Série: Regards sur l'occident
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L’idole de l’homme moral

REGARDS SUR L’OCCIDENT

L’ÉTHIQUE est en crise. Comment définir le bien et le mal, et qui peut le faire ? Peut-on même parler de bien et de mal, car tout semble relatif ?

Les valeurs traditionnelles sont contestées et les nouvelles éthiques laissent sceptiques. L’homme moderne hésite devant la panoplie des morales, tout comme le consommateur d’une grande surface hésite face à l’abondance de l’offre. Le traditionaliste restera attaché à un produit, le novateur essaiera tous ceux qui apparaissent sur le marché; le méticuleux comparera les avantages et les inconvénients, et l’insouciant prendra le premier qui lui tombe sous la main. Commercialisation, publicité, emballage et promotion influencent plus que la qualité intrinsèque. On suit la mode, on cherche le confort et quand le produit ne plaît plus, on l’abandonne au recyclage. Aujourd’hui, on change d’éthique comme on change de chemise, car l’éthique est devenue un simple produit de consommation. Dans un livre intitulé «La valse des éthiques », Alain Etchegoyen parle d’«éthique discréditée», de «place laissée libre », de «mode de l’éthique», «de client à satisfaire» et «d’audimat».

Cette valse des éthiques témoigne d’une instabilité générale. Rien ne semble accrocher au point de convaincre. L’homme moderne navigue au goût du jour. Il a besoin d’une éthique pour vivre, mais n’en trouve aucune qui le convainque.

Les éthiques du monde

La crise de l’éthique trouve son origine dans le rejet de Dieu. L’homme moderne veut être autonome, indépendant, maître de lui et de son monde. D’une certaine manière, la situation n’est pas nouvelle, puisque dès la chute, l’homme veut occuper la place de Dieu. Ce qui particularise notre société est la généralisation de cette situation. Dieu est rejeté, méprisé, ignoré. On ne parle plus de lui, sinon de manière périphérique.

En conséquence, l’éthique biblique est déclassée et ignorée, et l’homme moderne se voit contraint de substituer aux normes divines des normes relatives. Le point de référence n’est plus Dieu, mais l’homme ou la société. Ces éthiques sont boiteuses, mais elles ne sont pas sans valeur, car l’homme a une conscience qui l’éclaire. Ainsi, les éthiques humaines attirent sans vraiment satisfaire. Elles soulignent certains aspects de la justice divine, mais en ignorent d’autres.

Les éthiques du monde semblent nombreuses et variées, mais elles se ramènent à quelques courants. Les forces, les faiblesses et les traits particuliers de cinq approches éthiques sont brièvement présentés, avant de porter notre attention sur les caractéristiques fondamentales de l’éthique biblique.

L’antinomie

L’antinomiste, lui, rejette toute norme. Il estime qu’aucune valeur morale ne doit guider l’homme dans son rapport avec son prochain. La morale, par principe, est un obstacle à la vie. L’homme doit s’en débarrasser pour vivre libre, car la vie est existentielle et émotive. Pour Nietzsche et Sartre, l’individu doit conduire sa vie comme il l’entend. C’est lui, et lui seul, qui décide de sa vie, car l’homme n’existe qu’au travers d’actes entièrement libres.

Fondamentalement, l’antinomie n’est pas une éthique, car elle ne gère pas les rapports entre les hommes. Que faire lorsque deux individus entrent en conflit ? Faut-il empêcher un homme de tuer son prochain ou fautil laisser l’agresseur exprimer «sa» liberté au détriment de sa victime ? L’antinomiste ne veut ni ne peut répondre, car sa conscience condamne ce que son idéologie approuve.

L’antinomie conduit à la destruction de la société, parce que toute communauté a besoin de normes. Or même si certaines lois sont parfois – souvent ? – abusives et inutiles, cela n’implique pas que toutes le soient.

Fondamentalement, l’antinomie est une réaction de rejet d’autorités perçues très négativement. Ce cri de révolte de l’antinomiste ne doit pourtant pas être ignoré, car souvent l’autorité politique néglige la justice au profit d’intérêts particuliers. L’antinomiste est alors prompt à relever, avec courage, les injustices ignorées par la majorité. Jésus a, lui aussi, dénoncé avec force l’hypocrisie des scribes et des pharisiens qui, par leurs prescriptions, liaient des fardeaux pesants et inutiles sur les épaules des hommes (voir Mat 23).

