Le message du jugement
Cet article est un large extrait du ch. 3 du livre de Francis Schaeffer, La mort dans la cité, écrit il y a 47 ans. Consacré au livre de Jérémie, l’ouvrage reste toujours actuel par la pertinence de ses propos. Il est disponible à La Maison de la Bible en format papier ou électronique.
Jérémie s’est adressé à une génération très semblable à la nôtre. On a appelé Jérémie « le prophète qui pleure », car il se lamentait sur son peuple. Nous aussi devons pleurer sur l’Église à cause de son abandon de Dieu, et sur l’ensemble de notre culture, qui a suivi dans ce sillage.
Son message, dont Jérémie 1.10 nous donne les grandes lignes, n’était pas facile à délivrer : « Regarde, je t’établis aujourd’hui sur les nations et sur les royaumes, pour que tu arraches et que tu abattes, pour que tu ruines et que tu détruises, pour que tu bâtisses et que tu plantes. » Notez l’ordre dans lequel ces verbes se succèdent : les négatifs d’abord, les positifs ensuite. Cela correspond aux deux aspects du message, mais ce qui est négatif doit venir en premier lieu et être vigoureusement proclamé. Juda s’était révolté contre Dieu et la vérité révélée, et cette révolte marquait toute la vie de la nation ; le message confié à Jérémie devait être avant tout un message de jugement. Il est impérieux, je le crois, que nous fassions entendre cette note-là aujourd’hui. Le christianisme n’est ni romantique, ni veule, mais au contraire réaliste et rude. Aussi la Bible nous transmet-elle le message de Jérémie dans tout son réalisme, et il incombe à l’Église de prêcher ce même message aujourd’hui si elle veut être de quelque utilité à notre génération. Ne nous étonnons pas des réactions ! La Bible ne nous laisse aucune illusion : ce message ne saurait être bien accueilli par une chrétienté et une culture en révolte. Ecoutez plutôt : « Voici, je t’établis en ce jour sur tout le pays comme une ville forte, une colonne de fer et un mur d’airain, contre les rois de Juda, contre ses chefs, contre ses sacrificateurs, et contre le peuple du pays. Ils te feront la guerre, mais ils ne te vaincront pas ; car je suis avec toi pour te délivrer, dit l’Éternel » (1.18-19). Voilà les difficultés qui attendaient Jérémie dans son ministère. Aussi le chrétien qui rêve d’un ministère facile dans une culture où le christianisme est minoritaire manque-t-il totalement de réalisme. La tâche ne pouvait pas être facile au temps de Jérémie, et il n’y a aucune chance qu’elle soit plus aisée pour nous aujourd’hui.
La multiplication des formes de piété et des activités religieuses ne signifie rien pour Dieu et n’éloigne pas son jugement. La nouvelle théologie, et parfois, hélas, les compromis de certains secteurs de la chrétienté dite évangélique, dépouillent le culte de l’élément même qui le rendait agréable à Dieu. Nous avons vu dans les Lamentations que les Juifs s’étaient détournés de la vérité révélée ; or, précisément, Dieu ne peut pas accepter l’adoration d’hommes qui ont rejeté sa révélation propositionnelle. En parlant ainsi, nous ne jonglons pas avec des notions théologiques abstraites, nous traitons le problème concret de la foi en Dieu et en la vérité révélée.
Mais, à travers le message de Jérémie, Dieu veut encore nous apprendre autre chose. En effet, le prophète ne se contente pas de flétrir la piété formaliste, mais il se lance dans une dénonciation formelle de l’apostasie de son temps. Remarquez, à ce propos, que l’Église, depuis quatre décennies, utilise de moins en moins ce terme ; cela est symptomatique de notre époque et démontre à quel point le relativisme propre au concept hégélien de la synthèse a envahi l’Église moderne. D’aucuns, il est vrai, emploient le mot apostasie d’une façon dure et déplaisante ; c’est sans doute regrettable. Cependant, selon la Parole de Dieu, l’apostasie existe bel et bien, et si nous ne qualifions pas ainsi le fait de se détourner de Dieu, nous sommes infidèles à sa Parole.
D’apostasie, Dieu nous en parle par la bouche de Jérémie, en termes extrêmement forts, sévères, parfois même choquants ! « Lorsqu’un homme répudie sa femme, qu’elle le quitte et devient « la femme d’un autre, cet homme retourne-t-il encore vers elle ? Le pays même ne serait-il pas souillé ? Et toi, tu t’es prostituée à de nombreux amants, et tu reviendrais à moi ! dit l’Éternel. » (3.1) Dieu nous invite à revenir à lui, mais son invitation exige l’aveu de notre apostasie.
Jérémie ne se contente pas de réprouver l’apostasie religieuse, il condamne également certains péchés spécifiques, et c’est aussi ce que nous devons faire à notre époque. Dans Jérémie 5.7, nous lisons : « Pourquoi te pardonnerais-je ? Tes enfants m’ont abandonné, et ils jurent par des dieux qui n’existent pas. » Il s’agit encore une fois de péché dans le domaine religieux ; mais remarquez maintenant avec quelle précision la fin du verset évoque les effets de notre société d’abondance : « J’ai reçu leurs serments, et ils se livrent à l’adultère, ils sont en foule dans la maison de la prostituée. » Leur prospérité les stimule au péché ; n’est-ce pas des plus actuel ? Pensons aux pièces de théâtre, aux romans, aux films, à la peinture et à la sculpture modernes : dans notre société d’abondance, le message de l’art est souvent un appel à la vie hédoniste.
