Le point central de la Bible (Romains 3.21-26)
Mais maintenant, sans la loi est manifestée la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la loi et les prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ pour tous ceux qui croient. Il n’y a point de distinction. Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. C’est lui que Dieu a destiné à être, par son sang pour ceux qui croiraient, victime propitiatoire, afin de montrer sa justice, parce qu’il avait laissé impunis les péchés commis auparavant, au temps de sa patience ; il montre ainsi sa justice dans le temps présent, de manière à être juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus. (Romains 3.21-26)
Martin Luther décrivait ce passage comme « le thème principal et le point central de l’Épître aux Romains et de la Bible tout entière » 1.
Ce paragraphe fait immédiatement suite à une longue section (1.18-3.20) dont le but principal consiste à démontrer que tous,Juifs et Grecs, encourent la juste colère de Dieu : nous sommes donc tous condamnés. L’argument que Paul avance entre profondément en conflit avec la pensée moderne. Le message le plus difficile à communiquer aujourd’hui est ce que la Bible dit à propos du péché. Ce mot amuse et n’a plus aucune connotation de honte. Notre culture contemporaine façonne de mille façons l’idée que le péché est quelque chose que chacun a le droit de définir, que ce soit sur le plan personnel ou collectif. Ce qui est péché pour un groupe donné ne l’est pas pour un autre.
À n’en pas douter, le péché est une réalité sociale qui se répercute sur les autres. Mais le mal que nous avons commis n’a pas qu’une dimension horizontale ; la nature du problème est le fait que nous avons offensé Dieu. En conséquence, notre plus grand besoin pour être sauvés est de trouver un moyen par lequel nous pouvons être réconciliés avec Dieu.
Pour ce qui est d’être à la hauteur des normes morales divines, Paul déclare que personne ne les respecte parfaitement. Même lorsque nous faisons du bien, nous agissons le plus souvent indépendamment de Dieu parce que nous nous plaçons au centre de l’univers. Tous les maux qui ont souillé les sombres couloirs de l’histoire humaine résultent de cet insatiable désir d’indépendance. Tout vient de ce que je me dis :« C’est moi qui suis Dieu. »
Pour Dieu, l’idolâtrie est une offense suprême et grave qui dénature et rabaisse son être. Chaque fois que nous commettons un péché, Dieu est la personne que nous offensons le plus.
Si nous n’arrivons pas vraiment à reconnaître l’état de perdition dans lequel nous gisons en tant qu’êtres humains, nous aurons beaucoup de mal à comprendre la suite du passage.
Ce court texte (3.21-26) traite la question de savoir comment un homme peut être regardé juste aux yeux du Dieu saint, sachant à la lumière de la section précédente que sa condition est misérable.
La justice de Dieu manifestée en Christ est directement liée à l’alliance de l’Ancien Testament (3.21)
Paul introduit son argumentation par les mots : « Mais maintenant ». À quel changement Paul fait-il référence ? Selon une opinion courante (bien que fausse), le Dieu de l’A.T. serait un être sévère et courroucé, « mais maintenant », dans le N.T., il fait particulièrement preuve d’amour et de bonté. Cette opinion est une grave erreur :
- Bien que l’A.T. renferme de nombreuses manifestations de jugement, nous y trouvons aussi une abondance d’expressions de bonté, de générosité, d’amour et de grâce de la part de Dieu (cf. Ps 103.8,9,13,14).
- Ce point de vue fait fi des textes du N.T. qui parlent de la colère divine. Il est vrai que Jésus enseigne de tendre l’autre joue, mais les descriptions les plus frappantes de l’enfer viennent de sa bouche même. Dans l’A.T., les manifestations de la colère de Dieu sont de nature temporelle et sont décrites principalement en termes historiques. Les images du N.T. sont présentées essentiellement en termes eschatologiques et apocalyptiques. Comme la plupart des gens ne croient pas vraiment que ces images reflètent une quelconque réalité, on n’éprouve aucune frayeur en les lisant. Notre culture est axée avant tout sur l’instant présent. Nous redoutons davantage les jugements temporels (vieillesse, maladie, guerre, …) que le jugement dernier. Le N.T. amplifie les deux thèmes de la colère et de l’amour de Dieu. La croix manifeste de manière extraordinaire l’amour de Dieu, mais elle révèle tout autant sa colère contre le péché.