L’évolutionnisme

L’évolutionnisme est une idéologie matérialiste qui limite ses explications à la vie biologique, et restreint la causalité au hasard et à la nécessité: l’homme n’est qu’un ensemble complexe de molécules…

La valeur de l’homme est donc déterminée uniquement par le matériel. Sa valeur est relative et non pas absolue, puisque liée au stade de développement. Les hommes ont plus de valeur que les animaux, car ils sont plus développés que ces derniers. Les hommes en bonne santé, intelligents, adroits ont plus de valeur que les malades, les handicapés, les arriérés mentaux. L’enfant déjà né à plus de valeur qu’un fotus, et le fotus gagne en valeur de semaine en semaine. Ainsi, on estime, selon les pays, qu’à deux, trois ou quatre mois, parfois plus, le fotus, appelé maintenant embryon, est devenu suffisamment humain pour qu’une interruption volontaire de grossesse soit interdite. Tout est relatif, et même l’âge de la protection de la vie varie au fil des lois édictées par les gouvernements ! Aujourd’hui, l’enfant déjà né est protégé, mais demain, l’infanticide sera peut-être à nouveau autorisé (comme il l’était dans l’Antiquité). Quant aux handicapés et aux personnes âgées, ils voient leur «droit à la vie» disparaître devant les charges sociales croissantes. Quand l’échelle des valeurs est relative, le droit à la vie n’est garanti à personne.

Une éthique évolutionniste est ouverte aux pires atrocités. Heureusement, rares sont les évolutionnistes entièrement conséquents. Leur conscience les empêche de sombrer dans toute la barbarie du système, et aujourd’hui, seuls quelques groupes, comme les enfants dans le sein maternel, sont privés de charité humaine.

L’éthique évolutionniste conduit aussi à la déresponsabilisation de l’individu. Puisque l’homme est le produit de son environnement, il n’est pas foncièrement responsable de son comportement. Les meurtriers ne sont que des victimes. Une enfance malheureuse, un milieu familial défavorable, une constitution psychique fragile sont évoqués pour expliquer tout comportement anormal. Les agresseurs ne sont plus des coupables qu’il faut punir, mais des malades qu’il faut soigner… L’hôpital et l’asile remplacent la prison.

L’intérêt de l’approche évolutionniste réside dans son souci à relever l’influence de l’environnement sur le comportement de l’homme. Cette influence est souvent sous-estimée, l’homme s’estimant suffisamment fort pour résister au mal. La Bible reconnaît l’influence de l’environnement et met en garde contre le danger de certains milieux. Le livre des Proverbes ne cesse d’inviter le sage à fuir les mauvaises compagnies (voir Prov 1.10-16). Israël ne devait pas se mélanger à d’autres nations pour ne pas être tenté d’imiter les pratiques païennes. Quant à Jésus, il est allé jusqu’à conseiller d’arracher son propre oil ou de couper sa propre main pour éviter de tomber dans le péché (voir Mat 5.29-30). L’environnement exerce une influence sur le comportement, oui, mais cette influence ne supprime jamais la responsabilité de l’homme! C’est d’ailleurs pour cette raison, que l’homme est exhorté à fuir les environnements malsains qui tendent à le dominer. Influence et déterminisme ne doivent pas être confondus. Ainsi, les autorités ont une responsabilité à veiller sur l’environnement moral, et doivent bannir tout ce qui corrompt les mours: corruption, drogue, pornographie, etc.

L’utilitarisme

L’utilitarisme est un système éthique fondé sur la finalité. Le bien est évalué en fonction des conséquences: «Est bien, ce qui est utile». L’utilité est généralement déterminée en fonction du bien commun. Le plus grand bien pour le plus grand nombre, telle est la devise utilitariste.

Vu sous cet angle, l’utilitarisme peut séduire… Cependant il ne faut pas oublier deux faiblesses du système.

D’une part, l’utilitarisme considère l’individu isolé comme une quantité négligeable. Seule la masse compte. Ainsi, des atrocités peuvent être justifiées, du moment que ces atrocités profitent à la communauté. Des expérimentations médicales risquées, douloureuses, voire fatales, sont excusées au nom du progrès, dont toute la communauté humaine bénéficiera un jour !

