La Trinité en action !
Le défi de Paul
Après avoir, dans les chapitres 1 et 2, défendu son apostolat auprès des Galates par son témoignage, Paul développe, dans les chapitres 3 à 6, une réponse plus « théologique » à la fausse logique de ses adversaires. Son argumentation peut se décomposer en trois mouvements, chacun organisé autour d’une opposition : loi et foi, esclavage et filiation, chair et Esprit. À chacune d’elles, l’apôtre raccroche une des personnes de la Trinité : aux partisans d’un judaïsme légaliste accommodé d’un Messie, Paul propose un Dieu trinitaire, en action pour le salut et la transformation de son peuple !
1. Sauvés par la foi ou par la loi ? – Le Père (ch. 3)1
La première antithèse qu’aborde Paul, celle de la loi et de la foi, est le thème clé de l’épître2 , le problème fondamental des Galates. En effet, les opposants à l’apôtre défendent l’idée que tout bon chrétien se doit de pratiquer la loi de Moïse pour être juste devant Dieu. Si c’est bien Dieu qui a donné la loi à son peuple pour qu’il la pratique, pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui ?
Pour répondre à ses adversaires, Paul se place sur leur terrain : il met au centre de son argumentation le Père, le Dieu unique (3.20) qui donne la loi (3.19). Mais plutôt que d’en rester à ce portrait sommaire, l’apôtre souligne, à grand renfort de citations de l’Ancien Testament, que ce Dieu Père est aussi celui des promesses faites à Abraham.
Abraham est une des figures clé de l’épître. Il est le Juif croyant par excellence, mais. il est d’origine païenne ! Sur quelle base a-t-il pu être justifié, sinon par sa foi dans les promesses de Dieu ? C’est ce même principe de la justification par la foi que Paul applique aux croyants d’origine païenne.
L’apôtre va plus loin ! Il démontre que la loi n’a jamais eu pour fonction de justifier, pas même le peuple juif (cf. usage des nous en 3.23-25). Elle était un conducteur qui dénonçait l’incapacité des hommes à faire le bien et pointait vers la « semence » promise à Abraham : le Christ (3.16).
Le Père, Dieu unique (3.20), donne la loi (3.19). Si Paul enseigne que la loi fait partie du passé, cela signifie-t-il qu’il faut rejeter ce Père et son autorité ? Non, au contraire ! Et c’est ce que Paul montre ensuite en détaillant la nouvelle relation qui s’établit entre le Père et le croyant, par le moyen du Fils.
2. Un peuple de fils ou d’esclaves ? – Le Fils (ch. 4)
Si la figure du Dieu Père ne ressort pas avec une grande netteté du chapitre 3, la deuxième antithèse donne l’occasion à Paul de mieux nous présenter le Père, à la lumière du Fils. En effet, la loi de l’Ancien Testament ne mettait pas en avant la paternité divine. Il a fallu attendre la pleine révélation du Fils pour nous introduire dans cette nouvelle relation à Dieu comme « notre Père ».
Le problème des Galates a une consonance ethnique : il faut devenir Juif pour être un vrai chrétien, membre du peuple de Dieu. Paul redéfinit fondamentalement les frontières de ce peuple, en faisant du Fils le principe d’appartenance à l’alliance de Dieu. Il ne s’agit plus d’être Juif ou non-Juif, mais d’être « en Christ », d’avoir « revêtu Christ », par la foi (3.26-27).
La nature même du peuple de Dieu change. Il n’est plus composé, comme dans le schéma de l’ancienne alliance, de sujets soumis à leur souverain ou d’esclaves soumis à leur maître. Ce peuple nouveau est formé de fils et de filles attachés à leur Père par des liens d’amour. Cette nouvelle relation n’est possible qu’à cause de la personne du Fils et de son ouvre. Lui, le Fils éternel, est né d’une femme, sous la loi, pour nous libérer de l’esclavage de la loi (4.4-5). Par lui, en lui, le Père nous adopte, nous fait héritiers des promesses données à Abraham, que nous soyons Juifs ou païens, en nous envoyant son Esprit (4.6-7).
Quel séisme ! Les fils légitimes de Dieu ne sont plus ceux que l’on croyait ! Plus de généalogie, de circoncision, de territorialité. plus de Mont Sinaï, plus de Jérusalem terrestre, pour définir ce peuple (cf. allégorie d’Agar et Sara : 4.21-31) ! Un seul élément demeure : la promesse qui pointe vers le Fils. Paul compare même la pratique de la loi avec le culte des dieux païens (4.3 et 4.8-10) ! Si nos principes, si justes soient-ils, prennent la place du Fils, ils deviennent nos idoles et nous leurs esclaves.
