Dossier: L'Exode, un peuple libéré
Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Quand Dieu prend son temps

Cet article est déjà paru sur le périodique Le Lien Fraternel de mars 2018. Il est reproduit avec l’aimable autorisation de l’Association évangélique d’Églises baptistes de langue française et de son auteur.
La traduction de la Bible utilisée dans cet article est la Segond 21.

Le chapitre 2 de l’Exode nous parle d’une attente, une très longue attente.
Dieu, qui a adressé des promesses saisissantes à son peuple, Israël, semble prendre son temps pour les accomplir. Comment Dieu révèle-t-il son caractère et ses projets dans nos temps d’attente ?

Dieu délivre

Le contexte de notre chapitre est terrifiant : un pharaon cruel ordonne de supprimer tous les enfants mâles des Hébreux (cf. ch. 1). Or une mère, qui reste anonyme ici, va faire un geste qui, à coup sûr, lui a terriblement coûté. Qui peut imaginer laisser son enfant dans une « caisse de joncs » (2.3) sur un fleuve ? Mais l’histoire se termine bien — en tout cas, aussi bien que possible vu les circonstances. La maman devra renoncer à ses prérogatives de mère, mais elle aura le réconfort de voir son garçon grandir, et de le savoir protégé. Son bébé va non seulement être sauvé du massacre, mais encore être accueilli et élevé dans la famille du pharaon.

C’est un retournement de plus dans une histoire qui en compte beaucoup. Dieu préserve l’enfant, Moïse. Mais c’est une délivrance discrète, à petite échelle. Dieu utilise une fois de plus des gens modestes. Une maman anonyme dont l’amour déborde au point d’avoir recours
à une solution presque inimaginable. Une grande sœur pleine de courage qui va oser, elle fille d’esclaves, s’adresser à rien moins que la fille du pharaon, et lui proposer une nourrice (2.7).

Dieu aime utiliser des gens ordinaires pour accomplir ses projets. On ne cesse de le voir dans les Écritures. C’est un rappel pour nous, gens ordinaires à qui Dieu confie une mission extraordinaire, unique : être les porteurs de son message de réconciliation avec le monde.

Le texte évoque ensuite une deuxième délivrance. Moïse, qui se découvre une nouvelle solidarité avec le peuple hébreu, tue un Égyptien qui maltraitait un Hébreu, et doit se cacher pendant des années dans un pays étranger (2.15). Une fois de plus, sa vie est menacée par le pharaon qui, pourtant, est en quelque sorte son grand-père adoptif. On peut imaginer le déchirement pour celui qui a été élevé à la cour. Pourtant, si cette fuite peut paraître honteuse, elle sera en réalité salutaire. Dieu va à nouveau protéger Moïse des attaques du pharaon, le « cacher », comme il avait été caché par sa mère après sa naissance.

Mais Israël continue de souffrir. La fin du chapitre le confirme d’ailleurs explicitement : « Les Israélites gémissaient du fond de l’esclavage, ils poussaient des cris » (2.23). L’attente d’une délivrance à grande échelle perdure. Mais à petite échelle, dans la vie de Moïse, Dieu montre qu’il est un libérateur. Et s’il libère Moïse par deux fois, c’est parce qu’il veut utiliser Moïse pour libérer tout son peuple.

Dieu n’a pas changé. Aujourd’hui encore, il est le Dieu libérateur. Nous qui sommes chrétiens, nous affirmons que nous avons été « sauvés », délivrés par Dieu du pire esclavage qui soit : celui du péché et de la mort, celui d’une vie vécue loin de Dieu. Ainsi parle Paul (Gal 4.7) : « Tu n’es plus esclave, mais fils ; et si tu es fils, tu es aussi héritier de Dieu par Christ. » Peut-on imaginer meilleur destin que celui-ci ? Y croyons-nous vraiment ? Pouvons- nous proclamer avec force que Dieu nous a délivrés, quelles que soient nos circonstances
aujourd’hui ?
Dans notre quotidien également, nous assistons plus souvent que nous ne voulons le reconnaître à des délivrances à petite échelle qui nous rappellent le caractère de Dieu. Combien de fois Dieu nous a-t-il délivrés d’une situation difficile ? Combien de fois nous a-t-il relevés alors que nous étions abattus, voire effondrés ?
Dieu est le Dieu qui délivre. Et lorsqu’il nous fait attendre, cela ne l’empêche pas de se manifester dans nos vies comme le Dieu qui délivre.

