Les miracles et la résurrection de Jésus (1)
A l’approche de l’an 2000 (après la naissance de Jésus-Christ, faut-il le préciser), nombreux sont ceux qui expriment de sérieuses réserves quant à la personne du Christ. Si son existence et son humanité ne sont niées que par une petite minorité, Sa divinité et les faits qui la confirment – sa naissance virginale, sa résurrection, les nombreux miracles qu’il a accomplis – sont rejetés par la majorité. « Pour pouvoir croire à la résurrection de Jésus, il faudrait l’avoir vue de nos propres yeux », disent-ils. Pour eux, les deux millénaires qui nous séparent de cet événement représentent une barrière infranchissable à une foi intelligente. Puisque le temps efface, déforme et transforme les faits, que peut-il rester après deux mille ans?
Cette question mérite d’être reprise. Comme une aquarelle se dilue à l’eau, le souvenir de certains événements s’efface, se déforme et se transforme. Par contre, d’autres faits historiques résistent à l’action du temps, comme les peintures indélébiles résistent à l’eau. Un témoignage oral se déforme rapidement. Qui ne connaît pas le jeu du téléphone où un message est transmis de bouche à oreille successivement par une dizaine de personnes même les messages courts subissent de grandes transformations? Un témoignage écrit est d’un tout autre genre. Il résiste infiniment mieux à la transmission et au temps. Seule une grande négligence ou une volonté délibérée peut modifier sensiblement un message d’une certaine longueur. Les hommes d’affaires, les juristes, les historiens reconnaissent tous la valeur d’un document écrit; même ancien, il garde toute sa valeur si son authenticité (le signataire correspond à l’auteur) et son intégrité (le document est fidèle à l’original) sont établis.
Qu’en est-il des faits relatifs à la vie de Jésus-Christ? Quatre écrits distincts – les quatre évangiles – nous relatent certains aspects. Penchons-nous d’abord sur leur intégrité. Dés leur rédaction et jusqu’à nos jours, les quatre évangiles (et c’est aussi le cas des autres livres de la Bible) ont été fidèlement transmis. Certes, le support matériel des originaux – probablement du papyrus – n’a pas résisté à l’action du temps et la préservation de ces textes a dû passer par de nombreuses copies, situation identique à la majorité des documents qui nous sont parvenus depuis l’antiquité. (Les seules exceptions concernent certains textes, en général courts, gravés sur la pierre, imprimés dans de l’argile cuite ou écrits sur du papyrus ou parchemin préservé dans des régions désertiques, à l’abri de toute humidité et lumière). Les livres du Nouveau Testament ont été copiés, certes, mais leurs copies sont d’une qualité inégalée lorsqu’elles sont comparées à d’autres documents de l’antiquité tant du point de vue de leur nombre élevé – plus de 5000 manuscrits grecs – du faible degré de variation entre les copies – moins de 1 % – et de l’intervalle séparant les plus anciennes copies des originaux – moins de 50 ans pour certains fragments, environ 250 ans pour tout le Nouveau Testament. Dieu dans sa miséricorde a permis que sa Parole soit transmise fidèlement de génération en génération. L’intégrité des livres du Nouveau Testament peut satisfaire le savant le plus exigeant.
L’authenticité des quatre évangiles appelle les remarques suivantes. Bien qu’aucun évangile ne porte de signature – à l’inverse des épîtres de Paul, Pierre, Jacques et Jude – l’ensemble des communautés chrétiennes disséminées dans le monde romain a, dès le premier siècle, reconnu ces ouvres comme venant de la main de deux apôtres, Matthieu et Jean, et de deux disciples, Marc et Luc, proches collaborateurs des apôtres. Les Pères de l’Eglise, dans leurs écrits, n’ont jamais fait allusion à une quelconque controverse touchant à l’identité de l’un des auteurs des évangiles canoniques. Cependant, ces premiers conducteurs de communautés chrétiennes s’exprimaient librement sur leurs doutes et objections, preuve en est l’abondance des discussions relatives à l’autorité d’autres livres, canoniques et non-canoniques, et au bien-fondé de certaines doctrines et pratiques ecclésiastiques. L’absence, non seulement de polémiques, mais de simples discussions sur les questions d’authenticité des quatre évangiles en dit long sur la confiance universelle accordée, dès leur origine, à ces biographies du Christ.
Aujourd’hui, bien des théologiens ne partagent plus cette confiance. Beaucoup plus éloignés de la rédaction de ces écrits, leur scepticisme surprend. Est-il enraciné dans la découverte de nouveaux faits, inconnus des générations précédentes, ou est-il le fruit de considérations philosophiques? Les nombreuses découvertes archéologiques de ces deux derniers siècles n’ont soulevé aucun doute sur l’authenticité des évangiles. Bien au contraire. Par exemple, la découverte de fragments de copies de l’évangile de Jean – réputé comme le plus tardif – ont irrémédiablement fixé la rédaction de cette oeuvre au premier siècle. Une meilleure connaissance du monde romain de cette même époque a permis de confirmer maints détails du livre des Actes, démontrant ainsi que seul un auteur du premier siècle avait pu écrire cette ouvre, dont la rédaction est étroitement liée à l’évangile de Luc. Si les découvertes archéologiques n’ont fait que justifier la confiance de l’église primitive, il semble bien que ce soient des considérations philosophiques qui sont à la base du scepticisme de nombreux théologiens contemporains. Partant du concept d’une évolution naturelle des idées religieuses, qui minimise ou élimine le concept d’une révélation directe et souveraine de Dieu, certains théologiens ont daté les écrits du Nouveau Testament en fonction d’une estimation du degré de développement et de maturité des affirmations théologiques. Afin de placer chaque parole à sa juste place, ils ont dû fragmenter chaque livre, souvent même les paragraphes et les phrases. Puis, considérant le temps nécessaire à la maturation des idées, les théologiens du dix-neuvième siècle ont placé la rédaction de certains écrits canoniques, comme l’évangile de Jean, dans la deuxième moitié du deuxième siècle. Plus tard, certaines découvertes archéologiques ont rendu impossible de telles dates pour les évangiles, et les adhérents de ces « à priori » philosophiques ont été obligés à comprimer de plus en plus cette évolution naturelle pour finalement la placer entièrement au premier siècle. Le résultat d’une telle démarche conduit au paradoxe suivant: à une époque où les apôtres et leurs associés étaient personnellement connus, tout le monde croyait que les quatre évangiles étaient l’oeuvre de Matthieu, Marc, Luc et Jean, alors qu’en réalité ils auraient été rédigés par des inconnus. En conclusion, si l’on fait abstraction des « à priori » philosophiques et si l’on se limite aux données observables, on peut partager la confiance de l’église primitive au sujet de l’authenticité des évangiles canoniques.
Professeur à l’Institut biblique d’Emmaüs.