Repères éthiques pour le témoignage chrétien (2 Corinthiens 4.1-7)
La fin justifie-t-elle les moyens ? L’essentiel est-il d’annoncer le message de l’Évangile, même si les méthodes sont discutables, puisque l’enjeu est éternel ?
Peut-on ainsi profiter d’un auditoire captif dans une rame de métro pour l’obliger à entendre, même contre son gré, notre prédication de l’Évangile ?
Quelles limites mettre aux méthodes employées pour annoncer l’Évangile ?
Dans sa seconde Épître aux Corinthiens, l’apôtre Paul, sans doute accusé par ses adversaires, doit défendre, non seulement son ministère apostolique, mais aussi sa manière de témoigner de l’Évangile. Après avoir montré le caractère spécifique de son ministère d’apôtre, il donne quelques repères pour une juste éthique du témoignage chrétien.
Cet article ne cherche pas à entrer dans le détail des controverses opposant Paul et ses détracteurs, mais plutôt à souligner les fondements du ministère de Paul afin de les appliquer à notre propre vie. Nous nous limiterons aux premiers versets du quatrième chapitre.
1. L’encouragement de la grâce (4.1)
Au sein de ses difficultés et malgré les accusations des Corinthiens, Paul se laisse encourager par la grâce de Dieu qui a fait de lui son témoin.
Il sait qu’il ne mérite rien. Il rappelle plusieurs fois dans ses lettres son indignité devant Dieu, lui, l’ancien persécuteur des chrétiens 1 .
Paul sait que l’Esprit qui agit en lui (3.18) est aussi à l’œuvre dans le cœur de ses auditeurs. Il est donc doublement encouragé. Malgré son passé et ses limites, Dieu a fait de lui son instrument pour annoncer l’Évangile. De plus, Paul peut avoir confiance dans la puissance du Saint-Esprit pour transformer des vies.
Aujourd’hui encore, Dieu continue de se faire connaître par le témoignage de personnes imparfaites. La mission de faire des disciples, premièrement confiée aux apôtres (Mat 28.18-20), est toujours d’actualité. Dieu accorde le privilège à tous ses enfants d’être des moyens pour que des personnes passent de la mort à la vie.
Tous les enfants de Dieu peuvent aussi se laisser encourager par les mêmes promesses divines, même lorsque le témoignage est difficile. Comme Paul, ils doivent parfois affronter une opposition forte et des accusations injustes. Ils peuvent compter sur la grâce du Dieu qui les envoie et sur l’action puissante de son Esprit pour que le message atteigne son but.
2. L’intégrité du messager (4.2a)
Paul refuse toute « fourberie », tout ce qui cacherait ses véritables intentions. Il se justifiera encore dans la troisième partie de la lettre (12.16), probablement en réponse à de nouvelles accusations.
Dans le livre des Actes, nous voyons Paul changer la manière d’aborder les personnes, selon leur origine – juive (Act 13.16-41) ou païenne (Act 17.22-31). Mais le message reste le même. Paul proclame l’Évangile de Christ.
Paul refuse donc d’utiliser des moyens qui ne font pas honneur au Dieu de vérité. Il refuse de compter sur des procédés purement humains pour accomplir sa mission.
Cette attitude est exemplaire pour le témoignage chrétien. Il est parfois nécessaire d’être prudent (Mat 10.16), en refusant par exemple de se laisser entraîner dans des discussions sans fin sur des sujets annexes et controversés. Comme Paul, il est souvent utile de soigner la manière d’annoncer le message en adaptant notre approche au public.
Nous devons cependant éviter que le témoignage soit trompeur. Si la prudence est nécessaire dans les pays qui interdisent le christianisme, il n’est pas légitime de cacher notre foi dans les autres pays. Organiser un faux sondage dans le but de tromper pour attirer des personnes ne reflète pas le caractère du Dieu de vérité. De même la mise en place d’un soutien scolaire dans le but de manifester l’amour de Christ autour de nous est excellent mais si ce n’est qu’un prétexte pour garnir les rangs de notre assemblée, nous nous écartons des justes motivations du témoin de l’Évangile.
Le témoin de l’Évangile soigne la présentation de son message. Mais il ne peut en aucun cas être un vendeur qui utilise des techniques trompeuses pour « placer son produit ». Paul encourage ainsi un témoignage intègre et invite les enfants de Dieu à examiner premièrement leurs motivations pour des pratiques honnêtes. De plus, il est probable que des personnes piégées une fois seront beaucoup moins réceptives à l’annonce de l’Évangile.
