Introduction au Lévitique
titre 1
Généralités
Troisième livre du Pentateuque, le Lévitique — du mot grec « Lévitikon » qui désigne ce livre dans la Septante2> — signifie « qui se rapporte aux lévites » ; on dirait aujourd’hui « qui se rapporte aux sacrificateurs » ou « aux prêtres ». Ce titre n’est pas très bien choisi parce que l’essentiel du livre s’adresse aussi souvent à l’Israélite or-dinaire qu’au lévite, tous deux concernés par le culte et la sanctification, sujets essentiels de l’ouvrage.
Difficile à comprendre, le Lévitique est aujourd’hui trop souvent considéré comme réservé à une élite experte en typologie. Pourtant, à celui qui relit attentivement le Lévitique et l’Épître aux Hébreux qui en donne un commen-taire éclairant, ce livre apparaît d’une étonnante actualité.
Date et auteur
Conduit par Moïse, le peuple qui vient de sortir d’Égypte va entrer dans le désert pour se diriger vers la Terre Promise. L’Éternel donne les instructions lévitiques au pied du Sinaï vers –1500.
Il n’est pas expressément dit dans le livre que Moïse l’ait rédigé ou en ait dirigé la rédaction. Toutefois, son at-tribution à Moïse est formellement établie à plusieurs reprises par le Seigneur dans les évangiles (Matt 8.4 ; Marc 1.44 ; etc.).
Genre littéraire
Dans l’A.T., Dieu s’adresse à l’homme sous différentes formes littéraires (par le style direct des textes de lois et de la prophétie, par le discours indirect de la narration ou des écrits de sagesse).
i le récit « pur » n’est pas totalement absent (Lév 24.10-16), la quasi-totalité du Lévitique est constituée de tex-tes « législatifs » (règles du culte, lois civiles et pénales)
Cette loi n’est cependant pas une parole désincarnée à la manière des manuels juridiques d’aujourd’hui : les ins-tructions sont souvent données sous une forme narrative très « pédagogique ». L’entrée en fonction des sacrifica-teurs (ch. 8 et 9), le Grand Jour des Expiations (ch. 16) — ordonné selon une « mise en scène » détaillée — en sont des exemples parmi d’autres.
Dans la majeure partie de ce livre, Dieu explique à Moïse ou à Aaron comment diriger son peuple, d’où la fré-quence des expressions « l’Éternel parla à Moïse… » (on a dénombré 56 occurrences) ou « l’Éternel parla à Moïse et à Aaron » (Lév 11.1 ; 13.1 ; 15.1, etc.).
Prenons deux exemples : l’un dans la vie quotidienne, l’autre dans l’exercice du culte.
• Lév 24.10-16 : Un Israélite a blasphémé le nom de Dieu au cours d’une dispute dans un champ. On l’amène devant Moïse qui le met en détention provisoire en attendant les consignes de Dieu. Ce bel exemple de la rela-tion confiante de Moïse avec Dieu, de sa sagesse dans la gestion des relations communautaires, ne nous parle-t-il pas aujourd’hui ?
• Lév 21.16-24 : Si un membre de la famille d’Aaron présente un défaut corporel (cécité, boiterie, déformation), il ne peut officier comme les autres à l’autel. Cette discrimination peut paraître scandaleuse aujourd’hui, mais il faut comprendre le contexte du livre : ceux qui officient à l’autel doivent refléter, dans leur apparence, la perfection attendue dans le lieu saint3.
But du livre et contenu
De la Genèse à Josué, le Lévitique s’insère dans un continuum chronologique, celui de la naissance d’Israël.
Après avoir formé et délivré le peuple d’Israël (Gen 12.10 à Ex 19), Dieu lui révèle l’ensemble des lois qui vont régir sa vie (Ex 20 à Nom 10.10), et lui offre enfin la conquête d’un pays (Nom 10.10 à Josué 24). Ces trois élé-ments : un peuple, une série de lois, un pays, devaient faire d’Israël une « nation sainte ».
