Dossier: Création en crise
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Psaume 104

On pourrait s’attendre à ce qu’une tentative de formuler une doctrine biblique chrétienne sur l’environnement commence par Genèse 1 et ses déclarations majestueuses sur Dieu comme Créateur. Bien que cette vérité fondamentale mérite une place de choix, nous la soulignerons à travers le Psaume 104. Car dans ce psaume, nous trouvons non seulement l’affirmation de la vérité que Dieu a créé le monde, mais aussi l’expression de vérités corollaires, de sorte que le psaume présente un tableau plus complet de la relation qui existe entre Dieu et la création. Cela amène ainsi le lecteur à prendre davantage conscience de la réponse appropriée à la vérité fondamentale présentée dans ce psaume.1 On pourrait même avancer que, si l’on ne devait choisir qu’un seul passage pour soutenir un environnementalisme chrétien, ce devrait être ce psaume ; et s’il ne fallait choisir qu’un seul verset, ce serait le v. 24 : « Que tes œuvres sont en grand nombre, ô Éternel ! Tu les as toutes faites avec sagesse. La terre est remplie de ce que tu as créé. »

L’apport du Psaume 104 pourrait être résumé ainsi :

  1. Dieu a créé la terre et tout ce qui s’y trouve, et il continue de soutenir la terre et tout ce qui s’y trouve par l’exercice plein d’amour de son pouvoir souverain.
  2. La terre et tout ce qu’elle contient appartiennent à Dieu en raison de son travail créateur, et toutes choses trouvent fondamentalement leur raison d’être en relation avec lui.
  3. La terre et tout ce qui s’y trouve ont été créés parfaits — chaque créature elle-même et la création entière dans ses interactions.
  4. Même après l’entrée du péché dans l’ordre créé, cette perfection transparaît de manière à être perceptible par l’homme. Ainsi, la création témoigne continuellement des perfections de Dieu et favorise chez l’homme la louange envers Dieu.

* * *

Dieu a créé et soutient la terre et tout ce qui s’y trouve

Si, dans la majeure partie du Psaume 104, le travail créateur de Dieu est sous-entendu, il existe quelques vers où le psalmiste l’affirme explicitement (p. ex. v. 5-6), et, à un moment culminant du psaume, il fait jaillir une déclaration passionnée à Dieu : « Tu as fait … » (v. 24). Il est donc clair que les cieux et la terre résultent de l’exercice de la créativité souveraine de Dieu.

L’accent unique de ce psaume, cependant, porte sur le soutien de Dieu à sa création. « Il conduit les sources dans des torrents […] Il arrose les montagnes […] Il fait germer l’herbe […] Les arbres de l’Éternel se rassasient. » (v. 10,13,14,16) Et après avoir fourni un échantillon représentatif des animaux de la forêt, de la montagne, des plaines et de la mer, le psalmiste résume : « Tous ces animaux espèrent en toi, pour que tu leur donnes la nourriture en son temps. » (v. 27) Toutes les créatures dépendent complètement de Dieu. Lorsque Dieu pourvoit, ses créatures sont satisfaites (v. 28). Quand il « cache sa face », elles sont terrifiées (v. 29). Quand Dieu envoie son « Esprit », il y a une nouvelle vie (v. 30). Quand il retire le souffle, la vie cesse (v. 29). Cela marque un développement significatif du récit de la Genèse. Oui, la création n’existe que parce qu’elle a été appelée à l’existence par Dieu. Mais elle continue d’exister uniquement grâce aux soins continus de son Créateur.

La terre et tout ce qu’elle contient appartiennent à Dieu et trouvent leur raison d’être en relation avec lui

À partir de cette première affirmation, le psaume en déduit la théocentricité de la création. Parce qu’elles ont été créées par Dieu, toutes les créatures lui appartiennent. Ce sont, dit notre psalmiste, « tes biens » (v. 24), « ses œuvres » (v. 31 ; cf. Ps 24.1-2). Or non seulement toutes les créatures ont été créées par Dieu, mais elles ont également été créées pour Dieu, et elles trouvent ainsi leur première raison d’être par rapport à lui. C’est un point d’importance dans le débat actuel sur l’environnementalisme.

Que Dieu trouve du plaisir dans sa création est un témoignage constant des Écritures. C’est ce qui motive le désir du psalmiste : « Que l’Éternel se réjouisse de ses œuvres. » (v. 31) Mais peut-on dire que le plaisir que trouve Dieu dans ses créatures non humaines soit une explication suffisante pour leur existence ? C’est une chose de trouver du plaisir en quelque chose qui existe. C’en est une autre de dire qu’une chose existe pour procurer du plaisir.

