Etude biblique
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

L’onction privée du premier roi

DU TEMPS de Samuel, le peuple désire avoir un roi comme en ont toutes les nations (1 Sam 8.5). Dieu fait comprendre au dernier juge que cette demande est l’expression d’une révolte contre l’Éternel: Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux (1 Sam 8.7). Dieu ordonne néanmoins à Samuel de se plier à la demande du peuple et d’établir un roi sur eux (1 Sam 8.22).1

Au début du chapitre 9 de 1 Samuel, l’auteur répond au lecteur qui s’interroge sur l’identité de cet homme. Deux chapitres sont consacrés à l’onction du premier roi. L’auteur commence par raconter les pérégrinations du fils d’un propriétaire parti, avec son serviteur, à la recherche de bétail égaré. Après avoir vainement cherché les bêtes dans plusieurs contrées, les deux hommes décident de consulter le prophète Samuel. Celuici les rassure et les informe que le bétail a été retrouvé. Samuel profite de cette rencontre pour annoncer, en privé, à Saül, le fils du propriétaire, que Dieu l’a choisi comme prochain chef d’Israël. Samuel prédit aussi différents événements qui s’accomplissent le jour même. L’auteur achève la narration par une description succincte de l’onction publique. Devant le peuple réuni, Samuel jette le sort qui désigne Saül (1 Sam 10.17-27).

Le récit de l’onction privée est riche et détaillé. Il est quatre fois plus long que celui de l’onction publique. L’auteur présente Saül, mais pourquoi donner autant de détails? Pour comprendre le sens du texte, il est important de saisir la trame de la narration. Sans ce fil rouge, le lecteur se perd dans les éléments secondaires.

Samuel le voyant

Le thème de la vue domine toute la narration. Les deux personnages importants du récit – Samuel et Saül – en sont marqués.

Samuel se distingue par une connaissance exceptionnelle. Dieu l’informe de l’arrivée imminente de l’homme qui sera le premier roi d’Israël. Le temps et le lieu de la rencontre sont indiqués, ainsi que le ministère du futur chef («Demain, à cette heure, je t’enverrai un homme du pays de Benjamin, et tu l’oindras pour chef de mon peuple d’Israël. Il sauvera mon peuple de la main des Philistins » (1 Sam 9.16). Le lendemain, quand Samuel aperçoit Saül, Dieu lui confirme le personnage («Lorsque Samuel aperçut Saül, l’Éternel lui dit : Voici l’homme dont je t’ai parlé; c’est lui qui régnera sur mon peuple» 1 Sam 9.17).

Samuel témoigne de sa connaissance hors du commun dès qu’il ouvre la bouche. Il sait que Saül cherche des ânesses avant que celui-ci ait pu l’informer de son besoin, et il sait où se trouvent les bêtes recherchées en vain depuis trois jours: «Ne t’inquiète pas des ânesses que tu as perdues il y a trois jours, car elles sont retrouvées» (1 Sam 9.20).

Le lendemain, Samuel annonce à Saül toute une série de signes précis qui se réalisent le jour même (1 Sam 10.2-13). Samuel décrit quatre rencontres dont Saül sera le témoin. Pour les deux premières, Samuel indique le lieu de la rencontre, le nombre de personnes et le contenu de leur message. La description du deuxième groupe d’hommes est détaillée à l’extrême («Tu arriveras au chêne de Thabor, où tu seras rencontré par trois hommes montant vers Dieu à Béthel, et portant l’un trois chevreaux, l’autre trois gâteaux de pain, et l’autre une outre de vin. Ils te demanderont comment tu te portes, et ils te donneront deux pains, que tu recevras de leur main» (1 Sam 10.3-4). Samuel révèle aussi le lieu de la troisième rencontre (à l’entrée de «Guibea-Élohim, où se trouve une garnison de Philistins»), ainsi que l’identité, l’activité et l’environnement du troisième groupe («Tu rencontreras une troupe de prophètes descendant du haut lieu, précédés du luth, du tambourin, de la flûte et de la harpe, et prophétisant eux-mêmes» (1 Sam 10.5). En dernier lieu, Samuel annonce la rencontre avec l’Esprit de l’Éternel qui suivra immédiatement et transformera Saül («L’Esprit de l’Éternel te saisira, tu prophétiseras avec eux, et tu seras changé en un autre homme» (1 Sam 10.6).

Tous ces signes se réalisent le jour même, exactement de la manière décrite (1 Sam 10.9). Mieux qu’à aucun autre moment de son ministère, Samuel témoigne dans ce récit d’une connaissance parfaite. Il est d’ail-leurs appelé quatre fois «le voyant» (1 Sam 9.9, 11, 18, 19), un terme rarement utilisé dans l’Écriture pour désigner un prophète. En dehors de 1-2 Chroniques, qui utilise l’expression neuf fois, seul le prophète Gad est désigné une fois de «voyant » (2 Sam 24.11).

