Dossier: La famille, un défi pour aujourd’hui
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L’homosexualité et l’Église

Cet  article,  «  L’homosexualité  et  l’Église  »,  est  tiré  des  Cahiers  de  l’école  pastorale, «Homosexuel  mon  prochain,  une  approche  pastorale  évangélique»  sous  dir.  Evert Van de Poll. (Hors Série n°15 – Paris – Croire Publications – 4 e   trimestre 2013 – p. 87-100). Publié avec autorisation.

I. La situation actuelle

La question de l’homosexualité et plus précisément de l’attitude des Églises à l’égard des personnes homosexuelles est certainement une des questions les plus brûlantes qui peuvent se poser aujourd’hui dans les Églises des pays occidentaux… Il y a de nombreuses raisons à cela. La principale est certainement le changement radical de l’image que notre société peut se faire de l’homosexualité et des homosexuels.

Une société en évolution

Pendant très longtemps, les personnes concernées se sont retrouvées en marge de la société et, il y a encore peu de temps, leur comportement était susceptible de tomber sous le coup de la loi. Depuis quelques décennies, l’évolution dans ce domaine est extrêmement rapide. Les homosexuels, gays et lesbiennes, sont entrés dans une sorte de lutte pour la reconnaissance de leur état et de leurs droits. L’impact de ce mouvement sur les milieux artistiques et médiatiques a changé profondément le regard de la majorité des gens qui est passé de la condamnation et du mépris à une sympathie évidente. Des films comme Philadelphia ont certainement joué un rôle important, de même que la manière dont la communauté homosexuelle a subi les attaques du SIDA et a su se mobiliser pour y répondre.

Ce combat des homosexuels — ou du moins de la partie la plus militante d’entre eux — a obtenu un certain nombre de résultats dans la législation elle-même1.

Le discours de l’Église

Pendant longtemps, on peut dire que l’enseignement des Églises a été relativement en phase avec la pensée commune. L’accent spécifiquement chrétien accentuant la dimension d’accueil et de compassion et pouvant même se trouver en contradiction avec l’homophobie ambiante. Mais la réflexion sur la nature même de l’homosexualité et sa critique étaient globalement semblables dans l’Église et dans la société. C’est cela qui est devenu radicalement différent. Ce que pense l’Église, dans la mesure où elle prend au sérieux les données bibliques sur la question, est aujourd’hui pratiquement sans rapport avec ce que pense et ce que tend à instituer la société actuelle, en particulier en France. Elle se trouve dans une situation où, contrairement à bien d’autres questions éthiques — y compris en ce qui concerne la sexualité — son discours n’est non seulement plus entendu, mais a pour ainsi dire cessé d’être audible. La question de l’attitude à avoir vis-à-vis des personnes homosexuelles est donc devenue beaucoup plus délicate que par le passé, le simple exposé préalable des données bibliques étant reçu comme une forme de discrimination, voire de rejet des personnes.

II. Les données du problème

La nature de l’homosexualité

Un des grands débats, que l’on a presque tendance aujourd’hui à passer sous silence, porte sur la nature de l’homosexualité. Nous pouvons reconnaître que, dans la pratique, nous rencontrons plusieurs sortes de personnes concernées par cette question. Certains se sont toujours considérés exclusivement comme homosexuels et, aussi loin que remonte leur mémoire, n’ont jamais éprouvé de désirs pour des personnes de l’autre sexe. Mais il serait certainement abusif de réduire à cela la situation de toutes les personnes qui se présentent comme homosexuelles. D’autres ont une sorte de « double pratique » et se considèrent facilement comme « bisexuels ». D’autres enfin, ont été amenées à des pratiques homosexuelles sans que leur identité fondamentale en soit en cause. L’image positive de l’homosexualité, sa revendication identitaire peuvent jouer un rôle important auprès de personnes dont l’identité sexuelle est à ce moment-là fragile. Le contexte joue alors un rôle plus important et certains, qui auraient évolué autrement si l’image de l’homosexualité était purement négative, peuvent aujourd’hui être tentés de s’orienter dans ce sens. Cette distinction, naturellement souvent non reconnue par les personnes concernées, peut avoir des conséquences essentielles sur la manière d’aborder et d’accueillir ces personnes dans l’Église. De fait, des hommes et des femmes qui se sentent et se pensent homosexuels entendent l’Évangile et frappent à la porte des communautés.