Il ne fait aucun doute que la création existe, du moins en partie, dans le but de nourrir l’humanité :

« Il fait germer […] les plantes pour les besoins de l’homme,
afin que la terre produise de la nourriture,
le vin qui réjouit le cœur de l’homme,
et fait plus que l’huile resplendir son visage,
et le pain qui soutient le cœur de l’homme. » (v. 14-15)

Mais cette référence à l’homme est-elle la seule raison d’être des créatures non humaines ? Ou, pour le dire positivement, la création non humaine trouve-t-elle une raison d’être indépendante de l’homme ? Le Psaume 104 le suggère.

Auparavant, il sera toutefois utile d’examiner la position opposée dont Thomas Sieger Derr est un représentant.2 Derr se positionne face au biocentrisme qui domine une grande partie de l’environnementalisme séculier et qui considère la « nature » ou « le processus de la vie » comme central. À l’opposé, Derr réaffirme la conviction que l’homme est résolument au-dessus de la nature et que la nature existe pour préserver la vie humaine. En tant qu’humaniste chrétien, Derr n’hésite pas à ajouter que l’homme est fait pour Dieu mais il est catégorique (« impénitent » dit-il) dans son anthropocentrisme. Les besoins de l’homme constituent une explication suffisante de l’existence d’une création non humaine.

Alors que Derr, et d’autres avec lui, ont raison de s’éloigner du biocentrisme de l’environnementalisme séculier pour des raisons explicitement religieuses, leur erreur est de ne pas s’en distancer suffisamment. Derr affirme sans doute une vision du monde théocentrique, mais selon moi cette vision du monde doit comporter une vision théocentrique de la création non humaine. La nature a certes été créée en pensant à l’homme, mais les besoins de l’homme ne constituent pas un cadre de référence entièrement suffisant pour expliquer la création. Seul Dieu peut fournir un tel cadre de référence.

Notre psaume, avec d’autres passages (Job 38-41 en particulier), montre que la création n’existe pas uniquement pour l’homme. Dans son discours à Job, Dieu indique clairement que certaines créatures existent simplement pour son propre plaisir :

« Voici l’hippopotame3, à qui j’ai donné la vie comme à toi !
Il mange de l’herbe comme le bœuf.
Le voici ! Sa force est dans ses reins,
et sa vigueur dans les muscles de son ventre ;
il plie sa queue aussi ferme qu’un cèdre ;
les nerfs de ses cuisses sont entrelacés ;
ses os sont des tubes d’airain,
ses membres sont comme des barres de fer.
Il est la première des œuvres de Dieu. » (Job 40.10-14)

Cette description montre à l’évidence que Dieu prend un grand plaisir dans une création, qu’elle a du prix pour lui et qu’il est heureux de souligner « combien certaines de ses créatures sont totalement et incroyablement inutiles (pour nous) »4. Après avoir enfoncé le clou par une description similaire du « léviathan » (Job 40.20-41.1), Dieu déclare avec insistance : « De qui suis-je le débiteur ? Je le paierai. Sous le ciel tout m’appartient. » (Job 41.2) En face de la présomption de Job, Dieu rappelle aimablement qu’il ne doit rien à l’homme.

Sous une forme un peu moins dramatique, notre psaume exprime la même idée :

« Les arbres de l’Éternel se rassasient,
Les cèdres du Liban, qu’il a plantés.
C’est là que les oiseaux font leurs nids ;
La cigogne a sa demeure dans les cyprès,
Les montagnes élevées sont pour les boucs sauvages,
Les rochers servent de retraite aux damans.

Tu amènes les ténèbres, et il fait nuit :
Alors tous les animaux des forêts sont en mouvement ;
Les lionceaux rugissent après la proie,
Et demandent à Dieu leur nourriture.
Le soleil se lève : ils se retirent,
Et se couchent dans leurs tanières.

