Regards d’un chrétien engagé en politique
On le sait, le mot « politique » tire son sens premier de « la ville ».
Ainsi, s’occuper des affaires de la ville, c’est au sens propre « faire de la politique ».
Ce sens s’est tout naturellement étendu englobant de manière générale tout ce qui a rapport aux « affaires publiques », c’est-à-dire celles qui touchent « le peuple » (publius en latin).
Et parce qu’on aborde par ce biais la « manière de gouverner » et non plus seulement l’objet du gouvernement, alors l’adjectif « politique » est compris comme une manière fine et adroite de parvenir à ses fins ! Ce n’est pas ce sens que je retiens, mais bien celui des « affaires publiques » et de la participation aux « affaires publiques ».
Le regard que je porte sur mon sujet vient de quatre points cardinaux :
– celui d’un chrétien évangélique qui aime la lecture de la Bible qu’il considère comme la Parole de Dieu,
– celui d’un maire (depuis 17 ans),
– celui d’un membre du « Comité de Lausanne pour l’Évangélisation Mondiale » qui a participé au rassemblement de Cape Town en 20101 ,
– et celui du président du Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine (CPDH).
Objectif ou vœu pieux ?
« Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » La volonté de Dieu clairement contenue dans l’Évangile débouche à la fois sur la réconciliation de l’homme avec son Père céleste et sur des relations humaines fondées sur l’amour et la fraternité. La nouvelle naissance est bien une naissance spirituelle, en ce qu’elle redonne vie à une relation homme-Dieu mise à mal par le péché, mais c’est aussi une renaissance civile — et pourquoi pas civique puisqu’elle va transformer notre relation avec notre prochain. Il n’est pas rare que les proches d’un homme ou d’une femme récemment « né(e) de nouveau » viennent à constater une amélioration flagrante des relations sociales de cette personne (Marc 5.15).
Ainsi la prière de notre Seigneur, « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Mat 6.10), devient notre prière et « faire sa volonté » est désormais le but de notre vie… de toute notre vie : familiale, professionnelle, sociale et politique. Il n’y a pas de domaine à exclure !
Alors qu’il est emprisonné, l’apôtre Paul écrit aux chrétiens de la première église d’Europe qu’il a d’ailleurs contribué à fonder : « Conduisez-vous d’une manière digne de l’évangile du Christ » (Phil 1.27). Le verbe grec traduit par « se conduire » peut signifier « être citoyen, vivre comme citoyen et prendre part aux affaires publiques »2 . L’apôtre rappelle par ce seul verbe tous les enseignements de Jésus-Christ à ses disciples, lui qui les invitait à « aimer leur prochain » et à ne pas se contenter de paroles seulement. « Conduisez-vous », « vivez en citoyen » ! Ces mots redisent que la foi évangélique va au-delà de la croyance, elle touche le comportement humain et elle doit impacter la ville où l’église est implantée. À l’heure où le respect de l’autre, du prochain, de notre semblable, est fragilisé, parfois remis en cause, à l’heure où le sens de l’engagement civique et citoyen est redéfini, réactualisé, précisé, encouragé partout en France, la Bible nous recommande de vivre en citoyen.
Rechercher le bien de la ville
« Recherchez le bien de la ville où je vous ai déportés » recommande Dieu par la voix du prophète Jérémie (29.7). Ce texte de la Bible est bien connu et nous rappelle que, si nous ne serons pas tous maire, député ou conseiller général, nous avons un devoir de bénédiction à l’égard de la ville où nous habitons. C’est cela, l’engagement citoyen. Il se manifeste universellement à travers la prière pour les autorités que l’apôtre Paul nous recommande, mais aussi particulièrement à travers les responsabilités civiles et civiques qui peuvent être les nôtres (ne serait-ce qu’en exerçant notre droit de vote !).
Bientôt président de communauté d’agglomération ?
« Parce que tu as été fidèle en peu de chose, reçois le gouvernement de dix villes » (Luc 19.17). C’est ainsi que la loyauté de l’un des serviteurs du maître de la parabole des talents se voit récompensée plus tard. Jésus raconte cette histoire, parce qu’on pensait que le royaume de Dieu devait apparaître à l’instant, nous rapporte Luc. Il est frappant de constater que Jésus semble inviter son auditoire à la patience (il faudra attendre le retour du maître pour connaître la fin de l’histoire… ou de l’Histoire) et à la responsabilité (celui qui a su assumer ses charges se voit confier plusieurs villes). Si nous devons un jour devenir président d’une communauté d’agglomération, il serait peut-être bon de se former dès à présent ou à tout le moins de ne pas s’interdire d’y réfléchir !
Sans tomber dans un idéalisme trop euphorique, il ne faut pas renier les progrès apportés par la Parole de Dieu et ceux qui l’ont mise en pratique : « Partout, où l’Évangile est arrivé et a triomphé, il a entraîné dans son sillage une nouvelle préoccupation pour l’éducation, une nouvelle volonté d’écouter les dissidents, de nouvelles normes d’impartialité dans l’administration de la justice, une nouvelle gérance de l’environnement, de nouvelles attitudes vis-à-vis du mariage et du sexe, un nouveau respect pour les femmes et les enfants, et une nouvelle compassion qui a donné lieu à une nouvelle détermination à soulager les pauvres, à guérir les malades, un nouveau souci pour la réinsertion des prisonniers, et de soins pour les personnes âgées et les mourants. Par ailleurs, alors que l’influence chrétienne grandit, ces nouvelles valeurs sont exprimées non seulement en la philanthropie, mais aussi dans une législation humanitaire.»3
Où est le problème ?
Et pourtant l’engagement politique fait débat et fait peur. Il faut reconnaître qu’il pose problème sur le plan des opinions, de l’erreur de gouvernement (toujours possible malheureusement), de la corruption liée au pouvoir, des partis.
Les opinions : Il n’existe pas d’opinion unique (et il faudrait bien s’en garder !) ; c’est pourquoi nous trouverons toujours des questions de société qui connaîtront plusieurs types de réponses parmi les chrétiens. La Bible nous invite à rechercher « ce qui contribue à la paix et à l’édification mutuelle » (Rom 14.19) et la lecture complète du 14e chapitre de l’Épître aux Romains est capitale sur ce sujet. En fait tout se joue dans notre capacité à accueillir la pensée d’autrui : suis-je capable d’écouter une opinion différente de la mienne ? Dans quelle mesure puis-je participer à un débat, argumenter un point de vue, examiner un avis qui m’est présenté ? Tout ceci s’apprend et nécessite un travail sur soi. À cela doit s’ajouter notre lecture de la Bible, personnelle et en église, car la Parole de Dieu doit rester « une lumière sur notre sentier », une lumière capable d’éclairer nos opinions mutuelles.
Les coups tordus : Le monde politique, comme bien d’autres sphères sociales, est cruel et sans pitié. On y trouve de nombreux exemples de trahison et de mise en danger. Mais, là encore, ceci n’est pas réservé à la politique. Jésus avec beaucoup de lucidité déclare à ses disciples : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes » (Mat 10.16). J’affectionne particulièrement cette déclaration, car la prudence du serpent et la simplicité de la colombe sont à mes yeux les qualités essentielles qu’il faut cultiver simultanément en politique. La simplicité de la colombe sans la prudence du serpent conduit à la niaiserie, à l’erreur et nous expose inutilement au danger. La prudence du serpent sans la simplicité de la colombe transforme les hommes en froids stratèges, toujours prêts à mordre ou les condamne au repli sur soi et à l’inaction. Or sur le terrain politique les embûches ne manquent pas ! Alors autant les aborder en conscience !
