Le musulman, mon prochain
Paul GESCHE, Docteur ès Sciences travaillant pour le groupe chimique français RHODIA, est marié et père de six enfants. Après avoir grandi en Alsace dans un contexte d’implantation d’église, il est depuis 1989 l’un des anciens d’une église évangélique pionnière établie au centre de Lyon. Il a découvert l’islam et le monde musulman au début des années quatre-vingts, alors qu’il était coopérant technique en Algérie. Ayant dirigé pendant près de quinze ans une mission francophone engagée dans l’évangélisation des communautés immigrées d’Europe ou des pays arabes, il s’est aussi fait connaître par des ouvrages très pratiques : « Annoncer Christ aux Musulmans », ou « L’Ange et l’Artisan » (distribués par les Éditions MENA, BP2 FR-69520 GRIGNY), ou encore par ses rendez-vous annuels de découverte de l’islam en France dans le cadre du Séminaire d’Islamologie organisé à l’Institut Biblique de Nogent sur Marne.
Le dossier « Le musulman : mon prochain ? » a été préparé sous sa responsabilité et sa supervision. Nous le remercions de sa précieuse collaboration.
Si le mot « prochain » désigne mon compagnon, celui que la vie a placé à côté de moi ou celui au côté duquel je fais un bout de chemin, on comprend que cette expression désigne tout naturellement les millions de musulmans qui vivent en Europe ou en Afrique. Dans des pays où l’Eglise est présente avec son témoignage et son action dans la société, où les chrétiens et les musulmans fréquentent les mêmes écoles, sont collègues de travail ou voisins de palier, il serait dommage d’enfermer les uns et les autres dans des communautés qui partageraient tout sauf l’essentiel, l’espérance en un Dieu qui sauve et qui revient pour rétablir toutes choses. Le sacrificateur et le Lévite de la parabole de Jésus sont de tristes exemples d’indifférence ou de peur que trop d’hommes suivent autour de nous. Sachons nous démarquer en nous arrêtant… et prenons le risque de comprendre et de partager.
L’Europe et l’islam
L’islam est la seconde religion en France (environ 5 millions d’adeptes), mais aussi une des principales religions en Allemagne, en Angleterre (un peu plus d’un million d’adeptes chacune), et sa visibilité croît tous les ans en Italie – où se dresse la plus grande mosquée d’Europe – ou en Espagne – où le souvenir de l’Andalousie arabo-musulmane a été tout particulièrement évoqué lors des célébrations de la Reconquista et de la Découverte du Nouveau Monde. En Suisse, on compte un peu plus de 300000 musulmans.
Berceau et rayonnement de l’islam
Le berceau de l’islam est la péninsule arabique et plus particulièrement le Hedjaz sur les rives désertiques de la Mer Rouge. Mais ses premières victoires militaires ont renversé deux empires séculaires, l’empire romain (byzantin) et l’empire perse (héritier de Babylone) et l’ont porté jusqu’à l’Inde et à la Chine à l’est, jusqu’aux rivages de l’Atlantique, du fleuve Sénégal à la Loire à l’ouest. Le rayonnement de la civilisation islamique arabo-persane a séduit les Turcs en Asie Centrale, les marchands de Malaisie et d’Indonésie, la moitié des ethnies divisées de l’Afrique et plus près de nous, de nombreux Européens et de nombreux Américains d’origine africaine qui se convertissent sous nos yeux. Il est vrai que l’argent, le pétrole et les armes, le pouvoir et la revendication identitaire jouent aussi un rôle dans l’influence de l’islam, mais l’honnêteté devrait nous contraindre à la réserve tant il est vrai que l’histoire des progrès du christianisme comporte aussi ses zones d’ombre.
Proximité et antagonisme de l’islam
L’islam est une religion qui présente des analogies avec le christianisme, même si cette ressemblance va de pair avec de sérieux antagonismes. Le musulman a le souci de vivre devant son Dieu, Allah, et devant les hommes une vie pieuse et responsable ; il déplore la corruption des moeurs dans la société occidentale, et cherche à préserver sa famille des influences qui éloignent les hommes et les femmes d’Allah, et les uns des autres.
Simplicité et complexité de l’islam
L’islam se présente comme une religion simple et dynamique. Simple avec ses règles de piété qui sont peu nombreuses, mais largement suivies. Simple avec son absence de clergé qui donne la responsabilité à chaque père de famille, à chaque chef de tribu, de s’assurer que l’observance est assez stricte pour ne pas attirer la honte, la colère et le malheur sur la collectivité. Simple avec sa doctrine strictement monothéiste qui revendique l’héritage du judaïsme et du christianisme, tout en éliminant tout ce qui est trop difficile à comprendre pour l’homme, tout ce qui heurte la raison et tout ce qui ne peut pas être contrôlé – à l’exception notable du Coran, à l’abri de toute critique derrière le rempart de la Tradition.
Dynamisme de l’islam
Le dynamisme de l’islam se remarque partout, parmi les hommes d’affaires du monde malais comme parmi les « laissés pour compte » de la modernité en Afrique, en Europe ou en Amérique. Le dynamisme de l’islam transforme le génie arabe du commerce lointain en une économie planétaire, l’héritage des philosophes et des savants de la Grèce, de l’Egypte et de la Chine en universités et en écoles de médecine, les concours de poésie des tribus du désert en une langue de portée universelle, séduisante et contagieuse.