Voici la grande et vaste mer :
Là se meuvent sans nombre
Des animaux petits et grands ;
Là se promènent les navires,
Et ce léviathan que tu as formé pour jouer dans les flots. »
(v. 16-18,20-22,25-26)

Nous avons ici la démonstration que ce ne sont pas seulement les besoins de l’homme, et certainement pas ses besoins physiques, qui expliquent la diversité des créations de Dieu. Apparemment, Dieu porte un intérêt majeur à des petits oiseaux, à de minuscules créatures marines ou à des animaux nocturnes chassant dans la profondeur de la jungle. Il leur a donné à chacun un abri approprié et il satisfait leur faim avec de « bonnes choses » (v. 28). Et tout cet intérêt est pour le bien des créatures elles-mêmes, sans aucune référence à l’alimentation humaine. En fait, le psalmiste trace une ligne de démarcation nette entre l’écosystème de ces animaux et celui de l’homme :

« Les lionceaux rugissent après la proie,
Et demandent à Dieu leur nourriture.
Le soleil se lève : ils se retirent,
Et se couchent dans leurs tanières.
L’homme sort pour se rendre à son ouvrage,
Et à son travail, jusqu’au soir. » (v. 21-23).

Une vie animale sans rapport avec les besoins de l’homme poursuit son cours. Par conséquent, tout anthropocentrisme militant doit être rejeté de manière claire, voire catégorique. Bien que l’homme soit indéniablement au centre du travail créateur et rédempteur de Dieu, la vie terrestre présente une fécondité impressionnante qui ne peut tout simplement pas être expliquée par référence à la nourriture et au confort de l’homme. Encore une fois, seul Dieu peut fournir un cadre de référence adéquat. C’est précisément ce théocentrisme qui nous sauvera de l’avidité ou de l’indifférence qui vont si facilement de pair avec une vision anthropocentrique. Garder Dieu au centre de l’univers nous aidera à bien nous comporter.

La terre et tout ce qui s’y trouve ont été créés à la perfection

La troisième contribution majeure du Psaume 104 a trait à la perfection de la création de Dieu. C’est au v. 24 que cette pensée surgit le plus puissamment : « Que tes œuvres sont en grand nombre, ô Éternel ! Tu les as toutes faites avec sagesse. » Cette référence à la sagesse divine agissant dans la conception de « toutes » les créatures de Dieu évoque la perfection inhérente à chaque espèce. Chaque espèce animale ou végétale existante possède une perfection qui vient de l’exercice de la sagesse de Dieu dans la création. Jean Calvin a écrit : « Dieu a pris plaisir à manifester ses perfections dans toute la structure de l’univers. Sur chacune de ses œuvres, sa gloire est gravée dans des caractères si brillants, si distincts et si illustres que nul, aussi terne et illettré qu’il soit, ne puisse prétendre à l’ignorance. »5

Mais le message du psaume dans son ensemble nous oblige à concevoir non seulement la perfection de la création de chaque espèce, mais aussi la perfection de la sagesse de Dieu au travers de la manière dont les espèces interagissent pour former des communautés biotiques occupant des zones de vie bien définies :

« Il conduit les sources dans des torrents
Qui coulent entre les montagnes.
Elles abreuvent tous les animaux des champs ;
Les ânes sauvages y étanchent leur soif.
Les oiseaux du ciel habitent sur leurs bords,
Et font résonner leur voix parmi les rameaux.
Les arbres de l’Éternel se rassasient,
Les cèdres du Liban, qu’il a plantés.
C’est là que les oiseaux font leurs nids ;
La cigogne a sa demeure dans les cyprès. » (v. 10-12,16-17)

Cet ordre bien agencé des écosystèmes est, dit le psalmiste, une démonstration du génie divin.

Malgré le péché, la création favorise chez l’homme la louange envers Dieu

La quatrième contribution, étroitement liée à cette troisième contribution, découle de l’impact de la perfection de la création sur l’homme. Au moment où le psalmiste a pris sa plume, le péché a depuis longtemps envahi Éden et laissé sa marque sur la création. Le psalmiste n’en est pas inconscient. Il parle de lions qui rôdent en rugissant autour de leur malheureuse proie (v. 21). Il sait que la terreur et la mort sont communes chez l’homme et la bête (v. 29). Il n’occulte pas les destructions dues au séisme et au volcan (v. 32). Il reconnaît ouvertement l’existence d’hommes méchants (v. 35). Il voit que la nature est, en fait, « rouge de dents et de griffes ». Néanmoins, il observe la création et ne peut retenir ses louanges.

