Qu’est-ce qui fait autorité dans ta vie : les Écritures ou la tradition ?
« Et ainsi vous avez annulé la Parole de Dieu au nom de votre tradition. » (Le Seigneur Jésus, Mat 15.6, TOB)
« Les Écritures ou la tradition » ? (Se) poser une telle question revient à se demander ce qui fait autorité dans notre vie de croyant.
Les chrétiens protestants évangéliques sont censés connaître et vivre le principe du « sola scriptura » (l’Écriture seule) — qui marque la réflexion et les écrits protestants. Ainsi, par exemple, l’introduction de la « Formule de Concorde » (1577, publiée dans le Livre de Concorde en 1580) affirme : « Nous croyons, enseignons et confessons que les livres prophétiques et apostoliques de l’Ancien et du Nouveau Testament constituent la seule règle ou norme selon laquelle toutes les doctrines et tous les docteurs doivent être appréciés et jugés. »
À ce stade, le lecteur sera peut-être surpris d’apprendre que certains, au sein du protestantisme évangélique, formulent l’objection suivante : « La Loi écrite, d’accord. Et la loi orale ? » Dit autrement encore : « Est-il possible de comprendre les Écritures ou d’accomplir la Loi écrite de Dieu sans les traditions ? » — ces « traditions » pouvant être pour nous des commentaires, « les écrits de nos illustres devanciers ». En guise de réponse, voici quelques pistes de réflexion sur le rapport entre l’Écriture, la tradition et les commentaires, ainsi que quelques points de vigilance sur leur juste place.
I. L’illustration du débat juif entre la « Loi écrite » et « la loi orale »
Le même débat entre parole inspirée et commentaires agite nos amis juifs : « Dieu a-t-il aussi donné à Moïse une loi orale qui interprète laLoi écrite ? » Dans le cadre d’une discussion édifiante sur un forum juif messianique [https://messianique.forumpro.fr/t791-le-talmud-loi-orale-ou-la-torah-loi-ecrite] , une internaute relève que « le judaïsme rabbinique croit que Dieu a donné à Moïse une Loi écrite (trouvée dans la Torah, les cinq livres de Moïse). Mais il est aussi affirmé que la plupart des commandements sont exprimés succinctement, qu’il s’agit de déclarations générales, un peu comme les titres de chapitre dans un livre. On doit les interpréter. Il faut les développer et les expliquer.
Donc, selon la croyance traditionnelle, Dieu a aussi donné à Moïse une loi orale qui interprète la Loi écrite. Moïse l’a ensuite transmise à Josué, qui à son tour, l’a transmise aux 70 anciens qui dirigeaient dans sa génération, qui l’ont transmise aux prophètes des générations suivantes.
Et ainsi de suite, mais avec un grand nombre d’ajouts. C’est pourquoi les rabbins enseignent que la loi orale ne cesse de s’accroître, puisqu’à chaque génération, de nouvelles traditions se sont développées et de nouvelles situations se sont présentées qui nécessitaient de nouvelles applications de la Loi.
Au 2 e siècle apr. J.-C., la loi orale était si volumineuse et complexe qu’il fallut l’écrire pour qu’elle ne se perde pas. Elle devint la Mishnah, qui fut étendue dans les siècles suivants pour donner ce qui est maintenant connu comme le Talmud. Après cela, selon les croyances rabbiniques, ceux qui étudiaient le Talmud continuèrent à développer et transmettre la loi orale à chaque génération suivante.
Tout Juif religieux croit de tout son cœur qu’il est impossible de comprendre les Écritures ou d’accomplir la Loi de Dieu sans les traditions orales.
Le problème est que :
• Le Talmud s’arroge une autorité que les Écritures ne lui ont jamais donnée.
• Le Talmud place la voix du raisonnement terrestre sur un niveau supérieur à la voix prophétique du Ciel.
• Le Talmud contredit [parfois] la signification évidente des Écritures. »
Le chrétien fait face aux mêmes problèmes : les commentaires qu’il chérit peuvent implicitement prendre une autorité qui n’appartient qu’à la Bible.
Quand une difficulté d’interprétation se présente, le recours immédiat à un commentaire peut aussi conduire à négliger un texte biblique qui n’irait pas dans le sens de l’interprétation dudit commentaire. Tout chrétien honnête doit donc se poser la question : « Si la Bible dit une chose et mes traditions une autre, suivrai-je Dieu, ou suivrai-je les hommes ? »
II. La place des commentaires : quelques points de vigilance
Pour autant, il reste nécessaire d’interpréter la Parole de Dieu — tout en remettant les commentaires, les traditions ou les confessions de foi à leur juste place.
Un premier danger serait d’abandonner la tâche de l’interprétation biblique aux « experts », en mettant une confiance excessive dans les techniques herméneutiques et dans les procédures d’exégèse, aussi excellentes soient-elles, alors que, selon Bob Utley, professeur d’herméneutique, « la foi n’offre pas de raccourcis à une lecture responsable de la Bible [http://www.freebiblecommentary.org/pdf/fre/seminar_textbook_french.pdf] ». Les Juifs (avec leurs experts de la Loi, les scribes), les gnostiques (avec leur insistance sur un savoir secret, dont ils étaient les seuls dépositaires) ou l’Église catholique du Moyen-Âge (avec la dichotomie clergé-laïcs) sont tous tombés dans le piège de réserver l’interprétation aux « experts ». Or personne ne peut éviter le travail d’interprétation. Chaque fois que nous écoutons quelqu’un parler, ou lorsque nous lisons des commentaires, nous interprétons ce qui est dit. « Une bonne herméneutique exige une attitude d’humilité. Cela comprend non seulement l’humilité d’apprendre des autres, mais, de façon plus significative, l’humilité de se soumettre au jugement de la Parole que l’on interprète [Ibid] . » Et ultimement d’obéir à cette Parole.
Un autre danger serait de prendre l’interprétation biblique comme une fin en soi et d’oublier que nous ne sommes pas là d’abord pour produire des interprétations mais avant tout pour approfondir notre relation au Dieu vivant révélé en Jésus-Christ. De fait, si une interprétation cherche à tout prix à défendre une idéologie ou à faire admirer l’intelligence de l’interprète, mieux vaut alors reprendre pour soi le texte dans un esprit de prière pour y rechercher une interprétation qui me conduira à mieux connaître le Seigneur et son amour.
Concluons avec Karsten Lehmkühler, professeur de théologie systématique : « Avant d’être un objet de connaissance et de recherche, la Parole est un sujet agissant. Elle examine avant d’être examinée, elle nous interprète avant d’être interprétée. Cette perspective inclut le caractère du don : la parole est avant tout une grâce, un don qui ne demande point d’œuvres de notre part. Cette efficience ne saurait dépendre de nos œuvres, … pas même de nos œuvres herméneutiques. La Bible est avant tout un sujet agissant qui nous interroge, interpelle, console ; c’est par elle que Dieu nous fait découvrir nos limites, donne naissance à la foi et nous oriente dans nos choix de vie ». [http://lesattestants.fr/wp-content/uploads/2019/02/Lehmk-Attestants-Bible.pdf]