Dossier: Décrypter l’actualité
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

La télévision, un média dangereux

Note de la rédaction : Cet article est tiré du livre d’Alfred Kuen, Les défis de la postmodernité (Éditions Emmaüs), paru en 2002. Depuis cette date, la place que prend la télévision dans la plupart des foyers occidentaux n’a certainement cessé de croître, sauf quand elle est supplantée par l’augmentation du temps passé devant d’autres écrans (ordinateur, tablette, smartphone, etc.). Évoquer les dangers de regarder la télévision sans mesure ne doit toutefois pas nous amener à critiquer sans réserve toutes les émissions, car certaines peuvent être de qualité et édifiantes.

Lorsque l’on considère que, dans les pays occidentaux, presque chaque foyer possède un ou plusieurs téléviseurs (que l’on regarde entre 2 et 5 heures par jour), qu’en Allemagne 34 % des enfants de 9 à 10 ans ont déjà leur poste personnel et qu’à 13 ans un jeune a passé 5500 heures à regarder la télé (mais seulement 300 heures à lire), on ne peut pas sous-estimer l’influence qu’exerce ce média sur la quasi-totalité des habitants de nos pays.

Un média dangereux

L’apologète Douglas Groothuis1 relève 5 traits qui font de la télévision un média dangereux :

1 – Elle exalte l’image mobile au-dessus de la parole écrite et orale. L’image structure et contrôle tout message. Alors le discours rationnel recule. La réalité visionnaire de l’image « ne peut pas tolérer un discours critique, une explication ou la réflexion » (Ellul) — c’est-à-dire une activité rationnelle nécessaire pour distinguer la vérité de l’erreur. L’image requiert mon implication dans l’action, alors que la réflexion demande une certaine distance par rapport à elle. Les idées sont remplacées par des impressions, des émotions et des stimulations. Tony Schwartz, un spécialiste des médias, dit que la vérité est à présent un concept démodé qui faisait partie du temps où la communication écrite était dominante. Ce qui est montré à la télé n’est jamais la réalité telle qu’elle existe, mais un extrait sélectionné, édité et arrangé de cette réalité afin de manipuler le téléspectateur dans le sens voulu par le réalisateur.

« Au commencement était la Parole », non l’image. « Dieu nous a donné un livre, non une vidéo. Si, dans n’importe quelle culture, le langage écrit est marginalisé par la télévision, la vérité biblique commence à perdre sa résonance. Les chrétiens doivent restaurer la primauté et la puissance de la Parole comme antidote du déclin de la vérité par la télévision. »

2 – En deuxième lieu, Groothuis dénonce la perte de l’identité du Moi par l’envahissement des images, des « factoïds » et des sons ne demandant pas d’adhésion morale. Au lieu d’être dirigé par des vérités transcendantes, le Moi est fragmenté et privé de fondement par les expériences télévisuelles – ce qui correspond aux normes postmodernistes de la dispersionnite et de l’abandon de toute vérité transcendante. L’image pousse à l’imitation inconsciente, alors que la lecture sérieuse oriente, au contraire, vers les vérités abstraites. Le zapping entre les différentes chaînes devient un mode de vie sans ancrage spirituel et moral ; le Moi est déstabilisé, déraciné et vidé de son contenu. Mais à quoi servirait-il de gagner (une vision du) monde entier si l’on perdait son Moi (cf. Mat 16.26) ?

3 – La télévision présente constamment un pseudo-monde discontinu et fragmenté. Ses images apparaissent et disparaissent sans contexte rationnel approprié. Une séquence sur l’esclavage au Soudan est suivie d’une publicité pour Disneyland, puis d’un appel à acheter tel jean qui rendra toute femme irrésistible, etc. ad nauseam. La notion même de cohérence intellectuelle ou morale s’évapore peu à peu chez les habitués de la télé. Cette fragmentation, incohérence et absence de sens, rejoint parfaitement les thèmes dominants du postmodernisme dont la télé favorise l’implantation – contrairement à la vérité biblique qui constitue un tout cohérent, non contradictoire.