Ces instructions, données dans un contexte historique et théologique précis (celui de la création et de la chute, des promesses faites à Abraham dans le livre de la Genèse ; de la rédemption et de l’alliance sinaïtique dans le livre de l’Exode), sont des mesures de grâce et de liberté destinées à aider Israël à faire face à l’engagement qu’il a pris devant Dieu. Il est appelé à vivre pleinement son identité de peuple racheté de l’esclavage pour servir le Dieu saint qui désire habiter au milieu de lui. Après la rédemption (livre de l’Exode), le culte et la sanctification sont donc les grands sujets du Lévitique.
? D’une façon générale, les rituels, qui semblent aujourd’hui bien compliqués, visent à enlever les obstacles intro-duits par l’impureté quotidienne et par le péché. Plusieurs types de rituels sont ainsi institués :
– les rituels d’adoration introduits par l’expression : « Si ton offrande est… » (Lév 1 à 3),
– les rituels de fondation (ou d’inauguration), par exemple lors de l’entrée en fonction de la sacrifica-ture (Lév 8 et 9),
– les rituels de rétablissement de la relation avec Dieu en cas d’impureté (Lév 11 à 15), ou d’expiation du péché (Lév 4)4,
– les rituels de « maintenance » (Lév. 16).
Le but de ces deux derniers rituels était de rappeler :
– que Dieu ne pouvait habiter au milieu d’un peuple pécheur sans conditions,
– que ce peuple, appelé à la sainteté, devait être un peuple différent des peuples alentour.
Le péché et la sanctification sont largement développés dans le Lévitique.
Être saint, c’est distinguer soigneusement les différentes catégories de la création, c’est élaborer des définitions justes, être capable de choix et d’ordre… Lors de la création, Dieu sépare et différencie et le septième jour, il sanctifie (unique usage de « qadosh » dans la Genèse).
Seul l’homme est alors capable de discerner les lignes de démarcations inscrites dans la création et de la nom-mer. Mais, après la chute, au lieu de discerner, il confond ; au lieu de gérer la création, il la détruit. Cette entre-prise de « décréation » est manifeste. Pour preuve, les abominations stigmatisées dans le Lévitique : actes de transgression et de confusion (inceste, adultère, homosexualité…, Lév 18 à 20). Toutefois, s’il respecte les pres-criptions du Lévitique, Israël se sanctifie et se conforme aux ordonnances de la création.
Ainsi, par les distinctions qu’elle opère, la sainteté réhabilite chez le croyant les facultés de discernement et l’introduit dans la vraie liberté. Si la conversion permet à l’homme de retrouver son humanité et sa place devant Dieu (l’obstacle du péché est levé), la sanctification lui permet de répondre à sa vraie vocation, là où Dieu le place
Dans l’A.T., les sacrifices pour le péché regardent en arrière sur ce qui a été commis ; la sanctification regarde en avant sur ce qu’il convient de faire pour plaire à Dieu. Dans le N.T., Pierre reprend le précepte de sainteté du Lé-vitique dans le domaine moral : « Soyez saints dans toute votre conduite » (1 Pi 1.15-16). Il rappelle l’identité du chrétien et la façon dont il doit se « conduire » (un des mots clés de l’épître) dans un monde hostile — on n’est pas loin du sens profond du Lévitique !
Dieu voulait faire d’Israël une nation de sacrificateurs (Ex 19.6). Mais après l’affaire du veau d’or, cette bénédic-tion est confiée à la tribu de Lévi (Nom 3.12-13,45 ; 8.14). Aujourd’hui, chaque croyant est sacrificateur devant Dieu. Cette fonction s’exerce à travers l’adoration, l’intercession et le service (Apoc 1.6).
? A ces rituels s’ajoutent des lois civiles et pénales accompagnées de préceptes moraux — surtout dans les chapi-tres 18 à 27.
Ces chapitres insistent sur :
– L’égale dignité du riche et du pauvre, de l’Israélite et de l’étranger, de l’homme libre et de l’esclave : Le respect de l’autre est une constante dans l’Écriture. Les textes détaillent des situations concrètes où l’amour du prochain est appelé à se montrer.
– Le degré de responsabilité, variable selon la fonction exercée au sein du peuple de Dieu : Ainsi, un sacrificateur ou un chef du peuple doivent, en cas d’impureté ou de péché, se soumettre à des procé-dures de purification ou d’expiation plus compliquées que celles requises pour un simple Israélite.
– La solidarité entre les hommes et la création : Si l’Israélite obéit à l’Éternel en respectant les temps de repos (sabbat, année sabbatique et jubilé), les récoltes seront abondantes.
