Maladie et guérison
La santé et la maladie font partie intégrante de notre existence. Pourtant, nous redoutons généralement la souffrance, et le cas échéant, cherchons à guérir au plus vite. Du début à la fin de l’A.T., la maladie est un thème fréquent (9 mentions dans le Second livre des Rois !). Il en est de même dans le N.T. (17 guérisons opérées par Jésus dans le seul Évangile selon Luc). Mais tous ces récits ne font pas de la Bible un ouvrage de médecine : Jésus n’a jamais promulgué ni une doctrine ni une pratique en matière de procédés thérapeutiques ! Et nous serions bien empruntés pour établir des méthodes curatives sur la base des guérisons apostoliques mentionnées dans les Actes (ch. 3, 5, 8, 19, 28).
Dans les épîtres, la maladie et la guérison n’occupent pas une très large place. Mais à l’heure qu’il est, on assiste à une surenchère dans certaines sphères du monde évangélique où la guérison est perçue comme un droit fondamental du chrétien. Dès lors, la confusion et les conflits d’opinion vont bon train : est-il normal de tomber malade ? faut-il toujours espérer la guérison ? La palette de réponses est variée.
Le sujet mérite notre réflexion. Pour limiter notre étude, nous nous focaliserons sur Jacques 5.13-18, le seul passage des Épîtres qui traite spécifiquement du sujet et qui suggère le chemin à suivre dans le traitement d’un certain type de maladie. Approchons ce texte avec le maximum d’objectivité et par le menu, en écoutant Jacques, le demi-frère de Jésus, qui fut un responsable important de l’église de Jérusalem.
Le texte dans la traduction Louis Segond, Nouvelle édition de Genève 1979
13. Quelqu’un parmi vous est-il dans la souffrance ? Qu’il prie. Quelqu’un est-il dans la joie ? Qu’il chante des cantiques.
14. Quelqu’un parmi vous est-il mala¬de ? Qu’il appelle les anciens de l’église, et que les anciens prient pour lui, en l’oignant d’huile au nom du Seigneur ;
15. la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le relèvera ; et s’il a commis des péchés, il lui sera pardonné.
16. Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. La prière agis¬sante du juste a une grande efficacité.
17. Élie était un homme de la même na¬ture que nous : il pria avec instance pour qu’il ne pleuve point, et il ne tomba point de pluie sur la terre pendant trois ans et six mois.
18. Puis il pria de nouveau, et le ciel donna de la pluie, et la terre produisit son fruit.
Voici ce que révèle l’analyse détaillée de ce passage, à partir des textes originaux.
Verset 13
« est-il dans la souffrance » : litt. souffre-t-il (le verbe signifie : être dans une mauvaise situation, être réduit aux extrémités, cf. 2 Tim 2.3,9 ; 4.5). Le terme a un sens large.
« qu’il prie » : La solution aux contrariétés, aux persécutions, aux problèmes est simplement la prière. Et pour celui qui est dans la paix de la joie, qu’il chante et adore avec louanges !
Verset 14
« est-il malade » : Le verbe utilisé (être faible, malade) a donné l’adjectif « asthénique », qui indique un manque de force, de vitalité physique ou psychique, un état de dépression, de faiblesse (Petit Robert). Jacques fut conduit à employer ce mot pour décrire un chrétien réduit à un état continuel de fatigue et de faiblesse, surtout physique et/ou psychique (cf. 1 Cor 2.3 ; 15.43 ; 2 Cor 10.10 ; Héb 4.15 ; 5.2 ; 7.28). Ce verbe est employé 20 fois (surtout dans les Évangiles et dans les Actes) pour évoquer la faiblesse, la maladie physique (sans précision quant à la nature du mal), et au moins 12 fois pour désigner ceux qui sont faibles, affaiblis psycho-spirituellement (Rom 4.19 ; 8.3 ; 14.1,2,21 ; 1 Cor 8.9,11,12 ; 2 Cor 12.10 ; 13.3,4,9). Une situation psycho-spirituelle asthénique d’abattement engendre souvent apathie et fragilité physiques. Jacques n’a utilisé ni le terme maladie au sens physique dans la majorité des réf. du N.T., ni paralysie. Le contexte doit nous servir d’arbitre pour opter entre le sens de maladie physique grave, ou de faiblesse spirito-psycho-somatique. Nous penchons pour cette dernière acception, forts :
– des douze références parallèles citées ci-dessus,
– de la mention d’Élie dans les versets 17 et 18 (cf. 1 Rois 18-19) : celui-ci n’a pas été malade physiquement, mais plutôt psychiquement et spirituellement, pour un temps limité.