4 – La suite de plus en plus rapide des images télévisuelles rend toute évaluation soigneuse impossible (et indésirable). Peu à peu, on devient incapable de suivre un raisonnement abstrait, un exposé systématique des pro et des contra d’une solution ou d’une interprétation. Or, l’acquisition de la connaissance et de la vérité demande de la patience et de l’énergie morale : il faut comprendre, comparer, conclure et décider : des opérations mentales qui vont à l’encontre des habitudes intellectuelles cultivées par la télé. Comment alors retrouver la paix intérieure et le silence nécessaire pour entendre la voix de Dieu ?

5 – « La télévision favorise le déclin de la vérité par son impératif de divertissement constant : l’amusement coupe toutes les autres valeurs et captive tous les thèmes. Tous les sujets — qu’il s’agisse de la guerre, la religion, les affaires, la loi ou l’éducation — doivent être présentés d’une manière vivante, amusante ou stimulante ». L’ennemi n° 1 de la télé est l’ennui, qui ferait changer de chaîne au spectateur. Or, quoi de plus ennuyeux pour le spectateur moyen, qu’une présentation sobre de la vérité ? Cet impératif télévisuel se transpose aussi sur la vie de l’Église, où les sermons doivent être courts, illustrés de beaucoup d’humour, d’images et d’anecdotes, éventuellement même émaillés ou remplacés par des séquences vidéo. Or, toute vérité n’est pas divertissante ; la mentalité télévisuelle risque de nous priver de certaines vérités dures mais nécessaires. Jésus et les apôtres n’ont pas amusé leur auditoire, ils l’ont confronté à la vérité, ils ont fait naître des convictions et ont édifié leurs auditeurs.

Réagir

Pour contrer les effets désastreux de la consommation télévisuelle, Groothuis propose quelques pas concrets :

1 – Décider un « jeûne » télévisuel d’une semaine et noter ses impressions et ses réactions.

2 – Si la volonté de se priver pendant toute une semaine de la télé fait défaut, créer du moins des zones et des temps non-télé (comme les espaces non-fumeurs). Beaucoup de gens la regardent lorsqu’ils sont physiquement ou émotionnellement fatigués. C’est le plus mauvais moment, car la vigilance intellectuelle est la moindre à ces moments-là. Décider de bannir la télé des heures de fatigue (après le travail, ou les 2 heures avant de se coucher) et des lieux réservés à toute la famille.

3 – Remplacer les heures devant la télé par la lecture d’un livre intéressant – qui demandera un esprit critique en éveil et une participation active (cf. Phil 4.8). L’avertissement de l’auteur de l’Épître aux Hébreux à ses lecteurs reste bien actuel et s’appliquerait à des chrétiens intoxiqués par la télé. Après avoir parlé de la nourriture solide qu’il désirerait leur communiquer, il leur dit : « C’est un sujet sur lequel nous avons bien des choses à dire, et qui sont difficiles à expliquer ; car vous êtes devenus lents à comprendre. En effet, après tout ce temps, vous devriez être des maîtres dans les choses de Dieu ; or vous avez de nouveau besoin qu’on vous enseigne les rudiments des paroles de Dieu. Vous en êtes venus au point d’avoir besoin, non de nourriture solide, mais de lait. Celui qui continue à se nourrir de lait n’a aucune expérience de la Parole qui enseigne ce qu’est la vie juste : car c’est encore un bébé. Les adultes, quant à eux, prennent de la nourriture solide : par la pratique, ils ont exercé leurs facultés à distinguer ce qui est bien et ce qui est mal. » (Héb 5.11-14)

 

 

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
  1. D.Groothuis, Truth Decay, Downers Grove I.V.P.,2000.
Dossier : Décrypter l’actualité
 

Kuen Alfred
Alfred Kuen a été pendant des années professeur à l’Institut biblique Emmaüs, en Suisse. Il est l’auteur de très nombreux livres d’édification chrétienne.