L’avortement : une possibilité de dire non à la vie ?
L’avortement, qui est l’interruption volontaire d’une grossesse, n’est pas le sujet de société qui, en France, suscite le plus de passion actuellement, alors qu’il concerne des milliers de vies humaines chaque année. Le Créateur de la vie nous permet-t-il de connaître sa pensée sur cette question ? La Bible nous servira de norme morale ; bien qu’elle ne parle pas directement de l’avortement, son enseignement peut, indirectement, nous donner des jalons essentiels.
Afin de traiter cette question, je vais d’abord envisager la valeur de la vie humaine pour Dieu, puis la valeur de l’enfant à naître et, enfin, considérer le droit de la mère au regard de celui du fœtus.
I. La valeur de la vie humaine
La valeur de la vie humaine est un sujet essentiel dans la Bible. Nous allons observer comment la Bible aborde ce sujet, d’abord en envisageant l’enseignement de la dignité humaine, puis celui de la protection de la vie et enfin celui de la protection des faibles par les forts.
1. La dignité humaine
L’être humain a une valeur particulière aux yeux de Dieu. Il a été créé à son image (Gen 1.17) et Dieu l’aime de façon extraordinaire, c’est un des thèmes majeurs des Écritures. Cette place accordée par Dieu à l’homme est bien supérieure à celle que l’homme s’attribue souvent lui-même (ou du moins qu’il attribue à ses semblables) et Jésus, lors de son incarnation, par sa sollicitude envers les hommes, nous fait toucher cette réalité très sensiblement.
2. La protection de la vie
Dieu accorde une grande valeur à sa création, à la vie, et au respect de celle-ci. Dieu a condamné le meurtre dans des passages comme : « Si quelqu’un verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé, car Dieu a fait l’homme à son image » (Gen 9.6) ou : « Tu ne commettras point de meurtre. » (Ex 20.13)
Le commandement de ne pas assassiner, souvent pris comme un absolu, n’est peut-être pas un texte légiférant sur la peine de mort, la guerre ou l’euthanasie, mais plutôt une protection de la vie voulue par Dieu. Comme le souligne Philippe Malidor 1, citant Le Décalogue d’Alphonse Maillot : « [Tu ne tueras pas] signifie entre autre que toi-même tu ne pourras pas te poser en dieu de ton frère, tout particulièrement en prétendant disposer toi-même de sa vie. » C’est une pensée qui peut nous guider dans la réflexion sur l’avortement et le droit dont dispose l’homme de choisir de priver de la vie un être humain.
3. La protection des faibles par les forts
Dieu a institué aussi une protection des forts envers les faibles, comme nous le trouvons dans la loi pour les étrangers, les veuves et les orphelins (par exemple Deut 10.17-18 et 24.17) rappelée dans les prophètes (És 1.17 ou Mal 3.5) et que Jésus a illustrée dans l’Évangile par le fameux : « Laissez venir à moi les petits enfants. » (Mat 19.14) Quel être est plus faible qu’un fœtus et plus dépendant des forts ?
Ces trois éléments que sont la dignité de l’humain devant Dieu, l’impérative protection de la vie et la protection due aux faibles par les forts, sont des enseignements à garder à l’esprit pour réfléchir à la question de l’avortement. En effet, si la Bible ne condamne pas directement l’avortement, elle donne des enseignements moraux précis et exigeants.
II. La nature et la valeur de l’enfant à naître
Plusieurs questions sensibles sont soulevées par l’avortement : l’embryon ou le fœtus est-il une personne humaine dès sa conception, à sa naissance ou entre les deux ? Quels sont les éléments que la Bible nous fournit sur l’enfant avant sa naissance ? Les futurs enfants ont-ils forcément tous le même intérêt à naître ?