Dans cette section, Paul utilise l’image de la filiation pour parler de la nouvelle nature que le Père nous accorde lors de notre adoption en Christ (4.6-7). Mais l’apôtre utilise également le langage de l’enfantement pour parler de son travail parmi les Galates, de ses efforts pour que « le Christ soit formé » en eux (4.19). Comment comprendre ces images ? Sommes-nous fils lors de notre adoption ou seulement lorsque le Christ est formé en nous ? C’est cette question que Paul va développer dans sa dernière partie consacrée à la vie du chrétien transformé par l’Esprit.
3. Une vie par l’Esprit ou par la chair ? – Le Saint-Esprit (ch. 5-6)
Le Père donne la loi, le Fils l’incarne et nous en libère. Mais comment vivre cette liberté ? Comment être ce fils, cette fille, de Dieu le Père, à l’image de Dieu le Fils ? C’est Dieu l’Esprit, placé en nous lors de notre adoption (4.6), qui nous conduit dans ce chemin de liberté !
La nouvelle incroyable que Paul rappelle aux Galates, c’est que l’héritage promis à Abraham et aux croyants de l’ancienne alliance n’est autre que le don du Saint-Esprit (3.14) ! Relayée par les prophètes (cf. Ez 36.26-27), cette promesse de Dieu de mettre son Esprit dans les cours se réalise pour le nouveau peuple de Dieu.
L’Esprit témoigne de l’adoption reçue (4.6), mais ce n’est pas son seul rôle. Comme l’avait prophétisé Ézéchiel, par son Esprit Dieu rend l’homme capable d’accomplir sa loi (5.14,16,23). Paul renverse la perspective : la pratique de la loi ne conduit pas au salut, c’est le salut qui conduit à la pratique de la loi. Dieu nous libère pour le servir.
Mais comment accomplir cette loi ? L’ancienne alliance n’est-elle pas un témoignage éclatant de l’incapacité de l’homme à le faire ? C’est fort de ce constat que Paul présente l’action de l’Esprit dans le croyant comme une nouvelle création (6.15). En effet, sans l’Esprit, la vie du croyant est vouée à l’échec. Car s’il s’appuie sur la chair, sa vieille nature, elle le poussera à pratiquer ce qu’il ne veut pas (5.17). Ce n’est qu’en marchant par l’Esprit, en le laissant produire son fruit (5.22-23), que le chrétien pourra accomplir la loi. Quelle loi ? Pas celle de Moïse, mais celle du Christ (6.2) ! Celle qu’il a donnée dans son Sermon sur la Montagne (Mat 5-7) et résumé ainsi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu [.] et ton prochain comme toi-même » (Mat 22.37-40, cf. Gal 5.14). Et il ne nous faut pas moins que l’Esprit pour faire cette ouvre en nous !
Conclusion : la Trinité en action !
Arrivés au terme de notre survol, il est frappant de constater la cohérence et l’équilibre de l’apôtre dans son traitement de l’action du Dieu trinitaire. Le Père donne la loi, le Fils l’incarne pour nous et l’Esprit nous la fait vivre. Tout en distinguant clairement les trois personnes de la Trinité, Paul montre également la continuité et l’unité de leur action : notre salut ! Le Père nous le promet, il envoie son Fils qui le réalise objectivement à la Croix, et son Esprit pour l’appliquer subjectivement à nos vies. Les ouvres du Dieu trinitaire sont, comme ses trois personnes, si intimement mêlées qu’on ne peut ôter quoi que ce soit à l’un sans enlever quelque chose à l’autre.
Par sa manière d’argumenter, Paul nous interpelle. Pour lui, la Trinité n’est pas une simple affirmation de foi – il n’explicite d’ailleurs jamais formellement le dogme trinitaire – mais un Être en action dans sa vie. Pour l’apôtre, l’être du Dieu Tri-Un se découvre en méditant ses actions dans, pour et avec l’homme.
Quelle place a le Dieu trinitaire dans notre piété, nos réflexions, nos enseignements ? Atteignons-nous l’équilibre de l’apôtre, ou sommes-nous plutôt « du Père », « du Fils », ou encore « de l’Esprit » ? Notre compréhension de la Trinité est-elle simplement abstraite ou percevons-nous son action concrète dans nos vies ?
1 Par souci de lisibilité, les limites entre les sections étant parfois floues, nous proposons un découpage par chapitre. On pourrait néanmoins adopter un découpage plus précis : loi et foi (3.6-25), esclavage et filiation (3.26-5.1), chair et Esprit (5.2-6.10).
2 Le mot loi est le nom commun le plus fréquent dans l’épître (32 fois).