Dossier: 1 Corinthiens
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Le parler en langues

Cet article est adapté d’un enseignement oral sur les dons spirituels.

Peu de passages du N.T. évoquent le parler en langues : outre les trois chapitres 12 à 14 de 1 Corinthiens, seuls trois textes des Actes le mentionnent, ainsi que la finale de l’Évangile selon Marc : « ceux qui auront cru […] parleront de nouvelles langues » (Marc 16.17).

Le jour de la Pentecôte, les 120 ont parlé les langues courantes de tous les Juifs rassemblés pour cette fête alors qu’ils ne les connaissaient pas. C’est l’Esprit qui leur donnait de s’exprimer ainsi (Act 2.5-11). L’Esprit est ensuite descendu sur Corneille et ses amis (Act 10.44-46) qui ont parlé de nouvelles langues. La dernière mention (Act 19.6) concerne des disciples de Jean qui s’étaient mêlés aux chrétiens et n’avaient pas reçu le Saint-Esprit ; après avoir été instruits, l’Esprit est venu sur eux et ils ont parlé en langues.
Le « parler en langue » est désigné par deux mots :
– la glossolalie, mot français « forgé » à partir des deux mots grecs, signifiant « parler » et « langue » ;
– la xénoglossie, mot français forgé aussi à partir de deux mots grecs signifiant « parler dans des langues étrangères ».
Certains font la différence entre les deux mots : la xénoglossie serait le phénomène qui a eu lieu lors de la Pentecôte (Act 2) et serait distincte du « parler en langues » dont il est question en 1 Corinthiens 14, désigné comme de la glossolalie.
Notons que le phénomène de la glossolalie a été observé par des psychologues lors de certains troubles et qu’il n’est pas rare dans la diversité des expressions religieuses du monde.1.

1. La nature du parler en langues

Le débat

Selon la conception classique, qui est aussi celle du pentecôtisme originel (position que plusieurs assouplissent), le parler en langues consiste à émettre des paroles sous l’inspiration miraculeuse du Saint-Esprit dans une langue qu’on ne connaît pas soi-même, qui existe ou qui a existé.
Une opinion différente a fait de nombreux adeptes, à partir d’arrière-plans très divers : la glossolalie courante n’est pas la xénoglossie. Le parler en langues est la simple émission de sons successifs qui n’ont pas en eux-mêmes un caractère linguistique. Les libéraux catholiques ou protestants, en cohérence avec leur refus de toute intervention surnaturelle, assimilent à de la simple glossolalie tous les phénomènes du N.T., y compris celui de la Pentecôte. D’autres, en particulier parmi les chrétiens charismatiques, limitent la xénoglossie à la Pentecôte et voient dans les autres passages de la glossolalie. Certains, s’appuyant sur 1 Corinthiens 13.1, qualifient la glossolalie de « langue des anges ». Une de leurs motivations vient des résultats d’études linguistiques qui démontrent, à partir de l’examen de centaines d’enregistrement de parlers en langues, que ces émissions ne possèdent pas les structures propres à toute langue mais ont leur propre structure, très simple, qui n’est pas linguistique 1. D’où la tentation de qualifier de « langue des anges » ce type de parler pour en sauvegarder le caractère surnaturel et non humain.

L’appréciation

Ces derniers tenants du parler en langues abusent de la clause de 1 Corinthiens 13. Paul ne dit pas que quiconque ait parlé la langue des anges dont c’est d’ailleurs la seule mention biblique ; il se place dans une situation purement hypothétique, comme dans la suite du texte (personne ne connaît tous les mystères !).
La différence entre la Pentecôte et la situation à Corinthe s’explique facilement par le fait que l’auditoire à Corinthe était beaucoup plus homogène que lors de la fête à Jérusalem et ne connaissait que peu de langues étrangères. D’autres arguments peuvent être ajoutés : Pierre fait un parallèle précis entre ce qu’il avait vécu à la Pentecôte et ce qu’il a observé chez Corneille (Act 11.15) ; or les termes d’Actes 10 et 11 sont les mêmes qu’en 1 Corinthiens 14. Le phénomène de Corinthe, souvent appelé « glossolalie », est donc bien de la « xénoglossie ».
De plus, deux éléments de 1 Corinthiens 14 indiquent que Paul a bien en vue des langues réelles :
– d’une part, quand il parle des « diverses langues » (14.10) ou du « sens de la langue » (14.11) : le caractère significatif de toutes les langues du monde n’a de pertinence dans ce débat que si les langues sont bien des langages réels ;
– d’autre part, quand Paul cite Ésaïe (14.21) : c’est une parole de jugement contre Israël à propos de l’Assyrie qui allait envahir le pays ; la langue des Assyriens, incompréhensible pour les Israélites, était une langue réelle de l’époque.
Le phénomène biblique du parler en langues est donc l’émission miraculeuse de paroles dans une langue étrangère, inconnue pour celui qui les profère, mais reconnaissable par quiconque la parle — et non pas ce qui est désigné couramment par le terme de « glossolalie ».