Les affirmations bibliques

Face à cette situation, plus fréquente aujourd’hui que par le passé, l’Église a traditionnellement fondé son enseignement à la fois sur les textes bibliques qui traitent de cette question et sur la conception générale de la sexualité que donne la Révélation. Les textes qui abordent directement cette question sont peu nombreux, mais extrêmement clairs. Ceux de l’Ancien Testament expriment une condamnation sans équivoque de toute pratique homosexuelle (Lév 18.22 ; 20.13). D’autres, qui peuvent également concerner ces pratiques présentent des actes abominables qui ne le seraient pas moins dans un contexte hétérosexuel (Gen 19.1-13 ; Jug 19). Il n’est pas question de ces problèmes dans les Évangiles ou les Actes des Apôtres, mais on retrouve dans les Épîtres un certain nombre de passages qui se font l’écho d’un regard semblable à celui de l’Ancien Testament (Rom 1.18-32 ; 1 Cor 6.9-10 ; 1 Tim 1.8-11).

Devant la clarté de ces textes, il ne reste que deux attitudes possibles :

– Soit, et c’est le choix de bon nombre de théologiens, on les considère comme étant le reflet des préjugés de l’époque, Paul n’ayant pas pris en compte la révolution éthique instaurée par Jésus.

– Soit on reconnaît, malgré les difficultés que cela peut susciter, l’autorité de la parole apostolique et on accepte que ces textes, qui appartiennent à la révélation, nous donnent, d’une certaine façon, le « regard de Dieu » sur cette question. C’est la position traditionnelle des Églises et celle qui est aujourd’hui largement défendue dans les Églises évangéliques.

Les textes que nous avons cités sont compris à la lumière de la conception positive de la sexualité et du mariage que nous trouvons dans les Écritures, de la relation homme – femme qui est une union dans la différence et qui souligne l’altérité du partenaire. Mais tels quels, ils sont en effet une condamnation très claire de l’acte homosexuel non seulement comme ne correspondant pas à la volonté de Dieu et étant un résultat du péché, mais comme étant lui-même péché. Il ne faudrait surtout pas croire qu’une telle position résout le problème et clôt le débat ; elle l’ouvre au contraire. Car s’il faut parler de péché, il ne s’agit d’abord pas « du » péché absolu et on voit bien que Paul le situe dans des listes qui nous parlent également de bien d’autres choses qui sont moins remarquées dans notre contexte culturel (adultère, idolâtrie, avarice, vol, trafic d’esclaves, etc.). Il ne s’agit que d’un péché parmi d’autres et il faut surtout souligner que nous sommes tous pécheurs et que c’est à nous que l’Évangile s’adresse. Se borner à condamner reviendrait à tomber soi-même sous le jugement de Dieu, si nous ne faisons pas la distinction entre la nécessaire lucidité à l’égard du péché que nous apporte la Parole de Dieu et l’amour, la miséricorde et la compassion pour le pécheur dont Dieu lui-même témoigne.

III. La vérité et l’amour

Il est un principe qui vaut pour bien des questions éthiques mais qui s’applique tout particulièrement ici, c’est celui du maintien en tension permanente de la vérité et de l’amour. L’exemple le plus frappant est sans doute celui du comportement de Jésus à l’égard de la « femme adultère » (Jean 8.1-11). Deux attitudes nous seraient au fond assez naturelles.

La première est celle de ces hommes qui traînent cette femme devant Jésus. Au nom de la vérité, ils se font accusateurs. La tentation a été et demeure grande d’avoir à l’égard des homosexuels, une attitude semblable et point n’est besoin d’être chrétien pour cela. Il s’agit alors d’une attitude de rejet pur et simple. L’homophobie peut être facilement placée de ce côté. Ce comportement sexuel qui fait horreur ne peut être condamné qu’en rejetant les personnes concernées et nous nous sentons alors du bon côté, libres et fiers de pouvoir être les juges. Nous nous sentons alors protégés et justifiés dans nos propres péchés puisque nous sommes « du côté de Dieu ». C’est pour cette raison que Jésus va renvoyer ces hommes à leur propre conscience : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier la pierre. »

La seconde attitude, qui serait plus moderne sans doute, est celle de la compréhension. C’est ce que nous entendons souvent sur l’homosexualité : il n’y a là rien de grave ; cela ne fait d’ailleurs de mal à personne (à la différence de l’adultère) ; qui sommes-nous pour nous poser en juges… ? Reconnaissons que cette pente est aujourd’hui forte dans l’Église et que nous pouvons comprendre facilement ceux qui la suivent. Non seulement cette tolérance, cette compréhension des situations et des personnes est bienvenue, mais elle est tellement dans l’air du temps que, ne serait-ce la Parole biblique, il serait bien difficile de ne pas la suivre.

