialité – la partialité est condamnable (2.1)
– la partialité s’inspire de faux jugements (2.2-4)
– la partialité est à l’origine des injustices sociales (2.5-7)
– la partialité est incompatible avec l’amour véritable (2.8-11)
– la partialité est contraire à l’esprit de miséricorde et de liberté (2.12-13) 2.14-26 : La vraie foi sauve – la vraie foi en Christ s’active pour le bien des autres (2.14-19)
– la vraie foi s’est illustrée chez Abraham et Rahab (2.20-26)
Chapitres 3 à 5 : Les rapports entre la sagesse céleste et les œuvres
La sagesse céleste… 3.1-12 contrôle l’emploi de la langue
3.13-18 est garante d’une bonne conduite
4.1-3 doit prévaloir sur les passions, les querelles et les désirs mal orientés
4.4-12 cultive l’humilité et rejette la médisance
4.13-17 participe à la formation et à l’exécution de nos projets
5.1-6 lutte contre la corruption causée par les richesses
5.7-12 attend patiemment l’avènement de Christ
5.13-18 nourrit la prière
5.19-20 contribue à la restauration d’un frère
Comment lire cette Épître ?
Une lecture superficielle de cette Épître est à exclure : chacun de ses paragraphes est à méditer en vue d’être appliqué dans notre expérience quotidienne. La mise en œuvre des principes exposés dans cette Épître est indissociable d’un examen de conscience approfondi et sincère dans tous les domaines que le Saint-Esprit veut vivifier, corriger, illuminer et affermir dans nos vies. Une attitude de prière humble et volontaire doit en baigner la lecture.
1Par ailleurs, l’auteur de l’Epître est souvent proche de Matthieu (au moins 19 passages convergents), et il y a dans ce livre plus de parallèles avec l’enseignement de Jésus (dans les Évangiles) que dans aucun autre livre du N.T. Notons aussi la ressemblance entre Jacques (4.6 ; 1.5 ; 1.19 ; 3.18 ; 4.13-16 ; 5.20) et le livre des Proverbes (3.34 ; 2.6 ; 29.20 ; 11.30 ; 27.1 ; 10.12).