Saül, un aveugle qui trouve la vue

Saül offre un contraste total avec Samuel, en particulier dans la première partie du récit. La différence entre Samuel et Saül est à l’image du jour et la nuit. Samuel voit tout et sait tout, alors que Saül ne voit rien et ne sait rien.

Saül cherche en vain les ânesses. Il se donne pourtant beaucoup de peine et parcourt plusieurs régions que le narrateur prend soin de nommer (« Saül passa par la montagne d’Ephraïm et traversa le pays de Schalischa, sans les trouver; ils passèrent par le pays de Schaalim, et elles n’y étaient pas; ils parcoururent le pays de Benjamin, et ils ne les trouvèrent pas» (1 Sam 9.4). Cette recherche stérile contient même une note d’ironie quand on sait que Saül est le plus grand des Israélites, «les dépassant tous de la tête » (1 Sam 9.2). Saül n’est pas Zachée et n’a pas besoin de grimper sur un arbre pour voir. Sa stature lui donne en permanence une vue panoramique, mais malgré cet atout, Saül ne voit rien.

Sur le plan spirituel, Saül témoigne aussi d’une cécité profonde. Avant de rencontrer Samuel, il ignore tout du prophète. C’est le serviteur qui doit informer Saül de l’existence et du ministère de Samuel (« Le serviteur lui dit : Voici, il y a dans cette ville un homme de Dieu, et c’est un homme considéré; tout ce qu’il dit ne manque pas d’arriver. Allons-y donc; peutêtre nous fera-t-il connaître le chemin que nous devons prendre» 1 Sam 9.6). Lorsque Saül est en face de Samuel, il ne le reconnaît pas puisqu’il lui demande de le guider auprès du prophète («Saül s’approcha de Samuel au milieu de la porte, et dit: Indique-moi, je te prie, où est la maison du voyant » 1 Sam 9.18). Saül n’a donc jamais vu Samuel et ne semble jamais avoir entendu parler de lui, ce qui étonne, car l’homme était célèbre. Il était juge, prophète et sacrificateur tout à la fois depuis de nombreuses années.2 On ne peut même pas invoquer l’éloignement géographique pour expliquer l’ignorance de Saül, car Guibéa, sa ville natale, n’est éloignée que de cinq kilomètres de Rama, la ville de Samuel. En effet, après s’être éloignés d’une vingtaine de kilomètres au nord-est, Saül et son serviteur étaient revenus partiellement sur leurs pas.

Saül témoigne aussi d’une ignorance de la grâce dans le domaine spirituel. Il pense que les services divins s’achètent puisqu’il estime ne pas pouvoir consulter le prophète sans avoir quelque bien à lui offrir : « Saül dit à son serviteur : Mais si nous y allons, que porterons-nous à l’homme de Dieu? Car il n’y a plus de provisions dans nos sacs, et nous n’avons aucun présent à offrir à l’homme de Dieu. Qu’est-ce que nous avons? » (1 Sam 9.7). Quand Samuel lui annonce que Dieu l’a choisi pour roi, Saül s’estime humainement trop pauvre pour pouvoir accéder à une telle position (« Ne suis-je pas Benjamite, de l’une des plus petites tribus d’Israël ? Et ma famille n’estelle pas la moindre de toutes les familles de la tribu de Benjamin? Pourquoi donc me parles-tu de la sorte ?» 1 Sam 9.21).

Saül ne voit rien, ne discerne rien et ne comprend rien. Sa rencontre avec Samuel va pourtant le transformer, en tout cas temporairement. En effet dès qu’il quitte le prophète, Saül est au bénéfice d’une avalanche de signes. Notons qu’il est le seul à voir ces révélations divines. En effet, le serviteur est écarté avant l’onction de Saül et l’annonce détaillée des prochains événements (1 Sam 9.27). Les rencontres particulières qui attendent Saül n’auront donc aucun sens pour celui qui ignore tout des prophéties. Saül est le seul à connaître les projets de Dieu et à voir son intervention. A son retour, il se garde d’ailleurs d’en parler à son oncle (1 Sam 10.16), ne dévoilant que les éléments connus du serviteur («Saül répondit à son oncle: Il nous a assuré que les ânesses étaient retrouvées. Et il ne lui dit rien de la royauté dont avait parlé Samuel » 1 Sam 10.16).

Par la suite, Dieu confirme son choix devant le peuple (1 Sam 10.17- 27), mais il le fait discrètement au travers du sort. Aucun miracle ou signe irréfutable n’est donné au peuple en confirmation du choix, ce qui explique le scepticisme de certains individus («Il y eut toutefois des vauriens, qui disaient: Quoi ! C’est celui-ci qui nous sauvera! Et ils le méprisèrent, et ne lui apportèrent aucun présent. Mais Saül n’y prit point garde » 1 Sam 10.27).

