Dossier: Le Salut
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Le salut : entre service et servitude

Les deux langues bibliques — hébreu et grec — partagent une caractéristique qui surprendra le lecteur d’aujourd’hui : un seul terme signifie à la fois servitude (esclavage) et service. Si parler de service chrétien « sonne » bien, se décrire comme « esclave de Dieu » pose question à beaucoup de croyants. Dieu aurait-il affranchi l’esclave du péché pour le soumettre à une nouvelle servitude ?

La réponse à cette question dépend de notre conception du salut. Le Royaume de Dieu n’accueillera pas des esclaves, mais des pécheurs libérés. Christ, notre Pâque, nous promet en effet de nous rendre réellement libres (Jean 8.32,36). Mais si telle est notre part, pourquoi Dieu ne nous prend-il pas déjà avec lui ? Quel salut nous propose-t-il ici-bas ? Au fond, pour quoi sommes-nous sauvés ?

Loi et salut vont de pair

Avant de répondre à ces questions, revenons au grand moment de la sortie d’Égypte. Dieu a décidé d’arracher son peuple à l’horrible servitude de l’Égypte (ce pays que la Bible nomme Mitsraïm : terre des dépressions et de l’angoisse). Moïse aurait dû sauter de joie à cette nouvelle. Il commence cependant par refuser obstinément de participer au projet divin : « Qui suis-je […] pour faire sortir d’Égypte les enfants d’Israël ? Dieu dit : Je serai avec toi ; et ceci sera pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir d’Égypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne. » (Ex 3.11-12) L’idée d’émancipation semble effrayer Moïse et bouscule son image de Dieu. Le peuple voudra-t-il vraiment le suivre jusqu’en Terre promise ? Libre, saura-t-il honorer son Dieu ? Pour rassurer son serviteur, l’Eternel lui laisse entendre qu’à partir de la Pâque, le peuple sera dûment informé de ce que son Dieu attend de lui (Ex 13).

Pour autant, tout ne se passera pas sans mal. Constatant, dès le début du voyage vers la Terre promise, que le peuple ne cesse de se rebeller et de récriminer, Moïse finit par crier à son Dieu : « Que ferai-je pour ce peuple ? Encore un peu et ils me lapideront. » (Ex 17.4) Heureusement, Dieu sait ce qu’il fait. Il sait que la mentalité du peuple affranchi reste marquée par les années d’esclavage et par l’esprit d’idolâtrie (Ex 32). Il sait qu’en plus des signes et des miracles, il faudra l’éclairage de la Loi pour faire naître dans les cœurs une saine crainte de l’Eternel (Ex 20.20). Il sait que le peuple va souvent devoir sa survie à la puissante médiation de Moïse. Enfin, il sait que bien des épreuves et des échecs seront nécessaires pour toucher aux portes du pays de Canaan (cf. Néh 9.9-25).

Moïse donc, au troisième mois après la sortie d’Égypte (Ex 19.1), va recevoir la Loi dont il restera le symbole (Jean 1.17) : pour lui qui ne conçoit pas une liberté sans règles, quel réconfort ! Les anciens esclaves ont acquis des droits, mais ils auront aussi des devoirs. Dans la perspective du Nouveau Testament, cette odyssée des affranchis hébreux préfigure une libération plus profonde et plus durable : elle nous aidera à répondre aux questions posées initialement parce qu’elle trace en filigrane le projet de Dieu pour le nouvel affranchi en Christ.

Liberté n’est pas licence

La vie chrétienne normale, c’est d’aspirer à la liberté et de fuir l’esclavage : « C’est pour la liberté que Christ nous a affranchis. Demeurez donc fermes, et ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude. » (Gal 5.1) Mais des individus libres — libres individuellement — ne savent pas forcément vivre ensemble. S’ils n’acquièrent pas le sens de leurs obligations et de leurs responsabilités envers les autres, alors leur liberté chèrement acquise devient source de violence ou d’indifférence (« Suis-je gardien de mon frère ? » disait déjà Caïn le meurtrier, Gen 4.9). Comment concilier liberté propre et vivre ensemble ?

Une liberté sans règles rend l’autre esclave : « Frères, vous avez été appelés à la liberté ; seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon la chair […] Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de ne pas être détruits les uns par les autres. » (Gal 5.13,15)

Ancien ou Nouveau Testament, un seul mot pour désigner servitude et service. Comme si, sous la Loi ou sous la Grâce, Dieu invitait à un effort de distinction, de séparation : se libérer de toute forme de servitude ici-bas, tout en demeurant dans le service pour l’autre. Afin que l’équilibre entre droit et devoir soit préservé et que nous puissions vivre ensemble.

La loi d’amour, antidote à une liberté mal orientée

Le commandement d’amour est associé au souvenir de l’Égypte : « Vous traiterez l’immigrant en séjour parmi vous comme un autochtone du milieu de vous ; tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été immigrants dans le pays d’Égypte […] » (Lév 19.34, reprise développée d’Ex 22.20) Dieu demande aux Juifs qui ont subi la férocité de mauvais maîtres de ne pas se comporter comme les Égyptiens se sont comportés envers eux.

L’Égypte, c’est notre terre de péché, notre esclavage, le lieu de prédilection du mauvais maître. Nous avons été libérés de l’oppression du mal, libérés de notre Égypte, de notre Mitsraïm-angoisse : l’angoisse d’une conscience asservie au péché. Mais voilà ce qui donne un sens à notre liberté ici-bas, en attendant l’avènement de notre bienheureuse espérance : nous avons reçu la liberté pour œuvrer en faveur de la liberté des autres, car nous-mêmes étions sous la tyrannie du péché menant à la mort. Ne tirons pas de notre salut un profit purement privé ; nous en ferions une liberté égoïste, nous délectant passivement des bienfaits du salut : « Merci Seigneur, je suis sauvé ! »

La liberté commence par le service fraternel

Sous la grâce aussi, la volonté de Dieu, c’est que je me soucie des besoins des autres : « Toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Gal 5.14) La Loi ne fournit pas cette puissance d’amour nécessaire pour accomplir la volonté de Dieu, mais Christ seul. Ressuscité, il vient vivre dans le croyant (Gal 2.20). Il le libère de la puissance de l’égoïsme et lui permet de porter le fardeau de son frère (Gal 6.2). Le fardeau du frère d’abord, car l’Église est bien le lieu premier où Dieu appelle à vivre selon le bien (Gal 6.10).1 Pourtant, c’est peut-être là que nous sommes les plus fragiles, tant il est vrai que le danger du repli sur soi reste constant, même pour les croyants.

Christ, vivant en moi, ne se lasse pas de me ramener à l’essentiel. Il m’enseigne à aimer d’un amour semblable au sien. Et c’est précisément ainsi que se construit ma libération. Un croyant qui aime son prochain, à commencer par son frère, de l’amour de Christ ne se sentira jamais l’esclave de personne. Ce message évangélique se trouve à des lieues d’un moralisme desséchant. L’enjeu en est la véritable liberté.

1Il est intéressant de noter ici que l’apôtre Paul n’a pas eu honte de se présenter comme doulos (serviteur, ou esclave) de Jésus-Christ (Rom 1.1 ; Gal 1.10 ; Tite 1.1) et des croyants (1 Cor 9.19), sachant que ce ministère était le plus profitable qui soit, et que son Maître avait lui-même accepté cette fonction jusqu’au bout (Mat 20.28 ; Phil 2.7). (NDLR)

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Mondin Frédéric
Frédéric Mondin travaille pour les éditions BLF. Il vit actuellement en Bolivie avec sa femme. Il est membre du comité de rédaction de Promesses.