« Mon âme, bénis l’Éternel !
Éternel, mon Dieu, tu es infiniment grand !
Tu es revêtu d’éclat et de magnificence
Que la gloire de l’Éternel subsiste à jamais !
Que l’Éternel se réjouisse de ses œuvres !
Je chanterai l’Éternel tant que je vivrai,
Je célébrerai mon Dieu tant que j’existerai.
Mon âme, bénis l’Éternel !
Louez l’Éternel ! » (v. 1,31,33,35)

En dépit de l’intrusion du péché et de ses dégâts, il reste un témoignage puissant et clairement visible dans la création de « la puissance éternelle et de la divinité » de Dieu, comme le dit l’apôtre Paul (Rom 1.19-20). Les cieux proclament encore la « gloire de Dieu » et « l’étendue » « l’œuvre de ses mains » (Ps 19.1). Des attributs particuliers de Dieu sont révélés dans ses œuvres. L’auteur du Psaume 104 peut vraiment y voir des preuves de la sagesse et de la richesse de Dieu. Il est donc conduit à louer Dieu pour ces attributs spécifiques. Nous voyons ici la valeur doxologique de la création.

Le Psaume 104 présente plus qu’une vérité conceptuelle. Il est un modèle pour nous de la réponse appropriée à notre découverte de la présence manifeste de Dieu dans la création. Comme le peuple de Dieu est poussé à crier « Gloire ! » quand il observe l’approche d’un orage venant de la Méditerranée (Ps 29.3-9), comme Agur est stupéfait alors qu’il regarde l’un des aigles de Dieu monter en flèche dans l’air (Prov 30.18-19), nous devrions répondre de façon appropriée par une humble louange quand la création nous dirige au-delà d’elle-même vers un Dieu tout-puissant et pleinement sage.

Tout cela a des implications environnementales claires. Si « toutes » les œuvres de Dieu ont été faites avec sagesse, alors chacune a la capacité de parler à l’homme de cette sagesse. Ainsi, toute disparition d’espèce est une diminution des opportunités pour l’homme d’observer la perfection de Dieu. Dans sa vision du trône céleste, Jean entend les anciens chanter au Seigneur : « Tu es digne de recevoir gloire, honneur et pouvoir, car tu as créé toutes choses. » (Apoc 4.11) Toute destruction de la création supprime pour l’homme un motif d’honorer Dieu. Chaque espèce, chaque écosystème révèle la sagesse de Dieu et exerce ainsi une puissante influence doxologique6. Nous devons nous rappeler que Dieu a également dit au moins à tous les oiseaux et à toutes les créatures marines « d’être féconds et de se multiplier » (Gen 1.22). Nous devons donc trouver un moyen de coexister avec ces créatures dans une fécondité mutuelle, qui reconnaît et honore la sagesse du Seigneur et qui laisse « toute chose bénir son créateur ».

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  1. Il existe un parallèle structurel assez évident entre le Psaume 104 et le récit de la création de Genèse 1. Ce parallélisme accrédite notre choix, car le Psaume 104 est vu comme un essai délibéré d’interpréter et d’illustrer le récit de la Genèse. Pour une analyse de ce parallèle, voir, par exemple, D. Kidner, Psaumes, vol. 2, Farel-Sator, p. 116.
  2. T. S. Derr, J. A. Nash, and R. J. Neuhaus, Environmental Ethics and Christian Humanism, Nashville, Abingdon, 1996, p. 17.
  3. Litt. le « behemoth ».
  4. Yan Dyke et al., Redeeming Creation, p. 49.
  5. Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, 1.4.2.
  6. À cette influence pour la louange pourrait être ajoutée une influence pour l’évangélisation. Aldo Leopold a écrit : « Quelle est la valeur de la faune sauvage du point de vue de la morale et de la religion ? J’ai entendu parler d’un garçon qui avait été élevé athée. Il a changé d’avis en voyant qu’il y avait une centaine d’espèces de fauvettes. Chaque espèce est parée comme un arc-en-ciel. Elles effectuent chaque année des vols migrateurs de plusieurs milliers de kilomètres à propos desquels des scientifiques ont écrit avec pertinence mais sans les élucider. Aucun hasard opérant aveuglément au cours de plusieurs millions d’années ne peut expliquer pourquoi les fauvettes sont si belles. Aucune théorie mécaniste, même étayée par des mutations, n’a jamais vraiment justifié les couleurs de la fauvette céruléenne, ni le chant de la grive. J’ose dire que les convictions de ce garçon seront plus difficiles à ébranler que celles de nombreux théologiens. »
Dossier : Création en crise
 

Bullmore Michael A.
Michael A. Bullmore a été pendant 15 ans professeur d’homilétique et de théologie pratique à la Trinity Evangelical Divinity School aux Etats-Unis. Cet article a paru dans le Trinity Journal 19 NS et un extrait a été traduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur.