MUSIQUE : lettre à un frère africain
(Auteur anonyme mais connu de la rédaction)
Mon cher frère en Christ,
Ta bonne lettre du mois dernier m’est bien parvenue et avec elle ta demande de renseignements quant au prix de cinq guitares électriques, baffles, ampli et autre matériel d’accompagnement. Tu veux, par ce moyen, mieux servir ton Seigneur dans l’évangélisation de tes compatriotes. Je me réjouis de ton zèle, de ton amour pour Celui qui est devenu ton Sauveur d’une façon si merveilleuse. Mais en lieu et place des renseignements demandés, écoute plutôt l’avis et les conseils d’un frère aîné dans la foi qui t’aime dans le Seigneur et qui prie pour toi.
Cette orientation que tu penses prendre n’a pas ma faveur et je vais te dire pourquoi. D’abord, l’investissement financier sera lourd, surtout pour les bourses africaines, là où la situation économique est déjà si difficile. Il viendra s’y ajouter le suivi d’une telle acquisition: table de mixage peut-être, entretien, réparations toujours très coûteuses et souvent impossibles en Afrique, où le service après-vente n’est pas assuré. Tu perdras une partie de ta mobilité. Une guitare simple se transporte facilement avec soi et on peut s’en servir presque n’importe quand et n’importe où. Mais avec ton nouvel « éléphant », il faudra prévoir un véhicule approprié pour le transport et trouver toujours une prise électrique. As-tu pensé à cela?
Et même si ce projet se réalise « avec l’aide de Dieu » (on colle le nom du Seigneur sur beaucoup de choses aujourd’hui), il y a un côté spirituel sur lequel je désire attirer ton attention. C’est que, hélas, j’ai vu naître trop de ces ensembles instrumentaux qui, au début étaient tout feu tout flamme pour la cause de l’évangile. Je les ai vus presque tous terminer leur association et leur vie chrétienne dans la désintégration, la mondanité et la négation de ce qu’ils avaient chanté. Leur témoignage est devenu un contre-témoignage au point qu’après avoir « chanté pour Christ » ils chantent maintenant pour s’enrichir et amuser le monde qu’ils voulaient autrefois gagner pour le ciel. Cela ne pouvait guère finir autrement puisque personne, au départ, ne leur a fait voir leur erreur d’aiguillage. Ils avaient, selon eux, reçu un appel, un « ministère », un « don » de l’Esprit qui n’est même pas mentionné dans l’Ecriture!
Le temps consacré à leurs répétitions était devenu tellement envahissant qu’ ils en sont venus à se détacher petit à petit des réunions régulières de l’Eglise. Avec la meilleure bonne intention, ils ont remplacé la réunion de prière par « leur » réunion de prière. L’étude de leurs chants leur a fait perdre le temps puis le goût pour l’étude personnelle de la Parole de Dieu. Et la pire des choses leur est arrivée: ils ont eu du succès et on les a applaudis très fort. L’applaudimètre est devenu leur critère de spiritualité. Ils ont cru devoir cultiver et étendre leur renommée. Ils auraient dû savoir, ou on aurait dû leur dire, que si le bien ne fait pas de bruit, le bruit, lui, ne fait pas de bien!
J’ajouterai encore ceci: avec ton groupe tu chanteras pour tes auditeurs, qui viendront vous écouter chanter, mais qui, eux, ne chanteront plus. En fait, comme cela se passe dans le monde, vous leur apprendrez surtout à ne plus chanter. Une sour en Christ, âgée, m’a dit un jour: avez-vous remarqué que les jeunes ne chantent plus aujourd’hui? On doit mettre au crédit de Martin Luther qu’il a, lui, fait chanter le peuple de Dieu, mais toi, au contraire, tu lui fermeras la bouche si tu ne lui sers que des mélodies tonitruantes et arythmiques.
Et quand ceux qui sont venus à ton spectacle se retrouveront seuls, comment fredonneront-ils ou chanteront-ils dans leur cour (Co13.16) ces mélodies de l’impossible à propos desquelles on ne pourra jamais dire ce qu’on dit de nos cantiques de réveil: on les apprenait vite et on ne les oubliait jamais! Vois-tu, mon frère, jamais, dans l’Eglise comme dans le monde, on n’a comme aujourd’hui eu autant de chantres avec un matériel aussi sophistiqué, mais jamais non plus le peuple n’a si peu et si mal chanté. Piètre résultat qui va à l’encontre du but poursuivi. Dieu sait pourtant si je crois que la musique et le chant peuvent être un excellent apport à l’introduction ou la clôture d’un message biblique. Oui, un accompagnement musical est souvent le bienvenu, à condition qu’il entraîne le chant sans le dominer.
Selon 1 Cor 2.13, les choses spirituelles se communiquent par des moyens spirituels (J. N. Darby). Non, mon frère, la puissance et la vie de l’Esprit ne sont pas dans la frénésie et le brise-tympan. Imite, de préférence, l’apôtre Paul en amenant tes gens à l’obéissance de la foi (Rom 1.5). Canalise le dynamisme de tes co-équipiers à de meilleures fins. Dis-leur plutôt de S’APPLIQUER A LA LECTURE ET D’Y ETRE TOUT ENTIER (1 Tim 4.13-15).
N’oublie pas la façon dont Dieu s’y est pris avec toi. Selon ton propre témoignage, il s’est servi, pour te sauver et te guérir d’une maladie incurable, d’une modeste cassette enregistrée il y a longtemps et dans laquelle je ne parlais même pas de guérison! C’est ce murmure doux et léger (1 Rois 19.12) qui a calmé la tempête de ta vie et qui t’a ouvert des perspectives de service insoupçonnées. Ne t’égare pas dans les méandres d’une mode qui se démode et qui n’aura pas cours dans le ciel. Suis plutôt les traces de Timothée à qui Paul disait: Fortifie-toi dans la grâce qui est en Jésus-Christ… ce que tu as entendu de moi, confie-le à d’autres… souffre avec moi comme un bon soldat de Jésus-Christ… combats selon les règles… efforce-toi de te présenter devant Dieu comme un homme éprouvé, un ouvrier qui n’a pas à rougir, qui dispense droitement la parole de la vérité… demeure dans les choses que tu as apprises et reconnues certaines, sachant de qui tu les as apprises… je t’en conjure devant Dieu… prêche la parole… toi, sois sobre en toute chose (même en instruments de musique)… supporte les souffrances (même celles que te causent cette lettre!)… fais l’ouvre d’un évangéliste (et pas d’un troubadour)… remplis bien ton ministère…
Laisse à d’autres la charge de signer au bas de la page de leur vie: « décibellement vôtre ». Que ta signature à toi soit celle de 1 Tim 4.7: J‘ai combattu le bon combat, j’ai achevé la courses, j’ai gardé la foi. Désormais la couronne de justice m’est réservée…
Ma lettre t’attristera pour un temps, c’est possible, mais reprends-en la lecture, plusieurs fois s’il le faut. Va à genoux t’expliquer avec ton Seigneur, et s’il te convainc de la superficialité de ton entreprise, aie le courage de faire demi-tour, quitte à déplaire à tes amis. Il n’y a aucune honte à se remettre en question. Il n’y a, paraît-il, que les fous qui ne révisent pas leur point de vue !
Mes prières accompagnent cette lettre. Avec toute mon affection fraternelle dans le Seigneur.