L’attitude de Jésus est pourtant autre. Il dira à la femme, à la fin de ce passage : « Moi non plus, je ne te condamne pas ; va, et désormais, ne pèche plus. » Sa miséricorde à l’égard de la personne va de pair avec la lucidité de sa dénonciation du péché. Nous n’avons entre les mains aucune possibilité de condamnation (Dieu seul est et sera juge), mais, précisément par notre capacité de dire le juste, de ne pas nous laisser engluer dans l’ambiguïté, celle d’ouvrir une espérance, la possibilité de permettre à quelqu’un de sortir de la situation de péché dans laquelle il est enfermé. Lucidité sur l’acte et miséricorde et compassion pour la personne. C’est là tout le chemin à suivre et toute sa difficulté également quand il s’agit de l’homosexualité.

IV. L’attention aux personnes

Rappelons, pour commencer, qu’une personne ne se définit pas, au regard de Dieu, par son orientation sexuelle. Le point de départ évident, c’est que la personne homosexuelle doit être accueillie dans l’Église. L’homosexuel est un pécheur comme nous le sommes tous ; il a besoin de la grâce et de la délivrance de Dieu comme nous en avons tous besoin, et l’Évangile, la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu est pour lui comme il est pour tous. La Parole de Dieu sera, pour lui comme pour tous, à la fois lumière sur la vérité de sa situation et promesse. Si la prise de conscience de son péché est — comme pour chacun — nécessaire, la question de son homosexualité ne sera pas la seule, ni peut-être la première question à être portée à la lumière. Malgré cela, il faudra sans doute beaucoup de tact, d’amour et de sagesse pour que le simple refus de voir dans l’homosexualité quelque chose de neutre et de naturel ne repousse pas immédiatement la personne. C’est là la difficulté essentielle de notre situation actuelle.

Certains, plus nombreux qu’on le croit souvent, vivent douloureusement leur situation et sont à la recherche de quelque chose. Ils sont alors capables d’entendre la parole qui dira et le diagnostic et le remède, mais beaucoup d’autres seront à ce point choqués par la non-acceptation de ce qu’ils considèrent comme leur identité la plus profonde qu’ils n’écouteront pas et se retireront blessés et indignés. Il n’existe sans doute pas de moyen pour échapper à cette situation. Nous devons tout faire pour limiter ce danger, pour ne pas donner à l’interlocuteur cette fausse impression qu’il est rejeté, mais nous n’y réussirons sans doute pas toujours.

Guérison ou accompagnement ?

Il existe, dans les milieux évangéliques, un débat entre deux approches qui toutes deux espèrent rendre compte de la Bonne Nouvelle adressée aux homosexuels. Les uns mettent l’accent sur la promesse, toujours présente, de la délivrance et de la guérison. Tout homosexuel aurait donc la possibilité, une fois qu’il a pris conscience de sa situation et qu’il s’en est repenti, de sortir de son état et de retrouver une sexualité « normale ». Il lui sera donc possible de se marier et d’être ainsi libéré de toute tentation homosexuelle. Seule la grâce et la puissance de Dieu peuvent accomplir ce miracle qui n’est, somme toute, pas différent de la libération que tout pécheur peut expérimenter par l’Évangile. Des mouvements de qualité proposent un accompagnement qui va dans ce sens et nombreux sont ceux qui, pour l’avoir vécue, peuvent témoigner de cette libération.

D’autres, en revanche, sans nier la vérité de l’attitude précédente, sont moins persuadés qu’elle puisse s’appliquer à tous les homosexuels. Plus l’homosexualité est en quelque sorte constitutive de leur identité sexuelle et moins il est facile d’imaginer un renversement radical de cette identité. Si certains pourront ainsi passer de manière durable de l’homosexualité à l’hétérosexualité, d’autres seront plutôt appelés à accepter leur situation et à vivre la chasteté. L’accompagnement, dans ce cas, est alors différent. Il ne s’agit en aucune manière de nier la capacité de Dieu de changer les choses et de guérir des conséquences du péché, mais de remarquer que cette guérison, qui, dans certaines situations relève du miracle, n’est pas systématique. Bien des malades et des handicapés sont appelés à vivre avec leur maladie. Le miracle est alors intérieur et l’œuvre de l’Esprit permet d’assumer dans la paix et la joie une situation qui n’est pas pour autant radicalement modifiée.

