Etude biblique
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Les eaux de Jéricho purifiées et les enfants de Béthel maudits!

(2 Rois 2.19-25)

« Les gens de la ville dirent à Elisée: Voici, le séjour de la ville est bon, comme le voit mon seigneur; mais les eaux sont mauvaises, et le pays est stérile. Il dit: Apportez-moi un plat neuf, et mettez- y du sel. Et ils le lui apportèrent. Il alla vers la source des eaux, et il y jeta du sel, et dit: Ainsi parle l’Eternel : J’assainis ces eaux; il n’en proviendra plus ni mort, ni stérilité. Et les eaux furent assainies, jusqu’à ce jour selon la parole qu’Elisée avait prononcée.

Il monta de là à Béthel; et comme il cheminait à la montée, des jeunes gens sortirent de la ville, et se moquèrent de lui. Ils lui disaient: Monte, chauve! monte, chauve! Il se retourna pour les regarder, et il les maudit au nom de l’Éternel. Alors deux ours sortirent de la forêt, et déchirèrent quarante-deux de ces adolescents. De là il alla sur la montagne du Carmel, d’où il retourna à Samarie. » (2 Rois 2:19-25).

Quel contraste entre ces deux récits! Bénédiction d’un côté, malédiction de l’autre. D’abord, miracle sur la nature physique par un geste; ensuite, miracle dans le monde animal par une simple parole. Le premier prodige est caractéristique d’Elisée, alors que le second semble bien éloigné du prophète qui a si souvent soulagé ses contemporains de leurs maux. La purification des eaux de Jéricho inspire, encourage et redonne espoir, alors que la malédiction des enfants de Béthel fait peur, choque, scandalise au point de jeter, dans certains esprits, un doute quant à l’éthique et l’inspiration des Ecritures.

La tension entre ces deux récits est manifeste. Loin de la cacher, l’auteur de 1 et 2 Rois la met en évidence non seulement en plaçant les deux textes côte à côte, mais encore en leur donnant une même forme littéraire: (1) narration très succincte (quatre et trois versets, alors que les récits qui précèdent et suivent sont beaucoup plus longs); (2) même ordre des événements: une parole adressée par un groupe à Elisée (les hommes de Jéricho/les garçons de Béthel) suivie d’une réponse du prophète, puis d’un prodige en guise de réponse à la parole du prophète; (3) mention de deux villes célèbres (Jéricho et Béthel) visitées peu avant par Elie (2 Rois 2.2- 4). Manifestement, l’auteur des Rois pousse ses lecteurs à comparer les deux récits.

Les eaux de Jéricho

Pour saisir toute la portée de la bénédiction opérée à Jéricho, il faut comprendre la situation particulière de cette ville avant le miracle. Depuis la conquête du pays cinq siècles plus tôt, Jéricho était placée sous la malédiction prononcée par Josué contre quiconque rebâtirait la ville (Jos 6.26). La raison d’une telle parole n’est pas donnée, mais on peut la rattacher au péché des Cananéens. En effet, la conquête de la terre promise marquait non seulement une bénédiction pour Israël, mais aussi un jugement pour les nations païennes habitant le pays (Gen 15.16). En laissant Jéricho en ruine, Josué voulait probablement laisser un mémorial pour rappeler la condamnation divine sur toute iniquité. Du temps du roi Achab, Hiel de Béthel avait reconstruit Jéricho au mépris de l’interdit de Josué et au mépris de la vie de ses deux fils sacrifiés à cette occasion (1 Rois 16.34). Ainsi, depuis une génération, le site de Jéricho était de nouveau occupé, mais la malédiction restait partiellement accrochée au pays au travers de la stérilité de sa source.

Ces remarques montrent qu’Elisée a fait plus que purifier une source d’eau. En assainissant les eaux de Jéricho, le prophète met un terme à la malédiction de Josué. Mieux, il remplace la malédiction par une bénédiction puisque la ville, qui ne devait jamais être reconstruite, est maintenant pourvue d’une source qui reste définitivement pure. Elisée est vraiment l ‘homme des renversements. Nous avions déjà vu comment son ministère se situait aux antipodes de celui d’Elie (voir Promesses n° 118 et 119). Dans ce récit, Elisée fait l’inverse de Josué. A chaque fois, son ministère souligne la grâce divine qui soulage et pardonne, plutôt que la justice divine qui condamne.