Dieu prépare

Le chapitre 2 de l’Exode nous présente pour la première fois Moïse qui va devenir, après Dieu, le personnage-clé de tout le livre. Le chapitre 3 décrira son appel. Mais ici se dessine plutôt sa formation, sa longue formation. Dieu l’a préparé d’abord, bien sûr, en permettant qu’il soit sauvé des eaux. Ensuite, même si le texte ne s’y attarde pas ici, le Nouveau Testament confirmera que Moïse a été formé au sein de l’élite égyptienne : « Moïse a été formé avec toute la sagesse des Égyptiens » (Act 7.22, cf. aussi Héb 11.26). Fils de la fille de Pharaon, Moïse a indubitablement reçu ce qu’il y avait de meilleur en Égypte. Mais Dieu a aussi fait un travail dans son cœur : « Une fois devenu grand, Moïse sortit vers ses frères et vit leurs pénibles travaux » (2.11). Moïse considère les Hébreux comme « ses frères ». Il s’identifie au peuple hébreu. Cette évolution de son « identité » va prendre un tournant dramatique lorsqu’il assassine l’Égyptien (2.12). Le texte ne se prononce pas sur le geste de Moïse. Mais ce meurtre confirme définitivement le basculement d’identité de Moïse. En prenant parti pour un Israélite contre un Égyptien, il a choisi son camp, même si ce camp se méfie encore de lui (2.14). Et Dieu continue à préparer Moïse à devenir le libérateur de son peuple. La dernière étape de cette préparation se fera dans la fuite au pays de Madian, sans doute quelque part sur la péninsule arabique.
Moïse a définitivement renoncé à la gloire de l’Égypte. Il vit en immigré (2.15), serviteur d’un prêtre, Réouel. Moïse va passer près de quarante ans (cf. 2.21 ; Act 7.23) dans cette situation entièrement nouvelle, très loin des palais égyptiens. Le début du chapitre 3 nous indique qu’il travaille tout simplement comme berger, lui qui était promis à un avenir dans la noblesse égyptienne. On peut supposer que Moïse a mûri pendant ce temps. Il a appris l’humilité, la simplicité, et s’est sans doute débarrassé des réflexes de privilégié qu’il avait pu acquérir en Égypte.
Chacun d’entre nous est certainement « en attente » de quelque chose: une meilleure situation professionnelle, la fin d’un conflit, une guérison, la rencontre d’un futur conjoint. En tant que chrétiens nous attendons en particulier que notre amour pour Dieu grandisse, que notre foi soit plus ferme, que nos hésitations laissent place à une plus grande confiance en lui. Moïse attendra quarante années. Mais tout au long de cette attente, Dieu l’a formé. Vous me direz : « Oui, mais je n’ai pas la même vocation que Moïse. » C’est vrai. Mais la nôtre n’est pas moins glorieuse. Elle l’est même plus, si j’en crois le Nouveau Testament. Nous chrétiens sommes invités à être porteurs d’une parole qui libère les hommes et les femmes de l’oppression d’une vie vécue sans Dieu, du péché, du mal, de la futilité et de la mort. Dieu nous appelle tous à être au service de la plus grande des causes. Peut-être devons- nous, nous aussi, laisser Dieu nous libérer douloureusement ? Nous libérer des espérances qui nous animent aujourd’hui et qui sont peut-être de fausses espérances ou des choses qui détournent notre attention de l’essentiel ? Les épreuves et les attentes que nous vivons pourraient-elles être des temps de formation personnalisée que Dieu nous réserve afin de nous amener à une vraie liberté, une vraie joie, une vraie paix que nous n’imaginons pas ?
Dieu a préparé Moïse. Cela a duré très longtemps. Mais ce n’était pas en vain. Dieu met à part. Dieu prépare. Et enfin, Dieu entend.