« qu’il appelle les anciens de l’Église » : L’« asthénique » lui-même prend l’initiative (et non ses proches) d’appeler les anciens. Deux titres sont donnés aux hommes qui occupaient cette fonction : le premier désigne un homme d’un certain âge ayant acquis une vaste expérience de la vie, sachant parler et agir avec sagesse ; le second, littéralement « évêque », s’applique à celui qui surveille, administre (cf. 1 Tim 3.1-7 ; Tite 1.5-9 ; Act 20.17,28 ; Phil 1.1). Le titre d’anciens désigne les membres d’un collège de dirigeants aux qualités dûment reconnues .
« en l’oignant d’huile » : Le verbe « oindre » n’est pas celui utilisé pour faire une onction sacrée ; il veut dire : frictionner, graisser, enduire, étaler ou appliquer de l’huile sur le corps pour le détendre, le renouveler ou soigner des plaies (cf. Luc 10.33-34). L’huile d’olive (avec son action apaisante) et le vin (comme désinfectant) comptaient parmi les agents thérapeutiques les plus courants de la médecine populaire. Cette onction est donc de nature médicale ; elle suggère que les anciens étaient autorisés à admettre l’utilisation de médicaments en parallèle à leur secours spirituel et fraternel. La recommandation de Jacques n’a pas toujours été comprise ainsi : la pratique actuellement très répandue qui consiste à verser quelques gouttes d’huile sur la tête ou sur le front du malade en lui imposant les mains de manière rituelle ne me semble pas suivre son enseignement dans ce cas précis.
« au nom du Seigneur » : En prononçant le nom du Seigneur, les anciens reconnaissent publiquement que leur acte et leur autorité honorent la volonté du Seigneur, et non la leur. Prier « au nom du Seigneur » ne tient ni de la magie, ni du ritualisme. De plus, ce n’est pas l’énonciation de ces mots qui va opérer la guérison. « Au nom du Seigneur, je te guéris » n’est pas une formule dont la récitation mécanique va automatiquement être accompagnée d’un miracle.
Verset 15
« la prière de [la] foi » : Chacun des anciens dûment qualifiés doit avoir confiance que le Seigneur va guérir l’« asthénique ». Au préalable, ils vont se renseigner pour bien saisir le fond de la situation, avant de se lancer dans cette entreprise de si haute importance. Il se peut que les anciens, discernant l’état moral et spirituel du demandeur, concluent que le Seigneur a un autre plan que la guérison (cf. 1 Cor 5 ; 2 Tim 4.20). La « prière » (e??? : requête basée sur un besoin légitime) « de [la] foi » est exigée des anciens entourant le malade. Trop souvent des guérisseurs itinérants, lors de grandes réunions, proclament leur capacité de guérir tout visiteur de tout mal. Lorsqu’une guérison ne s’effectue pas, on déclare : « C’est la faute du malade qui n’a pas assez de foi ! » … et tout le monde s’en contente. Or, Jacques précise que ce sont les anciens locaux qui doivent manifester la foi nécessaire à la guérison (cf. Marc 2.3-5). Toute la scène se passe en privé chez le faible-malade, pas en plein air devant des milliers de gens « traités » à la chaîne. Notons bien que c’est la « prière de [la] foi » et non l’onction qui agit efficacement !
« sauvera » : Le sens étymologique du verbe est « délivrera, émancipera » l’affaibli de son état de faiblesse, de fatigue ; ce contexte n’a rien à voir avec l’acte du salut éternel. Le Seigneur va le relever, le restaurer à sa vigueur antérieure.
« le malade » : C’est ici l’adjectif verbal substantivé du verbe ??µ?? (être fatigué ; être souffrant), employé ailleurs dans le N.T. uniquement en Héb 12.3-4 et Apoc 2.3, où il s’agit de la fatigue, de la lassitude, de l’épuisement résultant des assauts constants du monde, des incroyants ou des faux frères pour faire tomber l’enfant de Dieu. Ces assauts sans fin sapent la résistance jusqu’à produire la lassitude, le manque de force pour résister. Un frère affligé d’un tel burn-out a besoin de l’aide directe des anciens.
« et s’il a commis des péchés » : C’est une éventualité ; dans le cas où il serait accablé par le poids de péchés particuliers, il est bon qu’il les confesse devant Dieu, après en avoir parlé aux anciens.
« il lui sera pardonné » : Celui qui est devenu captif d’un péché réitéré, cause de son affaiblissement, sera pardonné après s’être repenti par une confession sincère. Quelle promesse de valeur (cf. v. 16) !