La chasteté

Cette perspective choque parfois à la fois des chrétiens et des non-chrétiens. Ils oublient peut-être — et en cela, ils sont peut-être aussi les fils de leur époque — que la chasteté n’est pas une malédiction inacceptable qui enfermerait ainsi les seuls homosexuels dans une situation insupportable.

La chasteté est une partie de l’enseignement chrétien qui concerne toute personne. Il existe d’innombrables personnes qui ne se marient pas. Certaines restent seules par vocation, mais d’autres par nécessité. Elles sont aussi appelées à la chasteté. Et, dans le cadre du mariage même, la chasteté a sa place. Tout désir ne peut être satisfait et on peut vivre, et particulièrement avec l’aide de Dieu, une certaine dose de frustrations qui deviennent peu à peu maîtrisées, voire constructives. Encore une fois, c’est le cas de chacun et bien des personnes, mariées ou non, n’ont pas la possibilité de satisfaire tous les désirs qui peuvent être les leurs sur le plan affectif ou sexuel. L’Église peut d’ailleurs être un lieu de fraternité qui ouvre à des relations qui, sans être sexuelles, peuvent néanmoins répondre à des besoins affectifs naturellement et douloureusement ressentis. Ce qui est ici en jeu, c’est la capacité des communautés chrétiennes à être accueillantes, en l’occurrence à l’égard des homosexuels, mais également de bien d’autres.

V. L’accueil des personnes dans l’Église

Des personnes homosexuelles peuvent-elles, dans le contexte d’Églises de professants, être membres d’Église ou, dans le cas d’un baptême de croyants, être baptisées ? La réponse ne peut être, bien évidemment, que oui. L’Église est une communauté de pécheurs repentis qui cherchent à suivre leur Seigneur. C’est là justement qu’est toute la question.

Une personne qui découvre la foi et veut entrer dans l’Église ne devient pas par là-même un saint ou une sainte. Mais on est en droit d’attendre qu’elle accueille l’enseignement de l’Évangile et qu’elle cherche, quelles que soient les difficultés, à y conformer sa vie. L’homosexuel « pratiquant » est un pécheur dont le péché n’est pas plus grand que les autres. Son état, qu’il n’a, la plupart du temps, pas choisi, n’a rien de disqualifiant, rien qui puisse l’empêcher d’être disciple de Jésus. Encore faut-il qu’il accepte cet éclairage que la Révélation de Dieu apporte sur sa situation. Qu’il éprouve souffrances et difficultés pour conformer sa vie à la volonté de Dieu, cela est naturel et n’a rien d’extraordinaire. L’Église doit savoir faire preuve de patience et chaque chrétien peut, en fonction des problèmes particuliers qui sont les siens, se regarder dans une glace pour comprendre que cette patience est une nécessité. Mais si la personne cherchait à justifier un comportement à l’évidence contraire au chemin que le chrétien s’engage, par son baptême, à suivre, les choses deviendraient différentes. Cela signifie qu’une personne d’orientation homophile a tout à fait sa place dans la communauté. Elle doit même pouvoir être accompagnée et entourée afin de mieux vivre une situation qui pourra être parfois douloureuse. Mais la volonté de se justifier et de continuer de vivre comme auparavant rend manifeste le rejet de la parole qui dérange et empêche de trouver sa place dans la communauté des disciples.

Aimer ne veut pas dire accepter comme bon n’importe quel sentiment de l’autre. En refusant la pratique homosexuelle, l’Église passera probablement pour intolérante, pour un repaire de réactionnaires qui n’ont rien compris à l’amour des autres. Tant pis ! Encore une fois, il est de notre responsabilité de ne rien faire pour mériter cette critique, mais il est également des situations et des fidélités qui la rendront presque inévitable.

VI. Quelques pistes pour les Églises

1. Lutter d’abord contre l’homophobie

Aimer son prochain comme soi-même, se comporter à l’égard des autres comme nous souhaiterions qu’ils le fassent au nôtre, cela concerne aussi notre attitude à l’égard des homosexuels. Cela va sans dire, mais il est bon de le rappeler car la tentation est grande, dans une période de polémique dans ces domaines, de se laisser emporter par les mots et les arguments. La société voit parfois s’affronter un lobby homosexuel et un front homophobe qui ne dit pas son nom. Le risque existe de se laisser aller à des alliances perverses en croyant défendre la vérité et dénoncer l’erreur. La vieille haine rassurante envers celui qui est différent de moi reste toujours tapie quelque part au fond de chaque être humain. Il est tentant alors de lutter par le mépris, d’exprimer ce qui n’est rien d’autre que des réactions viscérales, de stigmatiser telle personnalité du fait de son homosexualité. L’Écriture et l’Église peuvent alors devenir des arguments supplémentaires dans une lutte qui n’a rien de chrétien et qui n’est que la manifestation actuelle de vieux démons.