Le dynamisme de l’islam s’attaque avec succès aux prétentions hégémoniques de la civilisation occidentale et des philosophies post-chrétiennes. Partout où s’installent durablement les immigrés et les réfugiés des pays musulmans, les gouvernements se voient contraints de faire une place visible et éminente à l’islam, pour conserver la paix sociale ou pour obtenir des avantages économiques. Alors que le dynamisme des chrétiens s’est affirmé dans les catacombes et dans les arènes, celui de l’islam exige des mosquées subventionnées par l’Etat, des médias « politiquement corrects » et des aménagements de l’école, de la loi civile et des libertés.
L’islam, proche parent du christianisme libéral et humaniste
Globalement, l’islam se présente à nous comme une illustration presque parfaite de ce que peut devenir une religion judéo-chrétienne dominée par la raison : une religion sans communion avec Dieu par le Saint Esprit, et sans l’espérance du retour d’un Sauveur qui a déjà accompli l’expiation du péché! L’islam se montre courtois en reconnaissant un rôle historique à Jésus, mais lui dénie tout ce qui fait l’objet de la Bonne Nouvelle : sa divinité, sa préexistence éternelle et son titre de Seigneur et de Juge de tous les hommes, ses souffrances jusqu’au sacrifice pour le péché, leur caractère expiatoire pour obtenir la glorification de Dieu dans la réconciliation et le rachat d’un reste fidèle, sa résurrection et sa place triomphale à la droite de Dieu. L’islam intègre les légendes du judaïsme et du christianisme hétérodoxe, mais joue habilement du « progrès de la Révélation » pour se présenter comme la religion définitive, dont le prophète était annoncé par l’Ancien et le Nouveau Testament, et dont les paroles inimitables rendent suspecte toute écriture qui les contredirait. L’islam place chaque croyant seul et nu devant Allah, les hommes et les démons (djinns), sans intercesseur ni rédempteur, sans certitude du salut ni Saint-Esprit consolateur, sans communion personnelle et sans sanctification.
Le musulman, mon prochain
Mais le prochain est un homme et non une religion ou un système. Le musulman est un homme créé et aimé par Dieu qui l’a placé sur notre route, comme tous les autres hommes qui cherchent la vérité.
– Le musulman est un croyant qui ne doute pas de l’existence d’Allah ni de son jugement, tout comme les anges et les démons qui tremblent devant le Tout-Puissant.
– Le musulman croit qu’Allah a parlé, et il honore le Livre qu’il croit dicté par lui, sans se permettre les critiques souvent désobligeantes et les remises en cause que l’Eglise a tolérées en son sein.
– Le musulman croit qu’il sera jugé sur ses actes, et aussi sur ses intentions : il se peut qu’Allah le destine à l’Enfer, mais Allah peut infléchir son jugement comme il lui plaît, et les bonnes actions du croyant en effaceront peut-être des mauvaises.
– Le musulman croit qu’Allah veut être loué et servi par les hommes, il le prie cinq fois par jour et confesse son nom, donne l’aumône, accomplit jeûne et pèlerinage, mais il ne peut se sentir proche d’Allah, ni aimé, ni racheté, et ses prières comme ses actes sont des rites imités et souvent accomplis collectivement dans la foule, en attendant la terrible solitude du jugement.
– Le musulman croit que sa piété est essentielle pour qu’Allah bénisse sa famille, sa cité et son peuple, mais il n’attend aucune force de la part du Saint-Esprit pour vivre dans la sainteté. Il s’excuse de ses fautes et de ses faux-pas en impliquant Allah ou les démons, il cherche à se protéger des esprits par des invocations ou des versets du Coran, parfois même par la recherche ou la consultation de pouvoirs occultes.
– Dans les pays d’immigration ou d’exil, le musulman est souvent un homme désorienté, écartelé entre de trop nombreuses solidarités, souffrant du manque de reconnaissance et de l’absence de références à imiter, guetté par les tentations les plus redoutables (comme la boisson, la drogue ou le jeu) et effrayé à l’idée de perdre ses enfants, le respect de sa femme, l’honneur de sa famille.
– Dans les pays où l’islam règne en maître, le musulman est troublé par l’apparent succès des Occidentaux infidèles dans les affaires du monde, ulcéré par la corruption et la violence des régimes pourtant soutenus par ses coreligionnaires et interpellé par les guerres entre nations musulmanes ou par l’absence d’unité de ces nations dans des projets d’ambition internationale.
– Parfois le musulman se sent fier d’appartenir à la grande communauté de l’islam (‘umma), fier de réciter les versets incantatoires du Coran dans cette magnifique langue arabe faite pour la déclamation, fier de sa fidélité séculaire à un engagement tribal dont le rite par excellence rassemble chaque année près de deux millions d’êtres humains pour le pèlerinage.
– Mais parfois au contraire, le musulman a honte et il doute, accablé par l’hypocrisie des hommes et par le silence d’Allah, déconcerté par tout ce qu’il ignore de sa propre religion – la plupart des musulmans ne comprennent pas l’arabe et n’ont aucun accès à des traductions auxquelles d’ailleurs ils ne feraient pas confiance – et malmené par ceux qui s’arrogent le droit de redéfinir l’islam véritable, les islamistes et les radicaux de toutes tendances qui se réclament de l’islam.
Pécheur privé du Dieu Sauveur en Jésus-Christ
En fin de compte, le musulman ressemble tellement à tous ces hommes qui nous entourent, élevés dans une religion qui n’est jamais devenue une source de leur propre spiritualité ou égarés par une spiritualité qui n’apporte aucune réponse au besoin de Dieu qui s’exprime tout au fond de leur coeur. Père de famille ou jeune homme en quête d’identité et d’absolu, jeune fille à la recherche de l’épanouissement ou mère soucieuse de garder ses enfants loin des fléaux sociaux, il est résigné, soumis et – à l’image du Dieu décrit par le Coran – solitaire !