D’autre part, qui peut établir avec certitude l’utilité du plus grand nombre ? L’homme n’est pas Dieu. L’avenir est rempli d’incertitudes et les hommes ont des désirs très divers. Certains hommes privilégient le bienêtre matériel, d’autres la liberté de pensée ou la liberté d’action. Certains voudraient limiter la population mondiale pour augmenter le revenu familial, alors que d’autres aspirent à avoir de nombreux enfants. Quel prix eston prêt à payer pour accélérer les progrès médicaux ? Combien de vies humaines peut-on sacrifier, et pendant combien de temps ? Les bienfaits devraient- ils être ensuite partagés avec la population mondiale au risque de subir une croissance démographique catastrophique ?

Les normes utilitaristes sont souvent fixées par une élite. Les pays industrialisés et leurs gouvernements déterminent le «bien commun planétaire», mais l’égoïsme humain biaise l’utilitarisme à son départ. Une société cherche toujours son bien au détriment des autres, ne serait-ce que dans la crainte de voir une autre la dépasser, et marquer à son tour son ascendant.

L’éthique biblique partage pourtant certaines affinités avec l’éthique utilitariste, car le bien-être des individus nécessite une société où règne la justice. Ainsi, l’effet dissuasif de certaines peines est relevé et encouragé (Deut 13.12; 21.21). En d’autres termes, les coupables doivent parfois être punis publiquement pour décourager d’autres individus à les imiter. Mais l’effet dissuasif n’a des conséquences positives que dans la mesure où les sanctions sont appliquées systématiquement et sans distinction de race, de sexe ou de statut social. L’utilitarisme biblique n’est jamais une finalité en soi. Tout acte doit être évalué pour lui-même, indépendamment des conséquences. Or, l’Ecriture affirme que les ouvres bonnes entraînent toujours des conséquences positives et les ouvres mauvaises le contraire (voir Ps 1).

L’humanisme individualiste

L’humaniste place l’individu au centre. Ce n’est pas la société qui importe, mais l’individu. L’individu n’est pas fait pour la société, mais la société pour l’individu. L’humaniste craint les lois et les règles, car elles imposent souvent des restrictions inutiles, mais l’humaniste n’est pas antinomiste. Il ne s’oppose pas systématiquement aux lois, mais seulement à celles qui limitent l’épanouissement de l’individu. Il n’est pas fondamentalement «anti», mais «pro», car il ne lutte pas d’abord contre quelque chose (les lois), mais milite en faveur d’un idéal (le développement de l’individu).

L’humaniste classique adhérait à un code de vie: l’homme est un être moral et doit respecter son prochain. Aujourd’hui, par contre, l’humaniste est centré sur lui, sur son expérience. Il s’agit de s’affirmer, que ce soit par son travail, par ses loisirs ou par une aventure personnelle. L’engouement massif pour le sport est affranchi de toute finalité disciplinaire ou idéologique. Selon Lipovetsky, «la musculation morale de l’homme (Coubertin) s’est changée en ego building». La morale doit être fête.

L’humaniste moderne fait fi des obligations et des devoirs de l’individu, mais revendique ses droits: «droit au bonheur», «droit au plein accomplissement de soi», «droit de chacun de disposer de soi-même, et notamment de son corps». L’important est le bien-être. Il faut «s’éclater», vivre toutes les sensations imaginables. Parallèlement, les aspects négatifs de la vie doivent être minimisés: le suicide est excusé et l’euthanasie volontaire peu à peu légitimée, au nom du droit de ne pas souffrir et de choisir sa propre mort. Le bonheur individuel est érigé en valeur absolue. «A l’obligation s’est substituée la séduction; le bien-être est devenu Dieu, et la publicité son prophète» (Lipovetsky, Le crépuscule du devoir). Le bien et le mal n’appartiennent plus à la métaphysique, mais au monde matériel. Il faut écarter les restrictions du passé, déculpabiliser le plaisir, interdire les interdits, et finalement attaquer et dépasser les frontières matérielles. Erigée en dieu, la jouissance personnelle doit être illimitée.

L’humanisme moderne oublie que l’homme est un être social, et que toute vie communautaire nécessite des règles qui coordonnent le comportement entre les hommes. Or ces règles ne peuvent pas plaire à tout le monde tout le temps. Positivement, on ne peut qu’approuver le respect accordé à l’individu par l’humaniste. La Bible attache d’ailleurs aussi une grande valeur à l’individu, car chacun est créé à l’image de Dieu. Les Ecritures n’idéalisent jamais l’homme, car il n’est pas la référence finale. C’est Dieu qui est Dieu, et personne d’autre ne peut fixer les règles absolues. Une éthique divine protège d’ailleurs les hommes de l’arbitraire et des modes changeantes.