Vus sous l’angle théologique en rapport avec la rédemption, sous l’angle social en rapport avec la famille et le prochain, ou sous l’angle économique et écologique en rapport avec le travail et la nature, les rituels du culte et les lois civiles et pénales ne sont pas sans intérêt pour le chrétien du XXIe siècle. Notre vocation retentit sur cha-que domaine de notre vie : comme adorateurs, comme membres d’une famille, comme consommateurs dans une économie devenue globale, comme travailleurs côtoyant telle ou telle catégorie professionnelle…
Le plan du livre
Proposition de plan
1. COMMENT S’APPROCHER DE DIEU : ch. 1 à 16 (= l’adoration publique)
Les sacrifices ch. 1 à 7
L’entrée en fonction de la sacrificature ch. 8 à 10
L’impureté et son remède ch. 11 à 16
2. COMMENT VIVRE AVEC DIEU : ch. 17 à 27 (= l’adoration privée)
La sainteté attendue dans la conduite de l’Israélite ch. 17 à 20
La sainteté attendue dans la conduite des sacrificateurs ch. 21 et 22
La sanctification du calendrier : le sabbat et les fêtes à l’Éternel ch. 23
La sanctification du lieu saint et un cas de blasphème ch. 24
La sanctification du pays par l’année sabbatique et le jubilé ch. 25
Les bénédictions et les malédictions ch. 26
Les dons, les vœux et les dévotions ch. 27
Commentaire
– La première partie (ch. 1 à 16) introduite par l’expression : « Et l’Éternel parla à …», traite de l’aspect collectif de l’adoration, qui se déroule essentiellement à la tente de la Rencontre.
Le peuple n’est pas livré à son imagination : Dieu lui donne une « feuille de route ». Si les instructions sont né-cessaires, elles ne constituent pas un but en elles-mêmes. Dieu cherche une relation, pas une régulation : il donne les instructions qui permettent d’entretenir la communion et de la rétablir lorsqu’elle est interrompue.
Au chapitre 16, le Jour du Grand Pardon ou Grand Jour des Expiations, point culminant de la purification collec-tive, permet à Dieu de continuer à habiter au milieu d’un peuple pécheur.
– La seconde partie, (ch. 17 à 27) introduite par l’expression : « L’Éternel est celui qui vous sanctifie » et : « Soyez saints, car moi je suis saint »5 se déroule plutôt dans le camp ou dans la tente de l’Israélite. Ce « code de sainteté » traite davantage de la sphère individuelle et de la vie quotidienne.
Le peuple d’Israël, libéré de l’esclavage du péché, « nettoyé » de toute impureté, encouragé par la promesse que l’Éternel le sanctifie, est appelé à déployer ce caractère de sainteté dans le monde qui l’environne.
- Parmi les commentaires de qualité publiés ces dernières décennies, The Book of Leviticus, de G. J. Wenham, NICOT, Eerdmans, Grands Rapids, 1979, 362 p. reste l’ouvrage de référence.
- Version grecque de l’AT
- Pour autant, il est évident que Dieu ne rejette personne et qu’aucun défaut apparent ne peut écarter quelqu’un de son salut. Preuve en est la multitude de personnes malades ou handicapées que Jésus a approchées lors de sa vie sur la terre
- L’expression traduite par « sacrifice pour le péché » recouvre deux réalités bien différentes : – Un sacrifice destiné à ôter la souillure extérieure contractée lors d’activités légitimes (contact avec un mort, etc.). Dans ce cas, la personne n’a pas péché et il n’est pas dit : « Il lui sera pardonné ». Ces impuretés témoignent du dé-sordre introduit dans la création par le péché, d’où la nécessité d’une purification (ex. : Lév 15). – Un sacrifice pour expier des péchés commis « par ignorance » ou « par omission ». Ces sacrifices assuraient seule-ment un pardon temporaire, d’où la nécessité de les renouveler (Héb 10.11)
- La sainteté est une notion-clé du livre. Elle est illustrée aussi bien dans la première partie du livre, celle de l’adoration, que dans la seconde, celle de la vie quotidienne. C’est en l’observant dans la première et en la vivant dans la seconde que le peu-ple d’Israël peut être une nation sainte