3. L’intégrité du message (4.2b-4)
Paul cherche à « manifester la vérité ». Il est le témoin de celui qui se présente comme « la vérité » (Jean 14.6). Il présente donc l’Évangile de la manière la plus exacte possible, sans ajouts ou omissions pour une meilleure acceptation du message.
L’Évangile est parfois refusé mais ce n’est pas à cause de sa complexité. Paul montre bien la responsabilité des auditeurs lorsqu’il les déclare incrédules, c’est-à-dire qu’ils refusent de faire confiance à Dieu.
Il rappelle aussi l’action du diable qui pousse à refuser la bonne nouvelle du salut. Comme dans la parabole du semeur (Marc 4.14-20), le diable et l’endurcissement des auditeurs sont responsables du refus de l’Évangile. Le message lui-même n’est pas en cause.
Paul manifeste ainsi toute confiance dans la clarté et la simplicité du message de l’Évangile. Il sait que la vérité n’est pas toujours bien accueillie mais il ne cherche pas à adapter le cœur de sa prédication pour éviter de heurter ses auditeurs. Il reste fidèle au sens des Écritures et ne change pas le contenu de l’Évangile. L’Évangile est glorieux, il n’est pas possible de l’améliorer !
Aujourd’hui encore, les questions de jugement, de péché, de justice de Dieu, d’enfer et même de bien et de mal peuvent heurter nos contemporains. Sans aller jusqu’aux excès de l’Évangile de la prospérité, il est possible, en Occident, de prêcher un Évangile du bien-être qui place l’être humain au centre. Paul met donc en garde contre la tentation d’adapter certains éléments de l’Évangile pour le rendre culturellement acceptable.
Jésus a appelé à prendre sa croix (Luc 9.23).
L’Évangile ne vient pas calmer la peur de la mort ou la peur de l’enfer. Il demande de renoncer à sa propre vie pour se laisser transformer par Dieu et renoncer aux désirs naturels contraires à sa volonté (Rom 8.12-14).
L’Évangile est aussi la proclamation de la grâce de Dieu qui commence par une mauvaise nouvelle, mais qui continue par l’amour et la grâce du Dieu qui s’est fait homme. Il annonce la gloire à venir, la victoire de Dieu et la défaite du mal. Ce message doit être fidèlement annoncé ; il est glorieux !
4. Christ au centre (4.5-6)
La fidélité dans la proclamation de l’Évangile revient à annoncer Christ mort et ressuscité. Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul avait déjà rappelé cette vérité fondamentale :
« Nous prêchons Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens. » (1 Cor 1.23)« Car je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » (1 Cor 2.2)
Dans sa définition de l’Évangile, Paul rappelle aussi la place centrale de l’incarnation, de la mort et de la résurrection du Fils (1 Cor 15.1-4).
Paul ne cherche pas à se mettre lui-même en avant. Il ne promeut aucune philosophie particulière ni une éthique de vie déconnectée de Jésus. Il rappelle le cœur de l’Évangile, le cœur de la prédication chrétienne et celui qui est annoncé dans toutes les Écritures (Luc 24.27).
Il annonce Jésus comme Messie, oint de Dieu, spécialement choisi pour sa mission de salut. Il prêche Christ Seigneur, maître de la création et qui doit être reconnu comme tel. Christ est enfin celui qui révèle la gloire du Père. Le Dieu qui s’est incarné est la révélation particulière de Dieu donnée aux hommes (Jean 1.14,18).
L’exemple de Paul est précieux pour les témoins de tous les temps. Il rappelle l’essentiel de ce qui doit être transmis et montre que l’attitude du messager doit aussi refléter le message.
Il n’y a pas de témoignage chrétien sans Christ, sans sa mort sur la croix, sans résurrection et sans une juste compréhension du sens de ces éléments. La nécessité d’un sacrifice parfait pour le pardon des péchés et la résurrection qui montre que l’expiation a bien été réalisée et que Christ est vainqueur sont des éléments constitutifs de l’Évangile.