Si, dans notre monde post-chrétien, l’Église ne condamne pas le péché, elle ne suit pas l’exemple de Jérémie et reste en deçà du message qu’il a proclamé de la part de Dieu : condamnation d’une religion purement formaliste, condamnation de l’apostasie, condamnation des péchés sexuels, et, enfin, condamnation du mensonge, car le prophète s’y attaque aussi : « Oh ! Si j’avais au désert une cabane de voyageurs, j’abandonnerais mon peuple, je m’en éloignerais ! Car ce sont tous des adultères, c’est une troupe de perfides … Ils se jouent les uns des autres, et ne disent point la vérité ; ils exercent leur langue à mentir, ils s’étudient à faire le mal. » (9.2,5) Il ressort de ce passage que Dieu attache un grand prix à la véracité. Mais aujourd’hui, où l’on ne croit plus en aucun absolu, il est de plus en plus courant de ne pas dire la vérité, et la tromperie a droit de cité. En affaires, on essaie souvent, dans les limites légales, de ne pas honorer un contrat. Les employeurs ne tiennent pas leurs promesses et les employés le leur rendent bien. De par leur abandon de Dieu, seul fondement sur lequel on puisse établir des absolus en ce qui concerne la vérité et le mensonge, les hommes sont devenus perfides et hypocrites.
Les hommes agissent en général par la force de la tradition et de l’habitude, et non en fonction d’une base chrétienne solide et rationnelle, ce qui est fort laid. Cette écœurante hypocrisie est si patente dans la culture et dans l’Eglise, que les chrétiens auraient dû la dénoncer il y a des années déjà, sans attendre que la présente génération nous la jette au visage. Rappelons-nous que les vertus les plus belles perdent leur éclat si elles cessent d’émaner de la source qui les avait produites.
Jérémie s’en prend également à ceux qui cherchent de l’aide auprès du monde au lieu de s’adresser à Dieu. Ce péché revêtait de son temps une forme bien définie ; les Juifs regardaient du côté de l’Égypte et d’autres grandes nations pour recevoir du secours contre Babylone.
Dieu nous avertit qu’à vouloir chercher de l’aide auprès du monde, nous allons au-devant de pénibles humiliations et d’un échec certain. A notre époque de relativisme, où la nouvelle théologie rabaisse la religion au rang de la psychologie, l’Église doit donner la démonstration de la réalité de sa foi en l’existence de Dieu. Il nous « faut chercher l’aide directement auprès de Dieu, et ainsi nous « accomplirons l’œuvre du Seigneur selon la méthode du Seigneur », comme avait coutume de le dire Hudson Taylor (fondateur de la Mission à l’Intérieur de la Chine).
Pour conclure, quelle était la teneur du message de Jérémie ? S’agissait-il d’un message facile ? Certainement pas, car voici ce qu’il devait dire aux Juifs de son temps : « Vous marchez vers un anéantissement total parce que vous avez tourné le dos à Dieu et refusé de vous repentir. Dieu, qui intervient dans l’histoire, va détruire complètement votre culture. » C’est ainsi que nous lisons : « L’Éternel me dit : C’est du septentrion que la calamité se répandra sur tous les habitants du pays. » (1.14) Et encore : « Voici, je fais venir de loin une nation contre vous, maison d’Israël, dit l’Éternel ; c’est une nation forte, c’est une nation ancienne, une nation dont tu ne connais pas la langue, et dont tu ne comprendras point les paroles. » (5.15) Leur culture est menacée de destruction totale ; cette prophétie se répète tout au long du livre de Jérémie.
Voici ce que Dieu veut dire par là à notre génération : « Ô peuples, ô culture, pensez-vous que la connaissance que vous détenez aujourd’hui — inadéquate puisqu’elle ne tient pas compte de l’ensemble du réel (où le surnaturel voisine avec le naturel, et où tout ne saurait s’expliquer par le seul jeu des forces horizontales), pensez-vous donc que cette connaissance vous permettra de forger les instruments de votre délivrance ? Sachez-le, tout cela va se retourner contre vous, comme une épée dans la main d’un homme épuisé. Vous vous fiez à votre technologie, toujours plus poussée, mais cette même technologie vous détruira. » Tant qu’il ne se trouvera personne pour prêcher courageusement ce message au monde d’aujourd’hui, l’Église ne sera pas prise au sérieux.
Il faut dire et redire à notre génération qu’on ne se moque pas de Dieu, qu’il jugera notre culture à cause de son rejet délibéré de l’extraordinaire lumière dont elle bénéficiait. Dieu est un Dieu de grâce, mais le revers de la grâce, c’est le jugement. Si Dieu existe, si sa sainteté n’est pas un vain mot (et sans un Dieu saint, il n’y a pas d’absolus), le jugement fondra inexorablement sur le monde.
Pourquoi tant d’inconsistance et de superficialité chez les chrétiens évangéliques de tout âge ? C’est qu’ils passent à côté de la réalité suprême, de la réalité décisive, à savoir que Dieu existe de fait, qu’il est objectivement présent. La Bible est ce qu’elle est parce que Dieu, dans son existence objective, l’a donnée par le souffle de sa bouche, sous la forme de déclarations précises énoncées dans les termes et selon les règles du langage humain.
En dernière analyse, sur quoi notre christianisme est-il axé ? Sur quel pivot repose-t-il ? Serait-ce sur autre chose que sur la réalité même de Dieu ? Dans tout ce qui compose la trame de notre vie, quand nous étudions, quand nous enseignons, croyons-nous que Dieu est là, proche et présent ?
Croyons-nous vraiment à la réalité de son existence, ou nous contentons-nous de vivre avec une croyance propre à notre milieu social ? Si l’existence et la sainteté de Dieu sont effectives, comment concevoir qu’il reste insensible à l’apostasie du monde occidental ? À moins de lui annoncer le jugement de Dieu, nous ne pourrons prêcher avec efficacité à notre génération.