La dîme et l’offrande
Dans la Bible, il est souvent question d’argent et, notamment, des croyants qui donnent de l’argent. Dans les églises aussi, il est souvent question d’argent ; mais trop souvent, toutefois, ce qui se dit dans la Bible et ce qui se dit dans les églises ne s’accordent pas trop.
La première chose qui ressort d’une étude de la dîme dans la Bible est le peu d’information qui existe sur le sujet. Quelques passages dans la Loi expliquent le principe (et pas toujours d’une manière particulièrement claire), quelques passages dans les livres historiques, deux seulement dans les prophètes. Comparé à ce que la Bible dit sur les sacrifices, la louange, la sainteté, les idoles, ou tant d’autres sujets, celui-ci n’est vraiment pas développé, surtout comparé à l’importance qu’il prend dans l’enseignement de certaines églises chrétiennes.
La dîme : la finance publique de l’époque
La dîme n’est pas du tout propre à la Bible ou au judaïsme ; c’était la « taxe » la plus courante dans beaucoup de sociétés de l’époque. Elle semble avoir été pratiquée le plus souvent dans le domaine religieux mais aussi politique (1 Samuel 8 met le peuple en garde contre la dîme que leur prélèverait un roi).
La seule structure mise en place par la loi de Moïse pour l’organisation et la gestion de la société est la structure lévite 1.
Les deux grandes erreurs commises le plus souvent par les églises, dans leur enseignement sur la dîme, consistent
– d’une part à oublier que le peuple payait la dîme aux Lévites et non aux seuls sacrificateurs (qui, eux, s’occupaient du culte),
– d’autre part, à négliger l’importance de toutes les responsabilités des Lévites en dehors du culte.
Les fonctions financées par la dîme
Les Lévites constituaient le seul « gouvernement » ou la « fonction publique » de la société israélite. Il n’y avait pas de « taxes » ou « impôts » à payer, selon la Loi de Moïse, en dehors de la dîme, puisque les Lévites étaient censés faire pour ainsi dire tout ce qui relèverait de « l’État » :
1. Le culte proprement dit dont s’occupaient les sacrificateurs (qui font partie des Lévites) : l’idée de séparation de l’État et du culte n’existait pas et le culte était censé être le principe unificateur de tout Israël.
2. Certains aspects de la religion : même si les Lévites n’intervenaient pas directement dans le culte lui-même, à l’époque du Tabernacle, ils étaient chargés du transport du Tabernacle et de tout le matériel utilisé dans le culte (Nom 3.17-38). Plus tard, dans le Temple de Salomon, ils avaient d’autres responsabilités, en tant que portiers (1 Chr 23.5), chanteurs (cf. 1 Chr 15.16-22 ; 9.14-34), etc.
3. Les Lévites étaient chargés aussi de veiller à ce que personne ne touche le Tabernacle ou les choses saintes (Nom 1.53). Cette charge est en rapport avec la religion, mais aussi avec la sécurité publique.
4. Il n’y avait pas vraiment de fonction « médicale » dans la société à l’époque, mais l’examen des malades et les mises en quarantaine de la personne « impure » relevait des sacrificateurs (Lév 13).
5. Les Lévites d’une manière plus générale avaient de nombreuses responsabilités qui relèveraient, de nos jours, d’un rôle juridique (1 Chr 23.4) : veiller à ce que les poids et mesures soient justes, pour éviter de l’escroquerie sur le marché (1 Chr 23.29) ; juger dans des disputes (Deut 17.8-13 ; 21.5 ; 2 Chr 19.8) ; administrer les « villes de refuge » (Nom 35.6) ; déterminer la culpabilité d’une personne (Nom 35.10-28).
6. L’aide aux pauvres, aussi, était financée en partie par la dîme (Deut 14.29).2
Les structures publiques changent et le financement aussi
La structure dont il est question dans la Loi est une théocratie où le principe unificateur essentiel du pays est l’attachement universel et obligatoire à la religion. Dès qu’il est question d’une autre structure, même en Israël, le financement change.
Le premier changement majeur et officiel est l’institution d’une monarchie en Israël. La dîme ne suffit plus pour financer toutes les dépenses. C’est d’ailleurs le fait que les charges devenaient de plus en plus lourdes qui a provoqué le schisme en Israël et a conduit à deux monarchies différentes. Mais en plus de la multiplication de taxes et de charges, le gouvernement sous l’autorité du roi prend forcément en charge certaines responsabilités qui, auparavant, relevaient des Lévites, notamment tout ce qui relevait du système juridique.
Avec la disparition de la monarchie au retour de l’exil, les structures anciennes sont remises en place dans une large mesure, ce qui veut dire que le financement ancien doit l’être aussi. Là où les autres prophètes, à l’époque des rois, n’avaient pas spécialement à reprendre le peuple dans ce domaine (non parce que le peuple payait fidèlement la dîme mais parce que les fonctions essentielles de la société étaient prises en charge par le gouvernement), Malachie doit faire prendre conscience au peuple que l’infidélité dans la dîme empêche l’œuvre de Dieu de se faire (Mal 3.8).
La situation change radicalement de nouveau quand la Judée n’est plus qu’une simple province romaine, sans autonomie locale et que la quasi-totalité des fonctions publiques sont sous l’autorité des Romains, à la seule exception du culte. Du vivant de Jésus, alors qu’il est toujours question d’Israël plutôt que de l’Église chrétienne, il est très peu question de la dîme. Jésus fait remarquer que les pharisiens payaient scrupuleusement la dîme (Mat 23.23 ; Luc 11.42), mais ses paroles montrent clairement qu’il ne considère pas cela comme un des aspects les plus importants de la Loi de Moïse.
Qu’en est-il de la dîme dans l’Église chrétienne ?
Comme les chrétiens vont vivre dans toutes sortes de sociétés différentes, avec un secteur public organisé et financé de manières extrêmement diverses selon les pays, il est totalement impossible de dire combien un chrétien doit payer pour financer ce qui devait être couvert par la dîme sous l’ancienne alliance.
Déjà, le culte est séparé le plus souvent du secteur public. Et le maintien de la société n’est pas de la responsabilité des chrétiens. Ils n’ont ni à financer le domaine de la santé publique, ni le domaine juridique. Même l’aide aux pauvres n’est plus la responsabilité des seuls chrétiens ; d’autres structures existent aussi pour cela.
Ajoutons que le culte de Dieu n’est plus obligatoire. Jésus envoie ses disciples dans un monde où le culte devient volontaire ; son financement l’est donc aussi. Au lieu de financer le culte par une « taxe » mandatée par la loi, c’est aux croyants de donner volontairement (2 Cor 8.4,10 ; 9.7), selon leurs moyens (1 Cor 16.2 ; 2 Cor 8.11-12), pour faire vivre le culte (1 Cor 9.7-14) et pour aider les pauvres qui sont à charge de l’église (Rom 12.13 ; 1 Tim 5.4-10).
Le N.T. ne reprend donc pas le principe de la dîme pour les chrétiens. On ne peut pas « chiffrer » combien chacun doit donner. Quel pourcentage de ce qui, selon la Loi de Moïse, était financé par la dîme, l’est de nos jours par les programmes sociaux, par le ministère de la justice, par le ministère de la santé, etc. ? Qui peut le dire ?
Le N.T. reste donc sur le principe d’offrandes volontaires, sans essayer jamais de donner un chiffre. Il n’y a pas de contrainte (2 Cor 8.8 ; 9.7) et ce que chacun est censé donner dépend, non d’un pourcentage imposé à tout le monde, mais de ses propres moyens (1 Cor 16.2 ; 2 Cor 8.12). Ce pourcentage variera aussi selon les dispositions de l’église locale ; une église qui veut un bâtiment doit le financer mais le N.T. n’impose nullement à une église locale d’avoir un bâtiment. Une église qui a les moyens de faire plus d’œuvres sociales aura besoin de plus de financement pour cela, mais le N.T. ne donne aucune indication sur son implication, puisque cela va varier selon les pays et les moyens des églises. Le chrétien est appelé simplement à comprendre l’importance de l’œuvre de Dieu et y contribuer, selon ses moyens. Il le fait par la prière, par sa participation active, et par l’argent qu’il met à disposition de ceux qui gèrent cette œuvre.