Le situationnisme

L’éthique de situation se résume à un principe moral: l’amour du prochain. Aimer son prochain est bien, ne pas aimer son prochain est mal. Toute parole supplémentaire est superflue, car aucune autre règle de vie n’est absolue.

L’expression de l’amour ne peut jamais être définie par avance, car les situations auxquelles l’homme est confronté varient à l’infini. L’amour doit toujours s’adapter, sans cesse trouver une expression nouvelle. Certes, certaines lois morales peuvent nous guider, mais elles ne doivent jamais nous contraindre. Seul l’amour est contraignant, seul l’amour est absolu.

L’amour entre un homme et une femme s’exprimera le mieux dans le cadre du mariage, car une relation stable, protégée par des engagements publics, offre la meilleure garantie de succès… Les conjoints, assurés d’un amour réciproque, peuvent se donner sans retenue… L’éthique de situation s’appuie sur les dix commandements pour conseiller le mariage comme cadre de l’amour, mais l’éthique de situation ne se laisse pas enfermer par un modèle. L’amour dépasse le mariage, et trouve, parfois, un meilleur cadre pour une relation sexuelle.

L’éthique de situation est ouverte à tous les comportements, du moment qu’ils sont l’expression de l’amour. Par amour, on peut mentir à son prochain pour lui épargner une souffrance, marier des homosexuels, commettre un avortement, administrer un poison à un malade qui ne veut plus vivre (euthanasie active)…

Les limites d’une telle éthique sont manifestes. Tout comportement peut être justifié, puisque l’amour ne s’exprime jamais par des formes fixes. Sur le plan d’une société, l’éthique de situation sombre rapidement dans le laxisme.

Malgré ses faiblesses, l’éthique de situation a le mérite de placer l’accent sur l’amour du prochain. Elle reconnaît aussi avec raison la complexité de la vie sociale, et son souci d’offrir un cadre directeur à une société en transformation doit être salué. Ces éléments rapprochent l’éthique de situation de l’éthique biblique.

L’éthique biblique

Dieu a donné aux hommes une éthique de vie qui valorise l’individu. C’est une éthique adaptée à la réalité et à la diversité de la vie. Elle donne des références concrètes, tout en étant assez flexible pour répondre aux besoins d’une société en mutation.

Malheureusement, cette éthique est souvent mal comprise. Elle est caricaturée et présentée comme un carcan étouffant la vie, une liste d’interdits et de rabat-joie dont il faut se libérer le plus rapidement possible. Dans le meilleur des cas, on n’apprécie que quelques commandements, estimant les autres dépassés, voire mauvais dès leur origine. Même les chrétiens sont gênés par certaines lois morales de l’Ancien Testament, car ils ne voient pas comment les prescriptions relatives à l’esclavage ou à la peine de mort pourraient être bonnes. Dans le Nouveau Testament, les propos de Paul sur la position de la femme étonnent et gênent plus d’un lecteur moderne !

Pour faire justice à l’éthique biblique, il faut étudier le contexte de chaque prescription et, surtout, saisir les caractéristiques fondamentales de l’éthique biblique.

Dieu est la référence du bien

Dieu est le point de départ de l’éthique biblique. Les lois morales sont toujours présentées comme l’expression même de la pensée divine. Moïse n’a pas adapté les lois des peuples environnants, mais il a reçu toutes les prescriptions, morales et rituelles, par révélation sur le mont Sinaï. Le code mosaïque est parfait, saint et caractéristique de Dieu. Précisons que nous parlons ici des lois et non des comportements, car le peuple élu a souvent été rebelle à l’Éternel.

L’éthique biblique est l’expression de la volonté divine. Or Dieu est, par excellence, la référence au bien. Il est le Créateur. Il parle, et la chose est. Toute créature tire son existence de lui. Si les hommes sont des êtres constitués d’une tête, d’un corps, d’un cour, de deux poumons, d’intestins, etc., c’est parce que Dieu en a décidé ainsi. Puisqu’il est le Créateur, il est normal qu’il soit aussi la référence en matière éthique. Si les hommes ont une conscience, contrairement aux pierres, aux plantes et aux animaux, c’est parce que Dieu leur en a donné une ! Tout homme est créé avec une conscience, une sorte de corde sensible qui réagit au bien et au mal, parfois imparfaitement parce que les hommes se sont endurcis.