Une deuxième singularité dans ce récit est l’emploi du sel et d’un plat neuf pour assainir la source. L’action d’Elisée est marquée par le symbolisme, Pour comprendre le sens de son geste, il faut d’abord saisir la valeur du sel. Le sel peut être une bonne ou une mauvaise chose. Il donne du goût aux aliments et préserve les viandes d’une décomposition trop rapide. Ainsi, Jésus utilise l’image du sel dans un sens positif en exhortant les chrétiens à être le sel de la terre (Mt 5.13). Mais le sel peut aussi représenter la malédiction. Le taux élevé de salinité dans la Mer Morte interdit toute vie (c’est vraiment une mer morte). Une ville recouverte de sel suite à une conquête n’a plus d’avenir (Jug 9.45). De même, une source remplie de sel n’a aucune valeur.

A Jéricho (située à dix kilomètres de la Mer Morte), le sel n’a aucune connotation positive. Il en est de même du sel dans une source d’eau. Or, contrairement à toute attente, le sel jeté par Elisée dans la source d’eau a un effet positif. Puisque le sel était d’abord posé sur un plat neuf, on peut conclure que la nature mauvaise du sel a été transformée par son contact avec le plat neuf. Ainsi fondamentalement, l’élément curatif vient du plat et non du sel. D’une certaine manière, Elisée est comme ce plat neuf. Il vient de succéder à Elie (2 Rois 2.7-15) et sa venue transforme tout. Sa présence est source de bénédiction. Elisée annonce le ministère du Messie et la nouvelle alliance.

Avant de nous pencher sur la malédiction des enfants de Béthel, notons encore que, malgré le recours à des objets matériels (plat neuf et sel), le prodige est attribué à la parole du prophète (Les eaux furent assainies, jusqu’à ce jour, selon la parole qu’Elisée avait prononcée, 2 Rois 2:22). Elisée n’est pas un magicien, mais un pédagogue. Les objets matériels sont utilisés uniquement en raison de leur valeur symbolique.

Les enfants de Béthel

Comme nous l’avons déjà relevé, le récit des enfants de Béthel soulève bien des questions. Pourquoi Elisée a-t-il maudit ces enfants et pourquoi quarante-deux sont-ils morts? Le comportement du prophète paraît si mal correspondre au caractère d’Elisée.

Relevons pour commencer qu’Elisée ne tue personne. Il se contente de maudire les enfants, et ses paroles ne suggèrent même pas que les moqueurs doivent mourir (contrairement à Elie, par exemple, qui avait annoncé à deux reprises que le feu céleste descendrait pour dévorer une troupe de soldats venus l’arrêter: 2 Rois 1.10, 12). Elisée s’en remet au jugement divin. C’est l’Eternel qui choisit de punir les moqueurs par la mort !

En deuxième lieu, il convient de préciser que le terme hébreu « na’ar » traduit parfois par « enfant » peut représenter aussi bien un bébé qu’un jeune adulte. Moïse, âgé de trois mois, est appelé un « na’ar » (Ex 2.6), alors qu’Absalom, qualifié du même terme, avait déjà soulevé une armée contre son père, le roi David (2 Sam 18.5). Dans notre texte, il est question de « jeunes na’ar ». Probablement des adolescents.

Troisièmement, la ville originaire des moqueurs est une ville particulière. Comme pour Jéricho, une compréhension de son histoire est importante. Lors du schisme entre Israël et Juda, Jéroboam (le premier monarque du royaume du nord) avait fait construire deux autels, l’un situé au sud de son royaume à Béthel et l’autre au nord à Dan. Le roi voulait ainsi empêcher ses sujets de se rendre trois fois par année à Jérusalem et y subir l’influence des prêtres de Juda, craignant que son peuple ne finisse par comprendre que le roi légitime devait être un descendant de David (1 Rois 12.26-30). En plus de ces deux lieux d’adoration, Jéroboam avait aussi instauré une nouvelle classe de sacrificateurs et modifié le calendrier religieux (1 Rois 12.31-33). Même si toute la ville de Béthel n’était pas dévouée au faux culte, puisque certains fils des prophètes y habitaient au moment de l’enlèvement d’Elie (2 Rois 2.2-3), l’influence péjorative des hérétiques devait être considérable comme en témoigne le nombre élevé de moqueurs.

Les paroles blessantes à l’égard d’Elisée ne se limitaient certainement pas à l’aspect physique du prophète. La sévérité du jugement divin empêche de penser que nous sommes en présence de gamins qui, un jour, par hasard, se moquent de l’apparence physique d’un individu qui avance avec peine: monte chauve, monte chauve (une distance de 25 kilomètres et une dénivellation de 1000 mètres séparent Béthel de Jéricho). Les « enfants » étaient vraisemblablement de jeunes adultes; le verbe « monter » pouvait faire allusion à l’ascension d’Elie; et le mot « chauve » pouvait impliquer une stérilité plus étendue qu’une simple absence de cheveux. La répétition des termes souligne une insistance particulière (ils disent deux fois monte chauve).