Qu’est-ce qui est obligatoire pour les chrétiens ?
Aujourd’hui comme hier, il faut bien financer la société d’une manière ou d’une autre. Mais la manière de la financer varie énormément. De nos jours, dans la très grande majorité des pays, le secteur public est financé en grande partie par les impôts, taxes et charges (en plus du financement par les usagers.) Pour les chrétiens, ce financement est obligatoire. En effet, un croyant doit payer taxes, charges et impôts fixés par la loi, comme tout le monde (cf. Mat 22.17-21 ; Rom 13.5-7).
Dans la plupart des pays occidentaux, la participation au financement du culte n’est pas obligatoire, selon la loi ; il relève de ceux qui se rattachent au culte en question. Cela veut dire que c’est aux chrétiens de financer l’œuvre chrétienne, en plus de leurs impôts 3.
Cela étant dit, si la participation au financement du culte est libre pour un croyant donné, il est obligatoire pour l’ensemble de la communauté chrétienne. Comme l’État ne finance pas directement le culte, si les croyants ne le font pas, il n’y aura pas de culte. En s’appuyant sur la Bible, une église ne peut pas fixer un taux de participation dans le financement de l’église et l’imposer à tout le monde. Mais une église peut bien en parler, pour faire comprendre à tous les croyants qu’ils constituent sa seule source de revenus.
Mais si la participation est libre sur le plan individuel, si ce n’est pas une obligation, pourquoi une personne donnée y participerait ? La raison est simple : par amour pour le Seigneur et, par extension, pour son œuvre. Si le croyant a des priorités bibliques, l’avancement de l’Église de Jésus-Christ est important pour lui. Il ne le fera pas par obligation, ni par crainte de punition s’il ne le fait pas, mais parce qu’il désire que cette œuvre puisse continuer et il sait que, pour le faire, il faut de l’argent.
Remarquons néanmoins que l’argent n’est pas le seul moyen de participer à l’œuvre du Seigneur. Dans les temps anciens, la dîme se payait non seulement en argent mais aussi en nature. De même, les croyants peuvent contribuer à l’œuvre du Seigneur par leur temps, leurs compétences, ou par leurs biens matériels. Même une personne qui a peu de moyens financiers peut ainsi montrer que l’œuvre du Seigneur est sa priorité.
Y a-t-il des bénédictions promises à ceux qui donnent la dîme aujourd’hui ?
Même dans certaines églises où le principe d’offrandes volontaires est bien compris et enseigné, il y a parfois une tendance, malgré tout, à « encourager » fortement les croyants à donner, en leur promettant une compensation financière de la part de Dieu s’ils donnent, en s’appuyant souvent sur Malachie 3.10 : « Apportez à la maison du trésor toute la dîme, afin qu’il y ait des provisions dans ma Maison ; mettez-moi de la sorte à l’épreuve, dit l’Éternel des armées. (Et vous verrez) si je n’ouvre pas pour vous les écluses du ciel, si je ne déverse pas pour vous la bénédiction, au-delà de toute mesure. »
Or l’utilisation de ce texte montre une confusion majeure entre une promesse collective et une promesse individuelle : il ne s’agit nullement d’une « récompense » pour leur fidélité, comme si Dieu leur disait : « Si vous me donnez ceci, je vous donne cela en retour. » Une telle notion relève entièrement de la religion païenne et non de l’optique biblique. Ce n’est pas une « promesse » dans le sens d’une récompense, mais un simple principe : si l’ensemble d’un pays agit selon la loi de Dieu, le pays en sera plus fort. Si le peuple triche massivement en évitant de payer la dîme, le gouvernement est forcément affaibli.