Vouloir chercher une définition du bien en dehors du Dieu Créateur est absurde. Ce que lui considère comme bien, est bien par définition; ce qu’il décrète mal, est mal par définition.

Le mal n’est pas fondamentalement du domaine physique, mais métaphysique, car le monde matériel créé par Dieu est considéré comme très bon au terme de l’acte créateur (Gen 1.31). Le mal «physique» ne fait son apparition que par la suite, et résulte de la désobéissance de l’homme à Dieu (Gen 3). Les malédictions physiques ne sont que la conséquence du mal moral. Les éthiques matérialistes oublient l’essentiel, quand elles lient le mal à la matière.

Structure des lois bibliques

La quantité et la variété des lois bibliques laissent perplexe. Certaines lois paraissent fondamentales, d’autres secondaires, d’autres encore dérisoires et inutiles. Il est important de saisir la structure et la relation de ces lois les unes avec les autres.

Selon Jésus, toute la loi est chapeautée par deux commandements: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cour, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Mat 22.37-39). L’amour est le fil conducteur de toute l’éthique biblique, mais contrairement à l’éthique de situation, l’éthique biblique ne laisse pas l’amour sans définition. L’amour selon la Bible se matérialise dans des comportements précis. Les diverses lois morales dans l’Ancien et le Nouveau Testament indiquent comment l’amour s’incarne dans la vie des hommes.

Les dix commandements tiennent une place importante dans l’éthique biblique, car ils se situent entre les deux commandements de l’amour et les autres prescriptions. Les dix commandements sont les premiers à donner un contour à l’amour. Les trois premiers développent l’amour envers Dieu, et les sept suivants, l’amour envers son prochain. Celui qui aime Dieu «n’aura pas d’autres dieux… ne se fera pas de statue… ne prendra pas le nom de l’Eternel en vain…» Celui qui aime son prochain «ne commettra pas de meurtre… ne commettra pas d’adultère… ne convoitera point…», et ainsi de suite. L’amour du prochain implique le respect de la vie, de l’unité conjugale, de la propriété, de la parole donnée.

Les autres ordonnances de l’Ancien Testament développent à leur tour les dix commandements et précisent leur portée. Le respect de la vie est affirmé dans le sixième commandement («Tu ne commettras pas de meurtre», Ex 20.13), puis il est développé par diverses prescriptions dans Ex 21.12- 36. Dieu indique à son peuple comment doit être traité l’agresseur qui ne respecte pas la vie de son prochain. Ainsi, on apprend que le meurtrier doit être tué (Ex 21.12). En d’autres termes, celui qui n’a aucun respect pour son prochain au point de tuer un innocent doit mourir. Il faut bien comprendre que cette loi n’est pas barbare, mais reflète et développe le commandement de l’amour du prochain. Aimer son prochain, c’est tout faire pour protéger les innocents… Par conséquent, les meurtriers doivent être punis par la peine la plus sévère: la mort. Tout risque de récidive est écarté, car plus jamais un innocent n’aura à mourir de la main de ce meurtrier (Deut 24.7).

Après cette première prescription sur la sanction relative au meurtre, le législateur considère différentes situations pour délimiter le «domaine» du meurtre. Celui qui tue un innocent par accident ne doit pas mourir, mais simplement se retirer temporairement de la vie courante (Ex 21.13). Par contre celui qui brutalise ses parents manifeste un tel irrespect de la vie qu’il doit mourir (Ex 21.15). Il en est de même pour celui qui se livre à la traite des esclaves (Ex 21.16). Dans les deux cas, l’agresseur n’a tué personne, mais son acte est assimilé au meurtre, car comme pour le meurtre, l’homme n’a eu aucun respect pour la vie. Le souci de toutes ces lois est le même: concrétiser le commandement de l’amour du prochain en défendant le respect de la vie.

Chaque loi morale du code mosaïque développe et éclaire un des dix commandements. Il faut bien comprendre que le Pentateuque ne contient pas un code exhaustif qui traite de toutes les situations; il contient uniquement des prescriptions illustratives qui indiquent dans quel sens il faut comprendre les dix commandements.

