Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Normes pour l’art et pensées pour l’artiste chrétien

Ce qui va être dit concerne toutes les manifestations artistiques et même la vie chrétienne, qui peut et doit être elle-même une expression esthétique.

Tous les moyens d’expression artistique ajoutent quelque chose à ce qui serait la simple pro-déclaration didactique. Dans les Psaumes par exemple, la formulation poétique ajoute quelque chose à la déclaration doctrinale. Il faut cependant qu’il y ait continuité entre cette pro-déclaration et l’oeuvre elle-même. L’Art doit ajouter quelque chose à la communication; il est un complément à la parole, il doit en augmenter la puissance. Actuellement, avec l’Art moderne, nous avons perdu ce côté additionnel; il y a rupture entre le discours et l’oeuvre. Soit il n’y a plus que l’oeuvre (théorie de l’Art pour l’Art), soit il n’y a plus que le discours (l’art, intellectualisé, devient une déclaration philosophique). Or, les grands artistes du passé ont voulu, eux, créer une oeuvre qui ait une valeur esthétique en elle-même et qui démontre en même temps leur philosophie de la vie, leur vision du monde.

Nous devrions créer une oeuvre d’art d’abord parce que l’Art sert à quelque chose, dans le sens le plus large, le plus élevé, le plus profond du terme. Dieu a créé le monde et le monde parle de Dieu. Il est évident que Dieu s’intéresse à la beauté, et qu’il nous a créé de sorte que nous y soyons réceptifs. Cette beauté possède une valeur en elle-même et elle est un argument de l’existence de Dieu. Ainsi, en négligeant la dimension esthétique, l’artiste chrétien crée en fait des oeuvres contraires au message biblique, et des traités anti-évangéliques. La beauté participe de la personne de Dieu. Ce n’est pas parce qu’un chrétien exprime sa vision du monde qu’il va créer une oeuvre d’art. Trop souvent, les chrétiens oublient que l’oeuvre d’art a une valeur en elle-même; ils se soucient trop du message: c’est la raison pour laquelle c’est souvent mauvais. Ils se désintéressent de l’Art, pensant faire quelque chose seulement quand ils produisent un traité évangélique.

Je propose trois critères pour juger d’une oeuvre d’art:

1. L’excellence technique: par exemple, Salvador Dali. Une mauvaise qualité es­thétique réduit le message, une bonne l’intensifie.

2. La «validité»: l’honnêteté du créateur envers son message et de l’artiste produisant une oeuvre d’art. Il faut éviter cet opportunisme artistique qui consiste à faire «ce qui plaît» plutôt que «ce qu l’on ressent», souvent dans un but de profit. D’autre part, cela implique une certaine cohérence message-oeuvre. Si Dali, par exemple, peignait comme Rembrandt, il serait malhonnête, car sa vision du monde est différente de celle de Rembrandt. Imiter un tel, c’est parfois profitable sur le plan technique, mais c’est souvent pire sur celui de la «validité». On doit peindre ce que l’on est, ce que l’on pense réellement.

3. Le message: ce n’est pas parce qu’il s’agit d’Art que le message est sacré. L’artiste, comme le scientifique, n’est pas hors de l’autorité de l’Ecriture. Ainsi, le message qu’il dispense doit être jugé par rapport à l’enseignement des Ecritures, indépendamment de la qualité esthétique qui l’accompagne. On doit rendre justice à l’artiste pour ce qui est de sa technique, de sa «validité» mais, pour ce qui est du message en tant que tel, l’Art ne le rend pas sacré. Si, comme il a été dit, le moyen d’expression artistique augmente la puissance du message, alors si un message des­tructeur est bellement exprimé, sa puissance destructrice en sera décuplée (com­paraison poésie beatnick/poésie Zen). Une négation comme celle contenue dans la philosophie Zen artistiquement exprimée, c’est ce qui tue.

Les moyens d’expression artistique peuvent tout exprimer: la vérité, l’hérésie, la moralité, l’immoralité. Ils peuvent véhiculer tous les messages et tous dispensent des messages propositionnels, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Ils ne sont pas liés à un seul domaine, ils se caractérisent par leur neutralité.

Pour devenir un grand artiste chrétien, celui-ci devra porter son effort sur deux fronts:
– chercher comment créer la beauté, étudier, travailler.
– comprendre le message chrétien, l’étudier. Si celui-ci n’est pas compris, l’artiste peut créer de très belles images mais, le message étant incorrect, cette beauté ne conduira les gens qu’à des déviations.

Tout comme le langage, le style et les systèmes symboliques qui lui sont propres changent. Il faut se tenir au courant de ces changements. Quand nous faisons une peinture, il faut qu’elle s’adresse à notre culture, à notre siècle. Il nous faut utiliser le système symbolique contemporain. Ainsi, la relation de notre oeuvre avec le consen­sus environnant s’établira sur trois niveaux:
– l’époque
– le pays
– le système symbolique propre à la vision du monde, à la philosophie traduite dans l’oeuvre d’art.