L’erreur de gouvernement : Gouverner une ville ou un pays est une lourde responsabilité qui implique un savoir-faire, un savoir-être mais aussi des capacités de jugement et d’anticipation importantes. Pour tout dire, je ne crois pas qu’il soit possible de gouverner parfaitement. Seul le Christ a la sagesse, la dignité, la puissance et l’omniscience convenables (Apoc 5.13). Les erreurs de gouvernement mentionnées dans la Bible sont nombreuses, mais elles ne justifient pas pour autant la volonté de renoncer aux responsabilités publiques. En revanche, l’exercice juste du pouvoir ne peut s’envisager qu’avec humilité.
La corruption : Le pouvoir n’est pas sans conséquence sur celui qui l’exerce. Ce n’est pas là un phénomène propre au monde politique, des difficultés similaires se rencontrent dans les entreprises, les syndicats, les associations, les familles… ou les églises. « L’orgueil précède la chute » (Prov16.18), c’est pourquoi Jésus se plaît à rappeler que « celui qui gouverne soit comme celui qui sert » (Luc 22.26). Ce principe est on ne peut plus évangélique et mériterait d’être largement appliqué. Soyons donc des exemples.
Les partis politiques : Pour tous ceux qui exercent ou qui exerceront des responsabilités politiques (il en faut), je conseille de ne pas agir par « esprit de parti ». Ceci ne veut pas dire qu’il soit interdit d’adhérer à un parti. Ces derniers organisent la vie politique des démocraties. Se pose alors naturellement la question des « partis chrétiens ». Il n’est pas inutile de se retrouver entre chrétiens, de partager nos expériences ou nos questions, de prier et rechercher le conseil de Dieu pour notre ville ou notre pays, mais, comme le dit Jacques Ellul, il me paraît illusoire de vouloir fonder un parti politique qui serait seul détenteur des options gouvernementales divinement inspirées. Les partis d’inspiration chrétienne peuvent être de précieux outils de travail s’ils savent être des plates-formes ouvertes, des espaces de prière, de dialogue et de formation politique. Mais ils seront des lieux de zizanie si chacune de leurs composantes revendique l’imprimatur du Christ sur chacune de ses publications ou chacun de ses programmes électoraux. Lorsque la foule vint chercher Jésus pour le faire roi, elle l’a fait fuir (Jean 6.15) ; en agissant de même, nous pourrions bien nous priver de la présence de notre Sauveur sans l’avoir voulu !
Le témoin, le gouverneur et le prophète
Il y a trois postures de l’action politique4 :
Le témoin
Au début du livre des Actes, Jésus assigne à ses disciples une mission dont ils ne peuvent encore pleinement comprendre la portée : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre » (Act 1.8). Ainsi plutôt que de faire des siens les soldats ou les politiciens d’un ordre nouveau, Jésus en fait ses témoins ! Témoins dont l’action ne semble plus avoir de limite géographique, ayant Jérusalem et les extrémités de la terre pour frontières. Le proche et le lointain, le connu et l’inconnu viennent désormais de se transformer en « champ missionnaire », l’Évangile est déjà en train d’essaimer ! Cet échange est fondateur d’une vision nouvelle : Jésus y rappelle, une fois de plus, que son « Royaume n’est pas de ce monde », et nous aurions bien tort de remettre en cause cette déclaration qui est toujours d’actualité. Toutefois il assigne à ceux qui croient en lui une mission bien particulière : le témoignage. Un témoignage qui pourra nous mener hors de nos limites habituelles et pour lequel nous avons besoin de l’assistance du Saint-Esprit.
Pour moi qui suis à la fois chrétien et élu municipal, cette déclaration du Christ a une importance considérable parce qu’elle me donne clairement le cap et le cadre de mon action, de mon mandat. Elle en brise les fausses ambitions, qui peuvent être semblables aux attentes inappropriées des apôtres ; elle en modèle la forme (« être témoin »), ouvre des perspectives nouvelles tout en me rappelant mes propres limites et mon besoin de l’Esprit saint. Mon identité n’est pas dans la politique, mais en Christ.