- L’argument de Paul est le suivant : dans l’histoire du salut, avant l’événement de la croix, le peuple de Dieu était sous la loi de Moïse ; en vertu des dispositions de l’ancienne alliance, il était impossible de concevoir la justice de Dieu indépendamment des nombreuses règles constitutives de cette ancienne alliance. « Mais maintenant » la même justice de Dieu se manifeste d’une manière différente, en dehors de cette alliance de la loi.
Toutefois, même si la justice de Dieu se manifeste « sans la loi », elle est « attestée dans la loi et les prophètes ». L’A.T. annonçait et prophétisait la venue de Christ et son œuvre. La nouvelle alliance est l’accomplissement de l’ancienne (cf. 1 Cor 5.7 ;Héb 9-10).
Tous les êtres humains, sans distinction de race ou de nationalité, ont accès à la justice de Dieu moyennant la foi (3.22-23)
Le verset 22 comprend une répétition :« foi » et « croient » qui ont la même racine grecque. Pour mieux saisir, traduisons ainsi : « la justice de Dieu par la confiance en Jésus pour tous ceux qui se confient en lui ». Pourquoi Paul se répète-t-il ? La raison se rattache au mot « tous » : tous sont sous l’empire du péché, tous sont condamnés, tous ont besoin de la justice de Dieu. La seule façon dont la « justice de Dieu » peut remédier à toute l’ampleur du besoin universel de salut, est d’être disponible à tous, sans distinction de nationalité, mais à la condition qu’ils croient. C’est ce principe qui constitue en partie la nouveauté de la « nouvelle alliance ».
En tant que chrétiens, nous sommes sans doute habitués à cette vision universelle de la grâce de Dieu. Mais nous avons besoin d’en ressentir à nouveau le merveilleux. Tous sont à la fois condamnés et rachetables.
Comment cette réalité nouvelle se traduit-elle concrètement ? Si le voisinage est pluriethnique, idéalement, il faudra sans doute faire en sorte que cette diversité ethnique se voie nettement dans l’assemblée : une communauté de croyants différents, qui forment pourtant une incroyable union et unité en Jésus-Christ. Cette profonde universalité doit transcender nos goûts personnels sur le plan de la musique, de la nourriture ou de l’habillement. Elle doit déborder des considérations sociales, nationales, économiques, intellectuelles ou autres.
Le même principe doit aussi orienter notre évangélisation. Jésus lui-même n’enseigne-t-il pas qu’il n’y a aucun mérite à être l’ami de ceux qui nous ressemblent, que même les non-croyants en sont capables ? Nous avons besoin du secours de la grâce divine pour transcender ce genre de limitations.
La source de la justice de Dieu découle du don de Jésus-Christ comme victime propitiatoire pour nos péchés (3.24-25a)
Deux termes méritent une explication un peu plus détaillée :
La rédemption
À notre époque, un tel mot appartient au vocabulaire religieux. Dans l’Antiquité, la notion de rachat (ou de rédemption) était courante. On la trouve amplement dans la Bible et dans le monde gréco-romain on « rachetait » fréquemment des esclaves. À l’époque, beaucoup étaient réduits à l’esclavage parce qu’ils avaient fait faillite. Si vous perdiez tout ce que vous aviez emprunté, vous deviez vous vendre et devenir l’esclave de quelqu’un. Mais un « rédempteur »pouvait payer le prix de votre rachat via un temple païen qui prélevait un petit pourcentage. L’esclave racheté devenait la propriété de la divinité du temple. Cet artifice juridique permettait de déclarer qu’une personne conservait son statut d’esclave tout en étant affranchie de l’esclavage dans le domaine humain. Au moyen de cette terminologie, Paul déclare que les chrétiens ont été rachetés de l’esclavage du péché et, de ce fait, sont devenus les esclaves de Jésus-Christ (6.16-19).
Paul n’a pas encore expliqué comment cette rédemption s’opère. Quel que soit le prix du rachat, il n’est certainement pas payé littéralement au péché. La réponse est la propitiation.
La propitiation
La propitiation est l’acte par lequel une personne (en l’occurrence Dieu) devient propice ou favorable à quelqu’un.
Dans le paganisme ancien, les hommes devaient rendre propices les dieux capricieux. Par exemple, avant de voyager en mer, on offrait un sacrifice propitiatoire à Neptune dans l’espoir qu’il permettrait de voyager en toute sécurité.
Dans la Bible, le péché est d’abord et avant tout une offense infligée à Dieu. Certes, il doit être effacé : c’est le but de l’expiation. Mais le Dieu qui a été offensé doit aussi obtenir satisfaction : c’est le rôle de la propitiation. C’est pour cela que le premier commandement consiste à aimer Dieu de tout son être. Nous le violons chaque fois que nous enfreignons n’importe quel autre commandement. Si vous fraudez le fisc, trompez votre conjoint, etc., c’est toujours Dieu qui est la partie la plus offensée. Le péché revêt un caractère si exécrable parce qu’il est une offense contre lui.
La Bible présente un Dieu qui se dresse face à nous avec un regard à la fois de colère (qui est le résultat inévitable de la confrontation de sa sainteté avec notre péché) et d’amour (non parce que nous en sommes dignes ou que nous sommes aimables, mais parce qu’il est un Dieu qui aime).
Une différence fondamentale sépare cependant la propitiation du paganisme et celle du christianisme. Dans la première, un être humain offre une victime propitiatoire en sacrifice afin de se rendre une divinité favorable. Dans la seconde, Dieu le Père offre Jésus comme victime propitiatoire afin de se rendre lui-même favorable. Il est donc à la fois l’agent et l’objet de la propitiation : il pourvoit lui-même au sacrifice, de manière précisément à détourner sa colère de nous. Dieu le Père est ainsi celui qui offre la victime propitiatoire et celui pour qui elle est offerte et Dieu le Fils est lui-même la propitiation offerte. Dieu envoie donc par amour son Fils comme victime pour nos péchés afin de détourner sa colère de nous.
La justice de Dieu se manifeste par le moyen de la croix de Christ (3.25b-26)
Dieu n’a pas destiné Christ comme victime propitiatoire d’abord et avant tout pour nous sauver ou prouver son amour. Il l’a fait « afin de montrer sa justice ». La justice divine se met en œuvre en Christ, lequel porte notre malédiction et la peine de nos péchés en son propre corps sur le bois. Pour cette raison, les chrétiens disent que la colère de Dieu est satisfaite. Cette expression ne signifie pas que, dans son ciel, Dieu arbore un air béat et repu, mais que les exigences de sa sainteté sont remplies par le sacrifice de son propre Fils. Il rend la justice tout en justifiant l’impie (4.5). C’est le point central de l’Évangile.
La propitiation est ce qui lie ensemble toutes les analogies bibliques qui servent à décrire la croix. Par exemple, la croix nous réconcilie avec Dieu. Pourquoi devons-nous être réconciliés ? Parce que nos péchés nous ont séparés de lui. Cette séparation est causée par la justice de Dieu, laquelle condamne nos péchés. Notre péché nous sépare de lui. Rendre Dieu propice malgré notre péché permet donc de nous réconcilier avec Dieu.
La description d’un Dieu qui destine son Fils à être une victime propitiatoire ne constitue pas un exemple de « violence cosmique faite à un enfant » : Dieu maltraitant son propre fils2. Ne pensons pas que le Père soit en conflit contre Christ, assouvissant sa colère sur lui. Dieu prouve son amour en voyant Christ. Cette intervention s’inscrit dans la nature même de l’incarnation et du mystère de la Trinité. Le Père souffre de perdre son Fils, mais il le fait par amour pour son peuple. Le Fils, quant à lui, prouve son amour envers nous en obéissant à la volonté de son Père et en se conformant à son plan merveilleux.
La croix est le lieu où la colère et la miséricorde se conjuguent, où la sainteté et la paix s’embrassent. La croix est le moment le plus fort de l’histoire de la rédemption. Par la croix Dieu manifeste sa colère sur lui-même : « Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec lui-même » (2 Cor 5.19). Voyons-nous comme les objets de l’amour profond de Dieu, déclarés justes par Dieu lui-même, parce qu’il a offert son Fils Jésus à la croix comme victime propitiatoire pour nos péchés.