Dossier: 500 ans de la Réforme et 50 ans de Promesses
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Luther et la liberté chrétienne

En 1519, se tînt la dispute de Leipzig, dispute qui marquera les principales différences entre les doctrines protestantes et catholiques et qui aura pour principaux sujets le pouvoir du pape et l’autorité de l’Église en matière de doctrine, le libre-arbitre de l’homme face à la grâce divine et les indulgences. Luther, à l’issue de cette dispute, rédigea en 1520 son traité sur « la liberté chrétienne ».

1. Les œuvres, la foi et la Parole

Luther introduit son traité par l’affirmation que la foi chrétienne est cette source d’eau vive dont parle Jésus-Christ et qui jaillit jusque dans l’éternité. Cette déclaration est une idée révolutionnaire pour le clergé en ce début de XVIe siècle. Comment la comprendre ? Luther va exposer, expliquer et argumenter cette vérité tout au long de son écrit. Il commence en formulant deux propositions relatives à la liberté et la servitude spirituelles : « Le chrétien est un homme libre, maître de toutes choses ; il n’est soumis à personne. Le chrétien est un serviteur plein d’obéissance, il se soumet à tous » et argumente en faisant appel aux versets de 1 Cor 9.19 et Rom 13.8. Il fixe d’emblée le cadre de la dualité de ces deux propositions : l’amour. L’amour ne cherche qu’à servir et à se soumettre à l’objet aimé. Luther fait ici un parallèle avec Jésus-Christ en déclarant que Christ, bien que Seigneur et Maître, a accepté de se soumettre en se plaçant sous la loi comme serviteur. Pourquoi une telle attitude ?
De par sa nature, l’homme régénéré est à la fois un être spirituel ¬— la nouvelle créature — et un être charnel — l’ancienne créature. Luther définit l’âme comme étant l’homme intérieur et le corps comme étant l’homme extérieur. Il a compris que c’est l’âme qui réclame le salut et la justice, non le corps. Le corps se dégrade, l’âme se renouvelle de jour en jour (2 Cor 4.16). Le corps charnel, par ses œuvres, ne saurait produire la justice et la liberté. Ce ne sont ni les passions ni les privations qui rendent l’âme libre quant au salut. Les œuvres ne peuvent sauver sinon la Parole serait inutile. Or la Parole amène l’âme à la vie et à la justice (Mat 4.4) mais c’est la foi qui justifie.
« L’âme ne trouve sa vie, sa liberté et sa justice, que dans la sainte Parole de Dieu, dans l’Évangile de Christ ». Luther mentionne un détail intéressant concernant la Parole : lorsque Dieu veut exprimer sa colère envers les hommes, il leur retire sa Parole, mais lorsqu’il veut leur faire grâce, il la leur donne (Amos 8.11-12 ; Ps 107.20). Dès lors que Dieu donne sa Parole, elle amène l’homme à croire en l’œuvre rédemptrice de Jésus en sa faveur (Rom 1.17 ; 10.4, 9-11,17). Aller jusqu’à considérer que la justification peut se trouver simultanément dans la foi et les œuvres, ne saurait se légitimer ; c’est la pensée des adorateurs de Baal, c.-à-d. ceux qui idolâtrent d’autres moyens d’accéder à la grâce que la foi qui, seule, justifie. L’impact de la foi permet à l’homme de se rendre compte de son état de pécheur et de sa misère. Il comprend dès lors la nécessité de la venue de Christ et de son sacrifice expiatoire pour obtenir la rémission des péchés (Rom 3.10-12,23).
Luther va encore un pas plus loin en affirmant d’une part que les œuvres extérieures, de quelque ordre qu’elles soient, n’ont aucune puissance pour affranchir et sauver l’homme, et d’autre part que le péché extérieur, à savoir les actions visibles, n’a pas davantage la capacité de rendre l’âme coupable, de l’asservir et de la condamner. Seules l’impiété et l’incrédulité du cœur condamnent et asservissent l’âme. Certes, c’est l’incrédulité qui empêche l’homme d’être justifié, mais n’oublions pas que les mauvaises œuvres le jugent. Les idées de Luther étaient révolutionnaires dans une société qui enseignait que les œuvres avaient la capacité et la puissance de sauver et que l’achat d’indulgences était assez puissant pour écourter le séjour dans un hypothétique purgatoire. Le clergé s’était égaré dans ses traditions, plaçant les œuvres au-dessus de la foi. Luther ne fait que revenir aux Saintes Écritures en affirmant que la foi seule justifie. Cette idée traverse tout le traité, il la rappelle à maintes reprises.
Arrêtons-nous un instant sur l’incrédulité. L’incrédulité est l’antonyme de la foi. Si la foi justifie, l’incrédulité condamne. Nous voyons déjà qu’au sein du peuple d’Israël dans le désert, Dieu n’a pas fait entrer dans son repos, c.-à-d. entrer en terre promise, ceux qui étaient incrédules (Héb 3.17-19). Paul dira aussi dans l’épître aux Romains 11.20 : « Cela est vrai ; elles [les branches c.-à-d. une partie du peuple juif] ont été retranchées pour cause d’incrédulité, et toi, tu subsistes par la foi. » L’incrédulité condamne (voir Jean 3.18), les mauvaises œuvres n’ont point cette capacité, elles en sont la conséquence et la démonstration.
Au lieu de s’appuyer sur les œuvres qui n’ont aucune efficacité, il convient de croître dans la foi et dans la connaissance en Jésus-Christ, non dans la connaissance du mérite des chrétiens. Luther souligne à ce sujet le texte de Jean 6.28-29 en indiquant que la seule œuvre à accomplir est de croire en Jésus-Christ. La foi est l’entièreté et l’accomplissement de la loi, qui inonde le croyant de sa justice en sorte qu’il n’a plus besoin d’autre chose (Rom 10.10). Luther interroge donc le lecteur : si la foi octroie la justification à l’âme, alors pourquoi pratiquer tant d’œuvres, de cérémonies et de lois ?