1. Quand devient-on une personne ?
Un embryon est-il un enfant ? Sinon quand devient-il une personne ? Cette question est bien synthétisée dans la Revue de métaphysique 2 qui note deux positions : « Selon les uns il suffit pour être une personne de posséder le génome humain. Selon les autres, il faut pour une personne posséder assez de conscience et de raison pour entrer dans la communauté des sujets libres. »
Dans la suite de cet article, l’embryon est seulement considéré comme une personne « potentielle ». Ce concept amène à la conclusion que « ce qui fait la dignité humaine, c’est l’autonomie du vouloir… On devient une personne humaine progressivement, au cours de son enfance, à mesure qu’on accède à la responsabilité. » C’est le « compromis » que trouve la Commission d’éthique de la Fédération Protestante de France 3 : « L’idée que l’embryon est une “personne humaine potentielle” est un intéressant compromis entre les deux affirmations qu’il faudrait pouvoir dire en même temps :
1) dès la conception, un enfant à naître est complètement une personne fragile qui a des droits ;
2) la naissance reste la discontinuité principale, celle par laquelle commence la personne, indissolublement liée aux conditions concrètes, sociales et familiales dans lesquelles l’enfant apparaît. »
Cette position a, bien entendu, des implications très concrètes sur l’avortement : si l’enfant à naître est une personne seulement « potentielle », l’avortement n’est pas un meurtre. Il peut donc être pris comme un acte grave mais envisageable suivant les situations, notamment sociales.
À l’opposé de cette conception, l’embryon peut être vu (dans les termes de cet article de la Revue métaphysique) « dès sa conception et jusqu’à son dernier souffle, [comme] une personne à part entière. […] La biologie, en montrant que le développement se fait sur la base d’un patrimoine génétique individuel définitivement fixé au moment de la fécondation de l’œuf par le spermatozoïde, donne une caution pour étendre le concept ontologique de sujet personnel au niveau embryonnaire, et légitime en quelque sorte la thèse de l’animation immédiate. »
Cette position est défendue par John Wyatt 4 : « À aucune étape du développement fœtal on ne note de discontinuité biologique qui pourrait être le signe d’un passage d’une forme animale à une forme humaine » et, citant Oliver O’Donovan : « Nous devons appréhender les nouveaux êtres humains, y compris ceux dont l’humanité nous paraît problématique ou incertaine, avec l’espoir que nous découvrirons comment Dieu les a appelés du néant à l’état de personne. »
Cette compréhension, qui est celle de l’Église Catholique et d’une partie importante des Évangéliques, revient à dire que tout avortement est un meurtre, quel que soit le moment auquel il est pratiqué.
C’est cette conception qui me paraît en accord avec la pensée du Créateur. Cependant pouvons-nous aller jusqu’à affirmer qu’utiliser un stérilet, pratiquer un avortement à 6 mois ou commettre un infanticide sont des actes strictement de même nature ? Peut-être n’avons-nous pas à nous prononcer, mais il nous incombe toujours de protéger la vie humaine. C’est ainsi que s’exprime John Wyatt 5 : « Selon un principe de base de l’éthique médicale, à chaque fois qu’il existe un doute sérieux sur une question de vie ou de mort, il convient de “jouer la sécurité”. Nous votons pour la vie et contre la mort. » Affirmer que l’embryon, dès sa conception, est un être humain me paraît donc légitime et nécessaire.
2. La place de l’embryon ou du fœtus dans la Bible.
À défaut de donner un enseignement sur l’avortement, la Bible nous laisse des textes parlant des enfants à naître et ces textes contiennent des instructions sur la façon dont Dieu les voit.