Dieu entend

Ce qui rend l’attente difficile, c’est de ne pas savoir « jusqu’à quand ». Nous avons tous à l’esprit des sujets de prière que nous portons depuis longtemps. Au-delà de nos sujets personnels, notre maturité dans la foi nous pousse à prier plus largement pour que Dieu intervienne non seulement dans nos vies, mais dans le monde entier : qu’il essuie les larmes, qu’il mette fin à l’oppression et au mal, qu’il balaye la mort pour toujours.
L’une des premières exclamations des chrétiens était une expression araméenne, « Maranatha ! », « Viens, Seigneur ! ». Que ton règne vienne sur la terre comme au ciel ! Délivre-nous du mal ! Et face à une attente qui dure, qui dure, la Bible elle-même nous invite à crier vers Dieu : « Jusqu’à quand, Seigneur ? ». Ce n’est pas un cri amer ou rebelle, mais un cri de dépendance et de foi : « Seigneur, tu as les clés de cette situation. Tu as les clés de l’Histoire. Je sais que tu vas intervenir.
Jusqu’à quand me feras-tu attendre ? » Dans l’histoire de Moïse, l’attente a été très longue : « Longtemps après, le roi d’Égypte mourut » (2.23). Or, cette mort a-t-elle apporté la délivrance tant espérée ? Eh bien non. Après le pharaon cruel, il y a un autre pharaon cruel.
Depuis la mort de Joseph, un long temps s’est écoulé (12.40-41) ! C’est interminable ! Mais au moment décidé, Dieu a entendu la prière de son peuple. « Dieu entendit leurs gémissements et se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Dieu vit les Israélites, il comprit leur situation » (2.24-25). L’attente faisait partie de ses projets. Et au moment choisi, il a agi en fonction de l’engagement qu’il avait pris de faire des descendants d’Abraham son peuple, de les bénir, de leur donner une terre, de les sauver. « Dieu […] se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. »
Tout au long de l’Ancien Testament, même dans les périodes les plus sombres, cet engagement solennel de Dieu refait surface régulièrement. Ce n’est pas pour rien qu’il a affirmé qu’il sauverait son peuple, et qu’en définitive il sauverait tous les peuples. Les périodes d’attente ont du sens. Elles sont l’occasion pour Dieu d’écrire une histoire beaucoup plus riche et profonde.
Quand Jésus est venu, beaucoup ne l’attendaient même plus vraiment. Beaucoup avaient oublié la promesse d’un Sauveur, d’une délivrance pour toutes les nations, d’une réconciliation avec Dieu. Mais Dieu a tenu sa promesse. Et il a fait beaucoup plus et mieux que personne n’aurait imaginé. Dieu n’oublie pas ses promesses. Et il répond, parfois quand on ne s’y attend même plus.
Or si nous avons confié notre vie à Jésus-Christ, nous avons reçu cette promesse : « Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés conformément à son plan » (Rom 8.28). Même les attentes que nous ne comprenons pas sont utilisées par Dieu pour notre bien. De même que Dieu n’a pas oublié la promesse faite à Abraham, il n’oubliera pas ses promesses faites en Jésus-Christ.
En Jésus-Christ, Dieu nous a promis une nouvelle identité, le pardon de toutes nos fautes, son Esprit qui change notre cœur, une nouvelle famille, l’Église, la puissance de résurrection par laquelle il a ressuscité Jésus et par laquelle il nous fera, nous aussi, sortir un jour du tombeau.
Prenons conscience de la force saisissante de tout cela et nous comprendrons que les attentes que Dieu nous fait subir ne sont pas vaines ! L’histoire qu’il écrit est parfaite. Il a fait attendre Abraham. Il a fait attendre Moïse. Il a fait attendre Israël. Il nous fait attendre aujourd’hui. Mais dans cette attente, il nous délivre déjà. Il nous prépare chaque jour. Il entend nos cris. Et il agira, parce que rien ni personne ne pourra nous ôter son amour (Rom 8.38-39).

 

Share on FacebookShare on Google+Tweet about this on TwitterShare on LinkedInEmail this to someonePrint this page
Dossier : L'Exode, un peuple libéré
 

Sanders Matthieu
Matthieu Sanders est pasteur de l’Eglise baptiste de Paris-Centre, professeur associé à l’Ins- titut Biblique de Nogent et chargé de cours à la Faculté Libre de Théologie Evangélique à Vaux-sur-Seine. Il est l’auteur d’une introduction à l’herméneutique biblique publiée en 2015 et d’un petit livre sur les paraboles du Royaume, La pédagogie saisissante de Jésus, paru en 2021. Matthieu est marié à Talia et père de 3 enfants