Verset 16
« Confessez donc vos péchés les uns aux autres » : Attention, la confession du péché, lorsqu’elle est nécessaire, fait partie intégrante du processus de guérison dans le cas de ce verset, afin que le péché soit pardonné et que le malade soit rétabli. On peut penser que cette confession a lieu après l’appel aux anciens. Voici le déroulement possible de la démarche du malade : il appelle les anciens, expose sa condition psycho-somatique déficiente, reconnaît (ou non, s’il n’a rien sur la conscience) qu’une habitude de pécher l’a amené dans sa condition ; un adjuvant médical est utilisé si nécessaire, tandis que tous prient, chacun à son tour, pour le malade, mais aussi pour soi-même, car chacun se reconnaît pécheur. Les anciens se souviendront probablement de « petits » péchés d’attitude intérieure, de tel ou tel propos déplacé, de telle décision égoïste, à avouer au Seigneur, afin qu’eux aussi soient purifiés et fortifiés dans leur être tout entier, en vue de pouvoir prier avec foi. Notons que tous les noms et les verbes dans ce verset sont au pluriel ! Tous viennent dans l’humilité, prêts à admettre leurs lacunes et leurs manquements les uns devant les autres. L’orgueil et l’attitude de supériorité des anciens, face au frère en piteux état, sont formellement exclus. Les anciens n’ont en eux-mêmes aucune puissance inhérente pour guérir, ils sont eux aussi pécheurs par nature. L’humilité et la compassion authentiques sont donc de mise.
« afin que vous soyez guéris » : Jacques affirme que la confession et la prière par tous sont les clefs de la guérison de l’homme asthénique. Une confession publique ou privée de péchés qui ne serait pas authentique n’est qu’une comédie, une honte. Mieux vaut ne rien dire du tout ou rester à la maison si l’honnêteté n’y est pas. Par ailleurs, il n’y a rien dans la procédure décrite par Jacques qui ressemblerait à une séance de guérisons à la chaîne sans confession explicite des péchés, et sans considération à l’égard d’un éventuel appui médical.
« la prière agissante du juste a une grande efficacité » : Les mots s’accumulent avec force. D’abord « la prière » (le mot ici diffère du v. 15 et désigne une requête, une supplication, une intercession pour un besoin particulier), puis l’adjectif verbal « agissante » (tiré du verbe e?e???? : être efficace), puis le mot « juste » (qui désigne tout individu justifié en Christ au moment de sa conversion, « en règle » avec le Seigneur), et finalement, l’expression « a une grande efficacité » (a beaucoup de puissance, de robustesse) : voilà un assemblage plein de promesses et d’encouragement.
Versets 17, 18
Jacques termine ses instructions inspirées en prenant un exemple tiré de la vie d’Élie (1 Rois 17-18). Le prophète est très affaibli dans sa marche avec l’Éternel à un moment crucial de sa vie. Toutefois, il a vu intervenir la main de l’Éternel avec puissance en réponse à sa foi, exprimée vigoureusement dans une simple prière. Son exemple replace chaque croyant devant la réalité centrale de tout notre texte, mais aussi de toute notre marche chrétienne : si nous faisons confiance à notre Dieu et Sauveur, si nous sommes intègres devant lui, il y a en lui pleine réserve de miséricorde, de puissance et de sagesse pour répondre à tous nos besoins, à toute détresse, et pour nous relever si nous sommes tombés. Dieu peut nous secourir sans médiation humaine, mais il peut aussi nous diriger vers ceux à qui il a confié la responsabilité de diriger notre église locale. Dans ce dernier cas, c’est Jacques qui nous dévoile la marche à suivre.
En guise de post-scriptum :
Notre article laisse volontairement dans l’ombre toute une série de situations auxquelles les versets de Jacques 5 n’apportent pas de réponse explicite. Par exemple : Qu’en est-il des bébés malades ? des personnes atteintes d’un cancer incurable ou de la maladie d’Alzheimer ? des infirmes de naissance ? etc. Il est évident que la question de la santé, de la maladie et de la guérison comporte de nombreux aspects qui mériteraient une étude beaucoup plus approfondie. Des médecins chrétiens ont du reste écrit d’excellents ouvrages à ce propos.
Qu’il nous suffise ici de rappeler l’exemple de l’apôtre Paul, par le moyen duquel Dieu accomplit des guérisons spectaculaires (jusqu’à une résurrection !). Affligé en lui-même d’une douloureuse (et peut-être rebutante) maladie chronique, il pria à plusieurs reprises pour en être délivré. Sans résultat. Mais Dieu lui fit comprendre la raison de ce non exaucement, et lui révéla ce grand secret : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » (cf. 2 Cor 12.6-10)