Pour Dieu, la vie humaine a de la valeur — celle du fœtus aussi, comme nous pouvons le lire dans la loi mosaïque : « Si des hommes se querellent, et qu’ils heurtent une femme enceinte, et la fasse accoucher, sans autre accident, ils seront punis d’une amende imposée par le mari de la femme, et qu’ils paieront devant les juges. Mais s’il y a un accident, tu donneras vie pour vie. » (Ex 21.22-23)
La belle poésie du Psaume 139 nous montre que, pour le psalmiste, Dieu s’intéresse au développement de l’embryon : « C’est toi qui as formé mes reins, qui m’as tissé dans le sein de ma mère. […] Quand je n’étais qu’une masse informe, tes yeux me voyaient… » (Ps 139.13-15)
Dieu, qui est omniscient, voit par avance la destinée d’un embryon. Citons deux exemples : – parlant de Jacob et d’Ésaü : « L’Éternel dit [à Rebecca] : Deux nations sont dans ton ventre » (Gen 25.23) ; – et de Jérémie : « Avant que je t’aie formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu sois sorti de son sein, je t’avais consacré. » (Jér 1.5)
Dans tous ces textes, celui de Luc 1 revêt un intérêt particulier : il est annoncé que Jean serait « rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère » puis, alors qu’il n’est pas encore né, « il tressaille » en entendant Marie qui portait Jésus dans son ventre (Luc 1.15,44). Il ne s’agit pas d’un enseignement indiquant que, dès sa conception, tout enfant peut avoir une relation avec Dieu, mais ce fut le cas de Jean, avant sa naissance.
Il est remarquable que Dieu se soit incarné, en Jésus, au stade de la conception (voir Mat 1.20) et non pas directement dans le bébé qui est célébré à Noël.
3. Toutes les vies se valent-elles ?
La pratique du diagnostic prénatal permettant de détecter des anomalies chez un fœtus amène, en lien avec la possibilité d’avorter, la question de savoir si toute vie vaut la peine d’être vécue. Un enfant qui naîtra handicapé a-t-il intérêt à naître ?
Pour Dieu, la valeur d’un homme ne se mesure pas à sa capacité. C’est ce que soulignent D. Rivaud et A. Lukasic6 : « Des malformations ne changent rien au statut de la personne, statut invariable, d’une valeur éternelle aux yeux de Dieu. Karl Barth, célèbre théologien calviniste suisse, écrit dans sa Dogmatique : “Une société qui considère et traite ses membres faibles comme des parasites et vise à les exterminer est déjà en pleine désagrégation.” »
Cependant, en va-t-il différemment d’un être qui ne pourra jamais se développer parce qu’affligé d’une malformation cérébrale irréversible qui rend impossible tout développement de conscience de soi et toute capacité de communiquer avec les autres ?
L’embryon dès sa conception est un être humain et il a incontestablement de la valeur pour Dieu, qui ne juge pas de la valeur des êtres avec notre mesure, car il se glorifie autant dans les faibles que dans les forts.
III. Le droit de la mère au regard de celui du fœtus
On ne peut parler de l’avortement et du caractère sacré de la vie sans parler de la vie des mères. Les mères sont intimement touchées dans leur corps et dans leur esprit par la vie qui est en elle, alors même que parfois leurs vies sont menacées par la vie qui se développe en elles.
1. Y a-t-il un droit absolu des femmes à disposer de leur corps ?
Le nouveau Ministère du droit des femmes mettait en avant, en première page de son site, le 01/10/2012, un lien on ne peut plus direct entre le droit des femmes et l’avortement : « Remboursement à 100 % de l’IVG et revalorisation de l’acte : le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps est enfin reconnu. » Dans notre société occidentale, ce lien nous est maintenant très familier.
Les évêques du Togo affirment fort justement7 : « À ceux qui disent que la femme est libre de disposer de son corps comme elle le veut, l’Église répond que l’enfant à naître est ontologiquement différent de la maman. […] Le fœtus n’est pas non plus une excroissance — tel un abcès ou un cancer — dont le père ou la mère peuvent légitimement décider de se “débarrasser”, sous prétexte qu’il dérange leur propre bonheur à eux. L’Enfant à naître a droit à la vie et ce droit à la vie l’emporte sur tout autre droit, et plus particulièrement sur le droit au bonheur. »
Nous reconnaissons que la femme a une dignité indépendante de son rôle de mère. Mais à partir du moment où un enfant est en jeu, il n’est pas question, uniquement, du droit de la femme, mais également du droit de l’enfant.
2. Des implications psychologiques importantes
Dans la vie de la mère, liée à celle du fœtus, ce n’est pas seulement le corps de la mère qui est concerné mais également son esprit.
Le débat sur la question de l’avortement pose souvent la question en lien avec les cas de viol ou d’inceste. Si une femme est enceinte suite à un viol, n’est-ce pas injuste et insupportable qu’elle ne puisse pas avorter ? Même dans le cas où la conception fait suite à un viol, il n’en reste pas moins vrai que l’embryon est distinct du corps de sa mère, il est un autre être. Ainsi Austin Ruse peut écrire8 : « Un viol est souvent la plus dévastatrice épreuve physique et émotionnelle qui puisse survenir dans la vie de sa victime. […] Nul n’a le droit de minimiser ces crimes affreux. [Cependant] la mise à mort d’un innocent ne se justifie jamais, même si sa vie est issue d’un viol. […] Un enfant à naître est un être humain unique. » Cette question peut se poser pour de très jeunes filles, dans des situations tout à fait insupportables où elles ne pourraient pas élever un enfant. Je ne suis pas sûr que quiconque puisse juger une personne réduite à l’extrémité et se faisant avorter.
Mais qu’est-ce qui fait le plus de mal : devenir mère sans le vouloir ou se faire avorter ? Ici se pose avec acuité la question de l’accompagnement des personnes.
Le CPDH synthétise ce problème, aussi bien pour les mères que pour les enfants9 : « Les séquelles psychologiques de l’avortement commencent à être connues et reconnues. Les psychologues parlent aujourd’hui du syndrome post-abortif des femmes qui ont subi un avortement et du syndrome du survivant des jeunes qui s’interrogent : “En vertu de quelle roulette russe suis-je venu au monde alors que mon frère ou ma sœur n’y a pas eu droit ?” […] C’est toute la société qui est ébranlée par la dévalorisation dans le regard porté sur la vie humaine. »
3. Choisir entre vie et vie
Bien différente est la situation où la vie de la mère est en danger et où l’avortement est la seule solution pour la sauver. Il me paraît assez logique, dans ce cas, de tout faire pour sauver la vie de la mère et, éventuellement, d’aller jusqu’à un avortement. Si cette mesure n’est pas prise, le décès de la mère entraînera probablement celle du fœtus ou compromettra son développement.
Conclusion
Parler du caractère sacré de la vie amène à se placer en simple humain devant le Créateur. Dans cette position, les humains « adultes » ne peuvent pas s’ériger en « dieux » des embryons et fœtus. Nous sommes responsables devant Dieu des vies humaines qu’il nous confie pour leur préservation dans les meilleures conditions possibles.
L’avortement ne doit jamais devenir le droit de supprimer la vie : il peut être, en de très rares occasions, le dernier espoir d’en sauver au moins une.
1Philippe Malidor, 10 paroles pour tous, éditions Farel, 2008, p. 74.
2 Anne Fagot-Largeault et Geneviève Delaisi de Parseval, « Les droits de l’embryon (fœtus) hu-main et la notion de personne humaine potentielle », Revue de métaphysique et de morale, 1987, n° 3.
3 « Bilan et réflexion sur l’interruption volontaire de grossesse », février 1994, www.protestants.org.
4 John Wyatt, « Questions de vie et de mort, la foi et l’éthique médicale », La Foi en Dialogue, éditions Excelsis, 2009, p. 200. 5 Ibid., p. 203.
6 Daniel Rivaud et Alexandre Lukasik, L’avortement – la tragédie cachée d’une société qui s’effondre, éditions Nouvelle Alliance – www.cpdh.info
7 « Il est déjà homme, celui qui va le devenir », message des évêques du Togo au peuple chrétien, 2007.
8 Austin Ruse, Viol et avortement : quelques réflexions, août 2012, www.france-catholique.fr.
9 CPDH, Lettre n° 61 de janvier 2005, L’avortement, trente ans après… une société ébranlée, Réflexion apportée par le Comité Protestant pour la Dignité Humaine, www.lafef.com, 2006.