Par exemple, pour un jeune japonais chrétien, son oeuvre devra comporter ces trois caractéristiques: elle devra appartenir au XXème siècle, être japonaise et être chrétienne. Ce point de vue ne se veut pas perfectionniste.

Les notions de thème majeur et de thème mineur:

a) Thème mineur: mineur parce que moins fort (ce n’est pas au sens musical). Dans le christianisme, le thème mineur est que les hommes sont perdus et vont en enfer. Ils sont morts à présent et, même dans la vie chrétienne, nous ne sommes pas parfaits. Ce n’est pas un problème d’existence: la situation est telle à cause de la rébellion spatio-temporelle de l’homme. Le dilemme de l’homme – si présent dans la pensée contemporaine – n’est pas que l’homme soit petit, limité, mais qu’il soit sous l’effet de la chute. Ceci est présent dans l’Art, peut-être plus qu’ailleurs. Ce thème mineur ne vient pas de ce que l’homme intrinsèquement est, ni de ce qui existe de façon intrinsèque, mais du fait que l’homme est anormal à cause de cette chute spatio-temporelle. Cependant, Dieu, dans son amour, fournit la solution au dilemme par l’oeuvre rédemptrice de Christ.

b) Thème majeur: il y a un but à l’existence, parce que Dieu existe. C’est un dieu personnel. L’homme est créé à son image et, par conséquent, a un but, une signification à sa vie. Remarquez que le thème majeur de la vie chrétienne ne trouve pas son origine, n’est pas enraciné dans le salut; il a pour source le fait que Dieu existe et que l’homme est créé à son image. Le thème majeur se trouve premièrement dans ce qui est là et qui existe. C’est la pré-condition humaine.

Ces deux thèmes étant précisés, nous dirons que l’Art chrétien doit démontrer ces deux thèmes à la fois. Si il n’y a que le thème majeur, c’est romantique: ce n’est pas vrai par rapport à ce qui est et par rapport à ce que vous êtes. L’Art chrétien doit être un art réaliste! Il en est de même pour la conversation, pour la vie chrétienne. Si beaucoup se détournent de l’Art chrétien, c’est parce que celui-ci se veut toujours majeur, dans beaucoup de cas. Les gens regardent les vies de ceux qui le créent, et c’est évident que ce n’est pas vrai, que ça répugne…

A l’inverse, il ne faut pas donner constamment dans le thème mineur, du côté noir. Il faut veiller, lorsqu’on devient chrétien, à ne pas continuer à produire dans le noir de sa vie passée. Le thème majeur doit à présent apparaître, et dominer le thème mineur. Un chrétien ne devrait pas créer quoi que ce soit qui ne soit pas une aide à notre pauvre monde. L’art moderne ne donne quasiment que dans le thème mineur. L’artiste chrétien, lui, doit fonctionner selon l’amour et la vérité. Il doit dire la vérité sur l’homme, le monde et lui-même, mais il doit le dire avec amour, en créant un art véritable (non un traité chrétien). Il faut sauver ce monde et non le tuer par une production romantique, ou finissant sur le thème mineur. Il ne faut pas non plus se montrer trop intellectuel, ni trop doctrinaire. Si on ne remplit pas ces conditions, on n’est pas un artiste chrétien.

Pour celui qui écrit un sermon comme pour celui qui exécute une oeuvre d’art, le dilemme est qu’on ne peut donner le message en entier en une seule fois. Il ne faut pas prétendre à l’exhaustivité avec une seule oeuvre, un seul sermon. Si on le fait, d’une part c’est l’éparpillement, et d’autre part, on s’aperçoit que le sermon est toujours le même, ce qui fait qu’il est nul. Il faut avoir le courage de ne pas tout dire dans un sermon et en peinture, où on est encore plus limité. On distingue là une hiérarchie dans les possibilités du dire: roman – sermon – poésie – peinture, photo – gravure – musique. Il faut accepter cet état de chose, vivre avec le moyen d’expres­sion artistique pour lequel Dieu a donné un vrai talent. Il faut nous astreindre à ne pas faire une oeuvre seulement dans le ton mineur, mais à la compléter par le thème majeur, pour que la vue d’ensemble, éclaire le but que nous nous proposons et le style qui est le nôtre. La plaquette sous un tableau permet de verbaliser toutefois, de traduire en paroles l’image, ajoutant un «deuxième oeil» à la perspective du message exprimé dans l’oeuvre d’art.

Ainsi, il faut donc, en créant une oeuvre, avoir à l’esprit l’ensemble que l’on veut créer, qui doit fournir aussi bien le thème majeur que le thème mineur, aussi bien l’amour que la vérité dans son dynamisme final. Le thème majeur doit présider à l’ensemble, dominant le thème mineur.

Francis A. Schaeffer
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page