Dossier: L'argent, un enjeu spirituel
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L’enseignement de Jésus : Le sermon sur la montagne et l’argent

Le texte qui suit est tiré d’un livre de Craig Blomberg, Ne me donne ni pauvreté ni richesse… publié aux éditions Excelsis, collection Terre nouvelle. L’auteur est professeur de Nouveau Testament à la faculté de théologie de Denver. Ce livre examine l’ensemble des textes de l’Ancien et du Nouveau Testaments qui traitent du sujet de l’argent et des richesses, ainsi que l’éclairage donné par les écrits apocryphes inter-testamentaires, et cela en général dans l’ordre de leur apparition chronologique. Loin de se cantonner à un strict examen exégétique des textes, l’auteur prend soin de donner des applications actuelles des divers textes qu’il étudie. De plus, en conclusion de son ouvrage, Craig Blomberg n’hésite pas à se dévoiler et à donner une série de recommandations pratiques. L’ouvrage se conçoit à la fois comme un ouvrage de référence (grâce en particulier à des index complets) et comme un panorama équilibré de l’approche biblique de ce sujet difficile.

Pour plus de simplicité de lecture, l’extrait qui suit ne reprend pas toutes les notes de bas de page, qui renvoient à divers ouvrages et donnent des citations complémentaires. Les intertitres ont été rajoutés par la rédaction de Promesses pour plus de lisibilité.

Nous remercions vivement les éditions Excelsis pour leur aimable autorisation.

Les destinataires du sermon

La première grande occasion où Jésus enseigne en détail à ses disciples l’attitude qu’ils doivent adopter face aux richesses de ce monde est le sermon que Matthieu et Luc placent, sous des formes différentes, au début du ministère de Jésus. Que chacune de ces versions soit une collection de paroles disparates — de différents moments du ministère de Jésus on le résumé d’un original plus long prononcé en une seule occasion, elles touchent sur de nombreux points notre étude sur les biens matériels. Le contexte de Matthieu 5.1-2 et Luc 6.17 doit cependant être gardé à l’esprit : Jésus s’adresse d’abord à ceux qui sont déjà ses disciples, et il les considère comme une communauté. Les principes du sermon sur la montagne ne sont pas donnés comme une constitution de gouvernement, ni même simplement comme des directives pour des individus, mais comme un manifeste adressé à ceux qui ont déjà pris l’engagement de suivre Jésus dans un contexte « d’Eglise ».

Les béatitudes

Les deux versions du sermon commencent par des béatitudes, et ces béatitudes commencent par une déclaration de Jésus concernant les « pauvres ». Le mot grec ptöchos décrit quelqu’un qui n’est pas seulement juste en dessous du seuil de pauvreté, mais qui est dans la misère. Dans la Septante, ptöchos traduit souvent le mot hébreu ‘anàwîm. Le contexte, qui associe souvent piété et pauvreté, explique à coup sûr la différence entre les « pauvres » de Luc (Luc 6.20) et les « pauvres en esprit » de Matthieu (Mat 5.3). Il n’y a pas de contradiction entre Matthieu et Luc ; chacun d’eux met en avant un aspect différent d’un mot qui a à la fois une dimension matérielle et spirituelle. Luc 6.22-23 montre clairement que pour Luc, ceux qui sont bénis dans les béatitudes ont des traits spirituels autant que matériels : « Heureux serez-vous quand les hommes vous haïront, vous rejetteront, vous insulteront, vous chasseront en vous accusant de toutes sortes de maux, à cause du fils de l’homme. »

De même, il ne serait pas juste de définir Matthieu 5.3 en y supprimant tous les éléments de misère matérielle. La suite du sermon indiquera clairement les obligations de ceux qui ont plus de biens matériels que ce qui leur est nécessaire (voir en particulier Luc 6.25-34). Comme le fait remarquer Carson, les deux auteurs décrivent « ceux qui, à cause de privations économiques persistantes et de contraintes sociales, n’ont confiance qu’en Dieu »1.

On retrouve dans la suite des béatitudes cette même double approche des traits matériels et spirituels de ceux que Jésus considère comme heureux. On peut « pleurer » à cause d’une affliction spirituelle ou physique (Mat 5.4). La troisième béatitude fait allusion au Psaume 37.11 où « les humbles » sont les Israélites fidèles opprimés par les méchants qui semblent bénéficier davantage que les autres des produits de la terre (Mat 5.5). Ceux qui ont faim et soif de justice aspirent à voir les autres rendus justes devant Dieu, ainsi qu’à voir la sainte volonté de Dieu accomplie avec justice sur la terre (5.6), et ainsi de suite. Pourtant, en même temps, la section suivante du sermon, qui qualifie les disciples de sel et de lumière, leur rappelle que le monachisme n’est pas pour eux un choix d’actualité. Le mode de vie contre-culturel recommandé par les béatitudes doit être adopté au vu et au su de tout le monde, de sorte que d’autres puissent glorifier Dieu (5.16).

La nouvelle loi

La dernière moitié de Matthieu 5 présente différentes antithèses, dans lesquelles Jésus oppose, sur des questions éthiques essentielles, sa conception à celle de la Torah (5.21-48). Nous lisons notamment en Mat 5.42 : « Donne à celui qui te demande, ne tourne pas le dos à celui qui veut t’emprunter. » Dans le contexte, Jésus interdit l’échange d’insultes, comme la gifle donnée du revers de la main droite sur la joue droite d’une personne (5.39), et les représailles contre ceux qui voudraient faire un procès aux disciples (5.40). Au verset 41, il demande d’accompagner sur deux kilomètres le soldat romain qui aurait réquisitionné un Juif pour transporter son matériel. Le verset 42 a probablement un contexte historique précis, empêchant qu’on le lise isolément, de façon absolue. Dans la mesure où l’année sabbatique, contrairement au jubilé, était pratiquée, au moins occasionnellement, on pouvait hésiter à accorder un prêt à l’approche de cette période. C’est probablement dans cette perspective que Jésus dit que l’on ne doit pas donner aux pauvres en tenant compte de ce qu’ils pourront rendre (voir le parallèle de Luc 6.30 : « Donne à tous ceux qui te demandent, et si quelqu’un te prend ce qui t’appartient, n’exige pas qu’il te le rende »). Et même si l’on généralise au-delà de cette situation particulière, comme Augustin l’a signalé il y a des siècles, Jésus ne dit pas ce qu’il faut donner à celui qui demande. Le contexte de la dernière antithèse (Mat 5.43-48) est une invitation à l’amour des ennemis plutôt qu’au calcul de son propre intérêt : cela oriente aussi notre interprétation du verset 42. Le parallèle partiel de Luc 6.34-35 fait probablement référence aux prêts sans intérêt, et le mot qui est parfois traduit par « mendier » en Mat 5.42 signifie plus littéralement « demander ». Tout cela suggère que Jésus n’exige pas de ses disciples, que ce soit de son temps ou aujourd’hui, qu’ils donnent aux mendiants tout ce qu’ils leur demandent. Ce qui est le mieux pour eux n’est pas nécessairement ce qu’ils demandent. Mais dans la mesure où l’on peut déterminer les besoins physiques ou matériels authentiques d’une personne, il faut veiller à l’orienter vers le genre d’aide qui aura de bonnes chances de remédier à sa situation. Allant à l’encontre du principe de réciprocité qui dominait l’Antiquité, Jésus incite au minimum ses disciples à éviter la mentalité du « donnant-donnant ». […]

Les richesses et le souci du lendemain

Matthieu 6.19-34 (voir Luc 11.34-36 ; 12.22-34 ; 16.13) oppose longuement les richesses terrestres aux richesses célestes. Comme dans la parabole du riche insensé, il s’agit d’une image d’accumulation inutile — des richesses conservées là « où elles sont à la merci de la rouille, des mites qui rongent, ou des cambrioleurs qui percent les murs pour voler » (Mat 6.19). Jésus ne veut pas dire que l’on ne peut ni conserver ni protéger ses biens, mais que nous devons déterminer exactement lesquels nous sont vraiment nécessaires. Les versets 22-23 continuent en soulignant comment la façon dont nous gérons nos finances a des répercussions sur tous les autres domaines de notre vie. Nos motivations se révèlent à nouveau être toutes puissantes. D’où la conclusion du verset 24 : on ne peut en fin de compte servir Dieu et Mammon (« les biens matériels »). On peut à juste titres penser que le matérialisme est le plus grand concurrent du christianisme authentique à qui il dispute les cœurs et les âmes de millions de personnes dans le monde d’aujourd’hui ; y compris dans l’Eglise visible.

Les versets 25-34 nous demandent en revanche de ne pas nous inquiéter au sujet de nos besoins matériels. Nous devons avoir confiance en Dieu et en sa façon souveraine de prendre soin de nous, parce qu’il accorde encore plus de valeur aux humains qu’au reste de la création, et qu’il sait ce dont nous avons besoin. Le commandement le plus important de cette section se trouve au verset 33 : « Faites donc du règne de Dieu et de ce qui est juste à ses yeux votre préoccupation première, et toutes ces choses vous seront données en plus. » On peut entièrement spiritualiser cette promesse ou en reporter l’accomplissement à la fin des temps, ce qui ne correspond pas au contexte immédiat qui décrit quelqu’un qui s’inquiète au sujet de ses besoins matériels présents ; on peut aussi prendre les pluriels du verset 33 comme s’adressant à la communauté des disciples de Jésus dans son ensemble (comme c’est d’ailleurs le cas de l’ensemble du sermon, nous l’avons déjà signalé).

En cherchant d’abord ce qui est juste aux yeux de Dieu, la communauté des rachetés va par définition aider les pauvres qui sont en son sein. La juxtaposition remarquable de Luc 12.33 et du parallèle lucanien (12.31) de ce texte est un argument en faveur de cette conclusion : « Vendez ce que vous possédez, et distribuez-en le produit aux pauvres. Fabriquez-vous des bourses inusables… » Appliquer sérieusement ce principe à l’Eglise d’aujourd’hui nécessiterait une telle transformation de la plupart des communautés chrétiennes que peu semblent prêtes à l’envisager. Mais comme Schmidt le remarque : « Rester immobile parce que la fin est trop loin reviendrait à oublier que la vie du disciple est un voyage. »2 Et pour ceux qui craignent une application trop radicale de ce texte, il ajoute : « Beaucoup d’entre nous pourraient parcourir une distance considérable avant que quelqu’un ne suspecte notre obéissance d’extrémisme. »

Demander et recevoir

Enfin, Jésus encourage ses disciples à demander, chercher et frapper, parce qu’ils recevront, trouveront et qu’on leur ouvrira la porte (Mat 7.7-8). La théologie dite de la prospérité applique parfois ces versets de façon à suggérer que la personne dont la foi est suffisante peut recevoir tout ce qu’elle demande dans la prière, particulièrement dans le domaine matériel. Pourtant, le parallèle lucanien montre bien qu’au niveau spirituel, la bonne chose par excellence que Dieu promet à ceux qui la lui demandent est le Saint-Esprit (Luc 11.13). La période dans laquelle nous vivons est marquée par le « déjà » et le « pas encore », c’est-à-dire que Dieu peut en effet parfois accéder à nos requêtes matérielles. Mais le raisonnement de Matthieu 7.9-11 est du type : « à combien plus forte raison… ». Jésus passe de quelque chose d’exclusivement matériel (7.9-10) à quelque chose de d’abord spirituel (7.11). Il vaut également la peine de mentionner que l’expression « vous recevrez » de 7.7 traduit un verbe passif à la troisième personne du singulier. Le texte grec ne mentionne pas le sujet de ce verbe. Il pourrait donc bien s’agir d’un passif divin : « demandez et Dieu vous donnera. » Ce qui laisse à la volonté souveraine de Dieu le choix de ce qui est donné ! La partie centrale du sermon de Jésus se termine par la fameuse règle d’or de 7.12. Pour l’appliquer dans le domaine économique, il faudrait certainement agir à l’égard de ceux qui ont besoin d’aide avec la générosité dont nous aimerions les voir faire preuve à notre égard lorsque nous en avons besoin.

1D.A. Carson, Matthew, Expositor’s Bible Commentary, vol. 8, Frank Gaebelein éd., p. 131.
2Thomas E. Schmidt, « Burden, Barrier, Blasphemy : Wealth in Matt 6:33, Luke 14:33, and Luke 16:15 », Trinity Journal, 9–1988, p. 188.

© Editions Excelsis – BP 11 – 26450 Cléon d’Andran – Tél. : + 33 4 75 91 81 81 – Commande en ligne : www.XL6.com <http://www.XL6.com>.

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