Quels chants choisir dans l’église locale ?
Qui n’a pas été touché, une fois ou l’autre, lors d’un culte ou d’un temps de louange, par un chant qu’il avait pourtant chanté à maintes reprises sans émotion particulière ?
À quoi cela est-il dû ? Uniquement à l’état intérieur de la personne à un moment donné ? À la qualité de la mélodie ou de son harmonisation ? À la qualité de l’interprétation ou de l’instrumentation qui accompagne le chant ? Au contexte dans lequel le chant a été amené ?
L’inverse peut d’ailleurs se produire : j’ai parfois ressenti un chant comme inapproprié soit parce qu’il coupait un élan ou me paraissait inadapté par sa musique ou son message…
Ces quelques questions surgissent souvent à mon esprit et certainement à celui de ceux qui sont amenés à proposer des chants pour constituer un recueil, pour un temps de louange préparé ou lors d’un culte où la liberté est donnée de proposer des chants.
Le bon recueil existe-t-il ?
Le recueil dans lequel le choix va être opéré n’est en effet pas sans importance. Qu’est-ce qui va donc guider le choix d’un recueil et d’un chant à l’intérieur d’un recueil ?
Il faut d’abord observer d’une part que le chant forme une partie substantielle d’un culte dans les différentes variantes d’assemblées ou d’églises évangéliques ; la proportion entre chant, prière, lecture biblique (sans parler de la prédication ou d’autres contenus) est, la plupart du temps, largement en faveur du chant. Cette constatation — il n’appartient pas ici d’en discuter le bien-fondé — nous pousse à donner un soin particulier à la sélection des chants et, par ordre de priorité, à celui d’un recueil.
Des textes théologiquement fondés
Vu le temps que nous passons à chanter, il est de la plus haute importance de s’assurer que les chants utilisés soient édifiants, respectueux de la pensée divine et biblique, bons pour l’âme — et pas seulement « fun, cool, up to date » !
Il faut reconnaître ici qu’il y a une grande variété d’écoles théologiques, de conceptions de l’Église… et qu’il n’est pas toujours facile de juger de la justesse du texte d’un chant et pas toujours aisé d’entrer en discussion sur ce point. On peut être conduit à renoncer à un chant par désaccord avec le message véhiculé ou à en accepter un autre« au bénéfice du doute » si les divergences de compréhension nous paraissent ne pas toucher à des points fondamentaux.
Des textes de qualité au point de vue de la poésie et de la prosodie
La qualité poétique d’un texte ou sa bien-facture d’un point de vue grammatical ou prosodique entre aussi en considération. Le bon usage de la grammaire et de l’orthographe va de soi lorsqu’il s’agit de publier un chant. Il y a parfois des expressions osées qu’il faut rejeter à cause d’une trop grande ambiguïté, mais sortir des sentiers battus apporte souvent une touche créatrice bienvenue ! La question de la prosodie (bon accord entre les accents musicaux et ceux du texte) est nettement plus délicate, en particulier dans certaines traductions ; on y prête trop peu d’attention, même chez des auteurs-compositeurs francophones et c’est dommage, car une prosodie défectueuse altère la qualité d’un chant. Il faut bien sûr rester raisonnable dans notre quête de « perfection » ; on peut trouver des chants comportant plusieurs défauts prosodiques qui ont pourtant passé l’épreuve du temps et sont devenus des classiques, souvent grâce à un message particulièrement riche1.
Revenons à la qualité poétique. Nous entrons ici dans un domaine hautement subjectif ; certains apprécieront une poésie très classique, faite de rimes, d’un vocabulaire dit poétique2, d’une métrique régulière et d’inversions poétiques — au détriment parfois d’une certaine accessibilité et souvent de la prosodie. En ce qui me concerne, et en particulier dans le travail de traduction, j’estime les contraintes pour rendre le sens et l’esprit d’un texte sur une musique donnée suffisamment grandes pour se sentir autorisé d’abandonner la contrainte de la rime. De même, je prends souvent le parti d’utiliser un vocabulaire compris par tous et j’évite autant que possible les inversions.
Les différents critères évoqués ci-dessus sont des questions liées surtout à la constitution d’un recueil ; ils concernent donc directement ceux qui ont la responsabilité de choisir des chants, par exemple pour réaliser une compilation propre à une église locale à partir de plusieurs recueils édités, comme c’est de plus en plus souvent le cas.
Qui choisit les chants dans l’église ?