Plusieurs situations envisagées sont des cas très particuliers. Les cas d’école, loin d’être inutiles, permettent de voir la portée des grands principes. Les vingt-cinq versets relatifs au sixième commandement enseignent qu’un voleur ne doit jamais être tué (Ex 21.12-36). La vie d’un homme vaut plus que tout l’or du monde. Par contre, celui qui tue un voleur parce qu’il croyait avoir affaire à un meurtrier ne sera pas condamné, car la légitime défense est toujours autorisée (Ex 22.1-3). D’autre part, le meurtre du plus petit des humains, qu’il s’agisse d’un enfant à naître ou d’un esclave, doit être sanctionné par la peine capitale. Le message est clair: aux yeux de Dieu, c’est la vie innocente qui est précieuse et non d’abord celle d’un être développé… La valeur de la vie humaine ne dépend ni du stade de développement ni du statut social, mais du fait d’être créé à l’image de Dieu (Gen 1.26-27). Les hommes ont une valeur immense dès leur conception. Seule une faute morale grave, comme le meurtre, est une raison suffisante pour les priver de la vie.

Le Nouveau Testament prolonge l’Ancien

Le Nouveau Testament s’inscrit dans la continuité de l’Ancien Testament. Dieu est immuable et ne change pas d’éthique. La lumière du Christ est simplement plus grande. Le principe de l’amour ressort encore mieux. En plus des paroles de Jésus déjà citées, on peut rappeler celles qu’il a prononcées dans le Sermon sur la montagne: «Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites- le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes» (Mat 7.12), et les paroles de Paul aux Romains: «L’amour ne fait point de mal au prochain: l’amour est donc l’accomplissement de la loi » (Rom 13.10).

Jésus souligne que l’application littérale des lois morales de l’Ancien Testament n’est pas suffisante. Pour accomplir la volonté divine, il ne suffit pas de ne pas commettre de meurtre, mais il faut encore éviter toute colère envers son prochain (Mat 5.21-26). De même, il ne faut pas seulement ne pas commettre d’adultère, mais encore refuser d’entretenir toute pensée d’infidélité (Mat 5.27-30). Le principe de l’amour est fondamental. Les dix commandements orientent l’amour, 24 REGARDS SUR L’OCCIDENT mais ne le limitent pas. Un meurtrier transgresse le sixième commandement, mais celui qui ne commet pas de meurtre n’a pas rempli toutes ses obligations envers le sixième commandement. Le respect de la vie d’autrui va plus loin !

Certains commentateurs évoquent le Sermon sur la montagne pour dire que Jésus s’est opposé à l’éthique de l’Ancien Testament. Comme preuve, ils citent les célèbres paroles de Jésus: «Vous avez entendu dire… mais moi je vous dis» (Mat 5.21, 27, 31, 33, 38, 43). Une étude du contexte et du vocabulaire indique, cependant, que Jésus ne s’oppose pas à l’Ancien Testament, mais à l’enseignement des scribes et des pharisiens (Mat 5.17-20; 7.28-29), ainsi qu’à leur interprétation des Ecritures. Jésus commence par souligner son plein accord avec la révélation passée («Pas un seul iota ou un seul trait de lettre ne disparaîtra de la loi, jusqu’à ce que tout soit arrivé», Mat 5.18). Puis, il préface chaque critique d’un enseignement, par le verbe entendre («Vous avez entendu dire»), afin d’indiquer qu’il fait référence à la tradition orale rabbinique, et non à l’Ecriture, introduite généralement par l’expression «il est écrit».

Aucune parole de Jésus ne contredit un enseignement moral de l’Ancien Testament. Par exemple, Jésus ne conteste pas le principe de la loi du talion, mais certaines applications de cette loi (Mat 5.38-42). Dans l’Ancien Testament, l’expression «Oil pour oil, et dent pour dent», est toujours mentionnée à l’occasion d’offenses graves à la vie (Ex 21.24; Lév 24.20; Deut 19.21), alors que Jésus cite des offenses mineures où la vie n’est pas menacée. Il dit: «Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre». Jésus précise que l’agression est sur la joue droite. Donc, la personne n’est pas frappée du poing, mais du revers de la main (un droitier qui frappe, de face, le visage de son adversaire l’atteint sur la partie gauche). Diverses traductions modernes transmettent ce sens en traduisant le verbe rapizô par gifler au lieu de frapper (TOB, Français courant, Semeur). Jésus ne s’oppose pas à la loi du talion telle qu’elle est appliquée dans l’Ancien Testament. Il s’oppose à l’extension de cette loi, dans des domaines où l’individu n’est pas menacé, mais simplement humilié.

