Dossier: La justice
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Justifiés pour vivre justement

Le mémorial de Yad Vachem à Jérusalem garde le souvenir des hommes et des femmes qui, avec courage et au mépris de leur vie, ont porté assistance aux Juifs persécutés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ils sont appelés des « Justes parmi les nations ». Ils sont l’illustration même de ce qu’on entend communément par une personne « juste » : quelqu’un reconnu comme ayant un comportement juste envers d’autres personnes. La justice s’entend entre humains et devant les humains, dans une dimension horizontale.
En revanche, pour nos contemporains, il semble que la justice devant Dieu soit passée aux oubliettes et que le sens de la redevabilité humaine devant le tribunal divin se soit évaporé.
L’Épître aux Romains traite à la fois de la dimension verticale de la relation de l’homme face à Dieu (la justification 1 ) — fondamentale — et de la dimension horizontale — très importante également. Plus encore, elle démontre comment la seconde est la conséquence logique et importante de la première. Parcourons quelques textes de cette lettre pour clarifier ces points.

Pourquoi la justification est-elle nécessaire ?

Parce que Dieu est juste

Il ne s’agit pas d’une pure affirmation théorique, maintes fois réitérée tout au long de l’Écriture. La justice intrinsèque du Dieu parfait, radiance d’un de ses attributs, se manifeste par des jugements dont personne ne pourra contester l’équité : « Que Dieu, au contraire, soit reconnu pour vrai, et tout homme pour menteur, selon qu’il est écrit : “Afin que tu sois trouvé juste dans tes paroles, et que tu triomphes lorsqu’on te juge.” Mais si notre injustice établit la justice de Dieu, que dirons-nous ? Dieu est-il injuste quand il déchaîne sa colère ? (Je parle à la manière des hommes.) Loin de là ! Autrement, comment Dieu jugerait-il le monde ? » (3.4-6) Dieu est ainsi « trouvé juste » lorsqu’il est reconnu comme l’être suprêmement juste, en particulier dans chacune de ses actions (cf. Apoc 15.3 ; 19.2).

Parce que l’homme est injuste

En contraste avec le caractère parfaitement juste de Dieu, les êtres humains sont décrits par Paul comme « remplis de toute espèce d’injustice » (1.29). Affirmation d’autant plus frappante que l’homme, créé à l’image de Dieu, possède un sentiment inné de la justice : qui n’a pas entendu deux petits enfants se disputer et l’un dire à l’autre (ou à un adulte tiers) : « C’est pas juste ! » Mais, hélas, ce sens plus ou moins confus de la justice n’induit pas toujours un comportement juste et l’énumération qui suit (1.29-30) illustre de nombreuses facettes de l’injustice humaine.

Parce que la loi (de Moïse) le démontre

Dieu a donné à Moïse sa loi, sainte, juste et bonne (7.12), reflet de sa justice intrinsèque. « Ceux qui la mettent en pratique seront déclarés justes » (2.13, S21), dit Paul. Sauf que personne ne peut obéir à la loi en tout point ! L’affirmation reste théorique car si la loi permet de connaître la volonté de Dieu, elle ne donne pas le pouvoir de s’y conformer. La loi démontre donc à la fois la parfaite justice de Dieu et l’incapacité de l’homme, pire son péché, son injustice : « Personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi, puisque c’est par la loi que vient la connaissance du péché. » (3.20)

Comment la justification est-elle accomplie ?

La justification est parfois illustrée par un tribunal où Dieu siégerait comme un juge devant qui l’homme comparaîtrait. L’image est biaisée, car le juge se doit d’être impartial et ne pas avoir d’intérêt dans l’affaire jugée, sinon il doit se déporter ou il peut être récusé.
Or Dieu est avant tout la partie lésée : c’est lui qui est offensé par l’injustice des humains (cf. Ps 51.6) ; avant d’être le juge, il est le procureur.
La justification par un Dieu juste d’un homme injuste condamné par la loi s’effectue par un double acte objectif et une appropriation subjective :

Par le sacrifice de Jésus-Christ à la croix

Tous ceux qui croient « sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. […] Il montre ainsi sa justice dans le temps présent, de manière à être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus. » (3.24,26) Le « sang » de Jésus seul peut justifier car le seul Juste a donné sa vie pour des injustes (1 Pi 3.18). Jésus, le Fils de Dieu, la partie offensée, a payé la culpabilité à notre place pour que nous soyons désormais en lui plus que justifiés — la démonstration même de la justice de Dieu (2 Cor 5.21) !