Dans les assemblées chrétiennes où la pratique est de laisser le libre choix des chants dans le déroulement de tout ou partie du culte, la question du choix est attribuée à l’Esprit que chaque frère et sœur s’efforce d’écouter pour discerner le chant suivant.
Comment reconnaître la direction de l’Esprit ? Il faut d’abord admettre que le choix est conditionné par un certain nombre de critères non spirituels : par l’âge des participants, par leurs habitudes, par leurs goûts musicaux, par leur connaissance du ou des recueil(s) utilisé(s), etc. Ensuite, cette pratique implique un instant de silence entre les chants pour permettre cette « liberté de l’Esprit ». Et une condition pratique pour que chacun(e) puisse, au cours d’un culte, proposer le chant adéquat est d’avoir avec soi le(s) recueil(s) utilisé(s) !
Si l’Esprit peut effectivement donner une impulsion, une « révélation »pour répondre à des besoins que nous ne connaissons pas—au travers d’un chant, d’une lecture biblique ou d’une parole dite à propos—, nous savons que l’Esprit a comme objectif de glorifier Jésus, de nous conduire dans la vérité, de « rendre témoignage » de lui (Jean 16.13-15). À ce titre, tout chant qui glorifie Jésus a sa place, et il ne faut pas placer la barre trop haut, ni détourner le sens de la « dépendance de l’Esprit ».C’est souvent notre intelligence, notre mémoire ou nos habitudes qui nous conduisent à proposer des chants dans une thématique suivie (par exemple une série de chants accompagnée de lectures bibliques et de prières sur le thème de la liberté en Christ, ou celui de la victoire ou celui des souffrances de Jésus en croix), ce qui est très bien ; mais si« rester dans le thème »devient une condition pour que le chant proposé soit accepté, cela devient stérile et, au lieu de laisser l’Esprit nous guider dans une nouvelle direction, chacun voudra« placer son chant » — une idée exprimée en appelle une autre — et on finit par tourner en rond. Il s’agit donc davantage d’être en bonne santé spirituelle que de faire l’effort de discerner un chant que l’Esprit nous indiquerait à tel moment.
La problématique, au fond, est la même pour les églises qui fonctionnent avec un programme de chants prédéfini. Tout porte à admettre que le groupe de louange qui entraîne la plupart des églises évangéliques
discerne aussi par l’Esprit les chants qui feront partie du programme du culte ; et ceci avec peut-être plus de temps passé dans la prière ! Mais le risque de « tourner en rond » n’est pas inexistant non plus ; un groupe de louange peut tomber dans la « monoculture », ne proposer que des chants d’un style donné.
L’évolution récente des chants d’assemblée
L’intérêt de recueils physiques
Je reviens à la question d’un recueil physique, condition essentielle pour permettre de proposer un chant connu par l’assemblée et qui édifie. La grande majorité des recueils contiennent la musique des chants, ce qui permet à celui ou celle qui a son recueil de chanter la mélodie ou une voix d’accompagnement — pour autant que le recueil en ait. L’usage du projecteur, qui se généralise dans la plupart des églises évangéliques, présente de multiples avantages, mais un de ses inconvénients est l’abandon progressif des recueils tenus en mains — et, par voie de conséquence, de la possibilité de proposer un chant ; cela conduit aussi à délaisser le chant polyphonique3 (qui permet aux voix aiguës comme aux voix graves de chanter leur partie), la projection ne permettant pas bien l’affichage de la musique.
Quelques réflexions plus générales sur la musique de nos chants d’église
Le sujet est vaste, la question très sensible et subjective, les avis souvent très contrastés. Les recueils de toutes les églises jusque vers les années 1960 ont été constitués de musiques tirées d’œuvres « classiques » (par exemple de chorals de Bach), de musiques composées spécialement pour le chant d’église et en français par des compositeurs « classiques » reconnus (par exemple les psaumes de Goudimel ou de Claude Lejeune) ; ces musiques sont de bonne qualité mais sont perçues maintenant comme trop difficiles ou vieillottes. Les réveils du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont livré une part importante des chants des églises évangéliques, amenant des musiques de qualité très diverses, souvent médiocres et répétitives —moyennant un certain nombre de belles exceptions.
Le chant d’église est resté en général assez stable — figé, même, oserais-je dire — jusqu’à l’arrivée des Beatles ! Non qu’ils aient directement influencé le chant d’église, bien sûr, mais ils ont bousculé la pratique musicale d’une large part de la population et mis en route chez plusieurs chrétiens le désir légitime d’une évolution : être plus accessible, par des musiques qui soient culturellement acceptables, autant pour l’évangélisation que pour les rencontres d’église.
Le mouvement de Jeunesse en Mission, né à cette période, a encouragé la composition dans un style nouveau, visant la simplicité des textes et de la musique. Un bel apport du mouvement a été la création de nombreux chants sur des versets bibliques, permettant de les mémoriser. Le recueil JEM n° 1 est apparu dès les années 1970, suivi par deux autres, constamment enrichis. Ils ont rapidement pris place à côté de recueils traditionnels encore en vigueur, mais en déclin (comme Les Ailes de la foi), pour finalement les remplacer et devenir presque hégémoniques.
La qualité très hétérogène des paroles (souvent traduites rapidement de l’anglais) et des musiques, de même que les options théologiques sous-jacentes très diverses de ces chants, sensibles aux mouvements successifs du monde évangélique, invite au discernement ceux qui utilisent ces trois célèbres recueils.
Une tendance récente, entamée dès le début du JEM et qui va en s’accentuant, est d’introduire dans les recueils des chants d’auteurs-compositeurs-interprètes tirés de CD ou de mp3, certes beaux, mais dont les difficultés rythmiques rendent souvent impossible l’exécution correcte par une assemblée4. Cette dépendance vis-à-vis de l’effet de mode a d’ailleurs aussi5 un effet malsain : la durée de vie d’un chant devient très courte, remplacé qu’il est par une production abondante de chants diffusés par les medias électroniques ; l’effet constructeur d’un chant intégré, mémorisé, digéré (selon Col 3.16) devient moins évident.
Les remarques critiques que je viens de formuler ne doivent nous faire oublier ni la richesse de la créativité dans le monde évangélique, ni le risque de sclérose des églises qui se contenteraient de leur propre production ; nous avons besoin les uns des autres.
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Pour conclure : à quoi celui qui choisit un chant — qu’il soit responsable de louange ou simple participant à un culte « ouvert »—doit-il penser, concrètement ?
- Il s’attachera avant tout à proposer un message spirituel sain, apporté par le texte du chant, en cohérence avec les autres actions et en particulier les lectures bibliques ou la prédication.
- Il proposera un chant qui soit connu par une proportion suffisamment grande de l’assistance, de façon à ce que l’assemblée entière puisse participer avec profit.
- Il tiendra compte des personnes qui composent l’assemblée (s’il y a par exemple des personnes d’arrière-plan réformé ou catholique, j’aime proposer un chant tiré de leur culture musicale, ce qui les mettra à l’aise).
- Il veillera à la diversité des thèmes et des styles musicaux (chants classiques ou avec des rythmes plus modernes, lents ou rapides, pour enfants ou pour toutes générations, méditatifs ou joyeux), de manière à rejoindre les diverses sensibilités.
Cette exhortation de Paul convient aussi pour notre sujet :« Quoi que vous fassiez, faites-le de cœur, comme pour le Seigneur et non pour les hommes. » (Col 3.23)
- Par exemple, « Quel repos céleste », où l’appui du 1er temps se trouve sur la 1resyllabe du chant, alors que l’appui naturel du mot « repos » va sur la 2e syllabe, comme dans le refrain. Mais le chant, je dois l’admettre, fait partie des classiques dans ce thème, peut-être parce qu’il n’a pas d’équivalent !
- Par exemple, le comité de sélection du recueil Reflets a repris tel quel le cantique « Dieu tout-puissant » avec ses mots d’origine ; par contre, il a retenu une version de « L’amour de Dieu » largement plus édifiante et belle que la version au vocabulaire suranné du JEM.
- Un effet collatéral de l’abandon du chant à plusieurs voix est la composition de chants qui ont une faible amplitude, chantables par tous… et peu intéressants musicalement parlant. Il y a bien sûr toujours des exceptions, mais la tendance est là.
- Cela m’a frappé plusieurs fois récemment — notamment à l’occasion de mariages, où la sélection des chants avait été faite par des jeunes « branchés », pour des jeunes, et où une bonne partie de l’assistance — dont moi ! — étaient « largués », car les chants faisaient partie des suppléments de JEM non encore publiés, mais déjà disponibles en ligne !
- Je dis « aussi » car j’aime ce qui est nouveau ; le problème n’est pas là.