On peut penser également au pardon accordé par Jésus à une femme adultère (Jean 8.3-11), comme à une opposition aux lois morales de l’Ancien Testament. En effet, celles-ci demandaient la peine capitale pour une telle offense (Deut 22.22). Une étude du contexte montre pourtant le contraire. Lorsque les scribes et les pharisiens demandent à Jésus s’il est permis de lapider les adultères, comme Moïse l’a prescrit, ils ne s’intéressent pas à la question éthique, mais cherchent simplement à piéger Jésus. Une réponse affirmative ou négative leur aurait permis d’accuser Jésus, puisque Moïse demandait la lapidation, mais que l’autorité romaine l’interdisait !

Jésus ne tombe pas dans le piège et ne répond pas à la question éthique, mais à l’attitude des accusateurs: «Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre! » Puisque les scribes et les pharisiens s’efforcent de condamner un innocent – Jésus, ils ne sont pas qualifiés pour exercer la charge de juge. Quant à Jésus, il ne condamne pas la femme après le départ des accusateurs. Son pardon ne contredit pas la loi sociale mosaïque qui devait punir les transgresseurs… Le ministère de Jésus était loin de celui d’un magistrat ! D’autre part, aucune accusation contre la femme ne pouvait être retenue, puisque les accusateurs s’étaient reconnus coupables.

L’éthique du Nouveau Testament s’inscrit donc dans la prolongation de celle de l’Ancien. Les seules prescriptions de l’Ancien Testament que le Nouveau considère comme dépassées sont d’ordre rituel et non pas moral. Il s’agit des lois relatives aux aliments (Act 10.10-16; 1 Cor 8), aux sacrifices (épître aux Hébreux) et aux jours fériés (Rom 14.5-8). Ces lois dépendaient de l’ancienne alliance et avaient pour but de préparer la venue de Christ. Sous la nouvelle alliance, elles sont déclarées dépassées. Rien de tel n’est affirmé pour les lois morales. Dieu est immuable et ne change pas d’éthique.

La vie de Jésus

L’éthique biblique trouve sa meilleure illustration dans la vie de Jésus. Il est notre modèle, et se présente comme tel. A peine Jésus a-t-il annoncé sa passion à Jérusalem qu’il ajoute: «Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive» (Marc 8.34). Lors du dernier repas, il lave les pieds de ses disciples et leur demande de faire de même: «Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné un exemple, pour que vous fassiez comme je vous ai fait» (Jean 13.14-15).

Jésus est l’exemple parfait de l’amour incarné. Mais l’imitation de Jésus ne doit pas, et ne peut pas, se faire «à la lettre» ! Un chrétien n’a pas besoin d’exercer la profession de charpentier jusqu’à l’âge de trente ans, ni de s’engager ensuite dans un ministère itinérant pendant trois ans, avant de mourir en martyr. Il n’a pas besoin de rester célibataire. Il n’a aucune obligation d’être aussi démuni que Jésus, de ne rien posséder et de dépendre entièrement de la libéralité d’autrui. Quand Jésus dit que, pour le suivre, il faut prendre sa croix, il n’attend pas une obéissance littérale. C’est l’esprit qui importe, le principe, et en l’occurrence le renoncement à soi. Un disciple de Jésus doit renoncer à lui-même, et il doit le faire pour les mêmes raisons que Jésus: non par ascétisme, mais par amour de Dieu et du prochain. L’amour doit toujours être au centre. Cet amour s’incarne différemment, mais le don de soi, l’humilité et le service doivent toujours être présents.

Paul, lui-même, se présente comme l’imitateur de Jésus sans pour autant le suivre à la lettre. Concernant la liberté avec laquelle Paul mange de tous les aliments, l’apôtre évoque l’exemple de Jésus: «Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Christ» (1 Cor 11.1). Pourtant, Jésus ne semble jamais avoir usé de cette liberté, car il ne vivait pas dans une société païenne ! Paul discerne simplement chez Jésus une liberté par rapport aux questions alimentaires, qu’il étend à d’autres situations (voir Marc 2.13-27). D’ailleurs, Jésus s’est aussi référé à la liberté qu’avait eue David de manger des aliments réservés aux sacrificateurs, pour justifier la liberté prise par ses disciples d’arracher des épis de blé le jour du sabbat (Marc 2.23-27). Les deux situations sont différentes, et pourtant, Jésus en cite une pour justifier la seconde. Ces exemples montrent l’importance de comprendre l’esprit dans lequel les lois ont été données. Que ces lois soient rituelles et non morales n’enlèvent rien à notre propos !