Mais il y a pire que cela : promettre la prospérité à ceux qui paient la dîme change totalement la motivation du croyant. Au lieu de donner — et se donner — pour le royaume de Dieu, simplement parce qu’il veut voir le royaume de Dieu avancer, il le fait pour ce qu’il peut en tirer. Son but fondamental est égoïste — et Dieu est censé récompenser cet égoïsme ! Dans 1 Timothée 6.3-5, Paul dénonce très fortement ceux qui « considèrent la piété comme une source de gain ». Un véritable enfant de Dieu soutient l’œuvre de Dieu par amour pour Dieu et non par amour pour les bénédictions matérielles qu’il pense recevoir en retour pour sa fidélité.
Conclusions pour les Églises chrétiennes
L’Église a toujours, et aura toujours, la responsabilité d’évangéliser et de veiller à l’édification des croyants. Elle aura souvent un rôle dans l’aide sociale ou de santé, mais ce rôle est variable selon les pays. Dans certains pays du monde, les chrétiens sont pratiquement la seule source de développement d’une aide médicale urgente.
Voici six principes pour résumer l’essentiel de l’approche biblique en ce qui concerne la dîme et les offrandes :
1. Dans la mesure où la dîme représentait le financement public, les croyants ont toujours cette obligation : chacun doit payer ce que lui impose la loi.
2. Il est nécessaire pour les croyants de donner, financièrement, pour l’œuvre de Dieu 4.
3. Les croyants peuvent aussi contribuer à l’œuvre de Dieu par d’autres moyens que le financement : nous pouvons aussi donner du temps, faire des efforts, utiliser nos connaissances, etc.
4. Il est impossible de fixer un pourcentage précis pour la contribution de chacun : la situation est trop variable selon les systèmes économiques de chaque pays, les situations personnelles, etc. Le sentiment de la grâce reçue sera la première motivation.
5. De toute manière, la dîme n’appartient pas à l’église locale : Si une église voulait appliquer la Loi de Moïse à propos la dîme, elle devrait aussi utiliser cette dîme pour financer non seulement le culte mais aussi des fonctions juridiques, médicales et sociales !
6. Le financement du culte n’existe surtout pas uniquement pour enrichir le pasteur. Paul dit : « Je n’ai convoité ni l’argent, ni l’or, ni les vêtements de personne. » (Act 20.33) et il savait vivre avec très peu de moyens (Phil 4.11-13). Dans certains pays africains, un enseignement pernicieux prétend, non seulement que chaque membre de l’église doit payer la dîme, mais que cette dîme appartient directement et personnellement au pasteur. Cet enseignement n’a absolument aucun appui biblique. Un pasteur ou un conseil d’église qui insiste sur les offrandes (même s’il ne s’agit pas précisément de la dîme) en vue de s’enrichir, est totalement à côté de l’enseignement biblique. Le Seigneur Jésus, aussi, vivait avec très peu de moyens (Mat 8.20). À nous d’imiter cet exemple.
- La loi prévoit la possibilité pour le peuple de se donner un roi (Deut 17.14-20), mais n’en instaure pas un.
- Certains pensent que la dîme en question ici venait en plus de la dîme payée aux Lévites, mais comme aucun texte biblique ne parle de deux ou trois dîmes différentes, il est fort probable que ceci veut dire simplement qu’une année sur trois, la dîme était consacrée aux pauvres (c’est vraisemblablement cette dîme dont il est question dans Amos 4.4). Certains justifient ainsi le fait de demander aux croyants de donner 20 ou même 30 % de leurs revenus pour l’église.
- Bien que beaucoup de pays, dont la France, permettent de déduire des revenus imposables les sommes données pour le culte, ce qui veut dire que, dans un certain sens, les fonds de l’État contribuent indirectement au financement du culte.
- Bien que beaucoup de pays, dont la France, permettent de déduire des revenus imposables les sommes données pour le culte, ce qui veut dire que, dans un certain sens, les fonds de l’État contribuent indirectement au financement du culte.