Le récit de l’onction privée se termine par l’affirmation étonnante que l’Esprit de Dieu s’empare de Saül et qu’il prophétise au milieu des prophètes (1 Sam 10.10). La chose est tellement étonnante qu’elle a donné naissance à un proverbe: « Saül est-il aussi parmi les prophètes?» (1 Sam 10.11-12; cf. 1 Sam 19.24). Le lecteur familier avec l’histoire de Saül partage cet étonnement, car le roi témoigne, par la suite, d’un cour non régénéré. Quelle a été la profondeur de l’expérience de Saül ? Comment comprendre l’affirmation «Dieu lui donna un autre cour» (1 Sam 10.9)? Manifestement, il ne s’agit pas d’une conversion radicale, mais d’une orientation passagère. Pour la première fois de sa vie, Saül dit de bonnes choses sur Dieu. L’accomplissement des prophéties le pousse à reconnaître la grandeur de Dieu et la fiabilité de sa Parole, à l’image d’un Nébucadnetsar qui devant le miracle de la fournaise ardente ne peut que rendre gloire à Dieu (Dan 3.28). Saül prophétise du fait qu’il déclare des choses correctes sur la personne de Dieu. Saül, l’aveugle, finit par voir, car Dieu s’est révélé à lui de manière irréfutable.

Les leçons spirituelles du texte

Trois enseignements se dégagent de ce récit centré sur la cécité et la vue. Pour commencer, Dieu appelle un homme représentatif du peuple. La cécité de Saül (au moment de son appel) fait penser à la cécité du peuple. Saül ne voit rien, tout comme le peuple est aveugle. La demande d’un roi est l’expression d’un égarement profond. Comment peut-on préférer la direction d’un homme à la direction divine? De même que Saül ne reconnaît pas Samuel, alors qu’il est en face de lui, de même le peuple ne reconnaît pas les bienfaits divins, alors qu’il a expérimenté pendant trois siècles la fidélité de l’Éternel.

Deuxièmement, Dieu donne à Saül tout ce dont il a besoin pour une vie sanctifiée, à savoir une claire révélation de sa personne et de ses desseins. Dieu démontre à Saül que sa Parole est digne de confiance et qu’elle s’accomplit à la lettre. Ainsi, Saül se retrouve dans une position identique à Israël dans le passé, puisque la nation a, elle aussi, bénéficié d’une révélation irréfutable.

Troisièmement, la vie ultérieure de Saül montre que la révélation divine ne suffit pas à transformer fondamentalement les cours. Saül est un homme religieux, tout comme Israël est un peuple religieux. Dans les deux cas, la révélation divine n’a pas opéré la régénération attendue.

En conclusion, Dieu donne au peuple le roi qu’il demande. Puisque le peuple aspire à être comme les autres nations, Dieu leur donne un roi qui leur ressemble. Ils reçoivent le roi qu’ils méritent : un roi ingrat qui oublie bien vite tous les bienfaits reçus. Ainsi, David se verra persécuté injustement par Saül, malgré les nombreux services rendus au roi. L’auteur de 1-2 Samuel ne relate qu’une action positive de Saül envers son peuple (la libération de Yabéch: 1 Sam 11.1-13), alors qu’il consacre 16 chapitres aux exploits d’autres hommes (Jonathan et David) et aux oppressions de Saül (1 Sam 16-31).

Dieu juge donc son peuple en leur donnant pour roi Saül. Pourtant, Dieu n’en reste pas là. Dans la suite de l’histoire d’Israël, le jugement fait place à la grâce. Le deuxième roi choisi par Dieu est d’un autre genre. David est un homme selon le cour de Dieu, un homme au cour droit. Ses actes de bravoures sont nombreux et David finira par libérer définitivement son peuple des Philistins, leurs plus tenaces ennemis. Certes David n’est pas parfait, mais derrière lui se profile le Messie, descendant de David, qui par le sacrifice de sa vie apportera la rédemption au monde entier. La grâce de Dieu non seulement finit par triompher, mais elle dépasse en grandeur et en profondeur tout ce que l’homme aurait pu imaginer.

D.A.

Notes :
1 Les conséquences pour Israël de la royauté ont été exposées dans le précédent numéro de Promesses: «L’instauration de la royauté en Israël».
2 Notons en passant que Samuel n’attire pas les regards par son apparence, ses habits ne le distinguant pas comme prophète, juge ou sacrificateur, alors que Saül attirait les regards tant par sa stature que sa beauté physique (1 Sam 9.2).

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
Arnold Daniel
Daniel Arnold a été, pendant de longues années, professeur à l’Institut biblique Emmaüs. Membre du comité de rédaction de Promesses, il est un conférencier apprécié et l’auteur de nombreux livres, parmi lesquels des commentaires sur des livres bibliques.