Quelques compléments

Le parler en langues communique-t-il un message ?
Paul précise : « Celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu. » (14.2) Or, très fréquemment, dans le mouvement pentecôtiste, les paroles « en langues » que certains ensuite interprètent, sont plutôt des messages à l’assemblée, des paroles prophétiques adressées aux humains. Serait-ce une preuve d’inauthenticité ? La souplesse du langage biblique pourrait permettre de ne pas exclure cette possibilité — mais cela incite en tout cas à rester prudent.
 Que dire de l’interprétation ?
La durée très différente entre certains parlers en langues et leur interprétation rend suspicieux. Le terme grec signifie simplement « traduction ». L’interprétation doit aussi être soumise à notre jugement et elle est indispensable pour que l’église soit édifiée (14.12-13).
 Y a-t-il des parlers en langues démoniaques ?
Le cas ne peut être écarté : un pasteur africain de mes amis a entendu une jeune femme parler dans une langue inconnue pour elle mais que lui a reconnue et elle proférait d’horribles blasphèmes. Pour autant, la grande majorité des parlers en langues contemporains semblent être plutôt psychologiques.

2. Le sens du parler en langues

Le signe du baptême du Saint-Esprit ?

Le pentecôtisme, né au début du XXe siècle aux États-Unis, a fait du parler en langues le signe nécessaire du baptême du Saint-Esprit. Selon le schéma le plus habituel dans ce mouvement, le croyant vit deux expériences clefs :
– lors de la conversion, il met sa foi en Jésus Christ, acquiert le salut et reçoit l’Esprit ;
– ensuite il vit un don plus abondant lors d’une deuxième expérience qui lui permet d’accéder à un grade supérieur de vie chrétienne. Lors de la première, il reconnaît Jésus comme Sauveur et lors de la seconde, comme Seigneur. La seconde correspond au baptême du Saint-Esprit, conçu avant tout comme un revêtement de puissance, une mesure plus grande de l’Esprit et, tout particulièrement l’attribution du don de parler en langues. Certains pentecôtistes, toutefois, admettent que ce don n’est pas universel et sont gênés par rapport à des géants de la foi qui n’ont pas parlé en langues ; ce dernier serait le signe habituel, mais d’autres dons pourraient aussi marquer le baptême de l’Esprit.
La thèse n’est pas bien fondée bibliquement. Aucune occurrence dans le N.T. d’être baptisé dans le Saint-Esprit n’implique une seconde expérience. Selon Paul, « nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps » (12.13). Il n’y aucune raison de rattacher le baptême du Saint-Esprit à une autre expérience que celle, initiale, du don de l’Esprit qui lie l’ensemble de tous les croyants pour constituer le corps de Christ. Aucune Épître du N.T. n’exhorte à rechercher le baptême du Saint-Esprit. Le renouvellement de l’Esprit, mis en parallèle par Jésus avec le pain quotidien (Luc 11.13), correspond à un processus permanent dans la foi. L’Esprit a une plus ou moins grande influence sur la vie du croyant selon que ce dernier le laisse agir. Au lieu d’un schéma de deux bénédictions très typées, le N.T. présente une union initiale à Jésus-Christ par l’Esprit, suivie de multiples bénédictions que la demeure intérieure de l’Esprit nous aide à nous approprier de manière plus ou moins libre et glorieuse au fil du temps.
De plus, aucun passage du N.T. ne fait du don des langues un signe de la présence de l’Esprit. Les trois mentions dans les Actes où la réception du Saint-Esprit a été accompagnée du parler en langues ne suffisent pas pour en faire une règle ; ils représentent plutôt des événements clefs de l’histoire du salut : l’ouverture de la nouvelle alliance à des Juifs à la Pentecôte, puis aux païens chez Corneille2 . Paul souligne très fortement aux Corinthiens que tous n’ont pas reçu le don de parler en langues lorsqu’il pose la question rhétorique qui appelle une réponse négative : « Tous parlent-ils en langues ? » Tous sont baptisés de l’Esprit, mais tous ne parlent pas en langues pour autant (12.13,30).

Un moyen d’adorer Dieu ?

Pour beaucoup de pentecôtistes ou de charismatiques 3, ce don, dans sa pratique régulière, permettrait d’adorer le Seigneur plus intensément. Il serait le moyen d’une union au Seigneur d’une qualité supérieure. Cette opinion rejoint une tradition dont certains cantiques évangéliques classiques se font l’écho : les mots seraient impuissants à exprimer le ressenti profond de l’âme. Cette tradition puise ses racines dans des influences philosophiques sur certains pères de l’Église qui tenaient le silence pour supérieur à la parole. Le mysticisme s’y est alimenté pour prôner un dépassement de tout savoir afin d’accéder à un niveau supérieur.
Or Jésus n’a jamais critiqué les mots. La Parole est Dieu, non le silence. Notre paresse spontanée peut favoriser cette déviation : chercher ses mots est fatigant et dire avec exactitude est un travail. Il n’est donc pas juste de dévaluer la parole intelligible. Paul ne veut pas parler en l’air (14.9) et il valorise l’exercice de l’intelligence (14.13-15), au lieu de la mettre hors circuit au profit d’une expression incompréhensible. C’est cette parole compréhensible qui conduit à la foi le non-croyant et qui donne au croyant une plénitude dans son être intérieur.

Un signe de la nouvelle alliance

La Pentecôte inaugure la nouvelle alliance, la fondation de l’Église. La différence la plus spectaculaire entre l’ancienne et la nouvelle est l’ouverture à des personnes de toute nation, au lieu de la limitation au seul peuple d’Israël. Une fois l’œuvre du Sauveur du monde accomplie, tous les hommes sont attirés à lui. Le don des langues signale la nouveauté de l’alliance et l’effusion de l’Esprit sur Juifs et Grecs sans distinction.
Il est aussi un signe du rassemblement final où l’œuvre de l’alliance sera totalement récapitulée en une multitude innombrable qui célébrera les louanges de Dieu, dans la lumière de l’avènement de notre Seigneur (Apoc 7.9). Cela explique que le parler en langues ait été le seul don de l’Esprit que Jésus n’ait pas exercé, lui qui avait l’Esprit en plénitude, car son ministère a eu lieu avant la Pentecôte et l’ouverture de la nouvelle alliance.
Le don des langues est aussi le signe du jugement des juifs non croyants. Israël, représenté par ses chefs, a rejeté son Messie et un endurcissement partiel l’a atteint pour un temps.

3. La pratique du parler en langues

La pratique me semble devoir respecter le « dosage » de 1 Corinthiens 14. L’avant-dernier verset le résume bien : « N’empêchez pas de parler en langues », « aspirez au don de prophétie ». Pour Paul, le parler en langues est un don de l’Esprit qu’il ne rejette pas et ne déprécie pas, dans des conditions d’exercice précises, selon l’ordre qui plaît à Dieu. Mais il n’encourage pas à le rechercher. En assemblée, il recommande de viser les dons « meilleurs », au premier rang desquels la prophétie.
Paul demande aussi de tenir compte de la réaction des visiteurs occasionnels non chrétiens dans l’église (14.23). Il ne tolère le parler en langues que s’il y a interprétation de façon à donner le sens en langage intelligible. Si l’exercice du parler en langues peut générer du trouble ou du désordre, mieux vaut s’en abstenir, puisqu’il s’agit d’un don qui n’est pas indispensable.
En revanche en petit comité, entre personnes d’un même accord sur le sujet, en l’absence de non-initiés, j’en déduis qu’il serait permis à ceux qui ont reçu véritablement ce don d’exercer le parler en langues. Il n’y aurait pas davantage de restrictions à un usage purement individuel.

 

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  1. Voir en particulier William J. Samarin, Tongues of men and angels: the religious language of pentecostalism. Macmillan, 1972.
  2. En Actes 19, c’est pour bien marquer la différence fondamentale entre les disciples de Jean Baptiste et ceux de Jésus que ce don spectaculaire a été donné.
  3. Le pentecôtisme a créé une nouvelle dénomination, alors que le mouvement charismatique a créé une mouvance au sein de diverses dénominations.
Blocher Henri
Henri Blocher est ancien professeur de théologie systématique au Wheaton College aux États-Unis et à la faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine en France. Il est l’auteur de très nombreux articles et plusieurs ouvrages.