2. Les préceptes et les promesses

Luther associe les préceptes à l’Ancien Testament, et les promesses au Nouveau Testament. Les préceptes enseignent ce qui est bien, ce qu’il faut faire mais ils ne donnent ni la capacité ni le pouvoir à l’homme de faire ce bien, révélant ainsi l’homme à lui-même. Les promesses sont la manifestation de la gloire de Dieu, par Jésus-Christ, or si nous croyons en lui, la grâce, la justice, la paix et la liberté nous sont offertes . Pourquoi faut-il le précepte alors que ce serait bien plus facile de bénéficier immédiatement de la promesse ? Les deux vont de pair et Luther en montre la nécessité : « Il faut donc prêcher aux âmes la Parole de Dieu dans sa plénitude, l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, la loi et la grâce : la loi pour effrayer le pécheur, lui donner la connaissance de son iniquité, l’amener à la pénitence, à l’amendement de sa vie. Mais en rester là, c’est blesser et ne point panser la blessure, c’est frapper et ne pas guérir, c’est tuer et ne pas rendre la vie, c’est conduire en enfer et n’en point retirer, c’est abaisser et ne pas relever. C’est ici que doit intervenir la prédication de la grâce et des promesses de Dieu. Sans elle, c’est vainement qu’on enseigne la loi, la contrition, la pénitence et les œuvres satisfactoires. » En résumé, la promesse donne ce que le précepte réclame. L’homme est donc justifié par la foi car il prend conscience de son état de condamné et se repent en croyant de tout cœur qu’il ne peut, par ses œuvres, être justifié, encore moins sauvé. Seule la grâce de Dieu peut empêcher la condamnation, s’il veut bien y croire.

3. L’amour, les œuvres bonnes et le prochain

C’est en comprenant qu’il est l’objet de la grâce de Dieu que l’homme se sait alors aimé de Dieu. Cet amour, pénétrant au plus profond de lui, le transforme et lui donne le désir d’accomplir des œuvres bonnes. Luther écrit : « L’âme sanctifiée par la foi et pleine de l’amour de Dieu veut aussi sanctifier son corps et le purifier de ses convoitises mauvaises. […] elle accomplit dans cette intention toutes sortes de bonnes œuvres, mais l’amour de Dieu est l’unique mobile de son activité ». Le produit de l’amour est une âme libre, heureuse et dévouée, insouciante de la gratitude et de l’ingratitude des hommes. Luther prend plusieurs exemples pour illustrer cette idée. Je ne retiens ici que l’exemple d’Adam et d’Ève qui, alors qu’ils étaient encore dans le jardin d’Éden, avaient pour tâche de cultiver le jardin. Cette activité avait d’une part pour motif l’obéissance à l’ordre divin, donc d’aimer Dieu, et d’autre part que l’homme ne reste point oisif. Adam et Ève n’avaient pas péché, ils étaient donc sans autre, reconnus pour justes devant Dieu. L’œuvre de cultiver le jardin n’avait pas pour impératif le salut de leur âme. Le chrétien justifié par la foi accomplit les œuvres bonnes de manière similaire à Adam et Ève avant la chute. Comme pour eux, les œuvres bonnes ne procurent au chrétien aucune justice, mais lui donnent une activité qui démontre son attachement et son amour pour Dieu.
Ces œuvres bonnes ont plusieurs utilités, toutes très concrètes. Premièrement, elles servent à éteindre les mauvaises convoitises. Deuxièmement, elles servent à ce que les hommes, les voyant, glorifient Dieu (Mat 5.16 ; 1 Pi 2.12). Troisièmement, si les œuvres n’étaient tournées que vers soi-même, elles ne serviraient à rien ; mais Dieu veut qu’elles servent au bien commun entre les hommes (Phil 2.1-4). Luther l’exprime ainsi : « que le membre robuste assiste le membre faible, que pleins de sollicitude réciproque nous portions les fardeaux les uns des autres, et qu’enfants de Dieu, nous accomplissions ainsi la loi du Christ. » Il dit aussi : « Plus il aime, plus il cherche à être utile » et reprend l’exemple laissé par le Christ qui « a revêtu une nature humaine, pour agir comme homme au milieu des hommes ».