Les nouvelles situations éthiques

L’éthique biblique s’adapte à toutes sortes de situations éthiques, car elle est ancrée sur des principes, plutôt que sur des prescriptions particulières. Certes, chaque prescription a sa fonction et sert à éclairer le principe fondamental de l’amour, mais ces prescriptions restent secondaires. Elles ne sont pas une fin en soi, mais une aide. Elles doivent être constamment méditées pour être réactualisées en fonction des besoins changeants de la société.

Les lois sur le jubilé entraînaient d’importantes conséquences sociales. Tous les cinquante ans, la terre retournait à la famille du premier propriétaire (Lév 25.13-17). Cette loi empêchait une concentration massive des moyens de production et permettait aux pauvres de repartir dans la vie. Aujourd’hui, une telle loi ne provoquerait plus les mêmes effets, et elle serait mal adaptée à une société moderne dans laquelle peu de personnes travaillent à la campagne. Respecter «l’esprit» du jubilé ne consiste pas à appliquer littéralement la loi, mais à réfléchir aux conditions nécessaires pour stimuler les démunis à sortir de leur misère, et aux moyens de limiter la puissance des plus aisés. La présence d’énormes fortunes et de monopoles est toujours une menace pour la société.

La loi autorisant les pauvres à glaner permettait la survie des plus démunis. Une récolte était possible. Certes, le travail était pénible, car dans les champs de blé, il fallait se baisser pour chaque épi; mais la difficulté du travail avait son côté positif, car elle décourageait les pauvres à abuser de leur droit et les encourageait à chercher une solution meilleure. Si une telle loi est utile et bonne dans une société où les pauvres ne vivent pas trop loin des campagnes, la loi perd toute pertinence dans les grandes villes. Les pauvres devraient voyager une cinquantaine de kilomètres pour atteindre les premiers champs. Et ils se retrouveraient à des dizaines de milliers, à glaner quelques épis dans les mêmes champs !

Actualiser la loi sur le glanage, consisterait à aider les pauvres à subvenir eux-mêmes aux besoins fondamentaux, tout en veillant à ne pas les placer dans une situation trop confortable qui les découragerait à sortir de leur pauvreté chronique.

Dans le domaine de la construction, une balustrade devait être construite sur le toit, car les toits étaient plats et servaient de lieu de repos (Deut 22.8). Une barrière était donc nécessaire pour empêcher les gens de tomber. Dans un pays où les toits sont inclinés en raison de la pluie ou de la neige, une telle prescription n’a aucun sens, puisque les toits ne servent pas de lieu d’habitation. Par contre, le principe qu’un entrepreneur soit responsable de la sécurité de ses constructions est partout valable.

En médecine, les progrès techniques engendrent sans cesse de nouvelles situations. L’éthique biblique reste néanmoins pertinente en bioéthique, car elle fournit les bases fondamentales de la réflexion. Chacun, si petit soit-il, est créé à l’image de Dieu et doit être traité avec les plus grands égards. Par exemple, dans le domaine de l’expérimentation médicale, les fotus doivent être traités comme les adultes: si une expérience est jugée illégitime sur les individus les plus respectés de la société, elle doit aussi l’être sur les embryons.

L’avenir se fera avec Dieu, ou il ne se fera pas

En guise de conclusion, il est bon de rappeler les paroles de l’Eternel à la génération de Moïse: «J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, pour que tu vives, toi et ta postérité, pour aimer l’Eternel, ton Dieu, pour obéir à sa voix, et pour t’attacher à lui: car de cela dépendent ta vie et la prolongation de tes jours» (Deut 30.19-20). La société occidentale a profité de l’éclairage divin pendant des siècles, mais aujourd’hui, les valeurs bibliques sont de plus en plus rejetées, parce que Dieu lui-même est rejeté… Si le mouvement n’est pas inversé, si un retour à Dieu n’est pas opéré, si ses normes ne sont pas de nouveau prêchées, méditées et respectées dans leur «esprit», l’avenir du monde ne sera pas meilleur. Les progrès techniques et médicaux auront une odeur de mort, au lieu d’être porteurs de vie. Les forts imposeront leur loi au nom de la morale.

Le problème fondamental de l’homme est moral et spirituel. C’est pourquoi le chrétien place son espérance dans la venue du Christ, car lui seul est capable de changer le cour de l’homme. Lui seul peut établir un monde de justice et de paix… Dans l’attente du royaume messianique, le chrétien s’efforcera d’être un témoin de ce royaume, tant par ses gestes que par ses paroles.

D.A.

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Série : Regards sur l'occident
Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.