Les chrétiens ont donc à revenir sans cesse à l’exemple de leur Maître qui disait la vérité dans l’amour et qui ne confondait jamais la sainteté avec le rejet de l’autre. Pourquoi faut-il commencer par là ? Simplement parce que c’est le seul moyen d’avoir une chance d’être entendus lorsque nous voudrons dire à nos interlocuteurs que l’Évangile est aussi pour eux, comme il est pour nous. Il y a sans doute en chacun de nous un travail à faire dans ce domaine, simplement pour aimer, simplement pour être effectivement chrétiens.

2. Travailler à l’accueil des homosexuels

Reconnaissons que dans ce domaine, il y a encore beaucoup à faire. Sommes-nous disposés, sans juger les personnes, mais en disant la vérité, à les accueillir avec tout ce que cela peut comporter de bienveillance, de patience et de temps ? Plus simplement encore, sommes-nous capables de trouver les mots et de ne pas, par des attitudes involontaires, faire fuir ceux qui sont venus dans l’Église à la recherche, peut-être encore mal formulée, de quelque chose ? Il existe des associations chrétiennes qui cherchent à accompagner les homosexuels, qui les connaissent bien et qui sont en partie composées d’hommes et de femmes qui ont connu ces problèmes. Elles peuvent apporter une aide précieuse. Non seulement il est possible d’orienter certains vers elles, mais également de recevoir une information et une formation sur les comportements justes qui permettent d’aider. Des Églises qui souhaitent consciemment annoncer l’Évangile peuvent, sans le vouloir, laisser à la porte des personnes considérées souvent inconsciemment comme indésirables, par une sorte de ségrégation confortable qu’elles ne perçoivent pas.

3. Concilier lucidité et miséricorde

Si la tentation de l’homophobie est, comme nous l’avons souligné, une réalité, celle de la conformité à l’air du temps en est une autre. Nous sommes parfois confrontés à un dilemme : l’autorité à laquelle nous nous référons est-elle la Parole de Dieu ou l’un des airs du temps (sur les questions controversées, il y en a généralement deux qui s’affrontent) ? Il y a là comme une ligne de crête qui nous fait progresser dans la lucidité à l’égard des actes et la miséricorde pour les personnes, entre deux abîmes, celui du légalisme qui rejette les personnes pour garder les principes et celui du laxisme qui brade la vérité par conformité à l’opinion à la mode. Cette ligne de crête est difficile pour tout le monde et on la quitte souvent en se croyant justifié par l’abandon de ceux d’en face.

Il faut toujours nous rappeler que « l’homosexualité » n’existe pas, mais qu’il n’existe que des personnes homosexuelles. Derrière les grands principes indispensables, il y a toujours des êtres humains avec leurs craintes et leurs souffrances. Ce sont eux qui intéressent l’Église, car c’est à eux aussi que l’Évangile s’adresse. S’il faut que l’Église tienne compte de ce que l’Écriture dit sur l’homosexualité, c’est avant tout parce qu’elle croit que la lucidité à l’égard d’un mal est le préalable nécessaire à sa guérison. Si le Dieu d’amour souligne si fermement ce qui relève du péché, c’est parce qu’il a à cœur de sauver et de donner la vie. Voilà l’unique raison de la fermeté des Églises sur cette question. Toute autre serait ambiguë et nous n’avons sans doute pas fini de traquer en nous-mêmes les mauvaises raisons qui nous poussent à dire parfois des choses justes. Notre vocation est de dire à tous — et donc aux personnes homosexuelles — l’Évangile de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ et sa capacité de faire toutes choses nouvelles.

1En France, après le PACS et malgré de fortes oppositions, le mariage dit « pour tous » a été intro-duit dans la loi en 2013, ouvrant la porte à l’adoption par des couples homosexuels.

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Dossier : La famille, un défi pour aujourd’hui
 

Schweitzer Louis
Louis Schweitzer est pasteur baptiste et théologien. Il enseigne l'éthique et la spiritualité à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, ainsi qu'à l'Institut supérieur d'études œcuméniques de Paris. Il est également directeur de l'École pastorale de Massy. Il a été membre du Comité consultatif national d'éthique de 2009 à 2013.