Paul ne décrit pas Jésus comme un simple sauveur : il est le Seigneur, celui qui doit être reconnu comme Maître par tous ceux qui veulent le suivre (Rom 10.9). Le salut est gratuit car Jésus a tout accompli, tout payé. La grâce est une réalité qui conduit à ce que des pécheurs soient déclarés justes. Le salut implique aussi un changement radical de vie : la confiance (foi) totale accordée à Jésus-Christ conduit à désirer lui obéir en tout point.
Paul est donc un modèle dans son enseignement en rappelant le contenu de l’Évangile. Il est également prêt à servir son Maître. Son attitude est donc au service du message puisqu’elle reflète la position de Jésus, seul Maître et Sauveur.
Il rappelle la nécessité d’un message centré sur la personne de Jésus-Christ et d’un comportement en adéquation avec l’enseignement. La vraie lumière, la véritable richesse et la joie authentique et profonde de l’enfant de Dieu proviennent de Jésus-Christ, le Seigneur.
5. Gloire de Christ et humilité du messager (4.6-7)
Alors que le dieu de ce siècle aveugle les pensées des incrédules (v. 4), Christ brille au sein même des ténèbres. La lumière a vaincu les ténèbres. Tout le mérite en revient donc à Dieu et non aux hommes.
Paul utilise ainsi l’image du vase de terre qui porte un trésor pour que l’attention se porte, non sur le messager, mais bien sur le contenu du message, le glorieux Évangile de Jésus-Christ.
Le vase de terre ne doit pas être interprété comme un rejet du corps considéré comme mauvais. Paul cite une image de l’Ancien Testament qui distingue le créateur de la créature 2 .
Paul nous donne encore un enseignement essentiel concernant le témoignage de l’Évangile. Le témoin est appelé à s’effacer derrière le message. Il est parfois utile de raconter son propre témoignage de conversion, de donner les éléments qui nous ont conduits à reconnaître Jésus comme Sauveur et Seigneur. Il est alors nécessaire que Christ soit au centre, que son œuvre soit magnifiée et que nous ne cherchions pas à raconter une histoire dont nous serions le personnage principal.
Le vase de terre est façonné par le potier. Il n’est pas sans valeur, surtout si le potier est doué. Mais le mérite en revient entièrement au potier. Le vase qui transporte un trésor a une utilité réelle. Mais la vraie richesse réside dans le trésor transporté.
Paul ne nous invite pas à nous dévaloriser. Mais il rappelle la grandeur de Dieu, l’excellence du message de l’Évangile, la puissance du Saint-Esprit qui transforme des vies. Les messagers sont imparfaits, limités. Mais l’Évangile de grâce est glorieux ; c’est pourquoi il doit être mis en valeur.
Le témoin attire donc l’attention sur le véritable trésor. Les chrétiens de tous les temps ont montré des limites, des faiblesses, et ils ont commis des erreurs. Mais Dieu est venu chercher des pécheurs imparfaits et il leur accorde un plein pardon, les reconnaît justes, les appelle ses enfants et les destine à la gloire éternelle dans sa présence. Tout l’honneur revient donc au Dieu éternel et souverain.
Conclusion
Paul souligne donc à la fois la grandeur de l’Évangile et l’attitude humble du messager. Il appelle à rester fidèle à l’Évangile et à faire confiance à la puissance divine et à la beauté de l’Évangile.
Le témoin de l’Évangile est ainsi appelé à l’humilité et à la fidélité. Il est un serviteur qui désire communiquer le plus fidèlement possible le message, dans une attitude humble, droite et confiante.
Paul savait s’adapter à son public, citant les Écritures aux Juifs (Act 13.22) et un poète grec à Athènes (Act 17.28). Mais il insiste particulièrement sur l’attitude du messager et la fidélité à l’Évangile.
Il encourage ainsi à privilégier une attitude de service et un message fidèle en contraste avec des approches qui tiennent davantage du marketing que de l’Évangile. Certaines actions de témoignage ou d’évangélisation cherchent tellement à adapter le contenu de la proclamation que l’on peut se demander si nous considérons encore l’Évangile, tel qu’il a été transmis, comme un trésor… ou s’il ne doit pas être adapté aux attentes de la société pour plaire à l’auditoire.
Ce texte incite non seulement à prier pour que l’Évangile continue d’être reçu et que Christ continue d’être reconnu comme Seigneur dans toutes les nations, mais il conduit aussi le chrétien à demander à Dieu de le transformer afin qu’il devienne un témoin fidèle, dans ses paroles, son attitude, son amour et sa dépendance de Dieu.