L’ascension d’Elie était connue dans toute la région. Avant même qu’elle n’ait eu lieu, les fils des prophètes en parlaient librement (2 Rois 2.1-5). On peut imaginer le scepticisme des faux adorateurs à l’annonce du départ imminent d’Elie: « Ce vieux fou est sur le point de mourir et on voudrait nous faire croire qu’il va monter au ciel! » L’annonce de l’ascension ne devait pas les avoir convaincus davantage: « Son successeur a dû cacher son corps pour faire croire à un départ miraculeux ». En demandant à Elisée de monter, la nouvelle génération de Béthel tourne en ridicule l’ascension d’Elie. Elle demande à Elisée de quitter la région comme Elie l’avait fait: « Disparais pour toujours de notre présence. On ne veut plus te voir ici ». La mention de la calvitie peut être une référence à la stérilité du ministère: « On n’a pas besoin de toi ici, car tu ne produiras rien de bon ». Si les moqueurs avaient déjà entendu parler de l’assainissement de la source de Jéricho (de telles nouvelles se propagent très vite), ils rejetteraient alors aussi le ministère de bénédiction d’Elisée.

Elisée répond à leurs paroles de rejet par une parole de rejet. Ceux qui s’endurcissent devant les prodiges et les bénédictions du Seigneur ne peuvent plus rien recevoir. Jésus a condamné avec une même sévérité les pharisiens qui l’accusaient de faire les miracles au nom de Béelzébul (Mt 12.24), et c’est dans ce contexte que le Fils de l’homme a parlé du péché contre le Saint-Esprit, péché qui ne peut être pardonné (Mt 12.31). Les moqueries des jeunes gens de Béthel sont du même ordre. Elles témoignent d’un rejet total du prophète de la grâce. L’endurcissement des moqueurs de Béthel montre, une fois de plus, que l’incrédulité est beaucoup plus difficile à guérir qu’une carence physique. Elisée n’a aucun problème à purifier les eaux de Jéricho. Par un geste et une parole, il efface une malédiction vieille d’un demi millénaire. L’incrédulité, par contre, est beaucoup plus tenace. Elle colle aux gens comme la pire des maladies. Jésus en a fait l’expérience, lui qui a été le plus grand faiseur de miracles, et pourtant a été abandonné par tous et crucifié.

Ces constatations sur la dureté du cour humain (Calvin parlait de corruption totale) devraient nous faire apprécier d’autant plus la grâce salvatrice qui mène les gens à la foi. La conversion est le plus grand des miracles. A la Pentecôte, quand le Saint-Esprit est venu avec puissance, ce sont trois mille personnes qui se sont converties.

Notons pour terminer que l’Eternel a envoyé deux ours pour tuer les moqueurs, comme si un seul n’avait pas suffi! Les ours n’attaquent pas en bande et, d’une manière générale, ils évitent les hommes. Seul l’instinct maternel peut les rendre féroces et dangereux pour les hommes (cf. Prov 17.12). Or les deux ours quittent la forêt, c’est-à-dire le lieu où leurs petits auraient pu se trouver. Leur comportement étrange renforce l’idée qu’ils ont été envoyé par Dieu pour punir les moqueurs (à l’extérieur de la forêt, les jeunes gens ne formaient aucune menace pour les bêtes). La nature ou le hasard n’y est pour rien. C’est Dieu qui manifeste sa colère au travers de ces deux ours. Pourquoi deux? Peut-être pour symboliser un jugement sans appel (une sorte de double témoignage de la colère divine), ou une condamnation suite au rejet de deux prophètes (Elie et Elisée), ou encore le salaire d’un rejet répété d’Elisée (Monte, chauve! monte, chauve!).

Les deux récits que nous venons d’étudier ne se contredisent nullement, mais se complètent. Elisée est le prophète de la grâce (comme le montrent les eaux purifiées de Jéricho), mais quand cette grâce est rejetée (comme dans le cas des moqueurs de Béthel), il ne reste que le jugement.

C’est pourquoi nous devons d’autant plus nous attacher aux choses que nous avons entendues, de peur que nous ne soyons emportés loin d’elles. Car si la parole annoncée par des anges a eu son effet, et si toute transgression et toute désobéissance a reçu une juste rétribution, comment échapperons-nous en négligeant un si grand salut? (Héb 2.1-3).

D.A.
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.