4. La liberté

Le chrétien est justifié par la foi, Dieu lui fait grâce. Il est donc libre et affranchi vis-à-vis de la perdition éternelle. Le chrétien, de par l’amour que lui témoigne Dieu, ne vit plus sous la loi qui lui impose des rites et des cérémonies, mais vit avec une conscience libre ; il s’assujettit librement à son prochain comme Christ, par amour, s’est assujetti librement à toute l’humanité. Luther écrit : « Et tout en nous soumettant à nos frères, nous n’en sommes pas moins les maîtres du monde. » Si nous sommes donc les maîtres, nous ne sommes plus esclaves, si ce n’est esclaves de Christ. Luther prend plusieurs exemples dont celui de Tite à qui Paul n’imposa pas la circoncision contrairement à Timothée ; les circonstances étaient différentes. Dans le cas de Timothée, c’était afin de ne pas blesser et scandaliser les Juifs en raison de leur faiblesse (Act 16.3). Pour Tite, Paul n’avait pas requis la circoncision, bien que celui-ci ait été grec. Mais parce que des faux frères cherchaient en eux une raison de les accuser, Paul prit cette décision afin ne pas se laisser asservir et perdre ainsi leur liberté (Gal 2.1-5).

5. Enseignement pour aujourd’hui

Cinq siècles ont passé depuis la rédaction de ce traité, le problème de la liberté et comment y parvenir reste d’actualité. Dès lors que nous annonçons l’Évangile, il nous faut prendre garde de ne pas oublier le message de la croix au travers de méthodes d’évangélisation dites « light » (œuvres caritatives, concerts, ateliers divers et variés etc.). Ne recherchons pas de légitimation aux yeux du monde par de telles œuvres car nous risquerions de remplir les bancs de nos églises de faux convertis. Ayons le souci des âmes en expliquant aux perdus la raison pour laquelle ils n’ont aucune part à la félicité éternelle. Les perdus ne peuvent comprendre pourquoi ils sont perdus et que leur destinée est l’enfer si nous, en tant qu’ambassadeurs du Christ, ne les éclairons pas. Demandez aux personnes autour de vous si elles se considèrent comme bonnes, la réponse que vous obtiendrez sera affirmative. Les perdus croient qu’ils font de bonnes œuvres et qu’au jour du jugement, Dieu les agréera car il est amour, si du moins ils consentent encore à croire qu’il existe. Ils se sentent libres de faire ce qu’ils veulent et jugent leurs œuvres recevables. Ils ne cherchent pas à connaître le point de vue de Dieu sur leur vie. Il est donc impératif de les confronter à la jauge divine (les dix commandements) en leur expliquant qu’ils sont coupables et condamnés. Si leurs yeux s’ouvrent et qu’ils se rendent compte de leur incapacité à se justifier au travers de leurs œuvres, ils comprendront d’autant mieux la raison pour laquelle seule la foi justifie et la grâce infinie et imméritée de Dieu les sauve. Ils sauront qu’ils sont aimés de Dieu, et se sentiront libérés du poids de leurs péchés. Ils s’assujettiront à leur prochain en vue d’œuvres bonnes parce qu’un tel fardeau leur sera léger. Ainsi ils seront libres, car ils se placeront volontairement au service de leur prochain. Voilà ce qu’est la liberté chrétienne, voilà ce que Luther a jugé bon de revisiter en faveur de ses contemporains en écrivant ce traité, voilà l’une des raisons qui lui a valu d’être excommunié parce que l’Église avait, pendant tant d’années, fait fausse route, enseignant tristement que les œuvres pouvaient justifier et accorder le salut ; elle ne pouvait pas accepter la vérité que l’incrédulité condamne, seule la foi justifie.

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Herrmann Georges
Georges Herrmann est membre du Comité de rédaction de Promesses. Il est ingénieur diplômé en informatique. Il est marié, sans enfant, et travaille dans la vente de produits pour l’industrie. Il participe à la vie d’une église en Suisse romande.