Le gouverneur
Pour faire de la politique, il faut savoir gouverner ou apprendre à le faire. Quand il s’agit de gouverner l’Église, Paul dit : « Que celui qui préside le fasse avec zèle » (Rom 12.8). Il en est de même pour le domaine politique. Le zèle ainsi réclamé en dit long sur le sérieux, la consécration et le coût humain d’une telle fonction pour celui ou celle qui l’exerce. Les exemples d’hommes ayant eu une expérience de gouvernement sont nombreux dans la Bible. Les difficultés qu’ils ont rencontrées sont encore d’actualité, car il existe une incompréhension naturelle entre gouvernants et gouvernés, les uns et les autres n’ayant pas le même point de vue : « Pour bien connaître la nature des peuples, il faut être prince, et pour bien connaître celle des princes, il faut être du peuple », faisait remarquer Machiavel à Laurent de Médicis.5 Il est donc inévitable que, par moments, les avis divergent voire s’affrontent. Pour le chrétien engagé, des revendications populaires, des projets de loi de tout ou partie de ses fréquentations politiques ou encore du gouvernement qui dirige le pays, entrent parfois en conflit avec sa foi. Il est alors possible d’user des moyens qu’offre la démocratie pour expliquer sa position et son opinion. Même décriés, les chrétiens se doivent de prévenir et d’avertir avec amour et conviction la société dans laquelle ils vivent. Le gouvernant devient alors prophète !
Le prophète
Le prophète a toujours eu un devoir d’interpellation du pouvoir politique. Qu’on se souvienne de Nathan qui vient au-devant du roi David et l’interroge sur la conduite à tenir à l’égard d’un homme riche et puissant qui s’est emparé de la brebis d’un pauvre (2 Sam 12.3). David se met en colère et affirme qu’un tel homme ne doit pas échapper à la justice. « Tu es cet homme ! » lui déclare alors Nathan. Quel courage ! Nathan a su trouver les mots qui étaient à la fois respectueux de la fonction du roi David et révélateurs des mauvais choix que le monarque avait faits. En tant que porte-parole du Collectif des Maires Pour l’Enfance, ou que président du CPDH, j’ai souvent connu ces moments de face-à-face avec les détenteurs du pouvoir temporel et dans ces moments les mots de l’apôtre Pierre m’ont fortement aidé : « Soyez toujours prêts à défendre l’espérance qui est en vous, devant tous ceux qui vous en demandent raison, mais faites-le avec douceur et respect, en gardant une bonne conscience » (1 Pi 3.15).
Le mot de la fin !
« Par la bénédiction des hommes droits la ville s’élève.» (Prov 11.11).
Mon vœu le plus cher, ma prière, c’est que le nombre de ces « hommes droits » soit toujours plus important et que les chrétiens viennent en grossir le chiffre. J’ai pu personnellement constater cette bénédiction à de maintes reprises. Je sais à qui je la dois et c’est à Jésus-Christ que je veux donner gloire. Je sais aussi que la bénédiction n’est pas sans souffrance, sans prix à payer et qu’il faut essayer d’en évaluer le coût avant de s’engager ; toutefois « le champ politique n’est pas hors de la moisson dont nous parle Jésus dans l’Évangile et dont il nous dit qu’elle est grande, mais qu’il y a peu d’ouvriers (Mat 9.37) ! Prions donc le Père pour qu’il en envoie … et soyons prêts, pour certains d’entre nous, à être une partie de la réponse à nos prières ! »6
- Évangéliser, témoigner, s’engager. Les documents de référence du Mouvement de Lausanne, Excelsis, 2017
- Dictionnaire Bailly – grec français.
- John Stott, I believe in preaching, Hodder and Stoughton, 1982, p.166.
- Je les ai détaillées dans mon livre Foi, politique et société, Ourania.
- Machiavel, Le Prince.
- Franck Meyer, Foi, politique et société, Ourania, 2010, p. 163.