Par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts

« Jésus notre Seigneur a été livré pour nos offenses, et est ressuscité pour notre justification. » (4.24-25) L’injustice de l’homme entraîne sa condamnation qui aboutit à sa mort. Le triomphe de Jésus sur la mort par sa résurrection nous entraîne avec lui dans le domaine de la vie ; sa vie de ressuscité témoigne que nous vivrons avec lui parce nous avons été justifiés par lui.

Par la foi en l’œuvre accomplie de Jésus-Christ

Aux deux faits objectifs précédents, il est nécessaire d’en ajouter un troisième pour que la justification devienne mon partage personnel : la foi. « La justice de Dieu [est] par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient. » (3.22, S21) La foi est le moyen par lequel la justice de Dieu, « disponible » du fait de la mort et de la résurrection de Jésus, m’est personnellement imputée. Au moment de ma conversion, je change de statut devant Dieu et je deviens juste à ses yeux. J’étais impie et Dieu me déclare non seulement plus injuste mais positivement juste (4.5) !

Quelles sont les conséquences de la justification ?

Une déclaration

Tous ceux qui croient « sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ » (3.24). Insistons sur le « gratuitement » : Dieu nous donne sans contrepartie, sans mérite de notre part. Dieu donne de façon définitive : nous avons été déclarés justes (verbe au passé, 8.30). Aucune faute, aucune injustice que nous pouvons hélas encore commettre, n’altère notre statut de justifiés ; nous n’avons pas à racheter nos péchés ultérieurs, simplement à les confesser. Cette déclaration nous donne une totale tranquillité quant à la façon dont Dieu nous voit, revêtus pour l’éternité de la justice de Christ.

Une libération

Paul proclame : « Celui qui est mort a été déclaré juste : il n’a plus à répondre du péché. » (6.7, BDS) Alfred Kuen a paraphrasé ce verset : « Un mort est quitte envers le péché, il est dégagé de sa responsabilité ; le mal a beau l’appeler : il ne répond plus. » (Parole vivante) Notre rédemption (notre changement de maître) est donc étroitement liée à notre justification.
Non seulement nous sommes justifiés devant Dieu, mais Dieu lui-même nous justifie devant le diable, le monde, notre conscience : « Qui accusera les élus de Dieu ? C’est Dieu qui justifie ! Qui les condamnera ? Christ est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous ! » (8.33-34)
Nous sommes les « justes de Dieu » ; Dieu est de notre côté et prend toujours notre parti. N’ayons donc plus peur !

Une espérance

Être justifié par la foi, c’est vivre dans l’espérance : « Si par un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a régné, ceux qui reçoivent avec abondance la grâce et le don de la justice régneront à bien plus forte raison dans la vie par Jésus-Christ lui seul. » (5.17, S21) Tout en étant déjà pleinement juste devant Dieu, j’attends le règne de la justice (2 Pi 3.13) auquel je participerai.

Comment cela se traduit-il en justice mise en pratique ?

De la justification à la justice en pratique

L’Écriture ne dissocie pas la justification de la justice en pratique. Déjà dans l’A.T., une centaine de versets rapprochent la justice (sedeq) du jugement (mitspat) qui est la mise en œuvre concrète de la justice.

Le chrétien n’agit pas justement pour être justifié devant Dieu mais sa position nouvelle devant Dieu se traduit nécessairement en actions justes envers les autres2 . D’où la flèche épaisse de la gauche vers la droite. Inversement, pratiquer la justice l’affermit dans son statut de justifié, comme l’indique la flèche mince dans le sens inverse.
La justice en pratique se montre de trois manières dans la lettre aux Romains :

Par la mise à disposition de nos membres

Au ch. 6, Paul passe de l’indicatif (6.7) à l’impératif : « Une fois libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice. — Je parle à la manière des hommes, à cause de votre faiblesse naturelle. — De même que vous avez mis vos membres comme esclaves au service de l’impureté et de l’injustice pour arriver à plus d’injustice, de même maintenant, mettez vos membres comme esclaves au service de la justice pour progresser dans la sainteté. » (6.18-19, S21) Ce que Dieu a fait  pour nous est la base et la motivation de ce que nous devons faire pour Dieu.
Dans notre cœur et notre vie de croyant, la vieille domination du péché doit être surmontée chaque jour à nouveau en nous rappelant le changement fondamental qui a été opéré par Dieu pour nous donner un nouveau statut. Cela passe par des actions très concrètes du quotidien, comme Paul l’indique en utilisant le mot    membres » : des paroles justes (par notre bouche), des actes justes (par nos mains et nos pieds), etc.

Par le libre accomplissement de la loi grâce à l’Esprit en nous

Nos actions de la vie de tous les jours conduisent à mettre en pratique les commandements de la loi : « La justice réclamée par la loi est accomplie en nous qui vivons non conformément à notre nature propre mais conformément à l’Esprit. » (8.4, S21) La loi exigeait mais ne donnait aucune ressource pour remplir ses exigences ;  l’Esprit qui habite dans l’être justifié du croyant donne la puissance pour vivre selon Dieu. Et quelle est l’exigence suprême de la loi ? Paul le dit plus loin : « Les  commandements […] se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (13.9) L’amour pour les autres dont l’Esprit veut nous remplir  (5.5) est la première marque d’une vie juste. Et si nous voulons voir comment cet amour se décline concrètement, lisons les listes d’injonctions du chapitre 12 : aimer, c’est être plein d’affection, hospitalier, patient, attentif aux besoins d’autrui, sympathisant, prévenant, etc.

Par la vie dans le royaume dès aujourd’hui

La dernière mention de la justice dans la lettre aux Romains se trouve au ch. 14 : « Le royaume de Dieu, ce n’est pas le manger et le boire, mais la justice, la paix et la joie, par le Saint-Esprit. Celui qui sert Christ de cette manière est agréable à Dieu et approuvé des hommes. » (14.17-18) Vivre justement est une marque fondamentale de la vie dans le royaume de Dieu aujourd’hui. Le règne de Dieu n’est pas encore total et la justice ne règne pas partout, mais le royaume progresse aujourd’hui quand des hommes et des femmes se soumettent à Dieu et montrent le fruit de l’Esprit. L’ordre importe : il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de joie sans paix. Vivre justement n’est pas affaire de règles, mais un style de vie qui fait passer le bien de l’autre avant le sien et répand autour de soi une atmosphère paisible et joyeuse.
Car la justice en pratique est avant tout relationnelle.

* * *
« Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice », enseignait le Maître (Mat 6.33, Darby).
Au lieu de limiter ses préoccupations à des enjeux purement matériels, le disciple du royaume cherchera à faire rayonner la justice selon Dieu dans toutes ses relations, dans la sphère des chrétiens et au-delà. John Stott disait : « Nous nous engagerons dans l’action sociale et nous nous efforcerons de répandre dans la communauté les normes supérieures de justice qui plaisent à Dieu 3 . »
Nombre de nos contemporains ont faim et soif de justice sociale, raciale, économique, entre les sexes, etc. Dans le royaume de Dieu, les barrières établies par les sociétés humaines ne sont plus de mise et les enfants du royaume, justifiés gratuitement en Christ, peuvent répandre autour d’eux les valeurs de justice du royaume, dans l’attente du jour où la justice régnera pleinement.

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  1. L’Épître emploie plusieurs mots de la même famille dikè : des substantifs (justification, justice), des adjectifs (juste, injuste), des verbes (justifier, agir injustement, faire justice). Pour distinguer les deux dimensions, nous réserverons dans le commentaire le terme « justification » à la relation verticale envers Dieu et le terme « justice » à la dimension horizontale entre humains, même si ce dernier désigne aussi notre relation à Dieu dans plusieurs versets.
  2. Il est important de noter que les chrétiens ne sont pas les seuls à agir justement — et heureusement ! De nombreux hommes et femmes qui n’ont pas la vie de Dieu en eux, voire s’opposent à lui, montrent au quotidien une justice réelle dans leurs actions concrètes. Ils témoignent ainsi qu’ils ont été créés à l’image du Dieu juste (cf. 2.14). Ces actes justes ne les rendent pas justes aux yeux de Dieu car seule la foi en l’œuvre de Christ peut le faire. Toutefois notre Dieu appréciera ces actions de façon parfaitement juste dans son jugement final (2.6).
  3. John R.W. Stott, The message of the Sermon on the mount, Bible Speaks Today, IVP, p. 172.
Prohin Joël
Joël Prohin est marié et père de deux filles. Il travaille dans la finance en région parisienne, tout en s'impliquant activement dans l’enseignement biblique, dans son église locale, par internet, dans des conférences ou à travers des revues chrétiennes.